Les pouvoirs du juge statuant par défaut : l’article 806 du code judiciaire

LA LOI « POT-POURRI I »

Suppression de la péremption du jugement par défaut

« Tout jugement par défaut doit être signifié dans l’année, sinon il est réputé non avenu ». Voici la version antérieure de l’article 806. Avant sa modification en 2015, l’article 806 prévoyait le principe de la péremption du jugement par défaut. En effet, si le jugement par défaut n’était pas signifié dans l’année, il était réputé non avenu. Ce délai était prévu à peine de déchéance . Cependant, malgré la péremption de ce jugement, l’instance demeurait ouverte et il était possible pour la partie qui avait obtenu le jugement rendu par défaut d’obtenir la revalidation de son jugement en ramenant simplement la cause à l’audience par une demande de fixation .

Comme le souligne Anne Decroës, « La ratio legis de cette disposition était de protéger la partie condamnée par défaut contre une exécution adroitement retardée. La péremption du jugement par défaut non signifiée dans l’année visait en effet à prémunir la partie défaillante contre les possibilités de manœuvres de la partie demanderesse, qui pourrait par exemple être tentée de retarder l’exécution du jugement qu’elle a obtenu par défaut jusqu’à un moment où les preuves utiles pour contester ses prétentions auraient disparu » . Cependant, dès lors que l’instance demeurait ouverte, l’article 2244 du Code civil était applicable et interrompait la prescription pendant tout le cours de l’instance . Sous réserve de l’abus de droit, la partie demanderesse pouvait donc demander la revitalisation du titre périmé à tout moment alors qu’il était impossible pour la partie condamnée par défaut de lui opposer une quelconque prescription .

Par conséquent, alors que l’objectif initial était de protéger le défaillant d’une exécution adroitement retardée, la péremption du jugement par défaut passait nettement à côté de cet objectif dès lors qu’il suffisait au bénéficiaire du jugement par défaut de demander une nouvelle fixation de la cause pour obtenir la revalidation du titre périmé . Dans son projet de loi du 30 juin 2015, le législateur rappelle un des objectifs de son Plan Justice : « Le premier projet vise à adapter la procédure civile aux besoins de notre époque, de sorte que les procédures se déroulent plus rapidement et efficacement sans compromettre la qualité avec laquelle la justice est administrée » . C’est donc logiquement que le législateur a décidé d’abroger cette règle de la péremption du jugement par défaut, qui dénotait un « formalisme inutile ».
Dans son avis, le Conseil d’État confirme que cette règle est dépourvue de toute pertinence dès lors qu’elle ne permet pas d’atteindre son objectif initial . Bien que la partie condamnée jouissait encore de la possibilité de contester le fond du droit dans le cadre de la procédure en revalidation ou dans le cadre d’une opposition au jugement de revalidation du titre rendu par défaut, cela ne lui était d’aucune utilité dès lors que, par l’adroite manœuvre de son adversaire, les preuves utiles lui permettant de contester la demande avaient disparu . Cette abrogation étant par ailleurs suggérée depuis de nombreuses années, le Conseil d’État confirme le manque de pertinence de cette règle de la péremption du jugement par défaut comme suit  : « Le législateur de 1967 avait manifestement perdu de vue que l’article 156 de l’ancien Code de procédure civile avait lui-même été inséré dans le Code de procédure civile au motif qu’“on avait constaté à plusieurs reprises qu’une personne avait été condamnée et que le jugement était passé en force de chose jugée, sans qu’elle ait eu connaissance de la citation et de la condamnation: l’article 156 a été prévu afin d’éviter pareille situation”. Or, une telle situation n’est pas envisageable sous l’empire du Code judiciaire dès lors que, même si elle n’a pas été atteinte par l’acte introductif d’instance et ignore donc l’existence tant de la procédure que du jugement qui a été prononcé, la partie condamnée par défaut sera toujours officiellement informée par la signification de la décision de l’existence de celle-ci, à un moment où elle ne sera pas encore coulée en force de chose jugée puisque c’est la signification qui fait courir le délai d’opposition. Ce seul constat aurait dû inciter les rédacteurs du Code judiciaire à abandonner la règle énoncée à l’article 806 du Code» .

En son article 20, la loi du 19 octobre 2015 (Pot-pourri I) a donc supprimé cette règle de péremption du jugement par défaut. Il ne faudra plus signifier le jugement par défaut dans l’année de son prononcé . Plusieurs auteurs s’accordent cependant sur le fait que cette abrogation n’aura pas de conséquences pratiques spectaculaires sur l’encombrement du rôle des juridictions ou de leur charge de travail . Le nouvel article 806 du Code judiciaire est entré en vigueur le 1er novembre 2015. Par conséquent, seuls les jugements rendus par défaut avant le 1er novembre 2014 et n’ayant pas été signifiés sont périmés et devront donc être revalidés .

Le nouvel article 806 du Code judiciaire 

En abrogeant la règle de la péremption du jugement par défaut par l’article 20 de la loi du 19 octobre 2015 (Pot-pourri I), le législateur en a profité pour circonscrire le rôle et les pouvoirs  du juge statuant par défaut à l’article 806. C’est en effet depuis l’entrée en vigueur du Code judiciaire le 1er janvier 1970 que l’étendue des pouvoirs du juge statuant par défaut fait débat, tant en doctrine qu’en jurisprudence . Nous reviendrons brièvement sur le choix posé par le législateur à cet égard (a) avant d’exposer les différentes interprétations du texte qui ont été faites après sa promulgation (b).

Consécration de la thèse minimaliste 

Il convient de rappeler dans un premier temps l’objet de la controverse que le législateur a tenté de trancher à l’occasion de la loi « Pot-pourri I ». La question de l’étendue des pouvoirs du juge statuant par défaut oppose deux conceptions : la thèse maximaliste (traditionnelle) et la thèse minimaliste (réformatrice) . Suivant la première thèse, le défaut vaut contestation de la demande. Le défaut du défendeur doit donc être considéré comme une contestation de la compétence, de la recevabilité et du fondement de la demande . Cette conception reposait traditionnellement sur l’idée que le défendeur qui ne comparait pas est forcément malheureux et ignorant et que, ne pouvant faire valoir ses moyens de défense, ses droits doivent être protégés par le juge . Cette conception est également celle qui est appuyée par la Cour de Cassation, les juges du fond et même la Cour Constitutionnelle . Par conséquent, le juge statuant par défaut devait soulever d’office tous les moyens de forme et de fond, tant en fait qu’en droit, que la partie défaillante aurait pu faire valoir, bien qu’étrangers à l’ordre public . Les représentants de la thèse minimaliste, quant à eux, refusent de considérer que le défaut vaut contestation de la demande . Selon eux, la thèse maximaliste va au-delà de ce que permet le principe dispositif et le principe du contradictoire ; l’ordre public, tant procédural que matériel, suffit à protéger le défendeur défaillant, prétendument malheureux et ignorant . C’est sur base de cette conception minimaliste que l’article 40 de l’avant-projet de loi a été rédigé . Selon le législateur, dans le cadre d’une procédure par défaut, l’office du juge doit se cantonner au respect des règles d’ordre public . Une vérification marginale est donc suffisante dès lors que la faculté d’opposition est offerte à la partie défaillante de bonne foi . Cela rejoint clairement l’objectif initial annoncé dans le Plan Justice : mettre l’accent sur les éléments essentiels. L’article 40 de l’avant-projet de loi proposait le libellé suivant pour l’article 806 du Code judiciaire : « Dans le jugement par défaut, le juge fait droit aux demandes ou moyens de défense de la partie comparante, sauf dans la mesure où ces demandes ou moyens sont contraires à l’ordre public ou manifestement non fondés » . Dans son avis du 11 juin 2015 , le Conseil d’État fait cependant part de deux manquements. Premièrement, le Conseil d’État s’étonne de l’absence de référence au rôle du juge sur le plan de la procédure dans le libellé de l’article 806. En effet, même pour les tenants de la conception minimaliste, « le juge doit d’abord vérifier si le défendeur a effectivement été atteint, en temps utile, par l’acte introductif d’instance et que c’est, en conséquence, en parfaite connaissance de la procédure qu’il a choisi de ne pas comparaitre » . Le Conseil d’État se réfère à cet égard à l’enseignement du Professeur Boularbah : « le juge pourra soulever tous les moyens de procédure déduits de règles d’ordre public et impératives : contrôle des nullités absolues, de la régularité du mode de convocation, de son pouvoir de juridiction, de sa compétence matérielle, des compétences territoriales impératives et d’ordre public, fins de non-recevoir, exceptions déduites du non-respect de règles d’organisation judiciaire » . Deuxièmement, le Conseil d’État suggère aux auteurs de l’avant-projet de ne plus faire référence à la violation manifeste de règles de droit . Jean-François Van  Drooghenbroeck souligne à cet égard que le Conseil d’État ne fait référence qu’aux règles de procédure manifestement violées, mais étrangères à l’ordre public et au droit impératif .

Table des matières

INTRODUCTION
I.- PLAN JUSTICE
A.- CONTEXTE ET OBJECTIFS GÉNÉRAUX
B.- LA PROCÉDURE CIVILE
II.- LES POUVOIRS DU JUGE STATUANT PAR DÉFAUT : L’ARTICLE 806 DU CODE JUDICIAIRE
A.- LA LOI « POT-POURRI I »
1) Suppression de la péremption du jugement par défaut
2) Le nouvel article 806 du Code judiciaire
a) Consécration de la thèse minimaliste
b) Interprétations divergentes et incertitudes
B.- L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 13 DÉCEMBRE 2016
C.- LA LOI « POT-POURRI V »
D.- CONSÉQUENCES
1) Moyens de procédure
a) Juridiction
b) Compétence matérielle
c) Compétence territoriale
d) Incidents de répartition
e) Litispendance et connexité
f) Vices de forme et autres irrégularités formelles
g) Délais
h) Fins de non-recevoir
i) Mesures de surséance à statuer
2) Moyens de fond
III.- LA RECONVOCATION DU DÉFENDEUR DÉFAILLANT À L’AUDIENCE D’INTRODUCTION : L’ARTICLE 803 DU CODE JUDICIAIRE
A.- LE MÉCANISME DE L’ARTICLE 803, ALINÉA 1ER, DU CODE JUDICIAIRE
B.- L’ARTICLE 803, DEUXIÈME ALINEA DU CODE JUDICIAIRE ET LES OBJECTIFS DU LÉGISLATEUR
C.- CONSÉQUENCES PRATIQUES
IV.-LA RÉDUCTION DES POSSIBILITÉS D’OPPOSITION : L’ARTICLE 1047 DU CODE JUDICIAIRE
A.- LE NOUVEL ARTICLE 1047 DU CODE JUDICIAIRE ET LES OBJECTIFS DU LÉGISLATEUR
B.- CONSÉQUENCES ET DROITS DES PARTIES
CONCLUSION

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