L’imageur AIA : propriétés des solutions générales isothermes et Gaussiennes 

L’imageur AIA : propriétés des solutions générales isothermes et Gaussiennes 

Dans le chapitre 3, les propriétés statistiques des solutions isothermes (la DEM est alors réduite à un pic de Dirac) et Gaussiennes ont été examinées, dans le cas de mesures réalisées avec l’imageur AIA. Les formes de DEMs Gaussiennes sont très générales, et permettent de modéliser efficacement un grand nombre de conditions physiques différentes, depuis un plasma isotherme jusqu’aux plasma très multithermes. La température Tc donne une indication de la température : certes il n’y a aucune raison physique justifiant l’emploi de formes Gaussiennes, l’application de la technique de caractérisation à ce modèle général permet tout de même d’étudier les propriétés et limites fondamentales du processus d’inversion. Le comportement des solutions isothermes a été étudié, dans l’objectif de caractériser l’amélioration apportée par la mise en service de l’imageur AIA et ses 6 bandes coronales. En effet, si les spectromètres sont par nature mieux adaptés au diagnostic de la DEM, les imageurs ont l’avantage d’offrir un meilleur rapport signal sur bruit et un champ de vue plus important ; ils ont donc été rapidement utilisés pour mesurer la DEM. Cependant, les imageurs précédents ne disposaient au maximum que de trois bandes coronales, n’apportant pas suffisamment de contraintes permettant d’estimer correctement la DEM (Testa et al. 2002). A l’aide de la technique de caractérisation développée, on a montré que l’imageur AIA augmente considérablement la robustesse du problème d’inversion. Une légère corrélation entre les 6 bandes a également été détectée. En comparant les simulations réalisées pour les trois bandes coronales 171, 193 et 211 Å avec celles obtenues pour le cas à six bandes, on constate que la majorité des solutions secondaires disparaissent : les six bandes d’AIA permettent donc une détermination non ambiguë de la température des plasmas isothermes. La résolution en température dépend largement de l’amplitude des différentes sources d’erreurs ; pour le niveau d’incertitudes utilisé dans ce travail (35 %), cette résolution varie entre 0.03 et 0.11 logTc. Cependant, seules des conditions optimales de mesures permettent d’obtenir une telle qualité d’inversion ; si le nombre de bandes dans lequel le signal est significatif est faible, comme dans les trous coronaux ou dans le soleil calme par exemple, la qualité de l’inversion se dégrade rapidement, donnant naissance à des solutions multiples dont les probabilités peuvent parfois être supérieures aux solutions initiales. Les propriétés des solutions isothermes en réponse à un plasma multitherme ont également été étudiées. En effet, plusieurs études ont suggéré la présence de plasma isotherme dans la couronne calme (e.g. Feldman et al. 1998). Si ces résultats viennent à être confirmés, leur impact sur les modèles pourrait être important. Le test d’isothermalité basé sur les courbes loci est souvent utilisé lors de l’analyse de données ; cependant il existe une ambiguïté fondamentale entre multithermalité et présence d’incertitudes : les erreurs de mesures peuvent être interprétées comme une déviation de l’hypothèse isotherme et vice-versa. L’application de la technique de caractérisation a ,permis de mesurer cette ambiguité, en étudiant dans quelle mesure erreurs et multihermalité sont équivalentes, i.e. on le même impact sur les courbes loci, et à partir de quelles conditions peut-on rejeter l’hypothèse isotherme. Les résultats présentés dans la section 3.3.1 montrent que toute une variété de plasmas multithermes est finalement compatible avec une solution isotherme donné. Ces solutions isothermes deviennent peu à peu décorrélées des propriétés du plasma observé ; dans le cas extrême où le plasma observé est à degré de multithermalité très élevé, les solutions isothermes sont biaisées vers deux solutions uniques. Un test d’isothermalité, basé sur l’analyse des distributions des χ 2 permet de mesurer la pertinence du modèle isotherme utilisé. Ainsi, au delà d’une valeur critique de χ 2 , le modèle multitherme devient plus probable ; cette procédure permet finalement une quantification rigoureuse du test classique basé sur l’analyse des courbes loci, et est une généralisation du travail proposé par Landi & Klimchuk (2010). L’analyse des solutions multithermes Gaussiennes a montré que l’instrument AIA est capable de reconstruire des DEMs de formes simples. Cependant, la précision associée à la reconstruction diminue très fortement avec le degré de multithermalité du plasma observé. Ce phénomène est indépendant de l’instrument utilisé, puisqu’il est un effet combiné du lissage du critère et des intensités. Par contre, on observe alors un biais des solutions qui, lui, est propre à l’instrument AIA : les solutions Gaussiennes sont alors biaisées vers des solutions proches de l’isothermalité (de largeur thermique σ P = 0.12logTe), et centrées sur la température Tc = 1 MK. Ainsi, un plasma très multitherme a une probabilité plus forte d’être détecté comme étant un plasma proche de l’isothermalité à 1 MK. De plus, en étudiant le comportement des solutions Gaussiennes en réponse à un plasma multitherme mais dont la DEM suit une fonction porte, l’analyse des χ 2 a révélé qu’il est quasiment impossible de discriminer plusieurs modèles de DEMs multithermes. Toutes les propriétés mises en évidence dans ce travail peuvent avoir des implications physiques très importantes. L’analyse de la distribution des χ 2 seule ne permet pas de s’assurer de la pertinence du modèle utilisé. On a par exemple montré qu’un plasma très multitherme peut être détecté comme un plasma isotherme, tandis que la distribution des résidus confirme la cohérence du modèle. Il faut alors utiliser les cartes de probabilité a posteriori pour détecter les solutions secondaires qui sont également cohérentes avec les données. A l’heure où la structure thermique des boucles coronales est encore mal connue, ces résultats pointent les limites de l’utilisation de cet outil de diagnostic. Les différents modèles de chauffage prédisent des structures thermiques distinctes, qu’il convient de mesurer correctement si on veut être capable de discriminer entre plusieurs scénarios. Si les mesures sont biaisées, on peut alors rejeter à tort un modèle plutôt qu’un autre. 

Le spectromètre EIS : analyse des DEMs caractéristiques des boucles coronales

La technique de caractérisation a ensuite été appliquée au spectromètre EIS, mais dans le cas d’un modèle de DEM plus réaliste, définie par une loi de puissance. En effet, par des arguments à la fois théoriques et observationnels, on peut montrer que la DEM des régions actives correspond à ce type de description. Récemment, plusieurs auteurs se sont intéressés à la mesure de l’indice de cette loi de puissance, susceptible d’apporter des informations concernant l’échelle temporelle des événements de chauffage coronal. La pente de la DEM donne une indication du rapport de matière chaude/froide ; la quantité de matière froide est quant à elle directement reliée au temps de refroidissement ; et le temps de refroidissement est directement lié à la fréquence des événements de chauffage. Déterminer précisément cette pente permettrait de discriminer entre les mécanismes de chauffage impulsifs ou continus ; mais les observations actuelles suggèrent que certaines régions actives sont cohérentes avec des mécanismes à basse fréquence tandis que d’autres avancent le contraire. C’est pourquoi il est crucial de comprendre et de mesurer les incertitudes associées à la mesure de cette pente. En utilisant notre technique de caractérisation, la capacité du spectromètre EIS à mesurer cette pente a donc été étudiée. Puisqu’on utilise un spectromètre, chacune des raies peut être isolée indépendamment ; on a donc pu simuler les incertitudes associées aux processus de physique atomiques de manière plus précise que pour l’imageur AIA, en incluant plusieurs sources distinctes d’incertitudes. A partir des distributions de probabilités a posteriori, on a calculé rigoureusement les intervalles de confiance associés à la mesure de ce paramètre. Les simulations réalisées montrent que dans la plupart des cas, un large intervalle de solutions est cohérent avec un ensemble d’observations donné. La présence des incertitudes dégrade la qualité de la reconstruction, conduisant à des intervalles de confiance de l’ordre de 0.9-1.0. La robustesse de l’inversion est fortement dépendante du nombres de raies disponibles pour contraindre la pente, mais aussi de la taille de l’intervalle de température sur lequel les données sont disponibles. Dans les cas les plus extrêmes, où on n’a que peu de raies disponibles, l’intervalle de confiance augmente jusqu’à 1.3. En outre, on a également montré que la partie à haute température de la DEM est très mal contrainte, conduisant à des intervalles de confiance très importants rendant l’exploitation des résultats quasiment impossible. Ces résultats sont ensuite directement applicables pour évaluer la cohérence entre les prédictions d’un modèle et les mesures de DEMs. Récemment, Bradshaw et al. (2012) ont publié une étude théorique portant sur les mécanismes de chauffage impulsifs. Dans leur scénario, la couronne est chauffée par un mécanisme de nanoflares à basses fréquence ; le modèle prédit des pentes comprises entre 0.8 et 2.56. En comparant ensuite leurs résultats aux mesures de pentes disponibles dans la littérature, ils concluent d’abord que 36% des mesures actuelles sont cohérentes avec leur scénario de chauffage. Cependant, en tenant compte des incertitudes calculées dans cette  thèse, et estimées autour de ∆α = ±1, le taux de pentes mesurées cohérentes avec leur modèle varie maintenant entre 0 et 77%. Étant donné le niveau d’incertitude actuel associé à la mesure de la pente, les auteurs concluent finalement qu’on ne peut pas utiliser le diagnostic de la pente comme mesure fiable de la fréquence des événements de chauffage coronal. Reep et al. (2013) ont également utilisé les intervalles de confiance déduits par notre technique pour calculer le degré de cohérence existant entre leurs simulations et les mesures actuelles : avec des pentes prédites entre 0.88 et 4.56, même en tenant compte de l’incertitude associée aux mesures, les auteurs déduisent que leur scénario de « nanoflare train » est cohérent avec 86 à 100% des mesures. Cependant, dans ce cas, c’est le modèle lui même qui n’apporte pas assez de contraintes permettant de diagnostiquer la fréquence de chauffage ; le modèle proposé permet d’expliquer quasiment toutes les observations, mais qui peuvent également être cohérentes avec beaucoup d’autres mécanismes. Deux jeux d’incertitudes ont été utilisés au cours de ce travail, le premier correspondant plutôt à une limite haute des erreurs associées aux processus de physique atomique, tandis que le deuxième est plutôt une limite basse, typiquement adopté dans la littérature. Cependant, que l’on adopte une vision optimiste ou pessimiste ne change que peu les valeurs des intervalles de confiance. Quel que soit le jeu d’incertitude utilisé, les erreurs sur la mesure de la pente de la DEM restent de toute manière trop élevées pour permettre de placer des contraintes fortes sur la fréquence des événements de chauffage coronal. 

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