Le SRADDET, nouvel outil de planification stratégique

Le SRADDET, nouvel outil de planification
stratégique

LE RENFORCEMENT CONTRARIE DU ROLE DES REGIONS DANS L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE

 La reconnaissance au profit des Régions du pouvoir d’orienter et d’organiser l’action des autres collectivités territoriales au moyen du SRADDET soulève la question du cadre juridique attaché à la décentralisation 115. Le législateur a par conséquent posé des limites à cette extension du pouvoir normatif, autant d’obstacles à un réel renforcement de la Région (Section 1). Audelà, il revient à la Région le choix de se saisir du SRADDET et de lui donner les moyens d’exister

LES OBSTACLES A L’AFFERMISSEMENT DU POUVOIR NORMATIF DE LA REGION DANS LE CADRE DU SRADDET 

Le SRADDET constitue un document élaboré par la Région qui s’impose aux documents infra-régionaux établis par d’autres collectivités. En réponse à cette extension du pouvoir réglementaire de la Région par l’attribution d’un caractère prescriptif au schéma, le législateur se doit ainsi d’assurer le respect des garanties juridiques attachées au cadre institutionnel décentralisé (Section 1), et le conduit également à accorder certaines contreparties en faveur des autres acteurs (Section 2). 

LE RESPECT DES GARANTIES JURIDIQUES ATTACHEES A LA LIBRE ADMINISTRATION 

Si la loi NOTRe confère au SRADDET une nouvelle normativité, ce n’est pas sans avoir poser un cadre restrictif de façon à assurer le respect des modes et principes de la décentralisation 116 (Paragraphe 1) empêchant le schéma régional de disposer d’une portée contraignante réelle, et réduisant ainsi son impact à l’égard des documents infra-régionaux (Paragraphe 2). 

LES PRECAUTIONS REPONDANT AUX PRINCIPES GARANTS DE LA DECENTRALISATION 

Le droit des collectivités territoriales a développé des principes propres à protéger les modes de la décentralisation et correspondent à des garanties essentielles au profit des collectivités, ce que Bertrand Faure appelle des « normes d’élite de rang constitutionnel » 117. Ces normes encadrent la répartition des compétences entre collectivités, et les relations qu’elles entretiennent entre elles et avec l’Etat. La principale garantie est la libre administration, considérée comme une liberté fondamentale des collectivités territoriales 118, inscrite à l’article 72 alinéa 3 de la Constitution. Cette notion signifie notamment que les collectivités doivent disposer des moyens juridiques nécessaires à l’exercice de leurs compétences 119. Elle est source d’un pouvoir normatif local « [les] collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Pour autant, comme le précise l’article 72, elle s’exerce « dans les conditions prévues par la loi », supposant qu’il appartient au législateur de définir les principes fondamentaux de la libre administration (en vertu de l’article 34 de la Constitution). Cette préservation des libertés locales s’accompagne de plusieurs autres principes qui permettent de garantir également le cadre de la décentralisation. Il s’agit notamment de l’interdiction de tutelle, du principe d’égalité entre collectivités, de la notion de « compétences propres », du principe de subsidiarité… Tant de principes nécessaires pour protéger les collectivités territoriales, car s’il n’est pas défendu au législateur de restreindre la libre administration (sans la limiter à outrance, sauf motif d’intérêt général), il sera néanmoins soumis au respect de ces principes constitutionnels. C’est notamment le cas dans les situations de gestion conjointe des compétences, où plusieurs collectivités interviennent concomitamment, s’est prononcé en faveur de la hiérarchisation des pouvoirs réglementaires locaux dans l’exercice de compétences concurrentes. En effet, il a précisé que le législateur peut conférer à titre principal une compétence à une catégorie de collectivité territoriale et attribuer dans le même domaine, compétence à des collectivités relevant d’une ou plusieurs autres catégories. Il convient dès lors d’appréhender plus précisément ces garanties offertes par le constituant. Si au travers des dispositions constitutionnelles, la clarté n’est pas totale, comme l’affirme JeanFrançois Brisson en jugeant ces notions comme « de vagues règles évocatrices d’une éthique de la demande d’avis du Ministre de l’intérieur et Ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique sur les conditions d’exercice, par les collectivités territoriales, du pouvoir réglementaire qu’elles tiennent de l’article 72 de la Constitution — 46 — décentralisation, […] entourées d’un certain flou juridique » 121, il s’avère que le juge s’en est saisi à plusieurs reprises. Son appréciation pourrait permettre d’en préciser les contours. Le principe de non tutelle, prévu à l’article 72 alinéa 5 de la Constitution, signifie que les collectivités ne doivent pas être traitées d’une manière inégale ou hiérarchisée 122. Les juges administratif et constitutionnel disposent d’une appréciation stricte de la tutelle, ils réservent cette qualification à un contrôle effectif d’une collectivité territoriale sur une autre, assimilée à un pouvoir d’autorisation ou de contrôle. C’est ce que retient le Conseil d’Etat dans l’arrêt Département des Landes du 12 décembre 2003 123, ainsi que le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 décembre 2010 relative à la loi portant réforme des collectivités territoriales. Ainsi, « la seule capacité d’influence ne suffit pas à reconnaître l’existence d’une tutelle ». Julie Benetti évoque le développement de ce qu’elle désigne comme des « tutelles insidieuses » qui échappent à la qualification des juges en raison de leur appréciation stricte 126. L’interdiction d’une tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre est également très liée à l’expression « ne pas méconnaître les compétences des autres collectivités territoriales et de l’État », que les juges ont évoquée parfois sous les termes de « compétences propres ». Cette notion ne désigne pas un domaine réservé affilié à chaque collectivité – ce que l’on pourrait à priori comprendre par la formulation – mais concerne les compétences attribuées par la loi. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la question d’un pouvoir normatif élargi accordé aux Régions par l’élaboration d’un schéma à caractère prescriptif, de nature à imposer des orientations à d’autres collectivités. En effet, dans le cadre de la loi NOTRe, le législateur a pris le soin d’articuler les différentes interventions des collectivités dans le domaine partagé de l’aménagement du territoire, par une « technique consistant à organiser le concert d’administrations locales juxtaposées » tel un schéma 128. Ainsi, s’il lui est permis d’organiser d’une manière différenciée les interventions des collectivités, il ne peut le faire qu’en accordant les garanties nécessaires. Néanmoins, pour certains auteurs, la Constitution exclue l’établissement d’une hiérarchie normative entre les collectivités territoriales. De nombreuses craintes se sont exprimées à l’égard du SRADDET portant sur le fait qu’il serait de nature à instaurer une tutelle régionale. Pourtant, disposer d’un document de planification prescriptif qui s’impose à d’autres collectivités n’est pas en soi contraire à la Constitution, à la condition que les garanties soient présentes. C’est ce qu’a déjà pu établir le Conseil constitutionnel à propos du SCOT 129, en précisant qu’il ne méconnaît pas la libre administration des Communes dès lors qu’un pouvoir de décision est en partie préservé. Mais cette décision pouvait apparaître justifiée au regard de la nature des établissements publics, qui ne sont que le prolongement des communes membres. Le Conseil constitutionnel a également affirmé, à propos du PADDUC 130, schéma régional de la Corse, que le fait qu’une délibération réglementaire d’une collectivité territoriale produise des effets de droit sur les décisions d’une collectivité territoriale de niveau inférieur ne suffit pas à établir une tutelle, tant qu’il n’y a pas eu méconnaissance des compétences des autres collectivités. La loi NOTRe entoure le caractère prescriptif du SRADDET de nombreuses précautions de nature à prévenir tout risque d’inconstitutionnalité. C’est ainsi qu’elle exclut un rapport de soumission strict tel que la conformité, qui implique une traduction rigoureuse de la norme de rang supérieur, en faveur des rapports de compatibilité et de prise en compte. Ainsi, ces rapports souples supposent donc que les collectivités territoriales infra-régionales restent maîtresses des moyens à mettre en œuvre pour atteindre les ambitions mises en avant par la Région. De plus, l’article L. 4251-1 du CGCT exprime d’une manière explicite que les règles générales du fascicule doivent être prononcées « sans méconnaître les compétences de l’État et des autres collectivités territoriales ». Le SRADDET doit donc respecter la logique de subsidiarité et les compétences attribuées par la loi à chaque niveau de collectivité. De surcroît, il est précisé également que les règles ne peuvent avoir pour conséquence directe, pour les autres collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, la création ou l’aggravation d’une charge d’investissement ou d’une charge de fonctionnement récurrente. Cette disposition, issue d’un amendement, illustre les craintes ressenties et la volonté d’encadrer rigoureusement les prérogatives offertes aux Régions par le schéma. C’est le constat fait par Pierre Villeneuve, relevant que « le régime juridique du schéma porte les traces des tensions et inquiétudes qui se sont « Les schémas régionaux et les risques de tutelle régionale »,manifestées ». Ce constat explique aussi la non opposabilité de la carte synthétique, à raison d’un amendement pour atténuer la portée du schéma et limiter toute contrainte « excessive », comme l’échelle imposée au 1/150 000e alors même que cette carte n’est pas prescriptive. De même, le législateur dispose que les règles doivent être générales. Si la portée attendue de ces règles générales n’est pas explicitée, cela exprime toutefois qu’il y a un degré de précision qui ne peut être atteint. Cela fait écho à l’avis du Conseil d’Etat en 1991 concernant le SDRIF, « Ces options et objectifs ne sauraient cependant entrer dans un degré de détail qui conduirait à méconnaître tout à la fois la place respective du SDRIF et des documents d’urbanisme, [et] l’autonomie communale […] ». Par conséquent, toutes ces précautions prises par le législateur contribuent à protéger les collectivités d’une potentielle tutelle de la Région. Or, cette protection juridique des compétences locales a un impact sur la portée normative du SRADDET. Dès lors, toutes ces garanties « ne reviennent-elles pas à vider la hiérarchie normative ainsi introduite de toute substance ? ». 

LA PORTEE NORMATIVE LIMITEE DU SCHEMA 

Ces limites posées au pouvoir normatif de la Région affectent logiquement la portée du schéma, mais également engendre une complexité et une difficulté dans l’exercice de rédaction des objectifs et des règles, dispositions opposables composantes du SRADDET. Si l’on ne peut pas considérer le SRADDET comme un objet de droit souple puisque la loi NOTRe lui attribue désormais un caractère prescriptif, il faut néanmoins apporter des nuances quant à l’effectivité normative dont il dispose. D’une part, des nuances quant aux conséquences attachées aux garanties posées par le législateur, nécessaires pour ne pas entrer en conflit avec les principes constitutionnels. D’autre part, au regard de l’échelle et de la fonction stratégique du schéma qui ne favorisent pas une portée contraignante des dispositions. L’échelle régionale n’est pas sans conséquence quant à la portée normative d’un document. Patrick Hocreitère affirme « il existe une corrélation entre la forme de la norme et l’espace géographique dans lequel elle s’inscrit [conduisant] à une plus ou moins grande flexibilité de la norme ». En effet, la différence 1d’échelle, qui en fait un document de macro-aménagement, implique de conserver une généralité et une globalité afin de pouvoir s’adresser à l’ensemble du territoire régional, et même en cas de territorialisation puisque cela s’applique à des grandes parties du territoire. D’autant plus que le SRADDET n’a pas pour objet de constituer une référence directe pour l’élaboration des documents locaux établis à une échelle communale, mais doit guider principalement des documents qui sont eux même stratégiques, prévisionnels ou programmatiques et qui couvrent un territoire également large. Ensuite, en qui concerne les rapports d’opposabilité prévus par le législateur. Si ces rapports de soumission souple permettent de parer l’obstacle d’inconstitutionnalité, en empêchant la Région d’aboutir à un pouvoir de commandement, et paraissent pertinents et justifiés quant à l’idée générale de conserver l’esprit et l’intelligence du projet politique régional par les acteurs locaux, ils ne permettent pas à la Région d’être un tant soit peu directive et donc empêche le SRADDET d’avoir un réel impact sur les documents subordonnés. En réalité, il s’agit d’un problème structurel qui s’adresse largement à tous les documents de planification prévisionnels 138. En effet, le développement de la schématologie d’une manière générale présente l’inconvénient d’adopter des documents dont la compatibilité est variable et sans réelle prescriptivité juridique 139. Cela réside dans les incertitudes propres aux notions de compatibilité et de prise en compte, qui ne peuvent être éclairées qu’en appréhendant plus concrètement l’appréciation du juge pour comprendre les frontières invisibles qu’il a déterminé. La compatibilité comme la prise en compte n’implique ni une reproduction détaillée de la norme, ni même une déclinaison de la norme supérieure. Ces rapports établissent seulement une nécessité de ne pas être clairement en opposition avec l’ensemble du projet retenu par la norme supérieure. La compatibilité et la prise en compte n’ont en réalité pas vocation à être fréquemment sanctionnées par le juge .

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. L’AFFIRMATION DU ROLE MAJEUR DE LA REGION DANS L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
CHAPITRE I. LE SRADDET, INSTRUMENT D’AMENAGEMENT RENOVE AU PROFIT DE LA
REGION
Section I. Outil de simplification et de rationalisation des politiques régionales
Section II. Outil stratégique de mise en convergence des politiques sectorielles
CHAPITRE II. LE SRADDET, INSTRUMENT DE PLANIFICATION REGIONALE CONTRAIGNANT
Section I. La nouvelle normativité accordée aux schémas régionaux d’aménagement
Section II. L’accroissement des responsabilités de la Région dans l’aménagement du territoire
PARTIE II. LE RENFORCEMENT CONTRARIE DU ROLE DES REGIONS DANS L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE
CHAPITRE I. LES OBSTACLES A L’AFFERMISSEMENT DU POUVOIR NORMATIF DE LA REGION DANS LE CADRE DU SRADDET
Section I. Le respect des garanties juridiques attachées à la libre administration
Section II. Le concours des autres acteurs, entre garantie et compromis
CHAPITRE II. LES CHOIX DE LA REGION DANS L’APPLICATION DU SRADDET
Section I. Le choix d’un document cadre et influent
Section II. Le choix d’un instrument d’action collective
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES

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