Modélisation réaliste de la marée interne : sa signature en surface, sa variabilité et son bilan énergétique

La marée interne 

Définition 

La marée interne est aussi appelée ondes internes de marée. Une onde est la propagation d’une perturbation qui induit une variation réversible des propriétés locales du milieu dans lequel elle se propage. Le son est une onde qui déforme l’air (ou l’eau, le bois, la pierre, etc.). Lorsqu’un caillou est lancé dans l’eau, des vagues se propagent depuis le centre vers l’extérieur ; ces vagues sont également des ondes qui déforment la surface de l’eau. Ainsi les ondes internes de marée font référence aux mouvements, à la dynamique de l’océan. La marée interne est constituée d’un ensemble d’ondes internes qui sont générées par la marée. Ces ondes internes s’influencent les unes avec les autres et deviennent alors un processus à part entière. Avant d’expliquer plus en détails quelles sont les caractéristiques de la marée interne, commençons par expliquer le terme interne.Les ondes internes sont associées à la structure interne de l’océan, c’est-à-dire à l’étagement des différentes masses d’eau les unes sur les autres. L’huile et l’eau ne se mélangent pas car leur densité est différente. Près des côtes, l’eau des fleuves (dans un estuaire) ou l’eau de fonte de la neige (dans les fjords) ne se mélangent pas à l’eau de mer. Il se forme alors une langue d’eau douce au-dessus de l’eau salée de l’océan, on parle alors d’étagement de deux masses d’eaux : l’eau douce et l’eau salée. Dans ce contexte très particulier, un phénomène se produit appelé « eau morte ». J’utiliserais l’explication de ce phénomène faite par Raja (2018) dans sa thèse pour illustrer le fonctionnement des ondes internes : Les marins naviguant proche des panaches des fleuves ou dans les fjords, où les eaux douces surnagent au-dessus de l’eau salée de la mer sans se mélanger, rencontrent parfois une étrange résistance à leur bateau. Les bateaux à moteur voient leur vitesse soudainement diminuer et s’arrêtent comme mort sur l’eau. Les marins l’appellent « le phénomène de l’eau morte ». Plusieurs méthodes furent utilisées pour vaincre cette « eau morte ». Dans le temps, les marins croyaient que l’eau morte était causée par des rémoras ou des poissons-ventouse qui s’attachaient à la coque. Alors, ils tiraient des coups de feu dans l’eau, remuaient et frappaient l’eau autour du bateau avec les rames, ramenaient les aussières sous le bateau, etc. Ils découvrirent aussi que lorsqu’ils arrêtaient le bateau pendant quelques minutes, laissant les vagues de poupe s’éloigner, l’eau morte semblait disparaître. Le phénomène de l’eau morte fut observé par l’océanographe norvégien Fridtjof Nansen pendant son expédition en août 1893 dans l’archipel nordenskiöld près de la péninsule Taymyr. Des années plus tard, sur la base de ses observations, c’est son étudiant Vagn Walfrid Ekman qui s’intéressa à ce phénomène durant sa thèse (Ekman, 1904) et expliqua son origine [Fig. 1.1]. Quand l’eau douce rencontre l’eau salée sans mélange, il se forme une couche [d’eau douce ’légère’] au-dessus de l’eau salée [plus] dense. Quand les bateaux naviguent sur ses deux couches de densité différentes, la perturbation crée des ondes sous-marines à l’interface de ces deux couches. L’énergie du moteur est utilisée à générer des ondes internes plutôt qu’à propulser le bateau, qui de ce fait subit une traînée due aux ondes. Ainsi les ondes internes sont des ondes qui se propagent à l’interface entre deux masses d’eau qui n’ont pas la même densité. La salinité (teneur en sel) et la température de l’eau sont les deux facteurs qui contrôlent la densité. C’est pourquoi il est dit que nous flottons mieux dans une mer très salée comme la mer Morte et que l’air chaud monte alors que l’air froid descend. Il en va de même pour l’eau dans l’océan.

Génération de la marée interne

 La marée interne est un processus basé sur des ondes internes générées par la marée, c’est pourquoi elle est aussi nommée ondes internes de marée. Elle se produit lorsque trois conditions sont réunies, comme illustré sur le schéma de la figure 1.2. La force de rappel des ondes qui forment la marée interne est la stratification, sans elle pas d’oscillation donc pas d’onde. La force motrice, ou la force de génération est la marée et plus précisément, les courants de la marée barotrope. La perturbation de la force motrice est due à une forte pente dans la bathymétrie perpendiculairement à cette force. Détaillons chacune de ses conditions. Figure 1.1 – (a) Photographie des ondes internes générées lors du phénomène « d’eau morte ». (b) Explication de la structure verticale : le bateau arrive avec une vitesse suffisante pour perturber la couche d’eau douce ; les ondes internes générées à la suite du bateau provoquent une forte traînée qui le ralenti. Les flèches noires désignent les crêtes des ondes internes. Modifié à partir de Gill (1982), Ekman (1904) En moyenne, l’océan est organisé avec les eaux les moins denses en surface et les eaux les plus denses au fond dans un état d’équilibre. Cet empilement de couches de différentes densités se nomme la stratification de l’océan. Une stratification forte fait référence à une forte différence de densité entre les strates. Au contraire, une stratification faible fait référence à une faible différence de densité entre les strates. La marée barotrope est l’image la plus commune que l’on peut avoir de la marée avec le flux, lors de la marée montante et le reflux, lors de la marée descendante. Ces mouvements de l’océan sont générés par l’attraction gravitationnelle qu’exerce la Lune et le Soleil (et tout autre astre mais ce sont les deux principaux) sur notre planète. La marée barotrope se distingue de la marée barocline par le contexte de stratification dans lequel elle se propage. Lorsque la stratification présente des couches bien horizontales, on se trouve en situation barotrope avec des courants de marée horizontaux et homogènes sur la verticale. Lorsque la stratification présente des couches 4 Figure 1.2 – Schéma conceptuel des trois conditions nécessaires à la génération de la marée interne dans le cas d’un talus continental : la marée barotrope doit être perpendiculaire à une forte pente bathymétrique dans un océan stratifié. Les profondeurs mentionnées à droite du schéma sont des ordres de grandeur. Les mentions « ρ min » et « ρ max » font référence à la forte différence de densité entre les couches de surface et les couches profondes. en pente, on se trouve en situation barocline. Dans la figure 1.2, la plaine abyssale et le plateau continental sont en situation barotrope alors que le talus est en situation barocline. La situation instable de stratification à l’origine des ondes internes de marée se produit donc lorsque les courants de marée barotrope sont perpendiculaires à une forte pente de bathymétrie et sont bloqués par cet obstacle. Deux dynamiques peuvent alors apparaître : soit les courants contournent l’obstacle soit ils le franchissent. Le franchissement est beaucoup plus difficile et arrive dans des conditions hydrodynamiques très particulières : le haut de l’obstacle doit être ouvert pour que l’énergie puisse continuer de se propager après l’obstacle. Sur les côtes, c’est le cas des embouchures de fleuves qui permettent à la marée de se propager loin dans les terres. En pleine mer, c’est le cas pour les dorsales océaniques, ces longues chaînes de monts sous-marins formés par les points chauds. Le franchissement de tels obstacles force les courants initialement horizontaux à longer la pente et à prendre alors une dimension verticale. En remontant et redescendant, ces courants vont déstabiliser la stratification et produire ce contexte barocline propice à la génération d’ondes internes. L’intensité de la génération de la marée interne dépend de l’intensité de ces trois conditions. Plus les courants de marées barotropes seront forts et perpendiculaires à la pente, plus la génération sera forte. Plus la stratification sera forte, plus la génération sera forte. Plus la pente sera haute et raide, plus la génération sera forte.