Les fondements philosophiques de la co-responsabilité dans la gestion de l’eau

Les fondements philosophiques de la co-responsabilité dans la gestion de l’eau

Concepts liés à l’éthique 

Ethique 

La notion d’éthique désigne « l’ensemble des règles en vigueur que les membres d’une société donnée rencontrent comme guides de leur conduite, énoncées en termes de bien et de mal » (Baraquin, 1998, p. 5). Elle désigne aussi « la discipline philosophique qui réfléchit à ces règles, en recherche le fondement ou les fins » (Baraquin, 1998, p. 5). Selon Raven et Alii, (2009 : 43), « l’éthique découle de l’application logique des valeurs humaines » (Raven, Berg, & Hassenzahl, 2009, p. 43). Le concept d’éthique évoque celui de valeurs morales qui sont de plusieurs sortes, il y a entre autres la justice, la loyauté, la vérité, la responsabilité. Chaque individu se détermine par rapport à ces valeurs. L’éthique évoque aussi la morale personnelle. L’éthique est la science de la morale. Et la morale est l’ensemble des règles ou préceptes qui doivent diriger l’activité libre de l’homme. Il n’y a pas une très grande différence entre l’éthique et la morale. L’éthique est d’origine grecque « ethos » alors que la morale est d’origine latine « mores » et les deux renvoient à l’idée de mœurs. Outre la différence d’origine il convient d’ajouter que si l’éthique vise une vie accomplie en toute liberté, la morale est plus focalisée sur les normes, les obligations, les interdictions (Ricoeur, 1990, p. 5). La question qui se pose est de savoir à quel système de valeurs ou de principes moraux l’homme se contraint lui-même ? L’éthique joue un rôle dans tous les types d’activités humaines, elle s’applique à toutes les disciplines et à tous les secteurs d’activité. Selon Aristote (384-322 av. J.C) dans Éthique à Nicomaque, l’éthique exige des observateurs, du jugement et du discernement dans l’application des principes généraux à des cas précis, comme la gestion durable des ouvrages hydrauliques. Cette conception de l’éthique constitue le cadre dans lequel est menée cette réflexion sur l’accès durable à l’eau potable en milieu rural au Bénin. Elle a un rôle à jouer dans la compréhension du processus d’accès durable à l’eau potable. Cela s’explique par le fait que la démarche éthique exige de rendre à ces acteurs sociaux que sont les populations usagers des points d’eau comme l’exprime Ndione (2017), en parlant des usagers de la drogue, « une parole qui leur est déniée » (Ndione, 2017, p. 54), par les spécialistes de la gestion des ouvrages hydrauliques d’accès à l’eau potable. 

Ethique environnementale

 Dans le cadre de l’éthique appliquée à la gestion de l’environnement désignée par l’éthique environnementale, les spécialistes se préoccupent du rôle que l’homme doit jouer dans l’estimation du destin des ressources de la Terre (Raven, Berg, & Hassenzahl, 2009, p. 43). L’éthique de l’environnement est née de la crise écologique, elle est une discipline contemporaine. Elle s’enrichit de tout l’héritage du passé. Et comme le montre Otto (1992 : 127), « l’éthique de l’environnement intègre également tout l’apport classique de l’éthique sociale et s’appuie aussi en grande partie sur des normes éprouvées de justice, d’autodétermination, de priorité des besoins fondamentaux, etc. ». L’éthique environnementale est la réflexion philosophique qui porte sur les valeurs à mettre en œuvre pour la protection de l’environnement. En ce sens, elle porte sur la vie dans ses différentes formes à savoir la vie humaine, la vie animale et la vie végétale ainsi que les conditions qui favorisent son épanouissement. Comme l’explique Nakhlé (2014), « l’éthique que préconise Hans Jonas vise à préserver la vie sous toutes ses formes » (Nakhlé, 2014, p. 122). L’autre montre que « les dimensions de cette éthique de la nature dépassent les limites de la sphère étroite de l’environnement (humain) pour s’ouvrir largement à la biosphère et à la nature tout entière ». La préservation de la vie implique une nature de relation avec la matière brute qui constitue un objet d’attention de l’éthique environnementale. Il explique aussi que « la préservation de la vie et de la nature est une condition indispensable à la sauvegarde des conditions d’existence de l’humanité » Hans Jonas a apporté une nouveauté dans la réflexion philosophique sur l’environnement en observant qu’« on en est venu à admettre la dimension éthique de notre rapport à la nature » (Larrère & Larrère, 2009, p. 235). Ces auteurs soutiennent qu’« on a considéré que la nature devait être l’objet d’un « souci moral » parce que nous en sommes responsables devant les générations futures » (Larrère & Larrère, 2009, p. 235). Ils évoquent le combat de Hans Jonas en faveur des générations futures en écrivant : « nous devons préserver leurs conditions d’existence, leur transmettre les moyens d’une vie possible sur terre ». Et c’est justement Hans Jonas qui, dans la communauté scientifique, a introduit de telles idées. Comme l’écrit Hans Jonas (1995), « nulle éthique antérieure, n’avait à prendre en considération la condition globale de la vie humaine et l’avenir lointain et l’existence de l’espèce elle-même » (Jonas, 1995, p. 26). Selon Larrère et Larrère (2009), « Jonas, dans son essai, tente d’étendre à la nature un souci qui, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, était selon lui resté circonscrit aux communautés humaines » (Larrère & Larrère, 2009, p. 238). Ces auteurs présentant Hans Jonas expliquent que, « reprenant l’idée reçue que seul le commerce entre les hommes relevait jusqu’à présent d’une éthique, et que les rapports à la nature n’étaient l’objet que d’une technè neutre, il en voit la raison dans le caractère superficiel de ces interventions techniques ». La nouveauté apportée par Hans Jonas est que comme l’explique Nakhlé (2014), « Il ne suffit pas d’accomplir des actions qu’on juge bonnes pour les générations présentes. Il faut évaluer leurs conséquences sur les générations futures. Il est donc nécessaire de promouvoir une éthique d’ordre nouveau, compatible avec les exigences de notre époque hautement technicisée » (Nakhlé, 2014, p. 122). Il est question avec Nakhlé (2014) commentant Hans Jonas d’ : « une éthique qui ne s’intéresse pas exclusivement aux relations d’homme à homme, comme ce fut le cas dans la philosophie classique, mais une éthique qui se concentre sur la relation de l’homme avec la nature » (Nakhlé, 2014, p. 122). Dans le cadre de l’éthique environnementale appliquée à la gestion des adductions d’eau villageoise, la question se pose en des termes ci-après. Comment gérer l’accès à l’eau potable de manière que la satisfaction des différents acteurs soit optimale, que les générations futures puissent en bénéficier et que la ressource en eau elle-même soit préservée ? 

 Ethique de la responsabilité 

Dans le domaine de l’éthique environnementale, l’un des concepts clés est le principe de la responsabilité. Hans Jonas a consacré à ce principe un ouvrage de référence, Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique. Comme l’écrit Jean Greisch dans la préface de cet ouvrage, « pour Hans Jonas, être responsable signifie accepter d’être « pris en otage » par ce qu’il y a de plus fragile et de plus menacé » (Jonas, 1995, p. 14). La portée de l’éthique de la responsabilité, dans le domaine de l’environnement, appliquée à la gestion des ouvrages hydrauliques d’accès à l’eau potable, est assez vaste. Ainsi avec le philosophe allemand Klaus Michael Meyer-Abich, nous disons que « Tout un chacun est responsable envers tout » (Meyer-Abich, 1984 : 23) in (Otto, 1992 : 137). Dans le cadre de la gestion des ouvrages hydrauliques pour l’accès durable à l’eau potable, même si les niveaux de responsabilité sont différents, chacun des acteurs a sa part de responsabilité. Le concept de la responsabilité est en lien avec celui de la gouvernance. La charte de la gouvernance du secteur de l’eau (2016) en République du Bénin explique la gouvernance en ces termes : « la conduite efficiente des affaires publiques selon une vision formalisée, les règles et procédures en vigueur, un plan de travail assorti d’obligation de moyens et de résultats avec des revues périodiques des performances et de reddition de comptes ». Cette charte évoque en ce sens l’obligation de compte rendu des agents publics et des élus à leurs mandants ou à leur hiérarchie ainsi que le droit reconnu aux citoyens de leur demander des comptes. La charte traite aussi de la délégation de services publics qu’elle désigne par : le contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité, à un délégataire public ou privé dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation. 1.1.4 Co-responsabilité La co-responsabilité désigne le partage des responsabilités, la collégialité dans l’exercice des responsabilités. Cette co-responsabilité des personnes à l’égard du monde a été suggérée par Hannah Arendt (1972). Elle considère conjointement la part incessible (non réciproque) d’autorité et de transmission que les générations antérieures ont à assumer et la nécessité de partager un monde commun, dont nous sommes co-responsables (Arendt, 1972). Selon la réflexion arendtienne, la responsabilité pour le monde ne peut être qu’une coresponsabilité, car le monde ne peut se concilier avec le sens qu’en s’instituant comme monde commun, de même que le sens ne peut pénétrer dans le monde que s’il devient sens commun (Roviello, 1988). L’émergence de la notion de co-responsabilité est également due à la montée de la société civile comparable à « une demande de nouvelle responsabilisation politique qui, au travers des dispositifs d’une démocratie procédurale, créerait les conditions de la formation d’une co-responsabilité des acteurs par rapport à l’implémentation des politiques publiques les concernant » (Genard, 1999). Genard (1999) explique également que « cette co-responsabilité ne serait pas celle d’une responsabilité collective référée à une communauté préexistante, mais bien celle de la co-construction d’une responsabilité collective se faisant dans l’action conflictuelle-coopérative des acteurs concernés ». L’émergence des politiques de co-responsabilité est en outre liée aux problèmes environnementaux qui sont transversaux et difficilement gouvernables par le recours aux formes de l’action publique standard. Comme le montre Salles, « la transgression des échelles politiques traditionnelles, la trans-sectorialité des problèmes et la désynchronisation des impacts vis-à-vis à des temporalités des activités humaines ont conduit à l’émergence de politiques de co-responsabilité (interterritoriales, intersectorielles, intergénérationnelles) » (Salles, 2009, pp. 2,5). L’Etat est considéré comme le vecteur privilégié de l’extension de la rationalité économique à l’ensemble du champ social. Et pour cela, comme le soutient Salles, « dans une logique concurrentielle, les institutions territoriales et l’ensemble des partiesprenantes deviennent co-responsables de leur devenir (et de leur environnement) et chaque individu est sommé de devenir « un entrepreneur de lui-même » » (Salles, 2009, p. 4). 

Valeur (absolue, fondamentale et contextuelle) 

Le concept de valeur a été mobilisé dans cette étude en convoquant plusieur auteurs dont Hans Jonas (1995) et Mboua (2014). L’auteur qui nous présente une définition plus appropriée à cette étude est bien Heinich (2017). Elle évoque trois dimensions de ce concept qui ont été d’un grand apport pour la conduite de cette étude. Parlant du caractère absolu d’une valeur, Heinich (2017) montre que, « une valeur ne repose sur rien d’autre qu’elle-même, elle est à elle-même sa propre fin ». Elle distingue la valeur de la norme, la règle et la loi en expliquant qu’ « une valeur n’est ni une norme, ni une règle, ni une loi : celles-ci sont des applications de valeurs, lesquelles en justifient la création ». Une première conséquence de cette spécificité est que, pour qu’une valeur puisse fonctionner comme telle, elle doit être comprise et utilisable par tous. Elle insiste sur le caractère universel d’une valeur. Heinich donne l’exemple des valeurs de l’« honnêteté », la « solidarité » ou la « bonté » qui sont connues de tous (Heinich, 2017, p. 200). Heinich (2017) évoque ensuite le carcatère fondamental d’une valeure et montre que, « l’évidente pluralité, voire la multiplicité des valeurs a souvent incité les spécialistes de philosophie morale à chercher des valeurs plus fortes, plus importantes, plus fondamentales que d’autres ». Que ce soit sur le modèle de la triade platonicienne Du vrai, du beau et du bien, de la trilogie aristotélicienne du beau, de l’utile et de l’agréable, ou sur le modèle chrétien des quatre « vertus cardinales » (courage, tempérance, justice, prudence), certains ont privilégié « des valeurs qu’on peut qualifier d’absolues », et dont « la consistance n’est soumise aux vicissitudes d’aucune autre valeur », telles que « le Bien, le Beau, le Vrai ». Heinich évoque deux approches des valeurs absolues, l’approche spéculatif du philosophe et l’approche empirique du sociologue. Pour Heinich, « le philosophe spéculatif peut se permettre de décider seul ce qu’est ou n’est pas, par principe, une valeur, sans aucune référence à l’empirie (ou, en d’autres termes, à l’expérience effective des acteurs) ». Alors que « le sociologue, lui se doit d’inférer, à partir de l’observation ou de l’enquête, quelles sont les valeurs que les acteurs mettent effectivement en œuvre, et avec quel degré de consistance ou de stabilité » (Heinich, 2017, pp. 221-222). Elle fait également le lien entre valeurs fondamentales et valeurs contextuelles. « Les valeurs fondamentales, à la différence des valeurs contextuelles, se reconnaissent à ce qu’elles sont toujours positives, du moins à l’intérieur d’une configuration donnée ». Au sujet de ces valeurs fondamentales, « aucune anti-valeur ne leur est opposable, mais seulement une critique ». Elle montre aussi que « si le propre des valeurs fondamentales est de ne pouvoir être des anti-valeurs, elles ont aussi comme caractéristique de ne pouvoir être des valeurs privées : étant, par définition, des valeurs incontestables, elles ne perdent rien – au contraire – à être publiquement défendues » (Heinich, 2017, p. 223). Heinich (2017) présente également les valeurs contextuelles. Ce qui n’est pas observable au niveau des valeurs fondamentales, cela s’observe au niveau des valeurs contextuelles. Comme l’explique Heinich, « la distinction entre valeurs publiques et valeurs privées ne vaut que pour les valeurs contextuelles ». De plus, « il n’existe pas de valeur fondamentale « en soi », traitée comme telle en tout temps et en tous lieux ». Pour elle, il existe seulement « des degrés supérieurs de généralité, mesurables à la quantité de contextes où telle valeur est fondamentale » (Heinich, 2017, p. 224). Cette présentation des différents aspects du concept de valeur a été éclairante dans l’appréciation des différentes valeurs liées à l’eau et la construction de la co-responsabilité dans la gestion des ouvrages hydrauliques. 

Table des matières

SOMMAIRE
DEDICACE
REMERCIEMENTS
SIGLES ET ACRONYMES
ILLUSTRATIONS
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LE CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE
Introduction partielle
Chapitre 1 : Cadre conceptuel et théorique
1.1 Concepts liés à l’éthique
1.2 Concepts liés à la culture
1.3 Concepts liés au développement
Chapitre 2 : Cadre méthodologique
2.1 Recherche documentaire
2.2 Enquête sur le terrain
2.3 Choix de la méthode de type qualitatif
2.4 Description des outils de collecte des données
2.5 Echantillonnage et traitement des données
Conclusion partielle
DEUXIEME PARTIE : L’EAU DANS LE CONTEXTE ENVIRONNEMENTAL ET SOCIO-CULTUREL AYIZO A HÊKANME
Introduction partielle
Chapitre 3 : Présentation de la zone d’étude
3.1 Présentation du milieu naturel de la commune de Zè
3.2 Présentation de l’arrondissement de Hêhanmè
3.3 Présentation des ressources hydriques à Zè et des ouvrages hydrauliques à Hêkanmè
Chapitre 4 : Le symbolisme et les usages de l’eau dans la cosmogonie Ayizo
4.1 Le symbolisme de l’eau dans la cosmogonie Ayizo
4.2 Les usages et les discours sur l’eau dans la cosmogonie Ayizo
4.3 L’univers des normes liées à l’eau dans la cosmogonie Ayizo
Chapitre 5 : Etat des lieux et analyse éthique de la gestion des AEV et PEA à Hêkanmè
5.1 Présentation des politiques publiques de gestion de l’eau en milieu rural au Bénin
5.2 Points de vue des différents acteurs pour la meilleure gestion des AEV et PEA à Hêkanmè
5.3. Analyse et critique de la gestion par affermage des AEV et PEA à Hêkanmè par les différents acteurs
Conclusion partielle
TROISIEME PARTIE : CONSTRUCTION DE LA CO-RESPONSABILITE DANS LA GESTION DE L’EAU, ENJEU DE DEVELOPPEMENT DURABLE
Introduction partielle
Chapitre 6 : Fondements de la co-responsabilité dans l’éthique de l’eau
6.1. Herméneutique éthique des rites et mythes liés à l’eau
6.2. Fondements métaphysiques de l’éthique de la co-responsabilité
6.3. Fondements éthiques de la co-responsabilité
Chapitre 7 : Formulations de l’éthique de la co-responsabilité
7.1. De l’éthique de la discussion pour la co-responsabilité
7.2. La co-responsabilité et la gestion durable des ouvrages hydrauliques
Chapitre 8 : Eléments d’application de la co-responsabilité en éthique de l’eau dans la gestion des ouvrages hydrauliques
8.1. La co-responsabilité et la gestion tripartite des ouvrages hydrauliques
8.2. La délibération éthique et des éléments d’amélioration de la charte de l’eau au Bénin
Conclusion partielle
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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