Médecine régénératrice du disque intervertébral

Médecine régénératrice du disque intervertébral

Rôle et biomécanique du disque intervertébral chez l’Homme

Souvent comparé à un amortisseur, le DIV intervient dans 2 des grands rôles de la colonne vertébrale. En condition statique, il participe à la redistribution des charges appliquées. En condition dynamique, il participe aux mouvements du rachis. A. Relation structure – fonction : état d’hydratation du noyau pulpeux et pression intra-discale Le NP, grâce à sa nature très hydratée, est un tissu incompressible mais déformable et supporte 75% des contraintes du DIV en compression. Ainsi la composition du NP permet de convertir une contrainte mécanique extérieure en une contrainte hydrostatique intradiscale. La quantité d’eau au sein du NP et la pression intra-discale n’est pas constante et dépend de la pression externe appliquée sur le DIV (Fig. 9) [6,59,60]. En position allongée, la pression intra-discale est faible et le DIV absorbe alors de l’eau et des substances nutritives. En position debout, la pression intra-discale augmente, le DIV perd de l’eau jusqu’à obtention d’un équilibre osmotique et hydrostatique. Sous compression prolongée (position debout avec charge supplémentaire), le NP peut perdre jusqu’à 20% d’eau, mais lorsque la charge est diminuée, le DIV réabsorbe de l’eau pour atteindre un nouvel équilibre osmotique et hydrostatique [36]. Cela explique pourquoi nous sommes plus grand de 1 à 2 centimètres le matin au réveil. C’est en position debout, avec flexion et port de charge que la pression intradiscale est la plus importante (Fig. 9). 34 Fig. 9 Variation de la pression intra-discale selon la position chez l’homme (d’après Olmarker et al. et Wilke et al. [58,59]) Au regard de ces échanges d’eau, le DIV présente des propriétés visco-élastiques importantes qui varient selon la composition de la matrice extra-cellulaire [6,61,62]. En position debout, la pression intra-discale chez un individu sain de 45 ans a été mesurée par Wilke et al. à 0,50 MPa [59]. La pression intradiscale a été appréciée chez certains animaux en charge sur leurs quatre membres : chez le lapin, elle est estimée entre 0,25 et 0,45 MPa [63] chez la brebis, elle est plus élevée, à environ 1,6 MPa [64]. B. Rôle du DIV en condition statique : absorption des chocs et redistribution des charges appliquées La colonne vertébrale peut supporter d’importantes charges. L’organisation des travées osseuses des vertèbres permet de répartir les contraintes entre les articulations zygapophysaires et les DIV. En position neutre, le DIV est soumis à une force de compression axiale. La présence de courbures rachidiennes permettrait de multiplier par 10 la résistance du DIV à la compression [8]. Cette compression est principalement absorbée par le NP et l’AF interne qui transmettent les forces à l’AF externe sous forme de contraintes radiales et tangentielles. L’AF externe se trouve alors en tension (Fig. 10). 35 Fig. 10 Répartition des contraintes au sein du disque intervertébral. Flèches bleues : forces de compression axiales, flèches marrons : répartition des contraintes au sein de la vertèbre vers les articulations zygapophysaires et les DIV, flèche rouge : compression du NP et de l’AF interne, flèches jaunes : mise en tension de l’AF externe, triangles noirs : diminution de la hauteur discale. C. Mouvements et contraintes appliqués au DIV Le DIV permet à 2 vertèbres adjacentes d’avoir 6 mouvements relatifs propres selon les 3 degrés de liberté (Fig. 11) : rotations autour du NP, translations dans le plan du DIV et compression-distraction du DIV [65,66]. Le DIV est donc soumis en permanence à des contraintes en compression, en traction, en torsion, en flexion et en cisaillement [66,67]. Par exemple, lorsque le rachis effectue une flexion ventrale, la compression est plus importante sur la partie ventrale du DIV. Le NP se déforme et se déplace dorsalement, vers la convexité de la déformation rachidienne. Cela accentue la tension de l’AF dans la portion dorsale du DIV (Fig. 11a). On comprend ainsi aisément le risque de lésion de l’AF et de hernie discale traumatique lors de l’association de la flexion du rachis et du port de charge. Grâce à sa composition, l’AF apporte naturellement une résistance à ses contraintes. Lorsqu’une tension est appliquée sur l’AF, les fibres de collagène au sein de l’AF en tension vont s’orienter en direction de la force appliquée et commencer à s’étendre. La présence d’élastine va permettre aux fibres de collagène de revenir à leur état initial lorsque la tension n’est plus appliquée [68]. 36 Fig. 11 Mouvements possibles entre 2 vertèbres dans les 3 degrés de liberté permis par le DIV. Les flèches bleues représentent les mouvements des corps vertébraux. a) flexion-extension b) inclinaison latéro-latérale c) rotation d) translation ventro-dorsale e) translation latéro-latérale f) compression-distraction. a) Exemple de la flexion ventrale du rachis : la pression axiale est plus importante sur la portion ventrale du DIV, entrainant une migration du NP dorsalement, la transmission de la compression par le NP à l’AF est plus importante sur la portion dorsale du DIV (flèche rouge), accentuant la tension de l’AF dans la portion dorsale du DIV (flèche jaune). (D’après Hsieh et al. et Kapandji et al. [65,66].) Les propriétés mécaniques de l’AF varient entre l’AF interne et l’AF externe. La résistance à la tension de l’AF externe est décrite comme étant 5 fois supérieure à celle de l’AF interne. Cela s’explique par la composition de ces 2 régions : le collagène de type I dans l’AF externe est connu pour ses propriétés de résistance aux tensions. Il est retrouvé notamment dans les tendons et les ligaments. Le collagène de type II confère à l’AF interne une moins bonne résistance aux tensions, mais une bonne résistance aux compressions, comme pour le cartilage articulaire. Pièce maitresse lors des mouvements de la colonne vertébrale, le DIV est sollicité tout au long de la vie. Son vieillissement peut alors conduire à l’atteinte de son intégrité, responsable de douleurs. Les amplitudes autorisées par les DIV ne sont pas les mêmes entre les DIV cervicaux, thoraciques ou lombaires. DELMAS a d’ailleurs montré qu’il existait une corrélation entre le ratio « épaisseur du DIV / hauteur crânio-caudale du corps vertébral » (qui est de 1/6 pour l’étage thoracique, et de 1/3 pour les étages cervicaux et lombaires) et les amplitudes autorisées par les DIV [69]. Les DIV cervicaux et lombaires autorisent des mouvements plus amples, sont donc plus sollicités et plus sujets aux lésions. 37 Lombalgies et dégénérescence du disque intervertébral A. Lombalgies : définitions et épidémiologie Selon la Haute Autorité de Santé (HAS) [70], la lombalgie se définit comme une douleur dorsale située entre la charnière thoraco-lombaire et le sillon inter-glutéal. Elle peut être associée à une radiculalgie, témoignant d’une irritation d’un nerf spinal. L’HAS distingue : – Lombalgie commune : douleur lombaire sans signe d’alerte (douleur mécanique entre 20 et 55 ans, atraumatique, sans altération de l’état général, sans fièvre, sans signe neurologique, sans antécédent oncologique), – Poussée aiguë de lombalgie : (remplace le terme lombalgie aiguë) : douleur lombaire aiguë avec ou sans douleur de fond préexistante, – Lombalgie récidivante : récidive de poussée aiguë de lombalgie dans les 12 mois, – Lombalgie à risque de chronicité : lombalgie inférieure à 3 mois associée à des facteurs psycho-sociaux et présentant un risque élevé de chronicisation, – Lombalgie chronique : lombalgie durant depuis plus de 3 mois. Souvent localisée entre la 4e vertèbre lombaire et la 1ere vertèbre sacrée, les causes de lombalgie sont multiples : elles peuvent être la manifestation clinique d’une lésion locale (vertèbre, articulation zygapophysaire, DIV, ligaments et muscles para-vertébraux), secondaire à une affection traumatique, infectieuse, carcinologique ou inflammatoire ou enfin inscrite dans un cadre nosologique plus large et devient alors un symptôme sans lésion locale expliquant la douleur. La qualification de la lombalgie est complexe, la douleur et son retentissement étant des notions subjectives, propres à chaque patient. Il est d’ailleurs très difficile de relier la symptomatologie clinique décrite par le patient avec les lésions morphologiques potentielles [71]. Définie comme « le mal du siècle », par l’Organisation Mondiale de la Santé, la lombalgie est considérée comme l’un des symptômes les plus communs dans notre société moderne. 84% de la population mondiale souffrira un jour de lombalgie et l’évolution vers la chronicité est observée dans 6 à 8% des cas [5,72]. La prévalence annuelle est estimée autour 38 de 50% [1]. Depuis quelques années, ces chiffres ne cessent d’augmenter (augmentation de 14% en France de 1995 à 2009) [73]. De 1993 à 2012, un observatoire de la médecine générale a montré que la lombalgie touchait principalement les patients de 30 à 70 ans, et plus particulièrement entre 40 et 60 ans. Il n’y avait pas de différence significative entre les hommes et les femmes [74]. Les enfants peuvent également être touchés par des douleurs lombaires invalidantes [75]. Ainsi, la lombalgie constitue un véritable problème de santé publique et de santé au travail. En France, l’Assurance Maladie soulignait en 2017 que la lombalgie constituait le 2e motif de recours auprès d’un médecin traitant. Une lombalgie sur cinq entraine un arrêt de travail et est responsable de 30% des arrêts de travail de plus de 6 mois. Pour 20% des accidents de travail, il est rapporté une lombalgie secondaire. Ainsi, la lombalgie est devenue la 1ere cause d’exclusion du travail avant 45 ans et le 3e motif d’admission en invalidité [76]. Les impacts professionnels, économiques (plus de 2 milliards d’euros par an en France, 100 milliards de dollars par an aux États-Unis [3,4]) et psycho-sociaux sont donc majeurs. Parmi toutes les lombalgies, 40% sont secondaires à la dégénérescence du disque intervertébral et se nomment à ce titre « lombalgie discogénique » [5]. La lombalgie discogénique fera l’objet de l’ensemble des descriptions et travaux de ce document. B. Physiopathologie de la lombalgie discogénique 1) Lombalgie discogénique : une maladie multifactorielle. Il est aujourd’hui admis que la lombalgie discogénique est une maladie multifactorielle, dont les causes sont mécaniques, environnementales, psycho-sociales mais aussi génétiques. Certaines catégories professionnelles sont particulièrement exposées, notamment les métiers imposant des efforts physiques importants et répétés, des postures fatigantes, des vibrations prolongées. La lombalgie discogénique est également favorisée par certains facteurs tels que l’âge, la sédentarisation, le tabac, l’obésité, les troubles hormonaux ou l’athérosclérose [77]. 39 Comme précédemment cité, le polymorphisme génétique pourrait avoir un rôle non négligeable dans l’apparition de la lombalgie discogénique [78]. Les gènes impliqués seraient certains gènes codant pour les protéines constitutives de la matrice extra-cellulaire du DIV. Cependant, il parait peu probable qu’un seul gène soit en cause, la survenue d’une lombalgie discogénique dépendrait de facteurs multigéniques associés à des facteurs non génétiques. 2) Vieillissement et dégénérescence du disque intervertébral La dégénérescence discale est un vieillissement accéléré du DIV. En effet la distinction entre vieillissement et dégénérescence discale a été clairement établie [1]. Le vieillissement est un phénomène physiologique, la dégénérescence correspond à une « sénescence prématurée » secondaire à des phénomènes inflammatoires en réponse à un stress oxydatif ou à des cytokines pro-inflammatoires [79]. La dégénérescence discale et le vieillissement résultent tous les deux d’un déséquilibre entre anabolisme et catabolisme entrainant la dégradation de la matrice extracellulaire du DIV [6]. Au cours du processus, le NP semble le premier touché, suivi de l’AF et des plateaux cartilagineux. Le NP se déshydrate et le DIV se fibrose progressivement. Il apparait au sein du NP et de l’AF des déchirures pouvant conduire à la fuite du NP au travers de l’AF, c’est-à-dire une hernie discale. Parallèlement, les plateaux cartilagineux deviennent irréguliers, se sclérosent. Des ostéophytes apparaissent sur les corps vertébraux adjacents. La classification de Thompson permet la hiérarchisation macroscopique de la dégénérescence discale (Tableau I) [80].

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I – LE DISQUE INTERVERTÉBRAL : ÉTAT DE L’ART
A. Généralités : la colonne vertébrale
B. Embryologie
1) Formation des vertèbres, des plateaux cartilagineux et des anneaux fibreux
2) Formation du noyau pulpeux (NP)
C. Les constituants du disque intervertébral
1) Le noyau pulpeux
2) L’anneau fibreu
3) Les plateaux cartilagineux
D. Vascularisation du disque intervertébral
E. Innervation du disque intervertébral
F. Notion de « privilège immunitaire » du noyau pulpeu
A. Relation structure – fonction : état d’hydratation du noyau pulpeux et pression intra-discale.
B. Rôle du DIV en condition statique : absorption des chocs et redistribution des charges appliquées
C. Mouvements et contraintes appliqués au DIV
A. Lombalgies : définitions et épidémiologie
B. Physiopathologie de la lombalgie discogénique
1) Lombalgie discogénique : une maladie multifactorielle
2) Vieillissement et dégénérescence du disque intervertébral
3) Un évènement initiateur de la dégénérescence discale : la rupture du dialogue cellulaire
4) Dégénérescence discale : modifications locales à l’échelle moléculaire et cellulaire
5) Conséquences biomécaniques de la dégénérescence du DIV
C. Caractérisation de la dégénérescence discale en histologie
D. Imagerie du disque intervertébral
1) Radiographie.
2) Tomodensitométrie
3) L’IRM : Imagerie par Résonance Magnétique.
a. Principes généraux.
b. Notion de T1 et T2
c. Étude du DIV en pondération T1
d. Étude du DIV en pondération T2
e. Les classifications de la dégénérescence du DIV
f. « T2 weight signal intensity », relaxométrie et cartographie du disque intervertébral
4) Autres méthodes d’exploration du disque intervertébral
5) À part : la discographie
A. Traitement fonctionnel
B. Traitement médicamenteux
C. Traitements chirurgicaux
1) Arthrodèse vertébrale
2) Arthroplastie totale du DIV
A. La réparation exogène
1) La thérapie cellulaire
2) L’ingénierie tissulair
B. Réparation endogène
1) La biothérapie moléculaire.
2) La thérapie génique
PARTIE II – DEGENERESCENCE DU DISQUE INTERVERTEBRAL ET MEDECINE REGENERATRICE : LES MODÈLES ANIMAUX
A. Expérimentation animale : généralités
B. Les modèles de dégénérescence du DIV
1) Modèles de dégénérescence spontanée
a. Dégénérescence naturelle
b. Dégénérescence accélérée
2) Modèles de dégénérescence induite
a. Modèles secondaires à une modification mécanique
b. Modèles secondaires à une lésion chirurgicale du DIV
c. Modèles secondaires à un traitement chimique ou enzymatique du DIV
d. Modèles secondaires à un traitement physique
C. Les critères de choix du modèle animal pour la médecine régénératrice du DIV
1) Morphologie du rachis et des DIV
2) Physiologie et mécanismes de la dégénérescence du disque intervertébral
3) Caractéristiques biomécaniques du DIV
A. Les similitudes avec l’Homme
B. Objectifs de la Thèse
A. Méthodologie.
1) Description de l’étude et de la population
2) Mesures morphométriques8
3) Variabilité intra-individuelle et analyses statistiques
B. Résultats
1) Variabilité intra-individuelle
2) Mesures morphométriques des vertèbres lombaires ovines et lombaires et anatomie comparée
a. Comparaison d’une vertèbre lombaire de brebis avec une vertèbre lombaire humaine
b. Comparaison d’une vertèbre ovine crâniale (L1) avec une vertèbre ovine caudale (L7)90
A. Méthodologie
1) Description de l’étude et de la population
2) Analyse IRM
3) Analyses statistiques
B. Résultats
1) Étude qualitative de la dégénérescence : score de PFIRRMANN
2) Étude quantitative de la dégénérescence : Relaxométrie du signal T2 du NP
PARTIE III – LES VOIES D’ABORD DU DISQUE INTERVERTÉBRAL
A. La voie d’abord trans-annulaire (VTA)
B. La voie trans-pédiculaire (VTP)
C. Objectifs de la thèse
A. Méthodologie
1) Description de l’étude et de la population
2) Mesures morphométriques appliquées à l’abord du DIV
3) Variabilité intra-individuelle et analyses statistiques
B. Résultats
1) Variabilité intra-individuelle
2) Mesures appliquées à la VTP
3) Mesures appliquées à la VTA
PARTIE IV – DISCUSSION ET PERSPECTIVES
CONCLUSION

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