Les rapports entre pouvoir séculier et pouvoir religieux dans le monde arabe et musulman

Les rapports entre pouvoir séculier et pouvoir religieux dans le monde arabe et musulman

Réfutation et bras de fer

Peu de temps après la publication de l’ouvrage (deux mois), le comité d’al-Azhar passe à l’action, en saisissant les tribunaux, le chef d’accusation portant principalement sur sept points de divergences qui sont : 1-l’islam serait juste une croyance spirituelle et que sa charî’a ne comporterait pas des particularités de gouvernance ; 2-le Prophète aurait prêché la bonne parole uniquement dans le but de régner sur le trône ; 3-le système administratif du temps du Prophète serait désordonné et incompréhensible ; 4-le Prophète n’aurait pas de mission gouvernementale, mais juste le dévoilement du message divin ; 5-le comité des fidèles du Prophète n’aurait aucune légitimité à désigner un Chef d’état ; 6 – les instances juridiques n’auraient aucune obligation de prendre en compte et d’appliquer les directives de la charî’a ; 7 – enfin Abou Bakr et les autres grands Califes n’auraient pas mis en place un système étatique religieux.79 Une fois que les chefs d’accusation présentés à l’auteur, la défense de ce dernier eut été requise en deuxième instance au tribunal le 5 août, puis celle-ci fut entendue le 12 août 1925, lors d’une audience supplémentaire ; les différentes plaidoiries présentées durant l’interrogatoire furent couchées par écrit puis publiées. Par exemple lors de la parution d’Ali Abderraziq devant le comité d’al-Azhar, on ne lui accorda pas foi et sa défense fut souvent interrompue par de violentes remarques des jurisconsultes. Les réponses d’Ali Abderraziq sur les sept objections furent : « J’ai l’honneur de présenter ces propos en réponse aux sept objections formulées à l’encontre de l’ouvrage L’islam et les fondements du pouvoir, dans l’espoir de parvenir à une  entente avec les ‘ulama et l’ensemble des musulmans, sur ce qui fait éclater la vérité à propos d’une question que j’ai examinée. Je suis conscient du fait que je n’accomplis de la sorte qu’une partie du devoir qui incombe à chaque ‘alim en matière de recherche et de quête des vérités. La qualité de ‘alim en effet exige l’obligation de recherche et de quête continue des vérités ; l’effort déployé trouve toujours sa récompense, qu’il aboutisse ou non, et nous croyons pour notre part que le seul moyen de s’opposer à un travail scientifique, quel qu’il soit, consiste à en discuter, à en débattre dans le respect des bonnes mœurs, sachant que l’indulgence prônée par la religion et le respect des lois n’autorisent pas plus que ce droit. » 1- « Faire de la loi islamique (charî’a) une législation purement spirituelle n’ayant aucun rapport avec le pouvoir politique et la pratique des choses. » Nous ne croyons pas que la loi islamique soit purement spirituelle. Nous ne l’avons jamais affirmé, ni dans ce livre, ni ailleurs. Nous n’avons rien dit qui ressemble à cette opinion ou qui s’en approche. Nous avons réexaminé l’ouvrage sans y trouver le moindre passage qui permette un tel jugement ou justifie un tel reproche. Parcourant l’ouvrage du début jusqu’à la fin, nous remarquons que le terme « spirituel » n’y est évoqué que pour décrire le pouvoir et l’ascendance exercés par le Prophète sur son peuple, et non à propos de la loi islamique ou quoi que ce soit qui s’y rapporte, comme il apparaîtra de notre réponse à la quatrième objection. Reste le deuxième volet de la question, à savoir que la loi islamique n’aurait aucun rapport avec le pouvoir du Prophète ou avec la pratique des affaires temporelles. A ce propos, nous avons affirmé que le Prophète a introduit des règles, une moralité et des principes généraux, dont certains « organisation dans le détail de la plupart des aspects de la vie de nations, puisqu’elles comportent un régime pénal, des réglementations pour des activités aussi diverses que l’organisation militaire, la guerre sainte, le commerce, le crédit l’hypothèque , les règles de bienséance relatives à différentes situations telles que la manière de s’asseoir, de marcher ou de parler, etc. » Nous n’avons avancé ensuite que « tous les articles de foi et règles de comportement introduits par la religion islamique, y compris les règles de moralité publique et le système de sanctions, forment en réalité une législation d’ordre purement religieux, tournée vers Dieu et vers la recherche du salut dans l’au-delà, que cette finalité 46 religieuse soit ou non apparente, qu’il en résulte ou non un intérêt au niveau de la vie terrestre, qu’il s’agisse là de considérations qui ne sont pas prises en compte par la législation religieuse ou le messager de Dieu. » En quoi nous avons déclaré explicitement que la loi islamique ne s’arrête pas à une limite donnée, et que nous étions convaincus pour notre part que cette législation a été révélée par Dieu dans le seul but d’assurer le salut de l’humanité, et non pour en préserver l’intérêt et objectifs temporels. C’est pour cela que nous avons affirmé que la direction des affaires temporelles est bien « un objectif qui relève de la vie terrestre, à propos duquel le Prophète a refusé de se donner un droit de décision ou d’intervention, déclarant : vous êtes mieux instruits que moi de vos affaires temporelles, c’est donc bien un objectif temporel : nous savons par ailleurs que cette vie toute entière, ainsi que toutes les fins et tous les enjeux qu’elle peut présenter, ne mérite pas aux yeux du Très-Haut une intervention particulière pour son gouvernement en dehors de la raison, des sentiments, des connaissances et des désirs attribués aux hommes. Elle n’atteint pas le rang des questions dont se préoccupent et auxquelles se consacrent les envoyés de Dieu. » Il n’y a dans tout cela rien de plus qu’une reformulation de ce que dit le hadith « Si la vie terrestre avait pour Dieu la valeur d’une aile de moustique, il n’aurait pas permis à l’incroyant d’en jouir, même dans les limites d’une gorgée d’eau », ainsi que d’autres hadiths abondent dans le même sens. Dire que Dieu a laissé le soin à notre raison de régler les questions relevant de la vie temporelle et qu’il nous a accordé la liberté d’en décider, est indiqué dans la lettre par le hadith : « Vous êtes mieux instruits de vos affaires temporelles ». Si ces deux propositions diffèrent par les termes employés, leur sens et leur contenu sont absolument identiques. La doctrine et les indications qu’impliquent l’une et l’autre sont les mêmes, et c’est dans ce sens que doivent être compris tous les passages du Livre où reviennent les expressions de ce genre. 

Comprendre l’affaire Ali Abderraziq

Dans quelle perspective peut-on comprendre l’affaire de notre auteur ? Lorsque l’institution califale est abolie par les Kémalistes, au terme de la loi du 3 mars 1924, la question califale quitte le seul terrain de la réflexion théorique pour devenir une question de politique régionale83. Cette abolition marque le passage d’une unité à des États nationaux et un enjeu de rivalités de puissance régionale opposant le Hedjaz à l’Égypte. Durant la première guerre mondiale, un certain chérif Hussien de la Mecque mènera une révolte contre Istanbul ayant comme allié des Britanniques, il justifie son attaque contre un pays musulman et avec l’aide des étrangers et des impie (les Britanniques) par des termes islamiques du droit à la rébellion contre les idées laïques des jeunes-turcs , il prendra en 1916 contre la volante britannique le titre de « roi des Arabes » et non califat. L’appel du Jihad lancé par Istanbul justifie l’aide de l’Angleterre à ce contre califat mecquois et qui va assurer la liberté de pèlerinage pour les sujets indiens de sa majesté. Par son appartenance à une tribu puissante celle de Quraish et protecteur de lieux saints, il avait tout pour prétendre au titre de califat selon les Britanniques. Et pourtant il va refuser l’offre britannique de ce titre pour plusieurs raisons : la faiblesse militaire, l’absence de souveraineté de l’émirat de Hedjaz et la difficulté d’une unanimité des oulémas. Ajouté à cela il n’avait pas foi en une reconstitution d’un califat universel mais plus tard sous la pression de son fils Abdalah émir de Transjordanie et certains notables religieux du croissant fertile qui lui font allégeance. Les membres du Conseil musulman de Jérusalem en échange d’une protection sur la région lui ont accordé le titre de calife. Mais cette proclamation n’était pas de gout de tous, c’est ainsi que la famille de l’émir algérien l’émir Abdel Qader contre cette proclamation fonda à Damas une Association du califat qui soutient l’idée égyptienne de se réunir au Caire pour négocier les termes de la restauration du califat. Rachid Rida fut aussi l’un des imposants à cette nomination de Hussein, une nomination qui va le mettre au centre d’une hostilité de la communauté musulmane surtout celle non Arabe qui ne tient pas compte de son appartenance tribale (Quraish) et qui considère son alliance avec les Britanniques comme une trahison. Le chérif de la Mecque va s’allier avec ses ennemis de la région et avec l’aide cachée des Britanniques pour conquérir le Hedjaz mais c’est cette conquête qui va l’opposer de front avec l’Égypte et ses ambitions de conquête. Un incident diplomatique (religieux) en 1924 va déclencher clairement la rivalité entre l’émir Hussein et le Roi Fouad à la position d’Égypte, lorsque l’émir refuse le drap brodé destiné à couvrir la Kaaba que l’Égypte offre annuellement, les médiations qui ont eu lieu après n’ont rien donné. La prétention de l’Égypte au califat avait plus d’impact, par sa position centrale dans le monde arabe, son indépendance, son statut économique font d’elle le candidat idéal ajouté à cela la présence d’une grande institution religieuse « al-Azhar ». Cependant sa candidature n’était pas vraiment claire du fait que c’était juste un choix de l’Égypte comme siège d’un congrès qui a comme mission l’élection d’un nouveau calife. En mars 1925 le « grand corps des oulémas d’Égypte » affirme qu’il est urgent « de réunir un Congrès religieux musulman auquel seront invités des représentants de tous les pays islamiques pour désigner le nouveau calife » et que ce Congrès aura lieu au Caire, un choix dû à la positon de l’Égypte parmi les peuples musulmans. Le roi Fouad va profiter de l’organisation de ce congrès par les oulémas pour montrer clairement son ambition au titre de califat mais les partis nationalistes tels que Wafd et les libéraux constitutionnels vont s’opposer à un califat égyptien, car pour eux, bien que ce soit une position prestigieuse pour le pays, néanmoins cela va être la porte ouverte à l’ingérence extérieure dans les affaires de l’Égypte, une idée impensable pour les nationalistes égyptiens. S’ajoute à cela la peur d’un renforcement de l’autorité royale, chose qui déstabilisera l’équilibre entre le palais, le gouvernement et la Grande-Bretagne. 56 C’est dans ce tableau qu’on peut comprendre l’affaire de notre auteur, un qadi qui affirme que le califat est une invention humaine de domination et que par conséquent il faut séparer la mission Prophétique et le rôle du Prophète comme chef d’État et pour conclure il invite les musulmans à choisir leur système politique. Si pour certains contemporains cet ouvrage est une attaque à l’ambition de roi Fouad du fait que l’auteur a choisi de publier son ouvrage au même moment de l’annonce du roi de sa candidature au poste de califat, s’ajoute le contenu de l’ouvrage et la proximité de l’auteur avec les libéraux-constitutionnels. C’est sur cette vison que la réaction des autorités va avoir lieu, une réaction qui confirme que l’autorité a perçu l’ouvrage comme une attaque directe à ses propres intérêts. L’affaire Abderraziq a permis au souverain un rapprochement des religieux et de battre ses adversaires politiques. Mais ce n’était pas pour autant une vraie victoire du fait que l’opposition nationale n’adhère pas à l’idée d’un califat en plus des deux raisons citées avant, l’idée de remise en question de la monarchie constitutionnelle déjà affaiblie et ajouter le califat ce n’était pas envisageable. C’est ainsi que l’opposition entre constitution et califat va apparaitre, dans une lettre ouverte Mahmud ‘Azmi attire l’attention du chef du gouvernement Saad Zaghlûl sur la question de l’autorité constitutionnel et du califat. C’est ainsi que le Congrès de 1926 organisé par les oulémas invoquait l’idée qu’ils veulent donner au califat une base conforme à l’islam et au régime dont les musulmans ont voulu vivre. C’est-à-dire penser le califat dans son nouveau cadre historique et politique. Ses tentatives de reconstruction du califat vont échouer et vont marquer la fin d’une structure d’empire à celle des États nationaux.  

Table des matières

Style de transcription adoptée
VOYELLES
REMERCIEMENTS
Introduction
Les étapes de la recherche
Ali Abderraziq : itinéraire d’un réformiste d’al-Azhar
Première partie
Chapitre I : Le contexte de L’islam et les fondements du pouvoir
1-Le contexte historique-politique de l’islam et les fondements du pouvoir
2-L’effervescence culturelle et les idées des Lumières (du monde arabo-musulman)
3-Le monde arabe en état de choc (l’affaire Ali Abderraziq)
4-L’affaire Ali Abderraziq
Chapitre II : Les thèses d’Ali Abderraziq dans « L’islam et les fondements du pouvoir »
1-Première acte : le califat et l’islam
2-Deuxième acte : Histoire et l’histoire théologique, islam et gouvernement
3- Le troisième acte de la démonstration : califat et gouvernement à travers l’histoire
Chapitre III Le combat d’Ali Abderraziq contre le califat, une dynamique des penseurs arabomusulmans qui échappent à une logique religieuse (Ali Abderraziq et le projet de remise en cause de la conscience islamique)
1- La modernité du discours et la démarche citoyenne
2 – Ali Abderraziq ou une nouvelle vision du débat islam et politique, des clés pour un nouveau monde
3-la laïcité pour le monde arabo-musulman
4-L’islam comme objet d’étude
Conclusion
Deuxième partie
Introduction
Chapitre I L’autorité religieuse et politique en terre d’islam
1-L’autorité religieuse
2-Tentative de définition du pouvoir politique en terre d’islam, Comment « l’islam » définit le pouvoir politique ? La notion du politique en islam existe-t-elle ?
3-Les théologiens et le pouvoir politique
Chapitre II les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux
Introduction
1-La période prophétique : la genèse du pouvoir politique et pouvoir religieux ?
2-La politique de Dieu
3-La religion au service du politique les dynasties
4-Les rapports de force
5-Pouvoir politique et pouvoir religieux au temps de l’empire ottoman
Chapitre III : du califat comme modèle figé et la pensée politique «islamique »
1-Comment un système a-t-il fonctionné durant plus de treize siècles ?
2 – Naissance et évolution
3-La religion et la force les deux facteurs d’une domination dans le temps
4-La pensée philosophique du politique en terre d’islam (le philosophe, le savant et le politique)
5- La phobie du politique occidental
Conclusion
Troisième partie
Introduction
Chapitre I Les Frères musulmans à l’antipode d’Ali Abderraziq
1-Les frères musulmans : une réanimation de l’islam politique
2-La problématique de l’utopie et de la sortie du « réveil de l’islam »
Chapitre II Quel modernité pour le monde arabo musulman
1- Après les révolutions (printemps arabe), la démocratie (laïcité) ?
1-1 La particularité des soulèvements arabes
2- Une modernité pour le peuple arabo-musulman (Quels horizons ouvre-t-elle aux musulmans d’aujourd’hui ? )
3 L’islam face à la séparation du politique et du religieux, démocratie ou laïcité
4 -Du retour du califat et de l’avenir des courants islamistes. Quelle lecture ?
5-Une séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux, mais comment ?
Conclusion
Conclusion générale
– BIBLIOGRAPHIE
LES ANNEXES CRITIQUES DE l’ISLAM ET LES FONDEMENTS DU POUVOIR

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