Les préférences gustatives des enfants porteurs de troubles de l’oralité

Les préférences gustatives des enfants porteurs de troubles de l’oralité

La construction du goût : de la vie intra-utérine à l’âge adulte

 Les empreintes sensorielles précoces, essentielles au bon développement gustatif, se construisent par l’exposition du fœtus, du nouveau-né et du nourrisson à diverses stimulations olfactives et gustatives. Ces stimulations sensorielles et leur impact sur la mémoire sensorielle cérébrale représentent le point de départ de l’apprentissage gustatif et de la dimension hédonique des aliments.

 Du fœtus aux 6 mois du nourrisson 

Dès la vie intra-utérine, le fœtus est exposé à des stimulations chimio-sensorielles. Schaal et al en 2005 mettent en évidence le fait que la mise en place des systèmes chimio-sensoriels est étroitement liée aux stimulations incidentes, aux interactions entre environnement prénatal et génotype formant un phénotype spécifique. De nombreuses études soulignent le fait que la mère transmet à son fœtus des traces odorantes particulières par son alimentation amenant ainsi soit une réponse d’attraction soit de répulsion (Abate et al., 2000 ; Schaal et al, 2000 ; Mennella et al., 2001). Ces réponses hédoniques olfactives ou gustatives sont constatées par des réponses oro-faciales dès deux mois avant le terme, plus facilement remarquables chez le nouveau-né prématuré. En effet, le liquide amniotique ingéré in utero (environ 1L par jour en fin de gestation) est imprégné par les derniers repas de la mère, permettant le développement cérébral du goût chez le fœtus. A la naissance, cette imprégnation sensorielle se poursuit au fil des rencontres avec les odeurs et les goûts apportés essentiellement par le lait maternel dont le goût dépend lui-même de l’alimentation de la mère. De nombreuses études ont été réalisées dans ce sens, démontrant alors l’émergence des préférences gustatives qui se stabiliseront sur des durées variables. Citons, par exemple, la carotte avec une préférence sur 5/6 mois (Mennella et al, 2001), la camomille sur 21 mois (Delaunay-El Allam, 2006) ou les laits acides/amers participant à l’adhésion de jus de pomme acidifié sur 4/5 ans (Mennella et Beauchamp, 2002)). Benoit Schaal et Robert Soussignan nous parlent d’« avant-goûts » lorsqu’ils évoquent ces premières stimulations gustatives du fœtus et du nouveau-né en lien direct avec l’alimentation de sa mère par le liquide amniotique, le colostrum et le lait. Une fois né, cet enfant, en ingérant le lait maternel développera des préférences qui l’amèneront à se satisfaire de nouveau au contact du sein et du lait maternel, créant ainsi un lien fort avec sa mère (Schaal, 2009). Mais les nouveau-nés sont également capables de fuir des odeurs désagréables d’aliments (Soussignan et al., 1997), tout comme les nourrissons de 8 mois (Wagner et al., 2013). Le développement des goûts et dégoûts commence donc avant la naissance par le biais du liquide amniotique et des premières tétées à condition que ce soit du lait maternel, varié en goût, plutôt que du lait industriel. Bien qu’il soit reconnu qu’orienter fortement le choix de la mère vers l’allaitement au sein plutôt que l’allaitement artificiel ne semble pas bénéfique pour le bien-être de la mère et de l’enfant, nous ne pouvons nier le fait que le lait maternel présente comme avantage de permettre la découverte de nouveaux goûts pour l’enfant. Ceci est particulièrement bien illustré par des études récentes qui ont mis en avant un lien entre allaitement et appétence pour les légumes : des enfants de 2 à 8 ans, ayant été allaités pendant trois mois ou plus, mangent plus facilement des légumes en grandissant que ceux allaités sur une période plus courte (Wadhera et al., 2015). De même, une association positive a été montrée entre durée d’allaitement et consommation plus importante de fruits et de légumes et ce, dans différents contextes culturels (4 pays européens) (De Lauzon-Guillain et al., 2013). Cependant, le développement des préférences alimentaires n’est pas linéaire au cours du temps. 14 Ceci a été mis en évidence par l’étude princeps de Illingworth et Lister en 1964, et confirmé plus récemment par l’étude de Northstone et al en 2001, mettant en évidence une période sensible facilitant l’acceptation d’aliments nouveaux. Durant cette période, tôt dans le développement de l’enfant, ce dernier met en action deux processus concernant ses attentes sensorielles, le premier étant de maintenir ses préférences pour les premières sensations gustatives et olfactives rencontrées et le second étant d’accepter de nouvelles sensations. Ces deux systèmes hédoniques rentrent en jeu dans l’adaptation gustative et olfactive du nourrisson, le « conservateur » et le « néophile ». Ils se dominent et/ou se dirigent l’un l’autre en fonction de la période de développement permettant ainsi l’acquisition potentielle de nouvelles préférences alimentaires. L’interaction dyssymétrique entre préférence plastique et préférence acquise in utero et son inconstance serviront à l’appréciation progressive de stimulations a priori non appétantes. Le sevrage de l’enfant et le passage à une alimentation « adulte » et à son panel divers et variés de goûts solliciteront de façon exponentielle cette plasticité hédonique (Schaal et al., 2008). Ces stimulations chimio-sensorielles imprègnent le cerveau d’images sensorielles associées à une valeur hédonique assimilables à des empreintes (ou des « avant-goûts ») engendrant des réponses d’acceptation ou de rejet chez l’enfant voire l’adulte. Ces empreintes ne sont pas immuables et n’empêchent en rien de nouvelles acquisitions tardives. Cependant, elles font partie de notre apprentissage et participeront à notre construction gustative en développant notre système sensoriel, chimio-sensoriel et notre mémoire gustative. Le nouveau-né acquiert ainsi des bases sensorielles, olfactives et gustatives, qu’il n’aura de cesse d’étoffer, au cours de ses expériences dans ce nouveau monde empreint d’odeurs et de saveurs. Les goûts et dégoûts tissent leur première toile.

 De la diversification alimentaire à la néophobie 

A partir de 4/6 mois, la diversification alimentaire permet l’introduction des soupes, période pendant laquelle l’apprentissage des saveurs se poursuit. En cette époque particulière de la vie de l’enfant, ce dernier se confronte à la transition allaitement maternel/artificiel – régime complémentaire solide. Le nourrisson découvre alors les propriétés sensorielles (goût et saveur, texture) et nutritionnelles (densité énergétique) des aliments qui finiront par composer son régime alimentaire adulte. (Nicklaus, 2016). Il rencontre alors de nouveaux goûts, notamment ceux des légumes. A cet âge et jusqu’à 2 ans, il est ouvert à la nouveauté, avec plus ou moins de succès, de plaisir, de grimaces mais il goûte, même les goûts forts comme le roquefort. Lorsqu’un enfant goûte pour la première fois du citron, il fait la grimace mais en redemande. Cette grimace ne veut pas dire forcément qu’il n’aime pas l’aliment, c’est simplement l’expression de sa surprise face à ce goût unique et acide. Comme le rappelle Nathalie Rigal dans « les mains à la pâte et les mots à la bouche », l’essentiel réside tout simplement dans le fait de goûter, car cela participe grandement au développement du plaisir alimentaire. Schwartz et al, en 2011 nous démontre que c’est simplement le goût des nouveaux aliments qui facilitera leur acceptation sans apprentissage particulier, en fonction de la sensation procurée lors de leur ingestion, simplement liée aux qualités gustatives et hédoniques de l’aliment. Cela a été mis en avant avec les légumes : la carotte est plus facilement ingérée que les haricots verts (Gerrish et Mennella, 2001 ; Mennella et al, 2008) et que les autres légumes verts (Maier et al, 2007). Ainsi, la variabilité des aliments et des goûts amènera l’enfant à expérimenter des propriétés sensorielles nouvelles apportées par la diversification alimentaire et influencera positivement son acceptation d’aliments nouveaux (Schaal, 2009). Moment propice à l’apprentissage du goût, cette période influencerait également les préférences alimentaires. Plus l’enfant goûte à de nouveaux aliments, moins il connaitra de difficultés alimentaires en grandissant, et moins il aura de dégoûts. D’ailleurs, comme le soulignent Sylvie 15 Issanchou et Caroline Sautot (Projet Habeat, Determining Factors and Critical Periods in the Formation of Eating Habits, s. d.), l’introduction des légumes (sous forme de purée) au moment de la diversification alimentaire facilite l’acceptation de nouveaux légumes à court et moyen terme. Dans l’année suivant sa naissance, l’enfant continuera son expérience alimentaire au grès de ses rencontres avec de nouveaux goûts, d’autres stimulations sensorielles. Ces dernières seront d’autant plus acceptées que l’enfant y reconnaîtra une touche de familiarité, qu’elles seront proches de ce qu’il connaît déjà. Ainsi, Mennella et Beauchamp (1999) ont montré qu’un nourrisson ingérera plus facilement des céréales mélangées à du lait maternel qu’à de l’eau. Par ailleurs, les travaux de Mennella et al (2001) et de Haverman et Jansen (2007) ont montré que le couplage de nouvelles saveurs avec des saveurs déjà connues par l’enfant prépare à une acceptation plus simple des premières. Comme le souligne Schaal dans l’article « Emprises maternelles sur les goûts et les dégoûts de l’enfant : mécanismes et paradoxe » (2008) : « En période de différenciation et de consolidation des comportements sélectifs de l’enfant, ces interactions entre empreintes présumées et apprentissages précoces peuvent être utilement appliquées pour prévenir ou atténuer les troubles alimentaires. Enfin, la possibilité même de ces empreintes sensorielles précoces peut servir à révéler que les enfants sont objets d’influences adaptatives dans la période de construction de leurs systèmes de préférences et de choix les plus primordiaux ». D’après les résultats du projet Opaline (Observatoire des Préférences ALImentaires du Nourrisson et de l’Enfant) mené par Sophie Nicklaus, la capacité d’apprentissage des nouveaux goûts semble maximale entre 4 mois et 2 ans. Il semble donc primordial que, pendant cette période, rien ne vienne entraver la découverte de nouveaux goûts, de nouvelles expériences ainsi que le plaisir éprouvé pendant la dégustation. Jusqu’à 2 ans, les enfants sont enclins à s’ouvrir à tout un panel de goûts et de saveurs à condition qu’ils y aient accès mais cette « lune de miel gustative » ne dure qu’un temps

Table des matières

REMERCIEMENTS
SOMMAIRE.
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
1. Développement physiologique du goû
1.1 Définition du goût
1.1.1 Le goût
1.1.2 Rôles du goût
1.1.3 La flaveur
1.2 Perception du goût
1.2.1 Mise en place du système gustatif
1.2.2 Les récepteurs gustatifs
1.2.3 Acheminement des informations au cortex
1.2.4 Les limites du goût
1.3 Le goût et les autres sen
1.3.1 L’olfactio
1.3.2 Sensibilité somesthésique
1.3.3 Vision et audition
2. Les goûts et dégoûts : la construction du goût.
2.1 A la recherche du plaisir
2.2 La construction du goût : de la vie intra-utérine à l’âge
adulte
2.2.1 Du fœtus aux 6 mois du nourrisson
2.2.2 De la diversification alimentaire à la néophobie
2.2.3 De la néophobie à l’alimentation adulte
3. Les facteurs influençant la construction des préférences
gustatives
3.1 Quand la génétique rencontre le plaisir
3.2 Impact de la perception sensorielle
3.2.1 La texture
3.2.2 La vue
3.2.3 L’odorat
3.2.4 Le sens tactile
3.2.5 L’ouïe
3.2.6 La sensibilité thermique
3.3 La variabilité et la familiarisation.
3.4 L’apprentissage de l’association « saveur-nutriment »
3.5 L’apprentissage de l’association « saveur-saveur »
3.6 Les expositions répétées
4. La famille : quel rôle joue-t-elle dans le développement du goût ?
4.1 Le comportement parental
4.2 Influence des préférences alimentaires parentales
4.3 Le repas : la sociabilisation du goût en famille, en société
4.4 Culture culinaire et préférences
4.5 Caractère et émotions
5. Techniques favorisant le développement du goût, inspirées des facteurs influençants
5.1 La pédagogie du goût de Jacques Puisais
5.2 Mélanie Potock : 4 stratégies pour une ouverture gustative
5.3 Food Chaining Programs : Multidisciplinary Treatment of Feeding Aversion in Children (Mark Fishbein et Laura
Walbert, 2005)
6. Les préférences alimentaires chez le normo-mangeur
6.1 Préférences innées, préférences acquises
6.1.1 Durant la vie fœtale
6.1.2 Des préférences en termes de goûts.
6.2 Les préférences alimentaires chez l’enfant et l’adolescent
6.2.1 Les goûts préférés
6.2.2 Les goûts rejetés
7. Les troubles de l’oralité
7.1 Définition de l’oralité
7.2 Trouble de l’oralité
7.2.1 Définition
7.2.2 Classification des troubles alimentaires
7.2.3 Origines des troubles de l’oralité
8. L’alimentation artificielle
8.1 Les différents types d’alimentation artificielle chez le
nourrisson
8.1.1 L’alimentation entérale
8.1.2 L’alimentation parentérale
8.2 Origine des difficultés alimentaires des enfants ayant été nourris artificiellement
9. Les enfants porteurs de troubles de l’oralité
9.1 Les caractéristiques des enfants porteurs de troubles de
l’oralité
9.2 Conséquences des troubles de l’oralité
9.2.1 La santé de l’enfant
9.2.2 L’angoisse et les relations socio-familiales
9.3 Le trouble de l’intégration sensorielle
9.4 Cas de l’hyper nauséeux.
9.5 Cas de l’enfant prématuré.
9.6 Cas de l’enfant ayant un Trouble du Spectre Autistique
10. L’évaluation du trouble de l’oralité
10.1 Le bilan
10.2 L’accompagnement parental
11. Structures sociales accompagnant la prise en charge des
troubles de l’oralité
11.1 Les associations de professionnels de santé
11.2 Les associations de parents
12. Les préférences alimentaires chez l’enfant avec troubles de l’oralité
PARTIE PRATIQUE
1. Problématique et hypothèses de travail
1.1 Problématique
1.2 Hypothèses de travail
2. Le questionnaire
2.1 Les objectifs
2.2 La création du questionnaire
2.2.1 Elaboration du questionnaire
2.2.2 Choix des items épices/aromates/condiments
2.2.3 Choix des professionnels de santé
2.2.4 Choix de la méthode de diffusion
2.3 Amélioration du questionnaire
2.3.1 Retour sur le terme « trouble de l’oralité »
2.3.2 Retour sur l’échelle d’appréciation / de fréquence
2.3.3 Retour sur l’effet de l’exposition répétée
2.3.4 Retour sur l’échelle de comportement
2.3.5 Retour sur le mélange épice / aliment connu
2.3.6 Retour sur l’âge des participants
2.3.7 Retour sur la présence d’une alimentation artificielle.
2.3.8 Retour sur les autres aliments au goût relevé/piquant
2.4 La création d’un second questionnaire
2.5 Recrutement des enfants porteurs de troubles de l’oralité et normo-mangeurs
2.5.1 Critères d’inclusion
2.5.2 Critères d’exclusion
2.6 Préparation et diffusion des questionnaires
2.6.1 Consentement des parents
2.6.2 Prise de contact et envoi des questionnaires.
3. Les résultats
3.1 Taux d’acceptabilité des questionnaires
3.1.1 Par les orthophonistes
3.1.2 Par les parents d’enfants porteurs de troubles de l’oralité
3.2 Analyse des résultats du groupe des enfants
normo-mangeurs
3.2.1 Taux d’exclusion
3.2.2 Typologie des enfants concernés
3.2.3 Les items et réponses aux questions
DISCUSSION
1. Analyse des premiers résultats
1.1 Diffusion du questionnaire
1.1.1 Taux d’acceptabilité des orthophonistes
1.1.2 Taux d’acceptabilité des parents
1.2 Critères d’inclusion des enfants porteurs de troubles de
l’oralité
1.3 Analyse des premiers résultats chiffrés
1.3.1 Pertinence des trois questions de Toyama et Agras
1.3.2 Profil des enfants normo-mangeurs
1.3.3 Analyse des items
2. Quelques pistes d’analyses envisageables
3. Biais potentiels liés à la méthodologie utilisée.
3.1 La diffusion en ligne.
3.2 Le critère « appréciation du goût »
3.3 Biais concernant les résultats
3.3.1 La texture
3.3.2 Les mélanges de saveurs
3.3.3 Les origines culturelles
3.3.4 Le régime alimentaire / Comportement des parents
3.3.5 La néophobie
3.3.6 L’exposition répétée
3.3.7 L’aversion due à un autre critère
4. Pistes de recherches potentielles sur l’origine de ces
préférences
4.1 La stimulation du nerf trigéminal
4.2 La privation du développement sensoriel gustatif
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
ANNEXE I : Questionnaire à destination des enfants TO
ANNEXE II : Questionnaire à destination des enfants normo-mangeurs
RESUME

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