Les signatures du leadership (États fragiles gouvernance et finance soutenable)

À quoi sert l’aide publique au développement ? Objectifs des principaux bailleurs et implications pour la France

OBJECTIF, MÉTHODE ET PRINCIPAUX RÉSULTATS

En servant des ambitions aussi diverses que contenir l’expansion communiste, éradiquer l’absolue pauvreté ou décarboner la production d’électricité, l’aide publique au développement (APD) a été mise à contribution depuis l’après Seconde Guerre mondiale pour des finalités dont le nombre et la variété soulèvent, de manière récurrente, la question de sa véritable utilité. À quoi sert donc l’aide au développement dans le monde de Daesh, des Panama Papers et des 17 Objectifs du développement durable (ODD) ? L’objectif de cet article est d’apporter des réponses à cette question, en nous plaçant dans la perspective des pourvoyeurs d’APD qui, sous une forme analogue se la posent, afin de justifier celle-ci. Nous n’adoptons pas le point de vue des bénéficiaires, faute de données d’enquête disponibles sur les effets (perçus) de l’aide dans les populations des pays récipiendaires1. Nous nous concentrons sur les textes officiels des principaux bailleurs européens – Royaume-Uni (RU), France (Fr), Allemagne (All) – ainsi que sur ceux de la Chine et de la Fondation Bill et Melinda Gates (BMG), dont les subventions sont comptabilisées par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE depuis 2011. À la lecture de ces textes, nous avons répertorié et classé les raisons d’être de l’APD (l’encadré 1 précise ce que le terme « aide » recouvre dans ce texte). Nous sommes parvenus ainsi à faire émerger cinq grands récits. Dans une seconde partie, nous avons confronté, dans le cas de l’APD française, les discours aux faits, en comparant l’allocation hypothétique de l’aide française telle qu’on peut la déduire des discours la justifiant avec son allocation réelle. Enfin, nous avons tenté d’identifier en guise de conclusion les fragilités et les conditions de succès de l’APD à l’horizon 2030. Ressortent de notre recherche les points saillants suivants : 1. Notre lecture des récits nationaux montre que le consensus d’Addis Abeba sur les modalités de financement du développement (encadré 2) et celui sur les finalités exprimé par les ODD masque des différences profondes entre bailleurs dans la justification de leur APD. Tant dans la manière de justifier l’aide que dans l’exposé de ses motifs, les différences sont plus frappantes et explicites qu’envisagé initialement. 2. Si des convergences dans les finalités et les modalités s’observent – gestion des conflits, réduction de la pauvreté, financement des biens publics mondiaux –, aucune ne rassemble les 4 bailleurs sous une même bannière qui projetterait son ombre sur toutes les autres. 3. Hormis dans le cas de la fondation BMG (et en partie du Royaume Uni), les conditions de succès de l’APD sont extérieures au monde de l’aide. L’aide voit son destin à l’horizon 2030 lié au succès de politiques ou d’initiatives qui ne sont pas classées dans la catégorie APD telle qu’on la connait aujourd’hui. Sans être nouvelle, cette dépendance est amplifiée par le programme de développement durable à l’horizon 2030 (« Agenda 2030 ») et une fragilité dans les récits contemporains de l’APD. 4. Ces discours contiennent quelques angles morts qu’il serait bon d’éclairer. Ainsi du rôle exact des financements (APD et hors APD) dans l’atteinte des buts recherchés, de la soutenabilité de ces financements s’ils devaient être souscrits sous forme de dette, et du partage des responsabilités public/privé dans la gestion du risque, en particulier. Ces angles morts constituent un deuxième facteur de fragilité des discours justifiant l’APD. 5. L’Agenda 2030 tel qu’il se discute aujourd’hui est un agenda d’offre de financement. Cette prépondérance de discours sur l’offre découle de l’équation comptable des besoins mirifiques de financement de l’agenda – ces milliers de milliards à trouver absolument –, dont les termes remontent aux premiers travaux du Comité international d’experts sur le financement du développement durable. Indispensables pour fixer les ordres de grandeurs, les estimations des besoins agrégés ont cet inconvénient d’occulter pour l’instant l’émergence de préférences nationales et de récits au Sud sur le sujet. C’est un troisième facteur de fragilité des discours sur l’APD.

PREMIER RÉCIT : NÉE DE LA GUERRE, L’APD NE DISPARAÎTRA QU’AVEC LA PAIX (ROYAUME-UNI)

L’affirmation du selfinterest britannique

Championne de la cause internationale que constitue l’éradication de l’extrême pauvreté, avec derrière elle la notoriété que lui a conféré l’initiative « Make Poverty History » portée au plus haut niveau de l’État, le Royaume-Uni a substantiellement révisé ses priorités en 2015, en pleine « crise des migrants » selon l’expression que la presse lui a donné. À cette même date, la séquence des OMD s’achève : “This strategy outlines our new approach to aid spending that we believe will command public confidence. The world is changing, and our strategy on aid needs to change with it.” HM Treasury and DFID, 2015, p.3). Si l’éradication de l’extrême pauvreté reste une des signatures de la politique de développement britannique, l’attention est portée sur les questions d’instabilité, d’insécurité et de conflits (encadré 3).
Encadré 3. Les quatre objectifs stratégiques de l’APD britannique › Strengthening global peace, security and governance: the government will invest more to tackle the causes of instability, insecurity and conflict, and to tackle crime and corruption. This is fundamental to poverty reduction overseas, and will also strengthen our own national security at home. › Strengthening resilience and response to crises: this includes more support for ongoing crises including that in Syria and other countries in the Middle East and North Africa region, more science and technology spent on global public health risks such as antimicrobial resistance, and support for efforts to mitigate and adapt to climate change. › Promoting global prosperity: the government will use Official Development Assistance (ODA) to promote economic development and prosperity in the developing world. This will contribute to the reduction of poverty and also strengthen UK trade and investment opportunities around the world. › Tackling extreme poverty and helping the world’s most vulnerable: the government will strive to eliminate extreme poverty by 2030, and support the world’s poorest

Les signatures du leadership: États fragiles, gouvernance et finance soutenable

Un document particulièrement utile pour identifier la « signature » britannique en matière de moyens mobilisés et de priorités, au-delà des discours sur les objectifs que nous venons de restituer, réside dans la consultation menée par le Parlement britannique au sein du Comité international pour le développement10. Sauf mention contraire, les citations qui suivent sont extraites de ce rapport. Le Parlement britannique isole trois domaines d’excellence du Royaume-Uni qui tous ressortissent aux moyens de mise en œuvre de l’agenda 2030. Par ordre d’apparition – dans le corps du rapport, et non dans le résumé exécutif qui modifie l’ordre et privilégie la lutte contre la corruption avant l’APD –, nous trouvons « le rôle vital » joué par l’APD, la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, et la « maximisation des marchés de capitaux » et, singulièrement, de la place financière de Londres. Dans une moindre mesure, le soutien à l’investissement privé par le truchement de la Commonwealth Development Corporation – recapitalisée en 2015 – et du Fonds de prospérité (Prosperity Fund) s’ajoute aux « signatures 2030 » du Royaume-Uni par lequel celui-ci justifie son APD. Indispensable APD, en premier lieu, et indispensable Royaume-Uni pour soutenir et accroître, par son influence, l’engagement des autres bailleurs: “Although ODA is just part of the solution to raising development finance for the SDGs, it still plays a vital role, particularly for the poorest countries. According to the OECD, “ODA remains the biggest financial flow in fragile states”. (…) As a respected leader in the donor community, the UK Government should
9. Sur les origines sécuritaires de l’aide, lire par exemple Carbonnier (2010), Brainard (2006), et Charnoz et Severino (2007) toujours d’actualité. 10. House of Commons, International Development Committee (2016). UK implementation of the Sustainable Development Goals. First Report of Session 2016-17.
continue to use its influence to persuade other countries to fulfil—and where possible strengthen—their ODA commitments as outlined in the Addis Ababa Action Agenda and SDG target 17.2” (nous soulignons).
L’APD est une signature du Royaume-Uni, quand bien même l’Agenda 2030, selon le propos même du gouvernement britannique que nous avons rapporté dans la section précédente, va « au-delà de l’aide ».

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