Le service public et la RSE en France une perspective théorique et méthodologique

Le service public et la RSE en France une perspective théorique et méthodologique

Nous avons analysé dans le chapitre précédant, les liens qui se sont établis historiquement entre le SP et la RSE, en nous centrant sur le contexte de la France. Nous allons maintenant aborder, plus directement, l’analyse des articulations possibles entre le SP et la RSE, en particulier en ce qui concerne les grands services publics de réseaux et réfléchir dans ce cadre, à la manière de les observer, de les interpréter et d’évaluer leur capacité à contribuer au bien commun. Différentes conceptions du rôle de l’Etat et des services publics, des Initiatives Volontaires d’entreprises, de la recherche de la profitabilité et de leur articulation, sous-tendent les évolutions historiques observées en France. En se centrant sur la RSE, c’est à ces conceptions que s’est intéressée Brabet (2004, 2006, 2009), tentant de les modéliser et de se situer aussi dans une perspective prospective. Nous commencerons ce chapitre en rappelant la modélisation ainsi opérée et en présentant les résultats de travaux d’auteurs qui ont exploré le lien RSE-SP dans les grands services publics de réseaux. Nous explorerons l’espace des possibles en élaborant des scénarii de démarches RSE articulant logiques de SP, de DD et de profitabilité. Nous les utiliserons ensuite pour construire le cadre théorique et méthodologique de notre recherche (II.1). Nous poursuivrons en présentant les principaux concepts retenus pour structurer notre recherche. La notion de dispositif, telle que l’a forgée Foucault, constitue la pierre angulaire de notre cadre théorique. Nous montrerons sa capacité à rendre compte de la dynamique d’une (de) démarche(s) RSE dans les entreprises qui nous intéressent et ses répercussions sur les individus et la société. Nous mobiliserons, en outre, la grille d’analyse de la sociologie de la traduction pour observer le processus d’ancrage de cette (ces) démarche(s) RSE dans les pratiques managériales de l’entreprise (II.2). Le service public et la RSE en France une perspective théorique et méthodologique 100 Nous terminerons ce chapitre en présentant le cadre méthodologique et les terrains de notre recherche. Nous soulignerons que nous avons utilisé la méthode du cas de recherche appuyée de l’analyse comparative et que dans le cadre de notre attachement au programme ANR sur le « Potentiel régulatoire de la RSE » nous avons décliné et adapté un protocole de collecte et de traitement des informations partagé par les chercheurs appartenant à ce programme. Nous consacrerons les pages suivantes de cette section à la présentation des terrains de recherches. Nous insisterons notamment sur les raisons qui ont présidé à leur sélection (II.3).

Saisir les modes d’articulation du service public et de la RSE

Nous avons mis précédemment en lumière les capacités et les limites du SP et de la RSE à répondre de façon durable et équitable aux besoins des individus et de la société. Nous souhaitons maintenant : – explorer l’univers des possibles articulations des logiques qui les sous tendent et de la recherche de profitabilité dans les grands services publics historiques de réseaux – et élaborer des scénarii présentant différents modes, actuels ou potentiels, de définition (s) de la RSE et de démarche (s), adaptés au contexte de ces entreprises. Pour y parvenir, nous rappellerons d’abord, la modélisation des conceptions de la RSE opérée par Brabet (2004, 2006, 2009) ; Brabet et Maurel (2009). Nous la présenterons comme une synthèse des évolutions des conceptions historiques mises en exergue dans le chapitre précédant (II.1.1). Nous nous intéresserons ensuite aux travaux d’auteurs qui ont exploré le lien RSE-SP dans les grands services publics de réseaux français. Ils nous éclaireront sur la manière dont ces entreprises appréhendent une RSE volontariste (II.1.2). Puis, nous préciserons les scénarii qui structureront notre cadre théorique. Ils sont au nombre de trois. Deux de ces scénarii décrivent des situations extrêmes, contrastées de déploiement de démarche RSE dans un grand service public de réseaux. Le contraste repose sur l’importance, plus ou moins forte, accordée aux logiques du SP, du DD et de la profitabilité. Le troisième projette une vision plus nuancée (II.1.3). 

Une modélisation des conceptions de la RSE

Brabet (2004, 2006, 2009) ; Brabet et Maurel (2009) distinguent quatre grandes conceptions de la RSE43 en fonction notamment de leur manière différente de hiérarchiser les trois piliers du DD : « le premier modèle affiche clairement sa priorité économique sans discussion possible. Le deuxième et le troisième modèle discutent de la priorisation à travers la RSE dans le cadre de l’économie de marché. Le quatrième et dernier modèle ne croit la priorité 43 Les auteurs ont construit leur modèle de RSE à partir d’une exploration de la littérature, du contenu de discours et d’observations de pratiques s’inscrivant dans le champ relativement récent de la RSE. 102 sociale ou environnementale possible que si certains biens (matériels ou immatériels) sont sortis du marché pour en redéfinir collectivement la valeur » (Brabet et Maurel, 2010, p. 63). Nous rappelons cette modélisation, en insistant plus particulièrement sur les deux derniers modèles car l’un, le modèle de la « régulation démocratique de la RSE », renvoie au système hybride français de la RSE et l’autre, celui « de la défense des solidarités et des biens publics (mondiaux) », met en scène des possibles articulations entre le SP et la RSE, entendue comme l’ensemble des Initiatives Volontaires d’entreprises. Nous détaillerons ensuite la façon dont celle-ci va nous guider dans la construction de notre cadre d’analyse. Le premier modèle, fondé à partir des théories de l’économie classique et néo-classique, correspond à l’approche de la « primauté des actionnaires ». Il présente les marchés « efficients », permettant naturellement la convergence entre l’intérêt individuel et collectif, comme le meilleur mode de régulation. Dans cette perspective, la mission pour les entreprises consiste à satisfaire les actionnaires, en leur assurant la hausse du cours de l’action et en leur versant des dividendes, les plus élevés possibles et c’est par la réussite de cette mission que les entreprises contribuent au bien être collectif. Les entreprises n’ont donc pas à se préoccuper des deux autres piliers du DD. On peut classer dans ce courant, les disciples de Friedman (1962)44 comme Henderson (2001). Ce dernier soutient la thèse que les discours tenus par les entreprises en faveur du DD ne font que susciter des attentes infondées et incohérentes (prise en compte de mesures excessives pour la protection de l’environnement ; élévation du niveau des normes de travail risquant de nuire à la liberté de contracter, etc.) car les entreprises, dans le système de concurrence qui caractérise nos économies, ne pourront jamais les satisfaire. 

La RSE dans les grands services publics de réseaux dans la littérature

Dans la littérature, les travaux s’intéressant au lien SP-RSE dans les grands réseaux de service public français sont peu nombreux45. Tous se centrent sur les raisons qu’ont ces entreprises de déployer des démarches RSE et sur ce point leurs avis divergent. En revanche, aucun n’explore en profondeur le mode d’existence et d’ancrage de ces démarches. Ces travaux éclairent ainsi la façon dont ces entreprises appréhendent la RSE. Ils soulignent aussi l’intérêt de notre question de recherche. Les uns (Marais et Reynaud, 2007 ; Merlin-Brogniart, 2007, 2010), analysent l’intégration de la RSE dans le fonctionnement des grands services publics de réseaux comme le signe d’une affirmation de leur engagement sociétal. La RSE est ici perçue comme une opportunité pour évoluer dans la dynamique concurrentielle de leur secteur d’activité. Aussi, ce point de vue rejoint-il celui défendu par l’Union européenne et le Centre Européen des Entreprises à participation Publique (CEEP). Selon Merlin-Brogniart (2007 ; 2010), les grands réseaux de service public ont davantage à gagner qu’à perdre en s’engageant en faveur de la RSE et cela pour au moins trois raisons. D’abord, les principes du DD que l’auteur définit comme étant l’adaptabilité, l’égalité intergénérationnelle, la durabilité et la transparence, relèvent de la même logique que les principes d’égalité, de continuité, d’adaptabilité et de transparence attachés au SP. Ensuite, l’expérience que ces entreprises ont acquise en étant confrontées à la contrainte structurelle de rendre accessible une partie de leur prestation à tous sur le plan social, géographique voire cognitif, leur attribue un avantage, par rapport aux entreprises privées pour tirer parti de l’articulation des trois piliers du DD. Enfin, en intégrant des préoccupations environnementales dans la manière de gérer leur activité, les grands services publics de réseaux peuvent améliorer leur offre de service, au bénéfice des usagers. Ces derniers pourront en profiter dans de meilleures conditions d’utilisation à la fois physique, financière et cognitive grâce, par exemple, à la diminution des coûts générés par la mise en place de dispositifs éco-conçus. 

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