L’internationalisation de la R&D

Littérature

En 1991, Patel & Pavitt intitulaient l’un de leurs articles « Large Firms in the Production of the World’s Technology : an Important Case of  »Non-Globalisation »» dans lequel ils remettaient en question l’importance du phénomène d’internationalisation de la R&D des firmes multinationales. Sur la base d’un échantillon de 600 firmes, il apparaissait en effet qu’à la fin des années 1980, 60% d’entre elles n’avaient aucune activité de R&D en dehors de leur pays d’origine (Patel, 1995). Quinze ans plus tard, seulement 15%5 des firmes étaient encore dans ce cas de figure (Thursby & Thursby, 2006). La tendance vers une internationalisation de la R&D devrait encore s’accentuer puisque 69% des firmes interrogées par la CNUCED en 2005 planifiaient d’intensifier leurs investissements de R&D à l’étranger, notamment en direction de certains pays émergents (CNUCED, WIR 2005). Toujours selon la même étude, la Chine, suivie de près par l’Inde, est pour 60% des personnes interrogées la localisation la plus attractive pour les futurs investissements en R&D, détrônant ainsi les États-Unis et les pays de la Triade, qui jouaient en cercle fermé jusqu’à il y a peu. Ces pays, qui pourraient devenir le nouveau centre de gravité de la carte mondiale des investissements de R&D étrangers, commencent aujourd’hui à intéresser la littérature académique qui jusqu’ici avait principalement construit ses raisonnements sur des données et des observations liées à des investissements de et vers les pays développés (Asakawa & Som, 2008).

L’internationalisation de la R&D est un phénomène auquel les firmes se plient plus « par résignation que par plaisir » (de Meyer & Mizushima, 1989). La nécessité d’acquérir des compétences nouvelles ou de développer des produits répondant aux spécificités de chaque marché sont les principales raisons qui les conduisent à implanter des centres de R&D loin de leur siège (Kuemmerle, 1997, Florida, 1997). Cette multiplication, cette variété et cette dispersion des centres de R&D remettent en question l’équilibre d’une structure organisationnelle de la R&D traditionnellement construite autour d’un centre de R&D unique, omnipotent et peu ouvert sur son environnement extérieur. Trouver une façon de gérer cette nouvelle forme de R&D est alors devenue une question clé pour les firmes multinationales. Comme le souligne Chiesa, « a firm’s innovative potential lies in its ability to capitalize the resources of its various subsidiaries, to integrate the assets and capabilities of its different units […] » (Chiesa, 1996, p.10). Les firmes ont donc dû acquérir une vision plus globale de leur activité de R&D et construire des structures organisationnelles mieux adaptées. Ce défi n’est pas nouveau, mais il est d’autant plus important aujourd’hui que les firmes souhaitent de plus en plus pouvoir tirer profit de leur environnement extérieur. Trouver un niveau de contrôle des centres satisfaisant pour leur permettre de développer leur créativité sans pour autant qu’ils prennent une trop grande indépendance est aujourd’hui l’un des nombreux dilemmes auxquels les firmes internationalisées doivent faire face et pour lesquels elles doivent accepter qu’il n’existe pas une solution unique et parfaite (von Zedtwitz et al., 2004).

Dans ce chapitre, nous reviendrons dans un premier temps sur l’internationalisation de la R&D, c’est- à-dire sur la dispersion des centres de R&D à l’étranger (Daly, 1999). Nous nous concentrerons sur la cartographie géographique de l’internationalisation de la R&D puis sur les raisons de ce phénomène en nous appuyant sur la littérature sur l’évolution du processus d’innovation. Nous nous intéresserons enfin à la question de la globalisation de la R&D, c’est à dire au management des centres de R&D dispersés. Comme le soulignent Meyer-Krahmer & Reger (1999), la question de l’internationalisation de la R&D fait référence à plusieurs activités : l’exploitation internationale de technologies produites au niveau national (via les exportations, les licences, les brevets), les collaborations technico-scientifiques internationales entre partenaires venant de plus d’un pays et enfin la génération internationale d’innovations, menée principalement par les entreprises multinationales via l’acquisition de centres de R&D étrangers ou l’implantation de nouvelles unités de R&D dans un pays étranger. C’est ce dernier type d’investissements de R&D à l’étranger qui nous intéresse ici. siècle. En 1928, l’entreprise américaine Kodak, qui disposait déjà d’un centre de R&D à Rochester (New York, États-Unis) ouvrait deux centres de R&D à l’étranger : l’un à Harrow, au Royaume-Uni et l’autre à Vincennes, en France. En 1938, quinze entreprises étrangères avaient des activités de R&D au Royaume-Uni qui représentaient 4,2% des dépenses de R&D du pays (Horrocks, 2007). Ronstadt (1978) constatait également qu’entre 1931 et 1974, les sept entreprises américaines de son étude avaient déjà 55 unités de R&D à l’étranger (42 créées et 13 acquises).

 

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