LES CATEGORIES FONDAMENTALES DU POUVOIR DANS LE PRINCE

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La virtu : comme principe régulateur du pouvoir

Le concept de « virtù » présente parfois d’énormes confusions de définition, même chez Machiavel, nous retrouvons même cette abs ence d’une définition rigoureuse.
En effet, la virtù dérive du mot latin : « virtù » qui signifie homme. En ce sens, la virtù concerne uniquement l’homme : un être individuel c apable d’une organisation sociale. A première vue, la virtù peut apparaître comme une catégorie morale faisant allusion à des règles éthiques dans l’agir humaine. En réalité, ce n’est pas le cas chez Machiavel pour qui la « virtù », loin de s’interpréter au sens moral, peut apparaître comme l’ambition, l’habileté, la volonté ou l’énergie de commander : il s’agit, avant tout, de la capacité d’imposer ses lois aux autres. C’est en ce sens que, selon le secrétaire florentin, seule la virtù peut instaurer un bon Etat. En faisant la description historique de la « virtù », Machiavel dit ceci dans Les Discours : « …à savoir que la virtù qui avait commencé à fleurir en Assyrie émigra ensuite en Médie et, de là, en Perse, puis loger en Italie, dans Rome ; et si nul empire n’a succédé à celui de Rome pour conserver la somme de tant de biens, du moins l’a-t-on vue se partager entre celles des nations qui vivaient selon la bonne virtù. Tels furent l’empire des Francs, celui des Turcs, celui de Soudan d’Egypte, aujourd’hui les peuples d’Allemagne ; et avant eux, ces fameux Arabes qui firent de si grandes choses et conquirent le monde entier après avoir détruit l’Empire romain en Orient. Les peuples de ces différents pays qui ont remplacé les Romains après avoir détruits, ont possédé ou possèdent encore les qualités que l’on regrette et qu’on peut louer de juste louange »3
A ces propos, la « virtù » est multi-fonctionnelle. Elle édifie la grandeur et la puissance d’une nation et règle ses institutions, aussi bien dans l’organisation politique que dans l’organisation de ses mœurs. Elle est une condition nécessaire ou un dynamisme qui agit dans la totalité humaine. De ce fait ; selon la logique de Machiavel, les nations douées de virtù deviennent absolument puissantes et imposent leurs mœurs aux autres moins virtueuses. Elles confirment leur grandeur conditionnée par leur courage, leur énergie et leur prudence incarnant la virtù.
Cependant, celui qui veut fonder un Etat, il doit nécessairement être un homme doué de virtù afin qu’il puisse rendre son peuple dominant en agissant. Il doit changer l’histoire selon ses déterminations. Car, en tant que principe touchant aux mœurs et aux institutions, la virtù opère résolument dans le comportement social du peuple. Dans cette perspective, Machiavel pense que la virtù inaugure l’histoire, dans la mesure où elle autorise le passage intracyclique d’une institution à une autre. En d’autres termes, toute fondation ou création de nouvelle constitution dans une société suppose l’anéantissement d’une institution ancienne jugée ncapablei et insuffisante de maintenir l’unité corps social. Nous pouvons noter ainsi que cet effort est l’œuvre de la virtù. Par conséquent, il est important de remarquer que la virtù qui se rapporte au système des mœurs et de constitutions, ne se réduit pas à ces c onstitutions et à ces mœurs. Parce qu’au fond d’elle, c’est la virtù même qui les crée. C’est-à-dire qu’elle vise un projet et un but supérieur, puissant, reposant sur la dimension sociale définie comme le champ des oppositions.
Par ailleurs, le pouvoir est ontologiquement né de ces oppositions des intérêts opposés. Il a comme ambition de réussir et d’harmoniser les oppositions sociales. Cela fait que la virtù s’avère comme une nécessité constitutive et un principe d’universalisation, parce qu’elle assigne un projet à l’Etat. Elle procure à l’Etat son habilité, sa durabilité, bref, sa cohérence et sa crédibilité. En fondant et en organisant la société, la virtù donne l’autonomie au pouvoir. Il a été affirmé que la virtù tend à l’universalité de l’Etat. De cette façon, nous pouvons dire qu’elle opère le moment de la particularité à l’universalité des intérêts opposés de la société. Dans cette perspective, le pouvoir ne s’épargne pas de la force violente et brutale qui conditionne son succès. A cet égard, la virtù devient un principe actif, une force positive où l e sujet transcende les particularités. Ainsi, la virtù peut se matérialiser en institutions. C’est en ce sens qu’en se référant à la fondation de Rome Machiavel note comment cette virtù incarne la grandeur de cette ville : « A considérer attentivement le caractère et la conduite des trois premiers rois de Rome, Romulus, Numa et Tullus, on ne peut qu’admirer l’extrême bonheur de cette ville. Romulus prince belliqueux, d’un courage féroce, a pour successeur un prince, religieux et paisible. Il est remplacé par un troisième aussi féroce que Romulus, et plus ami de la guerre que de la paix. Il fallait à Rome, dans les premières années de sa fondation, un législateur qui réglât ses institutions, ses lois civiles et religieuses, mais il fallait aussi que les autres rois reprisent la virtù militaire de Romulus pour l’empêcher de s’amollir et de devenir la proie de ses voisins. D’où l’on voit que, avec des qualités moins éminentes que son prédécesseur, un prince jouissant des travaux de celui auquel il succède peut maintenir un Etat qui se soutient encore par la virtù de ce même prédécesseur. »4
Ce qui est utile dans ce propos est de montrer la fonction primordiale de la virtù : elle opère, comme nous l’avons souligné, le passage de l’Etat privé à l’Etat public dans le but d’instaurer un bon Etat et, surtout, de sa conservation. C’est de cette manière que nous saisissons ces témoignages du secrétaire florentin : « Cette aventure, de passer d’homme privé à prince, présuppose du talent ou de la fortune, … Ceux qui acquièrent une principauté par leur virtù ; ils l’acquièrent avec peine, mais ils s’y maintiennent facilement. »5
L’idée est donc claire ici : les Etats acquis par la virtù présentent moins de difficultés pour les gérer par rapport à ceux qui sont acquis par la fortune. La virtù permet un projet de la mise en œuvre et l’organisat ion des institutions. Elle devient alors une force matérialisée. Il s’ensuit que l’aventure de passer d’homme privé à un prince trouve dans cette condition, son succès dans la mesure où la « virtù » conserve mieux le pouvoir que la fortune ou la force brutale et immédiate des armes. Dans ce cas, nous pouvons en tirer la leçon selon laquelle, la virtù fonde la « positivité du pouvoir ». C’est dans cette positivité que les contradictions sociales sont organisées d’une manière équilibrée et harmonieuse. C’est parelle qu’il y a aussi l’utilité du pouvoir en tant que totalité sociale qui a pourf in suprême de soumettre les intérêts particuliers à celui de l’universalité du pouvoir. C’est la raison pour laquelle l’idée revient en ceci : la « virtù » est un principe actif d’autonomisation du pouvoi r.
La « virtù » se conçoit alors comme une force déterminée par sa capacité à vaincre, à dominer et à organiser toutes les autres forces sous un principe unique. On peut l’interpréter comme une faculté de rassemblement, de synthèse de tout un processus social éparpillé ou dispersé entre les différents intérêts. A ce niveau, le pouvoir prend la figure d’un dépassement de l’opposition immédiate comme l’affirme d’ailleurs Samir Naïr : « le pouvoir qu’en résulte n’est pas, en conséquence, seulement un moment de la dialectique des forces contraires, moment trivialement constitué par la puissance et la violence des armes, il est plutôt dépassement de l’opposition immédiate : moment du surpassement, de la sursumation des particularités divisées et opposées, dans une synthèses.»6
De là, le pouvoir fondé sur la virtù, est une synthèse des forces particulières dans la mesure où, il s’efforce de réconcilier les différentes oppositions sociales. En d’autres termes, il se sépare du moment de la particularité. Mais cette séparation ne doit pas être comprise comme une négation de la particularit é. Car Machiavel est conscient qu’un pouvoir niant sa particularité s’exerçait dans le néant. C’est tout simplement la distinction entre l’état public et l’état privé, entre l’état politique et l’état civil.
Désormais, le pouvoir s’inscrit nécessairement dans la société. Il se manifeste en constitution, en lois, en règles prescrites qui opposent le comportement étroit et borné des désirs, des passions et les haines des individus privés. En songeant à un homme doué de virtù, capable de maintenir un bon Etat, Machiavel dit : « Un Etat républicain ne craindra jamais de périr s’il était assez heureux, comme nous l’avons déjà dit, pour trouver souvent un homme qui par son exemple, rendît à ses lois leur première virtù, et qui non seulement l’empêchât de courir à sa décadence ; mais encore le ramenât en sens contraire. »7
Cela n’est pas seulement valable à un pouvoir républicain, mais à tout pouvoir qui veut réussir : les lois lui sont nécessaires. Car c’est par les lois que le pouvoir s’organise et se fait accepté par le peuple. Il s’ensuit alors que, pour Machiavel, ces lois sont accouchées par la « virtù », elles sont l’œuvre d’un homme vertueux, qui pos tule et organise la vie communautaire. La « virtu » transcende et harmonise donc la santé de l’Etat.
Dans cette dimension, la virtù est conçue comme la « conscience originelle » de l a loi.
Et de là, nous concevons un aspect authentique de la définition du concept de « virtù ».
Par ailleurs, la virtù peut s’affirmer aussi comme un savoir-faire : c’est un aspect technique qui opère avec le sang froid dans des situations graves. Mais elle est toujours attachée à la conscience. Voyons ce que nous révèlele secrétaire florentin en décrivant une bataille militaire dans L’art de guerre : « Les piquiers ordinaires des premières unités une fois retirés à travers les rangs des boucliers, ceux-ci s’emparent du combat, et voyez avec quelle virtù, quelle facilité, avec quelle tranquillité, ils massacrent leurs adversaires. »8
A ces propos, la virtù apparaît comme une force, permettant la maîtriseedsoi dans la guerre et dans les massacres. C’est une sorte d’intelligence agissante dans une situation difficile. La virtù est donc la conscience qui rend possible les procédés de la victoire lors d’une guerre. En ce sens, celui qui veut diriger une bataille militaire a sans doute intérêt à être habile, conscient et vertueux. La virtù est également une connaissance rationnelle d’une situation, parce qu’elle rend facile l’analyse rationnelle d’un problème concret. En tenant compte de cet aspect technique de la virtù dans l’exercice du pouvoir, Raymond Aron souligne que : « La mise en œuvre du pouvoir est d’une extrême complication et la technique doit intervenir pour combiner les volontés simples, primitives pour ainsi dire des chefs populaires et la virtuosité technique des exécutants. »9
Il y a lieu de souligner que les solutions aux difficultés du pouvoir nécessitent une organisation technique fondée spécialement sur la sagesse et/ou la virtù. Cependant, les chefs d’Etats qui ne savent pas user de la virtù pour le maintien de leurs autorités, risquant d’être détruits par les volontés simples. Sur ce point, ajoute Raymond Aron :
« L’individu vertueux surmonte les épreuves que la fortune lui impose. C’est un héros, non un sage… La vertu et la puissance sont les valeurs suprêmes par lesquelles l’homme se réalise lui-même, collabore avec le destin et triomphe de la fortune. » 10
A l’instar de Machiavel, Raymond Aron voit dans la vertu une condition sine qua non de la puissance et de la supériorité. Elle est liéeau qu’en fixe les modalités de notre agir.
Par extension, le concept machiavélien de virtù se rapproche davantage de celui que dénote le terme d’Ibn Khaldoun « asabiya ». En effet, le concept de asabiya désigne les possibilités mentales impliquées dans el concept de virtù. Dans cette conception khaldounienne, il est impossible d’acquérir, de fonder un Etat et de maintenir un pouvoir sans asabiya. Cette dernière est définie comme phénomène profond de l’unité : elle est un principe dynamique qui permet à un groupe social de s’affirmer par rapport à un autre. De cette manière, elle ne peut réussir qu’à condition d’être révélatrice d’un principe social supérieur. C’est exactement ce que réclame la virtù machiavélienne. La asabiya comme la virtù vise un projet d’organisation supérieure d’un groupe social en vue de bien de la communauté. L’idée quelle dénote touche alors le comportement pratique de la société concernée. Cette analogie apparaît pertinente dans la mesure où elle nous renseigne su r l’univers des préoccupations de deux philosophes confrontés à des problèmes historiques relativement analogues, à savoir la décadence de la cité florentine et la décadence de la civilisation musulmane. A tenir compte aussi du fait que le contenu du concept de « asabiya » comme l’unité de l’esprit et du corps, il est plus facile de concevoir la virtù comme étant la conscience historique d’une société.
Au terme de notre réflexion, nous avons remarqué que la virtù loin, d’être une catégorie morale, exprime le principe fondamental de tout Etat et par-delà tout pouvoir. Elle permet de concevoir et de construire l’organisation de la société. Elle se matérialise en lois et régit la vie communautaire. C’est pourquoi cette analyse nous conduit sans doute à celle du statut du Prince à l’égard de l’Etat.

Le statut du prince à l’égard de l’Etat

L’étude de la « virtu » nous a révélé comment le passage de l’Etat privéà l’Etat public conduit à celui de la société civile à la société politique : un homme sans scrupule peut devenir, un être habile et capable de fonder une institution, c’est-à-dire un Etat efficace qui mérite d’être défendu. Une institution est, selon Louis-Marie Morfaux, une « forme socialement organisée par laquelle, dans une société donnée, s’exercent les fonctions publiques : administration, politique, justice, enseignement, religion et Eglises, travail, sécurité sociale, principes, statuts et règles d’exercice des fonctions inscrites dans le droit (constitutions, lois) en particulier, lois fondamentales de l’Etat (constitution.) »11
De ce fait, le dirigeant doit veiller à ce qu’il n’y ait pas des désordres dans cette organisation pour que se réalisent les lois primordiales de l’Etant.
Cependant, pour Machiavel pense aussi que le prince a pour devoir de défendre son Etat, c’est-à-dire l’étendue de son territoire. Le territoire peut se définir comme une étendue de terre constituant l’Etat-Nation où s’exerce l’autorité de son chef. Et le mot « prince » signifie, bien entendu, l’individu qui e xerce le pouvoir dans une monarchie. Et, par extension, le pouvoir est lié à l’autorité qui détient la réalité du pouvoir dans n’importe quel type d’Etat. Le vocabulaire politique moderne a retenu cette dernière acception. Il est donc essentiel de comprendre que, dans le fond de la pensée de Machiavel, les concepts de « prince » et de Etat ex priment à peu près la même chose.
En ce sens, il se trouve que, dans l’esprit de Machiavel, il ne doit pas y avoir une différence entre l’efficacité du prince et celle de l’Etat. Pour que l’Etat soit puissant, le prince doit faire preuve d’habileté. Car, dans le domaine politique, il y a toujours des imprévus. C’est pourquoi Machiavel affirme que : « Deux craintes doivent occuper un prince : l’intérieur des Etats et la conduite de ses sujets sont l’objet de l’une ; le dehors et les desseins des puissances environnantes sont celui de l’autre. Pour celle-ci, le moyen de se réunir est d’avoir des bonnes armes et de bons amis : et l’on aura toujours de bons amis quand on aura de bonnes armes : d’ailleurs, tant que le prince sera en sûreté et tranquille au-dehors, il le sera aussi au-dedans, à moins qu’il n’eut été déjà troublé par quelque conjuration, et si même au-dehors quelque entreprise est formée contre lui, il trouvera dans l’intérieur, comme j’ai déjà dit que Nabis, tyran de Sparte, les trouva, les moyens de résister à toute attaque, pourvu toutefois qu’il se soit conduit et qu’il ait gouverné conformément à ce que j’ai observé, et que de plus, il ne perde point courage. »12
Cette longue allégation apparaît comme un avertissement enrichissant la vision de la défense de l’Etat. Ce passage évoque l’enjeu de la politique intérieure et de la politique extérieure, où Machiavel estime qu’il n’existe pas des véritables problèmes politiques intérieurs qui peuvent nuire aussitôt l’Etat. C’est que la politique intérieure est conditionnée par la politique extérieure. Selon le vocabulaire moderne la diplomatie le prince ne craindra pas une menace intérieure au cas où les relations extérieures s’établissent dans les normes de la paix, soucieuses de la stabilité.
En ce qui concerne la sécurité intérieure de l’Etat, c’est la vigilance qu’il faudra envisager envers les sujets pour éviter à ce que ces derniers puissent conspirer secrètement contre le prince. En ce sens, le prince doit avoir des espions, des services secrets pour écouter, surveiller et filtrer les opinions du peuple. Ils doivent viser les suspects et informer le prince. Ainsi, le prince doit-il être conscient que tout malheur qui s’abattra sur l’Etat sera son propre malheur. C’est pourquoi il a l’obligation de fonder un véritable Etat sur ses propres forces et moyens. Car, selon Machiavel, prince de défense bonne, certaine et durable, que celle qui dépend de lui-même et de sa propre valeur »13
Dans cette perspective, le prince doit être habile et son intelligence doit gérer la sécurité extérieure et intérieure de l’Etat par ses propres forces pour en être rassuré. Il ne doit pas reposer sa confiance sur les armées de mercenaires et sur des armées mixtes : « je dis donc que les armes qu’un prince peut employer pour la défense de son Etat lui sont propres, ou sont mercenaires, auxiliaires ou mixtes, et que les mercenaires et les auxiliaires sont non seulement inutiles mais même dangereuses.»14
Sans doute, un prince qui emploie des troupes mercenaires ne sera pas en sécurité : ce sont des troupes très ambitieuses, indisciplinées, infidèles et lâches envers leur maître. Cette lâcheté vient du fait que les mercenaires ne combattent pas pour le sentiment de la patrie, mais elles combattent pour leurs intérêts personnels. Elles n’ont aucune affection pour la nation. C’est pourquoi, pour être sécurisé dans son Etat, un dirigeant doit recruter une armée des citoyens. Ces derniers s’engagent à porter les armes pour la valeur de la patrie, soucis emblématique de leur courage.
Le prince doit réaliser que tout malheur qui s’abattra sur l’Etat sera aussi son propre malheur. Et pour éviter cela, il faut absolument qu’il se fasse aimer par le peuple et éviter d’en être méprisé. A ce propos, Machiavel écrit un passage significatif de son souci « De là aussi on peut tirer une autre remarque : c’est que le prince doit se décharger sur d’autres parties de l’administration qui peuvent être odieuses, et se réserver exclusivement celles des grâces ; en un mot, je le répète il doit avoir des égards pour les grands, mais éviter d’être haï par le peuple. »15
Ici, apparaît la leçon que Machiavel recommande auprince de bien ménager. Il refuse d’être responsable d’un mauvais acte commis pour la nécessité de son pouvoir. Même si par ses propres ordres, cet acte cruel est effectivement réalisé, il doit savoir déjouer la situation en sa faveur. Tel est le cas de César Borgia à l’égard de son ministre dont Machiavel nous ne manque jamais d’apprécier l’autorité. Par conséquent, ce penseur souhaite que le prince se réserve uniquement les actes généreux de l’Etat.
Concernant l’enjeu de la politique intérieure : se rassurer de la confiance du peuple doit être la priorité du dirigeant. Mais, si la situatio n se détériore, le prince ne doit pas se faire haïr par la classe la plus puissante, c’est-à-dire la classe guerrière qui est l’armée.
Il a été affirmé que, dans la terminologie machiavélienne, la politique intérieure est transcendée par la politique extérieure. Et cela apparaît tout à fait logique dans la mesure où les ennemis de l’intérieur qui voudront se débarrasser du prince auront nécessairement le soutien d’un puissant prince de l’extérieur qui lui rassurera en cas de besoin de force. Cela reflète aujourd’hui l’attitude de la politique africaine soutenue par la puissance idéologique des dirigeants occidentaux. Machiavel a déjà pressentie cette triste réalité que les pays faibles seront toujours manipulés par les Etats puissants16.
A ce niveau, le secrétaire florentin recommande au chef d’Etat d’être stratège lucide et ouvert sur le choix des alliés et avoir des adresses face à ses ennemis. Le prince doit éviter la neutralité dans des circonstances de guerre et d’alliances. Car un Etat neutre subit toujours la puissance d’un Etat victorieux lors d’une guerre. Ce dernier, après avoir triomphé sur tous les autres, il conquerra facilement l’Etat neutre qui restera sans soutien. Il en résulte qu’un Etat neutre risque de se trouver névitablement sans sécurité.
A cet égard, pour défendre son Etat, le prince se fera expert en stratégie de relation et de lutte : c’est un diplomate, s’érigeant en protecteur habile. En suivant cela, Machiavel suggère : « Il doit se faire chef et protecteur des princes voisins les moins puissants de la contrée, travailler à affaiblir ceux d’entre eux qui sont les plus forts, et empêcher que, sous un prétexte quelconque, un étranger aussi puissant que lui ne s’y introduire, introduction qui sera certainement favorisée ; car cet étranger ne peut manquer d’être appelé par tous ceux que l’ambition ou la crainte rend mécontents. »17
Il est évident que, pour maintenir son Etat, le prince doit développer un talent par lequel il collecte la somme des forces des pays voisins moins puissants pour détruire systématiquement les Etats les plus puissants. Son souci est d’éviter de partager un territoire avec un Etat plus puissant que lui. Dans la mesure où ce dernier sera pour lui une menace perpétuelle. Il s’ensuit que les Etats faibles de cette contrée s’accrocheront à l’Etat le plus puissant pour solidifier davantage sa puissance en une force indéfiable. C’est pourquoi le prince veillera à ce que nul étranger plus fort que lui ne s’introduise dans sa région. Telle est la manière qu’il recommande d’adopter pour se rendre seul arbitre de sa contrée. Machiavel tire ici tirant la leçon sur l’imprudence des Vénitiens qui ont introduit le roi de France Louis XII en Italie. Ces derniers comptaient sur l’aide du roi pour conquérir et s’accaparer de la moitié du Duchéde Lombardie. Mais aussitôt que le roi Louis XII s’installe en Italie, les principautés faibles se réunissent toutes autour de lui : les florentins, les marquis de Mantoue, le duc de Ferrare, le duc de Faenza, les Lucquois, les pisans… C’est après que les Vénitiens réalisent leur imprudence pour avoir permis le roi de France d’être maître de deuxtiers de l’Italie. C’est la raison pour laquelle Machiavel recommande au prince de ne pas accepter et ni même compter sur une puissance étrangère pour parvenir à ses fins. Il doit faire preuve de responsabilité, de souveraineté. Il doit protéger par ses propres armes sans Etat et ses membres. Maître avisé de son entreprise, sa tâche est de préméditer attentivement sur les problèmes de l’Etat : demeurer, vigilant sur la moindre conduite qui peut mettre en péril son autorité. Ce qui permet à Machiavel d’écrire un passage significatif du Prince : « C’est ce qui arrive dans toutes les affaires d’Etat : lorsqu’on prévoit le mal de loin, ce qui n’est donné qu’hommes doués d’une grande sagacité, on le guérit bientôt ; mais lorsque, par défaut de lumière, on n’a su le voir que lorsqu’il frappe tous les yeux, le cure se trouve impossible. »18
Face à l’Etat, le prince doit être un calculateur q ui réfléchit sur les modalités d’action face aux problèmes susceptibles de faire obstacle à son entreprise. Il s’avise des maux dès qu’ils naissent, afin qu’il puisse y emédier à temps. Et la remarque est claire sur ce point : cette capacité de prévision el mal, ce qui manque à bon nombre de dirigeants et cela cause souvent leur ruine.
Cela se justifie clairement, par l’attitude politique du Président comorien Saïd Mohamed Taki qui fut à l’origine du séparatisme anjouanais. En fait, Taki fut le premier Président, dans l’histoire comorienne, à être élu véritablement d’une manière démocratique avec 63,18% de suffrages. Mais, il s’avère que, dans le déroulement administratif, son pouvoir était très centralisé etconfronté à un problème d’arriérés des salaires impayés. C’est dans cette perspective que les séparatistes anjouanais ont commencé à se retirer de la scène politique nationale, déclarant au départ une menace de sécession, de scission et de séparatisme. Mais Taki ignorait, sans doute, le prince machiavélien pour qui toute maladie se traite, dès qu’un symptôme apparaît, et non quand elle dégénère.
Ainsi, la situation a évolué en telle sorte que les anjouanais ont reçu des armes en provenance de Mayotte. Désormais, la résistance contre Taki s’organise petit à petit. Et la situation explose ouvertement contre le pouvoir national, le 14 juillet, lors de la célébration de la fête nationale française, où un ancien militaire nommé Bellela et le sergent Saidikoudine Charif Daroussi furent tués. Taki se devait de réprimer massivement cette résistance de manière à ce que la peur s’impose dans tous les cœurs des anjouanais. Mais les meurtres commis sur les officiers ont davantage aggravé l’hostilité du peuple anjouanais. Ce qui a fait plonger l’archipel des Comores dans une organisation politique très fragile. Chaque île possède une autonomie interne par rapport au pouvoir central. Mais, comme l’ambition de dirigeants consiste à consolider leur pouvoir, la moindre menace d’un soit disant président d’une île bloque le développement du pays.
En guise de conclusion, cette analyse nous a permis de comprendre la virtù comme conscience originelle de toute constitution politique. Elle fonde et maintient le pouvoir politique. Ce qui demande donc, que le prince soit un législateur capable de défendre les institutions de son Etat. Dans cette défense, il est légitime d’en user tout genre de cruauté pour la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat. C’est grâce à cette sécurité que le peuple se sentira libre. C’est dans un Etat libre que se réalise le bien commun. Et quand il s’agit de préserver l’intérêt commun, le prince n’a pas l’obligation d’être moral. Par conséquent cette réflexion nous conduit à étudier les concepts fondamentaux du pouvoir dans Le Prince.

Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE LE FONDEMENT DE LA PENSEE POLITIQUE DE MACHIAVEL
CHAPITRE I : LE PROBLEME MORAL DANS L’EXERCICE DU POUVOIR
I.1.1. La virtu : comme principe régulateur du pouvoir
I.1.2. Le statut du prince à l’égard de l’Etat
CHAPITRE II : LES CATEGORIES FONDAMENTALES DU POUVOIR DANS LE PRINCE
I.2.1. Le quid de la « fortùna »
II.2.2. La force comme nécessité politique
DEUXIEME PARTIE DE LA CONQUETE A LA CONSERVATION DU POUVOIR
CHAPITRE I : L’ART DE CONQUERIR LE POUVOIR
II.1.1. Du référentiel historique des principes politiques
II.1.2. La ruse : outil de conquête et de la conservation du pouvoir
II.1.3. Vers un dépassement des circonstances
CHAPITRE II : LA NECESSITE DES MESURES COMPETITIVES DU DROIT POUR L’ORGANISATION DES PRINCIPAUTES
II.2.1. L’utilité des lois
II.2.2. Les modes d’organisations des structures socio-politiques
II.2.3. L’art de la guerre dans la conservation du pouvoir
TROISIEME PARTIE LE REALISME POLITIQUE DE MACHIAVEL
CHAPITRE I : DU COMPORTEMENT SOCIO-POLITIQUE DE L’HOMME D’ETAT
III.1.1. La délimitation du contexte politique
III.1.2. Machiavel, précurseur de Hobbes dans la détermination de la nature foncière de l’homme
III.1.3. La concrétisation de la pensée de Machiavel
CHAPITRE II : LE POST-MACHIAVELISME : APERÇU HISTORIQUE
III.2.1. La persistance de la toute puissance de l’Etat monarchique
III.2.1. L’incarnation du machiavélisme dans les tyrannies contemporaines
III.2.3. Machiavel aux confins de la culture politique moderne
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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