LE MODÈLE DE POLAR CHEZ LES AUTEURS AFRICAINS FRANCOPHONES

LE MODÈLE DE POLAR CHEZ LES AUTEURS
AFRICAINS FRANCOPHONES

DE L’IDENTIFICATION À LA CLASSIFICATION

Quelques caractéristiques du genre Il semble particulièrement indiqué de procéder à une présentation historique du genre policier avant de définir quelques caractéristiques vu son caractère « indéfinissable et multiple ». Selon Georges SADOUL dans son œuvre intitulée Anthologie de la littérature policière : « Le roman policier est un récit rationnel d’une enquête menée sur un problème dont le ressort principal est un crime.» (SADOUL, 1980). C’est un genre romanesque apparu au XIXe siècle, mettant en scène un détective ou un policier chargé d’élucider une affaire criminelle. Ainsi, Anne Pam Brun partant de la définition que donne en 1929 Régis MESSAC dans Le « détective novel » et l’influence de la pensée scientifique (1929): « un récit consacré avant tout à la découverte méthodique et graduelle, par des moyens rationnels, des circonstances exactes d’un événement mystérieux », dira que c’est : « Un récit rationnel dont le ressort dramatique est un crime, vrai ou supposé » (PAMBRUN, 2006) Pour Nadia DHOUKAR, « Le roman policier cultive un rapport à la crise révélateur de celui entretenu par les sociétés occidentales durant le XXe siècle. Il est la crise, elle est son objet, voire son sujet, car un meurtre perturbe un ordre moral, humain et social, individuel et collectif. À la base de toute crise, il y a la mort, certes le plus souvent atténuée mais la mort (d’une confiance, d’un accord, d’un groupe…). Or, la mort est la toile de fond du roman policier, elle se glisse successivement ou conjointement dans l’étoffe de ses trois personnages centraux : la victime (objet de la crise), l’enquêteur (chargé d’en venir à bout), le coupable (à l’origine de la crise puis, une fois identifié, à sa fin).» (SADOUL, 1980) C’est une réécriture esthétique d’un crime commis et qui présente la société à travers un tableau sur lequel le romancier dépeint les turpitudes humaines, et le meurtre en particulier. De ce point de vue, le réalisme du polar est saisissant. L’intrigue est enveloppée dans une enquête menée à bonne fin par un policier, un détective ou un amateur. Cela sous-entend qu’il faut de l’action, du suspense, des surprises autour du crime qui bouscule le quotidien d’une microsociété, comme l’affirme Thomas NARCEJAC dans la série des sans atouts6 : «J’avais découvert que, noir ou classique, le roman policier ne peut se passer d’un mystère, d’enquête, de vrais et de faux témoins. » Le roman policier repose sur l’idée que tout crime laisse des traces. Elles sont nécessaires pour suivre la piste qui mène au coupable. Les indices sont les preuves de la présence d’un personnage sur le lieu du crime. Le polar est essentiellement bâti sur le raisonnement logique  de l’élucidation d’un crime commis et couvert de mystère. Ainsi, il faut noter que la thématique prédominante du genre est sans doute l’élucidation d’un crime dans un milieu urbain. « Le lieu devient tous les lieux ; le propre de ces romans […] est de montrer que le crime est quotidien, banal même, et qu’il peut surgir partout, parce qu’il est une manifestation de la nature humaine » (DUTRUCH, 1985, p.239). Son histoire s’articule autour d’une activité criminelle, décrite soit du point de vue de celui qui la commet, soit du point de vue de celui qui la condamne. Elle repose essentiellement sur une enquête policière au bout de laquelle jaillit la vérité. Jean-Paul Colin rappelle cette idée en ces termes : « Dans le roman policier, tout concourt à rendre compte de l’action criminelle et de son antidote, le processus herméneutique auquel s’adonne le détective, comme à une drogue nécessaire pour le repos de son esprit est le salut de sa société qui est la nôtre » (COLIN, 1999). Il revêt une forte dimension logico-déductive. En effet, comme le soutien Suzanne DUTRUCH (1985), le polar est « conduit selon les exigences de la raison.» Généralement, le récit du roman policier n’est pas long, l’action se déroule au plus sur quelques années. « Somme toute, c’est un genre entier qui fait de l’indiscrétion et du commérage son principe narratif… » (DUBOIS, 1992). L’histoire policière permet d’aborder la face noire de la réalité sociale. Les auteurs du genre privilégient l’analyse de nos sociétés, théâtres de déviance et de marginalité. Le crime, sur lequel il repose, induit des personnages peu recommandables. Roger LAMBIN (2009) parle : « d’expression des mauvais penchants humains : mensonges, hypocrisies, calculs intéressés ou désirs morbides.» Les romans policiers sont, par excellence, l’espace de la description de la transgression sociale où les impressions de l’effondrement des valeurs et du modernisme social se donnent à lire, à voir ; mais aussi et pour cela la description morale des personnages de personnalité sombre, qui, de classe d’âge à classe d’âge, d’un milieu à un autre, de récit en récit, construit l’image de la société moderne. Ainsi, le récit policier devient un stigmate de la société urbaine, comme nous le dit Wadi BOUZAR (1987) : « On ne peut étudier des phénomènes comme le roman policier ou le roman noir qu’en les mettant en parallèle avec la révolution industrielle et surtout avec la révolution urbaine, autrement dit avec l’extension de la ville et la prépondérance de son univers. Et c’est là une des caractéristiques essentielles du polar. Ses composantes sont diverses mais toutes nécessaires à l’élaboration du récit.» Nous pouvons toujours distinguer certaines caractéristiques du genre policier. En vérité, même si après la Première Guerre mondiale les codifications se multiplient (par exemple, les 18 règles de Van DINE)7 , les spécialistes s’accordent sur quelques invariants : l’enquête, le crime, le meurtrier, la victime, le mystère, le suspense…

L’enquête et le crime

L’élément prédominant du roman policier est « l’élucidation d’un crime commis ou virtuel ». Le mystère du crime nécessite l’ouverture d’une enquête. Dès lors, celle-ci demeure une narrativisation de la résolution de l’énigme. De fait, le polar est donc essentiellement « bâti sur l’observation et le raisonnement logique ». L’intrigue policière repose sur un ensemble de techniques qui s’organisent comme une machine, et le crime en constitue la pièce maîtresse. Elle s’ouvre sur un meurtre commis ou sur la mise en place d’éléments de la situation dangereuse. La genèse du crime et les conséquences qui en découlent constituent les caractéristiques essentielles du roman policier. Le crime occupe une fonction nodale dans le dispositif de l’intrigue, quelle que soit la variété du genre. En effet, d’après Jeanine VIGNON, l’enjeu du polar est selon les cas : De savoir qui a commis le crime, et comment, pour le roman à énigme. De mettre fin au(x) crime(s), pour le roman noir. D’éviter le(s) crime(s), pour le roman noir.8 Quand le crime ne s’accomplit pas dans les premières pages, le risque d’un meurtre plane jusqu’aux dernières pages. La fiction policière, explique Jacques DUBOIS, « porte un regard méthodique et morcelant sur l’univers qu’elle entend maîtriser […]. Dans ce procès, le crime est surtout prétexte à une rupture du pacte de discrétion, de la règle de censure qui protège la vie privée » (DUBOIS, 2006, p.29). Après « la réalisation du danger », le narrateur suit les pas de l’enquêteur pour découvrir comment le crime a été commis, par qui, et comment le meurtrier a dissimulé les indices. Cet exercice constitue l’essentiel du récit. L’enquête est « un jeu de réflexion et de déduction ». Quelqu’un commet un mauvais coup selon un plan minutieusement monté pour échapper à tout soupçon, et quelqu’un d’autre se charge de le démasquer, c’est-à-dire d’enquêter et de rétablir l’ordre. L’enquêteur est, à l’aube du genre, « Un personnage représentant d’une morale majoritaire mais libre de s’en démarquer, un personnage à mi-chemin entre le coupable et son juge, un personnage qu’on paie mais qu’on n’achète pas. Or, ce personnage chargé de mener l’enquête, récurrent ou pas, est selon nous « l’ingrédient » romanesque caractéristique de ce genre.» (DHOUKAR, 2008, p 7). L’on ne manque d’être frappé par la dialectique ordre/désordre qui se lit dans le rapport entre l’enquêteur et le coupable. « Désordre remis en ordre, ordre s’évanouissant en désordre; 8 VIGNON, Jeanine., « Typologie du roman policier » jeanine.vignon@ac-grenoble.fr 20 rationalité chavirée par l’irrationnel, rationalité restaurée après des bouleversements irrationnels: voilà en somme l’idéologie du roman policier.» (MANDEL, 1987, p.63). Il est exact qu’habituellement, même si l’enquête policière n’apparaît que sous des formes diversifiées, les structures et les mécanismes qu’elle déploie constituent le soutènement intellectuel du polar. Dans le roman à énigme, l’enquête sert plus à mettre la clarté sur le crime déjà commis alors que dans le roman à suspense la clarté recherchée est celle de cette vie en harmonie qui met un terme à la panique, au cauchemar. L’enquête est semblable à un puzzle, et le but du jeu est de reconstituer celui-ci. L’ordre dérobé par le ou les meurtriers au début du récit est donc rétabli au travers du discours explicatif final. La lumière ponctue la longue nuit de l’enquête criminelle. Jean P. COLIN note avec raison: « Dans le roman policier, tout concourt à rendre compte de l’action criminelle et de son antidote.» (COLIN, 2008). Envisagée dans sa dimension sociale, l’enquête se définit comme une quête de l’ordre, donc de la sécurité et de la paix. L’ordre, en effet, c’est pour chaque individu et chaque collectivité le fait de lever le voile, connaître celui qui a commis le crime, les circonstances, les motifs du meurtre. C. POSLANIEC et C. HOUYEL (2001) montrent par un examen attentif de l’enquête que le policier ou celui qui en fait fonction, « […] En fouillant dans la vie de la victime, il [l’enquêteur] s’efforce de trouver des mobiles crédibles et en analysant le mode opératoire du crime tente d’identifier, parmi les suspects sélectionnés par les mobiles, le coupable. » L’ordre du puzzle et l’ordre social s’imposent conjointement. Le cadre social du crime varie en fonction du type de roman policier. Dans le roman noir, ce sont toujours des personnages peu recommandables qui commettent des crimes de façon délibérée. En vérité, dans ce type de roman tout le monde peut être meurtrier, les crimes s’inscrivent dans des fonctionnements sociaux. Le crime devient banal et plusieurs personnages y recourent. L’auteur de roman noir semble étudier plus le meurtre que sa clarification par une enquête. C’est dire que le crime y occupe une place nodale par ses descriptions parfois précises. Il vient toujours perturber un quotidien relativement calme. Bref, la laideur, la plus horrible des barbaries, supplante brusquement le havre de paix. Le même imbroglio de l’enquête, caractéristique de la structure du récit policier, se trouve dans les autres sous-genres du polar. Le roman policier à énigme s’organise sur un vide central (l’absence d’informations sur un crime commis) et sur la manière de combler le vide. Celle-ci correspond à l’enquête criminelle. En d’autres termes, la composition du polar se base sur une information 21 initiale (un meurtre) qui mène inévitablement vers une solution finale. L’enquête constitue justement une sorte de passerelle aux ambitions du lecteur et du détective. Nous ferons nôtre cette réflexion de D. FONDANECHE (2000) : « le roman policier est donc semble-t-il, la trace romanesque d’une quête ayant pour but de rétablir un équilibre qui a été rompu après une transgression sociale. » Il y a toujours dans une intrigue policière de fausses pistes, et c’est là l’un des intérêts majeurs du genre. L’enquête permet justement de dévoiler certains coins secrets dans la vie des différents personnages suspectés. En d’autres termes, l’histoire est un tissu « d’imaginations » et l’enquête un tissu « d’informations », et il appartient au lecteur ou au détective de sélectionner les informations qui lui permettent de conclure à l’identité du coupable. Françoise NAUDILLON (2006) nous rappelle, à propos du lecteur, que : « Tous les romans policiers, par définition, entretiennent chez le lecteur une volonté de savoir : la transgression et le désordre institués par le crime et le criminel, le roman est construit comme une grande machine épistémologique fondée sur la recherche d’une vérité et d’un ordre dérobé par le ou les criminels.» La dimension critique du genre policier réside dans ce rappel incessant du négatif social. Avec l’accomplissement d’un crime, l’auteur montre tout simplement que l’homme, si évolué soitil, porte toujours en lui son passé animal. Ce rapprochement incessant entre l’individu et l’animal dénote la régression de l’humanité. En vérité, le crime est l’expression d’une humanité en dérive avec la grande complexité des rapports sociaux. Il témoigne de l’échec des hommes dans le commerce social. L’auteur de roman policier porte son regard sur les rapports complexes entre ceux-ci et sur la fragilité humaine. Le crime procède soit d’un malentendu entre individus ou de l’échec de l’éducation (terme dérivé du latin educere qui signifie littéralement « conduire hors de », inciter l’enfant à sortir de lui-même pour devenir un sujet qui choisit, et non un objet qui subit sa fabrication »). L’auteur de polar semble mettre l’humanité devant sa responsabilité dans la déchéance qui est la sienne. L’homme a souvent tendance à recourir à des moyens extrêmes, violents. Il convient de souligner que l’accomplissement d’un crime dans l’univers du genre procède d’une logique implacable. En vérité, l’auteur présente dans son récit une société dépouillée de toutes valeurs. Les relations sociales y sont de plus en plus détériorées, la tension monte et le mal atteint son paroxysme. 

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : LES MUTATIONS TECHNIQUES ET STRUCTURELLES
I – DE L’IDENTIFICATION À LA CLASSIFICATION
II – LE RAPPORT DE LA SOCIOLOGIE AU RENOUVELLEMENT DES STRUCTURES DE L’INTRIGUE POLICIÈRE
DEUXIÈME PARTIE : APPROCHE THÉMATIQUE ET SOCIOLOGIQUE
І- L’INNOVATION THÉMATIQUE
ІІ- LA RÉALITE SOCIALE ET SA REPRÉSENTATION
TROISIÈME PARTIE : INNOVATION STYLISTIQUE ET RÉFÉRENTIEL SPATIO-TEMPOREL
І- LE RENOUVELLEMENT DE L’ÉCRITURE ET L’INTRODUCTION DE NOUVEAUX PERSONNAGES
ІІ – L’EXPRESSION DE L’ESPACE-TEMPS
CONCLUSION GÉNÉRALE

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