Motif de grande longueur d’onde dans les écoulements cisaillés turbulents

La dynamique spatio-temporelle de coexistence

La coexistence laminaire-turbulent peut prendre des formes differentes suivant le syst`eme considere, allant d’une forme d´esordonn´ee en convection de Rayleigh-B´enard et pour les spots ovales dans les ´ecoulements de Couette, `a une forme ordonn´ee pour la spirale turbulente, en passant par un ´etat interm´ediaire pour les spots en forme de fl`eches dans les ´ecoulements ouverts avec advection. En particulier, dans l’´ecoulement de Taylor-Couette, elle peut ˆetre ordonn´ee ou d´esordonn´ee selon la valeur des param`etres de contrˆole. Il semble alors int´eressant d’essayer de comprendre ce qui pr´eside `a l’obtention d’un r´egime ordonn´e ou d´esordonn´e. On peut aussi s’interroger sur la sp´ecificit´e de l’´ecoulement de Taylor-Couette. Le r´egime ordonn´e est-il ou non une exclusivit´e de ce syst`eme ?
La dynamique spatio-temporelle du r´egime de coexistence laminaire-turbulent d´epend naturellement de la forme des domaines. La plupart des travaux sur ce sujet concernent les r´egimes d´esordonn´es et sont fortement inspir´es de la conjecture ´emise par Pomeau [63] en 1986 sur une analogie entre la transition vers la turbulence par intermittence et les transitions de phase de la classe d’universalit´e de la percolation dirig´ee (transition continue ou du second ordre). Dans cette analogie, les domaines turbulents sont assimil´es `a l’´etat actif ou contaminant tandis que les domaines lami naires sont assimil´es `a l’´etat passif ou absorbant et la statistique de ces etats est utilisee pour caract´eriser la transition, le param`etre d’ordre g´en´eralement utilis´e ´etan t la fraction turbulente (le rapport de surface turbulente sur la surface totale) pour laquelle on s’attend `a une variation en loi de puissnce de l’´ecart au seuil. Il a ´et´e montr´e, `a la fois num´eriquement par Chat´e et Manneville [15] et exp´erimentalement `a travers diff´erentes ´etudes, que les exposants critiques trouv´es lors de la transition par intermittence, d´ependaient du syst`eme ´etudi´e. Ainsi, les travaux exp´erimentaux r´ealis´es en convection de Rayleigh-B´enard [31, 17], dans le syst`eme de Taylor-Dean [33] et dans le syst`eme de l’instabilit´e l’imprimeur [62], produisent des exposants diff´erents les uns des autres. Plus r´ecemment, Bottin et al. [7, 10] ont montr´e que la transition par intermittence spatio-temporelle observ´ee dans le syst`eme de Couette plan est discontinue. Dans le syst`eme de Taylor-Couette, Colovas et Andereck [22] et Goharzadeh et Mutabazi [43] observent que la fraction turbulente croˆıt lin´eairement. Leurs mesures s’´etendant au-del`a du r´egime intermittent (INT) dans le r´egime de la spirale turbulente (SPT), ils montrent que la transition entre ceux-ci se traduit par un changement de pente de la fraction turbulente et une divergence de la longueur de corr´elation.
L’´ecoulement laminaire sur lequel s’installe l’intermittence a donc un rˆole non trivial dans la manifestation de l’intermittence. Notamment, il a ´ et´e montr´e par Grassberger et Schreiber [44] que la pr´esence de structures propagatives, li´ee `a la nature d´eterministe du syst`eme et n’entrant donc pas dans le cadre d’une description probabiliste, influence le type de la transition ainsi que l’appartenance ou non des exposants critiques `a la classe d’universalit´e de la percolation dirig´ee.
Par ailleurs, que ce soit pour l’´etude de l’intermittence spatio-temporelle en particulier ou pour celle de la coexistence laminaire-turbulent en g´en´eral, il apparaˆıt essentiel d’avoir recours `a un syst`eme vraiment ´etendu [15, 11] afin d’´eviter d’´eventuels effets de taille finie et obtenir une statistique suffisamment riche.

Les structures coherentes

Les structures coh´erentes, comme les vortex longitudinaux de l’´ecoulement de Couette plan, jouent un rˆole important dans la formation des spots turbulents. Ils influencent aussi les propri´et´es statistiques de la dynamique spatio-temporelle de coexistence laminaireturbulent. Dans les ´ecoulements de Couette plan et de Poiseuille plan, ce sont des ´etats instables non triviaux (non raccord´es `a l’´etat de base). On ne les observe alors que pres des spots, en modifiant le profil de l’´ecoulement ou temporairement lors de la relaxation vers le regime laminaire apres une trempe depuis le regime turbulent [9].
Dans l’´ecoulement de Taylor Couettte, on peut tirer parti de l’existence des rouleaux, qui sont stables, pour ´etudier le rˆole de ces structures dans l’apparition des spots turbulents et tester le sc´enario suivant, propos´e par Coughlin et Marcus [23]. Lorsque les deux cylindres sont en contra-rotation, l’´ecoulement de base peut etre divis´e, suivant le rayon, en deux regions aux propri´et´es de stabilit´e diff´erentes et s´epar´ees par le plan de vitesse nulle appel´e surface nodale. Les rouleaux IPS sont pr´esents dans la region d’ecoulement lineairement instable situ´ee pr`es du cylindre int´erieur. Dans le mecanisme propos´e, ils jouent le role de perturbations localis´ees d’amplitude finie de l’´ecoulement lineairement stable situ´e `a l’ext´erieur. Il se forme alors un spot turbulent qui remplit tout l’espace radialement. A l’int´erieur du spot l’´energie est fortement dissip´ee par les petites echelles de la turbulence l’empˆechant de se maintenir et provoquant alentour la disparition des rouleaux observee exp´erimentalement. Une fois le spot disparu, les rouleaux reapparaissent et le processus peut recommencer. Dans un systeme etendu plusieurs spots peuvent se former simultanement, conferant `a l’ecoulement une dynamique spatio-temporelle complexe que l’on identifie `a de l’intermittence (au sens large).

L’arsenal experimental

Dans ce chapitre, nous decrivons le dispositif experimental dans son ensemble. Cela comprend les montages mecaniques pour realiser les ecoulements de Couette plan et cylindrique, les techniques de mesures ainsi que les traitements realises sur celles-ci.

Les dispositifs

Les dispositifs presentes ci-dessous ont ´ete realises de fa¸con `a obtenir des systemes les plus grands possibles. Nous obtenons des rapports d’aspect jusqu’alors in´egal´es ´eventuellement au prix d’une perte de pr´ecision m´ecanique dans le cas de l’´ecoulement de Couette plan.

Dispositif de Couette plan Montage

Le montage mecanique utilise pour realiser l’ecoulement de Couette plan est repr´esent´e sur les figures 2.1, 2.2 et 2.3. Il a ´et´e cr´e´e par Fran¸cois Daviaud et John Hegseth [30] et utilise pour les theses d’Olivier Dauchot [29] et Sabine Bottin [11] o`u il est longuement d´ecrit. Le cisaillement plan est cree dans l’entrefer d’une courroie sans fin transparente. Comme `a l’habitude x correspond a la direction de l’´ecoulement, y a la direction normale aux parois de la courroie et z `a l’envergure.
La figure 2.1 est un sch´ema de principe du montage dans le plan (x, y), o`u les diff´erents ´el´ements m´ecaniques sont num´erot´es de 1 `a 5. Le cadre rectangulaire correspond `a un grand aquarium, rempli d’eau, dans lequel sont immerg´es ces ´el´ements. La courroie (1) est faite d’un film plastique transparent mesurant 363 cm de long , 25, 5 cm de large et 0, 16 mm d’´epaisseur. Ses extr´emit´es ´etaient initialement soud´ees par ultrasons entraınant une sur-´epaisseur de 0, 02 mm puis scotch´ees `a l’aide d’un scotch tr`es fin, d’epaisseur 0, 05 mm, r´esistant `a l’eau. Elle est entraˆın´ee par friction par deux gros cylindres en plexiglas, les cylindres d’entraˆınement (2), dont celui de gauche est lui mˆeme entraˆın´e par un moteur. L’´ecartement d entre les deux parois de la courroie est maintenu `a l’aide de quatre cylindres de plexiglas (3). Les ´etudes pr´ec´edentes [11, 29], ont ´et´e r´ealis´ees, pour la plupart, avec d = 7 mm et d = 3, 5 mm dans certains cas. Ici afin d’obtenir un syst`eme `a grands rapports d’apect, l’´ecartement a ´et´e fix´e `a 1, 5 mm. Deux vitres (4) sont plac´ees `a l’ext´erieur de part et d’autre de la courroie de fa¸con `a la stabiliser et la guider. Celle situ´ee entre la cam´era et l’´ecoulement est transparente, l’autre est recouverte d’un film noir afin d’assurer un fond sombre et uniforme pour les visualisations. Un contre-aquarium (5) ferm´e est plac´e entre la vitre transparente et le bord de l’aquarium principal. Ceci ´evite de polluer la zone situ´ee entre l’´ecoulement et l’observateur par les paillettes utilis´ees pour la visualisation.

Visualisation des écoulements

La visualisation n´ecessite l’ensemencement de paillettes ou d’un colorant ainsi qu’un ´eclairage adapt´e `a l’´ecoulement consid´er´e. Or, l’utilisation d’un colorant n’est pas adapt´ee `a l’´etude d’un ´ecoulement ferm´e qui est rapidement enti `erement pollu´e, ne permettant plus l’acquisition d’images contrast´ees. Nous avons donc choisi la solution des paillettes utilis´ees soit en transmission soit en r´eflexion.
Dans les deux cas, nous avons utilis´e des paillettes de Kalliroscope de la solution AQ-1000 dil ´ees dans de l’eau d´emin´eralis´ee . Ces paillettes anisotropes de 30 × 6 × 0, 07 µm r´efl´echissent plus ou moins la lumi`ere selon leur orientation [70]. De leur orientation, d´ependra aussi la transmission de la lumi`ere au travers de la couche de fluide. Or, l’orientation des paillettes d´epend de la nature de l’´ecoulement. Gauthier et al. [42] ont ainsi montr´e que pour un ´ecoulement de Couette plan, r´ ealis´e au moins localement, les paillettes s’orientent suivant les surfaces de courant. Plus g´en´eralement, mˆeme si le mouvement de paillettes anisotropes dans un ´ecoulement quelconque n’est pas trivial, on sait qu’elles sont tr`es sensibles `a toute variation locale du champ de vitesse et tournent autour de leur axe principal qui s’oriente suivant l’´ecoulement. Dans le cas particulier de la coexistence laminaire-turbulent, les paillettes ont un mouvement plus d´esordonn´e dans les zones turbulentes que dans les zones laminaires, rendan t ainsi possible leur distinction.

La spirale turbulente

Apr`es avoir pr´esent´e le diagramme de bifurcation des systemes de Taylor-Couette η 1 = 0, 983 et η 2 = 0, 963, nous d´ecrivons la spirale turbulente de fa¸con d´etaill´ee, notamment la d´ependance de ses propri´et´es vis-`a-vis des nombres de Reynolds. Nous la comparons ensuite `a un ´ecoulement similaire observ´e pour la premi` ere fois dans le syst`eme de Couette plan. Enfin nous terminons par une ´etude de la transition entre l’´ecoulement turbulent homog`ene et la spirale turbulente.

DIAGRAMME DE BIFURCATION 

Ro= 0. La courbe donnee par cette expression est tracee en rouge sur le graphe de la figure 3.9. Elle est en excellent accord avec les valeurs theoriques et experimentales.
La courbe de stabilite en fonction de Ro , obtenue pour η = 0, 983 `a partir de leur expression, a ´ete representee en pointilles sur le diagramme de bifurcation de la figure 3.1. Elle s’accorde parfaitement avec les valeurs de seuil trouvees experimentalement.
L’expression trouvee par Esser et Grossmann permet donc de predire le seuil de stabilite lineaire avec une bonne precision, au moins dans le cas η → 1, toutefois sans preciser quel mode apparaıt (TVF ou SPI) . Il convient cependant de rappeler que, comme nous l’avions mentionne au chapitre 1 et comme nous venons de le voir dans la description du diagramme, la turbulence peut apparaıtre (et exister) sous le seuil de stabilite lineaire…

Les vortex

Les ´ecoulements de vortex ont ´et´e longuement ´etudi´es depuis les premiers travaux de Taylor [75], et principalement ceux observ´es lorsque Ro = 0. Il existe donc une litt´erature abondante sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour comparer nos r´esultats concernant la  ´ependance de la longueur d’onde axiale des rouleaux en fonction des nombres deReynolds. En particulier, nous ´evoquerons les articles de Taylor [75] et Coles [20] et le livre de Koschmieder [55].

Du point de vue de l’intensite lumineuse

Nous venons de voir que la vitesse fluctue davantage dans les bandes turbulentes. Les paillettes de Kalliroscope laisseront donc plus passer la lumi`ere lorqu’elles se trouveront dans les bandes qu’ailleurs. Ainsi, la spirale turbulente se traduit par une modulation de l’intensit´e lumineuse. La figure 3.17 represente un profil instantane suivant la hauteur de l’intensit´e lumineuse dans le r´egime SPT pour η = 0, 983. La periodicite du signal apparaˆıt clairement et l’on d´etecte 14 alternances suivant la hauteur dans ce cas. Le signal est encadr´e par les profils d’intensit´e lumineuse, homogenes en espace, obtenus pour l’´ecoulement pleinement turbulent (en haut) et l’´ecoulement laminaire (en bas). On retrouve donc sur l’intensit´e lumineuse, les caract´eristiques essentielles des observations faites lors des mesures de vitesse.
Alors que la mesure de vitesse, realisee en un point, ne permet d’obtenir qu’un signal temporel, l’acquisition au cours du temps des profils d’intensite lumineuse donne des diagrammes spatio-temporels sur lesquels on voit la modulation de l’intensite lumineuse se propager en espace et en temps. Un exemple d’un tel diagramme est donne sur la figure 3.18 ci-dessous. Si on ajoute a ces DST, l’image de l’ecoulement dans son ensemble (voir chapitre 2), nous avons acces `a la structure spatiale complete de celui-ci `a un instant donne et au cours du temps.

Le regime desordonne ou multidomaines

Des photographies du regime multidomaines sont presentees sur la figure 3.11 pour le syst`eme de Taylor-Couette et sur la figure 3.28(h) pour celui de Couette plan, obtenues pour des nombres de Reynolds compris dans la r´egion SPT `a proximite immediate de l’´ecoulement turbulent. Les deux directions possibles des bandes turbulentes coexistent et forment des petits domaines dont la taille augmente lorsque Ri ou RCp diminue.
L’ensemble de l’´ecoulement n’est pas tout de suite envahi par ces domaines. Dans cette r´egion, ils apparaissent et disparaissent de fa¸con continue et d´esordonn´ee conf´erant `a l’´ecoulement une dynamique spatio-temporelle complexe de nucl´eation. Cette complexit´e apparaˆıt clairement sur les diagrammes spatio-temporels du nombre d’onde, dont le signe r´ev`ele l’h´elicit´e locale de la spirale (figure 3.30). Cette r´egion o`u les bandes turbulentes n’ont pas une direction/h´elicit´e constante est observ´ee entre la fronti`ere avec l’´ecoulement turbulent (sous R c i ou R c Cp ) et un nombre de Reynolds interm´ediaire R ∗ Cp ou R ∗ i , ce dernier d´ependant `a priori de Ro comme R c i.

Le regime “ordonne” ou monodomaine

Pour Ri < R ∗ i ou RCp < R ∗ Cp , on n’observe plus que un ou deux domaines de taille transverse comparable a la dimension du syst`eme. Dans le syst`eme de Taylor-Couette, quand deux domaines sont presents, ils se r´epartissent suivant la hauteur et sont s´epar´espar un front bien d´efini dont on peut suivre l’evolution au cours du temps. Le diagramme spatiotemporel d’un tel r´egime est repr´esent´e sur la figure 3.30(b). Ce front finit generalement par etre ´evacu´e conduisant `a un motif dont les bandes sont toutes inclinees dans la meme direction (c’est-`a-dire d’h´elicit´e constante dans le cas de la spirale turbulente). Dans la pratique, les bords peuvent sans cesse r´einitier un domaine de bandes incliees dans l’autre direction (spirale d’helicit´e oppos´ee), mais ceci n’arrive plus au coeur de l’ecoulement.

Table des matières

Introduction 
1 La coexistence laminaire-turbulent 
1.1 Quelques exemples
1.2 Choix de l’ecoulement de Taylor-Couette
1.3 Description de la spirale turbulente
2 L’arsenal experimental 
2.1 Les dispositifs
2.1.1 Dispositif de Couette plan
2.1.2 Dispositif de Couette cylindrique
2.2 Techniques de mesure
2.2.1 Mesures de vitesse
2.2.2 Visualisation des écoulements
2.3 Traitements
2.3.1 Sur les images
2.3.2 Sur les diagrammes spatio-temporels
2.4 Conclusion
3 La spirale turbulente 
3.1 Diagramme de bifurcation
3.1.1 R´ealisation
3.1.2 Description des ecoulements observes
3.1.3 Comparaisons
3.2 La spirale turbulente : description quantitative
3.2.1 Manifestations
3.2.2 Description du motif “spirale turbulente”
3.3 Dans l’ecoulement de Couette plan
3.3.1 Diagramme de bifurcation et ecoulements observes
3.3.2 Comparaison avec l’ecoulement de Taylor-Couette
3.3.3 Discussion
3.4 Emergence du motif depuis la turbulence
3.4.1 Le film de la transition
3.4.2 Variation de l’intensit´e lumineuse
3.4.3 Exp´eriences de trempe
3.5 Conclusion
4 Description en termes d’equations d’amplitude 
4.1 Modelisation
4.1.1 Choix du modele
4.1.2 Observations experimentales
4.2 Determination des coefficients
4.2.1 Du bruit dans les equations
4.2.2 Determination experimentale des coefficients .
4.2.3 Recapitulatif
4.3 Schema global .
Conclusion 
A Rheologie 
Bibliographie 
Publications

projet fin d'etude

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