Le label opéra national ni une simple mesure ni une simple technologie de pouvoir

Le label opéra national ni une simple mesure ni une simple technologie de pouvoir

La substance ayant perdu sa légitimité intrinsèque dans l’art et avec le libéralisme qui a intégré toutes les sphères d’activité (dont celle du spectacle vivant, dès le XIXe siècle, et de façon croissante depuis) la reconnaissance institutionnelle d’une forme artistique pose la question des critères de son utilité publique, quelle que soit sa forme juridique (Juan 2006). Depuis le XXe siècle, la légitimité est un concept politique intimement lié au consentement et à l’approbation du plus grand nombre, une catégorie normative qui permet une cristallisation sentimentale qui transforme le fait en droit. Elle en appelle aux « génies invisibles de la Cité » (l’opinion, le sentiment et les croyances populaires) et est « le reflet de tout ce que la culture d’un peuple a de fort et de vivant »164. Son problème est aujourd’hui devenu celui de la légitimation de l’action politique. Or, d’un autre côté, au même moment, le système de légitimation rationnel-légal de Max Weber perd de son poids, faisant que ce qui est légitime n’est plus tant l’objet des actions de l’organisation que dans la capacité à se justifier, a posteriori (Nadisic 2008).  Cette affirmation peut être lue d’une part comme un indice des effets de la labellisation qui fait de la visibilité des données un argument légitimant et, d’autre part, comme une façon d’être reconnu par les pouvoirs publics (qui liraient ces lignes) comme étant volontaires et respectueux des demandes de ces derniers, en d’autres mots disciplinés, et dignes d’être bien évalués, c’est-à-dire jugés favorablement par rapport à d’autres, et à l’intérieur du dispositif «  La présence de l’opéra dans des pays riches et industrialisés, à l’exception de l’Europe de l’Est où l’opéra est une tradition culturelle bien ancrée, tout fait en sorte qu’il coûte cher. Maryvonne de Saint-Pulgent rappelle à ce sujet que la fabrique d’opéras coûte moins cher là où le coût du travail est bas (Europe de l’Est). Sa fabrique est par extension plus chère là où il est élevé (France). De nos jours, les coûts de production sont si élevés que moins de la moitié de ces coûts les demandes et les termes du choix » (Lascoumes & Le Galès 2004 : 24)166. Le label opéra national comme dispositif, tel que défini par Lascoumes et Le Galès et tel que présenté dans la pensée de Foucault, a ainsi une fonction stratégique dominante.

Le préambule de la convention 2008-2012 de l’Opéra national de Bordeaux précise que l’Opéra national a pour « vocation à se situer parmi les grandes maisons d’opéra en France et en Europe (Annexe 3, p.40). On y retrouve, intégrés, les arguments utilisés dans la première convention (2001-2005) dont la présente se fait la continuité, ainsi que ce qu’est devenu, en conséquence, l’Opéra de Bordeaux : un pôle d’excellence, de production et d’insertion ayant vocation de se situer parmi les grandes maisons en France et en Europe. Le document, « qui a pour objet de décrire le cahier des charges artistique et financier de l’Opéra national de Bordeaux et le fonctionnement de celui-ci sous l’autorité de ses tutelles », rend visible leur engagement vis-à-vis de l’encadrement d’un « budget stabilisé » dont elles en garantissent les conditions. Le texte de la convention propose, en guise de réponse au problème identifié par les décideurs, une politique de recherche d’excellence artistique et de rayonnement, selon des orientations fixées (au titre I), en plus des missions permanentes indiquées également (au titre II). On demande également que soit conforter et développer l’emploi dans des formes stables.

En matière de modalités du choix, notamment économique, le jugement des parties prenantes s’appuie principalement sur des critères qualitatifs, alors que la décision s’appuie principalement sur le calcul (Karpik 2007 : 57). Or, le jugement comme art de faire, doit, pour être valide et pertinent, être soutenu par une connaissance suffisante de la réalité. Les articles 3 à 5 de la convention de l’Opéra national de Bordeaux, par exemple, exigent que soient produits, annuellement, les éléments informatifs suivants : La connaissance est d’abord une production, et cette production représente une ressource indispensable à l’action raisonnable dans un monde hétérogène. Le dispositif opéra national est un moyen de connaissance des populations d’Opéras et un cadre d’anticipation et de structuration de leur action individuelle et collective. La convention joue ce rôle par la mise en écriture des critères décisionnels, des objectifs et des modalités de contrôle comme composante du label. Les activités conçues autour des spectacles y contribuent également. La vision qu’elle produit demeure partielle et orientée dans le sens du dispositif : les critères de jugement sont souvent ambigus et chaque fois que le ministère, par exemple, qualifie un Opéra, il détermine implicitement les dispositions à la réussite de l’obtention d’une subvention, d’un label, ou d’une quelconque qualification.

 

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