Les effets de la situation géographique et de l’évolution historique et politique de la Roumanie

Les effets de la situation géographique et
de l’évolution historique et politique de la Roumanie

Depuis une vingtaine d’années, après la chute du communisme, la Roumanie connaît des changements politiques, économiques, sociaux et culturels qui ont des conséquences majeures et multiples sur le système d’enseignement, ainsi que sur les politiques linguistiques du pays. Il faut tout d’abord préciser qu’une rupture radicale avec le système d’enseignement précédent, en vigueur avant 1989, n’était pas possible. Aujourd’hui, il existe encore de nombreuses traces des méthodes d’enseignement des langues remontant à l’époque communiste qui cohabitent avec des tentatives de réformes ayant pour objectif de s’aligner sur les politiques éducatives européennes, compte tenu de l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne – le 1er janvier 2007. Le paysage linguistique de la Roumanie se caractérise par une diversité atypique, dans le sens où la distribution des langues varie sur le territoire du pays, en fonction des spécificités historiques et géographiques des régions concernées. Même si les minorités nationales représentent à présent environ 11,41% de la population du pays, la diversité linguistique et la répartition territoriale posent un certain nombre de problèmes. Cette distribution inégale des langues a des effets sur leur apprentissage au niveau des régions. En ce qui concerne l’anglais, l’apprentissage scolaire est uniforme au niveau national mais il comporte des particularités en fonction du répertoire linguistique de la région où il se développe. Autrement dit, l’apprentissage de l’anglais dépend du statut des autres langues dans un environnement donné. Par exemple, dans le centre du pays, dans les départements2 où le hongrois est la langue maternelle de la majorité de la population, l’anglais devient la troisième langue vivante, après la langue maternelle et la langue officielle, à savoir le roumain. Dans les régions où le roumain est la langue maternelle de tous les habitants, l’anglais est la deuxième langue apprise. Pour résumer, on peut dire que les élèves apprennent l’anglais au cours de leur scolarité obligatoire dans l’environnement formel, mais, en ce qui concerne l’apprentissage informel de la langue, il est étroitement lié aux statuts des autres langues. L’engagement des élèves dans l’apprentissage informel de l’anglais dépend ainsi de leurs perceptions de l’importance et de l’utilité de la langue. Dans la partie suivante, j’approfondirai le cas d’une région roumaine particulière, le Banat. Il est nécessaire de préciser les liens entre cette région et le gouvernement central roumain. Du point de vue politique, l’Union du Banat3 avec la Roumanie a été faite à l’occasion du Grand Regroupement de Alba-Iulia  le 1er décembre 1918. Les démarches administratives se sont déroulées avec des retards et des obstacles à cause de l’occupation serbe et française. Une année plus tard, l’entrée de l’armée roumaine à Timişoara, le 3 août 1919, finalise l’union avec le grand pays. La grande région5 du Banat a été repartie entre la Roumanie, le royaume des serbes, des croates et des slovènes : environ 2/3 revenait à la Roumanie et 1/3 au royaume serbe. À partir de la grande Union, le Banat se conformera aux politiques administratives de la Roumanie absolument dans tous les domaines. L’étude du contexte linguistique dans lequel s’inscrit ma réflexion suppose un certain nombre de clarifications terminologique liées à la constitution roumaine. Le terme « langue officielle » apparaît dans l’article 13 de la Constitution roumaine : « En Roumanie, la langue officielle est la langue roumaine. » 6 À ma connaissance, le terme de « langue nationale » n’est pas utilisé en droit roumain. Cette omission pourrait être expliquée par le fait que les concepts de « nationalité » et de « citoyenneté » y sont distincts. On comprend par citoyenneté « le lien et l’appartenance d’une personne physique à l’Etat roumain » (article 1 de la loi sur la citoyenneté, loi 21 du 1er mars 1991 tandis que, la nationalité est liée à l’origine ethnique. En droit roumain, la question de la protection des langues est inclue dans la problématique du statut juridique des personnes appartenant aux minorités nationales. Par conséquent, la terminologie de la Constitution et de la législation roumaine est révélatrice puisqu’elle établit une distinction entre les termes de « langue maternelle » des personnes appartenant à des minorités nationales et de « langues des minorités nationales ». Dans le premier cas, on se réfère aux individus pour lesquels la langue maternelle n’est pas le roumain mais une autre langue7 tandis que le deuxième cas regroupe la totalité des langues des minorités nationales reconnues par l’État roumain, avec des statuts précisés dans les documents officiels, et qui sont des langues faisant partie du répertoire langagier d’une région. Compte tenu du fait que la notion de langue maternelle est opératoire dans de nombreux contextes, il faut préciser ici que ce n’est pas le cas de la Roumanie. Si l’on fait exception des politiques éducatives officielles qui concernent surtout l’apprentissage formel, le soutien accordé aux langues vivantes en Roumanie est aussi facilité par des organismes de l’environnement informel. Un de ces cas est représenté par S.A.S Radu, Prince de Hohenzollern-Veringen, qui, au nom de la Maison royale de Roumanie, soutient les initiatives de l’Observatoire européen du plurilinguisme OEP8 à travers des conférences sur le développement culturel et identitaire du peuple roumain.9 Certes, il ne s’agit pas d’une démarche qui place l’apprentissage des langues au cœur de sa problématique mais elle vise cependant la promotion et la reconnaissance des langues sur le territoire roumain, tout en tenant compte du passé linguistique et des changements actuels. De plus, ces événements sont couramment des occasions pour rencontrer des personnalités de divers domaines, donc les initiatives du Prince concernent aussi la création des liens entre des personnes qui pourraient être à l’origine de futurs projets linguistiques ou culturels. Dans une perspective chronologique, certaines périodes historiques ont joué un rôle particulièrement important dans le domaine linguistique. Parmi ces périodes, il faut mentionner la période communiste (1945-1989) au cours de laquelle le gouvernement communiste est resté plutôt indifférent à l’égard des minorités. La période qui a suivi la fin du régime communiste a été marquée par une nouvelle Constitution de 1991 axée sur deux volets : d’une part, la langue officielle et, d’autre part, les langues des minorités en relation avec leur utilisation en Roumanie. Les articles 6 et 32 de la Constitution de 1991 reconnaissent aux minorités parlant une langue autre que le roumain le droit d’employer librement leur langue. Un des problèmes récurrents en termes de groupes linguistique est la difficulté d’évaluer le nombre d’individus appartenant au groupe des minorités nationales. Lors du recensement de 2002, seulement 1,1 % de la population s’est déclaré tsigane, soit 241 617 personnes10, alors que les sociologues roumains estiment la population à un million et les associations tsiganes font monter leur nombre à 2,5 millions, voire à trois millions, soit 10 % de la population totale. Ces divergences dans les estimations proviennent du fait que de nombreux Tsiganes se seraient déclarés roumains, hongrois ou turcs et que beaucoup d’entre eux ne possèdent aucun document d’identité. Cet aspect est révélateur de la dévalorisation et de la stigmatisation de la population tsigane tout en soulignant l’écart entre les réalités sociales et les précisions des textes officiels. La mobilité territoriale nationale et internationale de ce groupe minoritaire constitue un autre aspect qui empêche l’appréciation de son nombre exact ou du pourcentage des enfants intégrés dans des structures d’apprentissage formel. 

Les implications de la situation géographique sur les évolutions linguistiques et culturelles de la région

 En raison de sa situation géographique, le Banat est une région qui par sa position de carrefour a été propice aux contacts et aux échanges diversifiés, économiques, politiques, culturels et linguistiques qui s’y sont déroulés au cours du passé. Dans le passé, la position géographique du Banat a favorisé les échanges économiques compte tenu du fait qu’il est placé aux carrefours des routes commerciales des Balkans, tout en bénéficiant de la protection militaire de l’Empire des Habsbourg. La description de Bocşan rend compte de la situation géographique du Banat au XVIIe ou XVIIe siècle et de ses effets sur le répertoire linguistique de ses habitants : Situé le long de la principale voie fluviale de l’Europe, à une époque où l’expansion continentale s’oriente vers l’Est, [le Banat] a assuré la communication ininterrompue des autres territoires de l’Empire avec l’Europe Centrale, il a perpétué des liens d’ancienne date avec le monde des Balkans et les territoires roumains du Danube. Des considérations géopolitiques et des raisons de politique intérieure de la monarchie ont joué en faveur de l’octroi d’un statut juridique à part pour le Banat, devenu, dès 1718, domaine de la couronne des Habsbourg, jouissant de différents privilèges ; cela aura une influence considérable sur l’histoire de la province au XVIIIe siècle, lorsque va commencer l’expansion vers l’Est. (Bocşan, 1986 : 8-9).Les coordonnées géographiques désignaient un espace avec des frontières naturelles (les rivières Mures-Tisza et le Danube) situé à l’est de la chaîne des montagnes les Carpates, à partir de la rivière Mureş jusqu’à ce qu’elle croise la Danube. C’est seulement à partir de 1716, après la fin de la domination ottomane et l’instauration des Habsbourg que cette région ressemble à sa forme d’aujourd’hui. Cette position géographique privilégiée et les frontières avec des peuples divers favorisaient également des contacts à des niveaux diversifiés avec les populations voisines. Tout en gardant des relations avec les roumains des autres provinces, les Banatais ont ainsi expérimenté l’altérité grâce aux échanges linguistiques et culturels avec les Serbes, les Hongrois et les Allemands. Néanmoins, ces échanges ont été développés surtout par l’intermédiaire des activités économiques qui se développaient sur la voie fluviale, comme la citation ci-dessus le souligne. C’est ainsi que la vie économique dynamique et prospère de la région a imprimé un rythme intense aux rencontres linguistiques, partielles ou totales. Travailler ensemble dans des communautés mixtes du point de vue linguistique a certainement renforcé le contact entre ces langues-cultures. Le besoin de communiquer pour prendre des décisions avec des personnes qui ne partageaient pas nécessairement la même langue a conduit progressivement au développement des compétences linguistiques diversifiées. D’autre part, une situation informelle, comme le voisinage a encouragé le transfert lexical des éléments communicationnels courants tels les salutations ou du vocabulaire de la vie quotidienne, nom de fruits ou légumes, activités, etc. Les événements historiques et politiques ont renforcé ces avantages naturels de la région, en facilitant aussi la création de structures sociales nouvelles suite à des phénomènes comme l’immigration, étudiés ci-dessous. 

Quelques moments significatifs dans l’évolution historique et politique du Banat

 La population de cette région s’est toujours trouvée au centre d’un tourbillon de cultures et de civilisations, des conséquences directes ou indirectes des actions des pouvoirs politiques et/ou militaires. Pour cette raison, la population autochtone est porteuse des valeurs européennes cristallisées au cours des siècles ayant à la base le modèle latin avec des intrusions de facture byzantine ou slave. Actuellement, les quatre langues-cultures les mieux représentées dans la région sont le roumain, le serbe, l’allemand et le hongrois. Leur cohabitation actuelle trouve ses origines dans un moment charnière de l’histoire de cette partie de la Roumanie. La région a connu une forte vague de colonisation au cours des XVIIIe et XIXe siècles pour plusieurs raisons: d’un côté, le gouvernement des Habsbourg a essayé d’aérer les zones trop peuplées de l’Empire, très atteintes par une crise socio-économique profonde, tandis que de l’autre, les Habsbourg pensait utiliser cette région comme une zone tampon contre les éventuelles invasions de la part des pouvoirs européens intéressés. Un autre aspect très important à la base de ces colonisations était le potentiel économique de la région. Les descriptions du territoire (« Landesbeschreibungen ») réalisées dans les années 1718-1778 pour apprécier les caractéristiques économiques de la région sont des témoignages dans ce sens. Les territoires d’origine de ces colons étaient très variés. En règle générale, les colons sont venus de toutes les provinces de l’Empire : l’Alsace, la Lorraine, la Saar, la Rheiland-Pfalz, le Baden-Wurttemberg, la Bavière, la Béotie, la Moravie, la Hongrie, la Transylvanie, la Prussie, la Slovénie, la Thuringe, le Tyrol, la Westphalie, et même l’Italie. Cette vague de nouveaux arrivants a modifié la structure sociale, linguistique et politique de la région en fondant une communauté multiethnique et plurilinguistique/plurilingue. Les vagues successives de colonisation ont également entrainé des changements radicaux des mentalités des habitants dans le processus d’interculturation linguistique et culturelle. Les colonisations offraient les prémisses d’une éducation vers la reconnaissance des autres cultures, vers leur tolérance et le savoir-vivre collectif. Elles ont supposé le développement de capacités d’adaptation à l’altérité et une sensibilité à l’interculturel. L’analyse de notre corpus permettra de vérifier si ces caractéristiques sont encore présentes aujourd’hui. En effet, les couches latines ont fourni le support pour l’assimilation et l’intégration ultérieure des populations appartenant à des cultures et religions très différentes. En conclusion, la construction de la société habitant cette région géographique peut être décrite comme un phénomène très dynamique, avec des allers retours définitoires en fonction des changements politiques. Il faut souligner qu’avant l’arrivée des colons, la population du Banat, était déjà très mélangée : des Roumains, des Hongrois – car le Banat a été pendant un très longue période sous la couronne hongroise – et des Serbes. La région a fonctionné comme une interface entre les diverses langues-cultures même si leur statut changeait selon le pouvoir politique. La colonisation du XVIIIe siècle a consolidé la structure sociale pluriculturelle de la région et elle a laissé des traces qui sont encore présentes aujourd’hui. Les statistiques suivantes illustrant l’évolution du nombre des groupes minoritaires sur une période de plus de 200 ans15 indiquent la permanence ethnique qui a été assurée dans la région même après les colonisations forcées du XVIIIe siècle.

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