Normes et stéréotypes, une vision convenue du mariage

 Normes et stéréotypes, une vision convenue du mariage

Un choix raisonné

Une réticence à se marier

Si ces stéréotypes sur l’image du mariage, peuvent sembler avant tout masculins, les femmes ne sont pas en reste. Du point de vue masculin ou féminin, il arrive que le mariage soit associé à un carcan de règles et d’obligations. Nous avons vu que Julie d’Angennes méprise le mariage. Le Marquis de Montauzier est fou d’amour pour elle, et Julie paraît éprise de lui. Toutefois, elle ne l’encourage pas, afin d’éviter le mariage. Si elle ne lui est pas insensible, c’est bien l’institution du mariage qui lui pose problème « je l’aurois fait pour l’amour de luy, sans tous ses gouvernements, si j’avois eu à le faire » 1 . Dans ce point de vue féminin, le mariage est associé à une nouvelle autorité, celle du mari, à laquelle l’épouse doit être soumise. Ainsi, c’est bien ici la rigueur du carcan du mariage que Julie remet en question. Chez les hommes, le mariage est plutôt associé à une erreur, une bêtise. La maîtresse du Connétable de Lesdiguières le presse de l’épouser, « allons faire cette sottise, puisque vous le voulez » 2 . On se lie sans pouvoir faire demi-tour. Tallemant lui-même partage cette conception du mariage : « Si on peut dire qu’on ne faisoit pas une bêtise en se mariant, il me semble que je pouvois dire que je n’en faisois pas une » 3 . Se marier est risqué, car on s’expose à des déconvenues, concernant la personne que l’on épouse puisqu’on se connaît mal. Tallemant, lui, a pris toutes les précautions possibles. On le verra avec les critères selon lesquels on choisit une épouse. Tallemant déclare en parlant de son mariage : « je me résolus donc à me marier, mais à y prendre le plus de précautions que je pourrois » 4 . Surtout le mariage signe parfois la fin de l’insouciante jeunesse, Tallemant écrit en évoquant son mariage : « je n’eusse jamais prédit […] qu’un dévergondé comme moi, se mariast en face d’Eglise ».La méconnaissance de son époux(se), le fait du hasard sont des constantes de la future vie des conjoints. La gravure ci-contre La Loterie du mariage1 , illustre ces dires. On y voit des personnes à marier, les yeux bandés, piochant un conjoint, au hasard dans un panier. La gravure est accompagnée de la légende : « Hélas, c’est par la faute d’un destin aveugle que tant de mariages se concluent par erreur ». Le mariage marque le début d’une cohabitation qui peut virer au cauchemar. « J’ai épousé un diable » 2 déclare M. Samois en parlant de sa femme Mme de Courville, qui se révèle violente et injurieuse. La configuration de certains mariages fait que certains se transforment en véritable piège. Notamment, les mariages entre conjoints ayant une grande différence d’âge, qui peut se transformer en « nasse » 3 . On s’expose ainsi, on le voit dans l’ouvrage, à une vie conjugale potentiellement mouvementée. Les Historiettes le prouvent : on remarque que les mariages malheureux sont nombreux. On compte en 116 sur 457 4 . Ces mariages regroupent des cas de violence, de séparation, d’annulation, de procès au sein du couple, ou tout simplement que Tallemant témoigne qu’il s’agit d’un couple malheureux. Ces positions quant au mariage ne sont pas originales et figurent dans une quantité de domaines. Les craintes associées au mariage sont courantes dans la littérature, qu’il s’agisse d’ouvrages populaires, ou de poèmes satiriques. Le mariage suscite de nombreuses interrogations, on relève les bons et les mauvais côtés, les bons mariages, les moins bons. La réticence due au mariage est un topos bien vivace. Il suffit de voir comment La Rochefoucault définit le mariage en 1665 : « L’union éternelle et indissoluble de deux êtres souvent aussi différents qu’il est possible, d’humeurs, de goûts, de caractères, d’esprit et de sentiments. Cette seule définition, la seule idée qu’elle présente à l’esprit, devroient faire trembler l’homme le plus intrépide, et l’Epousant le plus déterminé. Je n’examine point si le mariage est d’institution divine ou humaine, je ne veux point faire l’éloge ni la satyre du mariage ; je dis seulement que le mot mariage fait trembler» 1 . Ou encore comment Yves de Paris compare le marié à un sacrifice humain : « une victime chargée de guirlandes qu’on immole pour l’entretien de l’espèce et de l’Etat » 2 . Dans un autre registre, on retrouve cette réticence au mariage chez Molière dans le Mariage forcé, Géronimo déconseille à Sganarelle de se marier et compare le mariage à une folie3 . Outre le mariage en lui-même, cette réticence peut s’expliquer par une certaine méfiance à l’encontre du comportement des femmes, on le voit par le comportement de Nicolas de l’Hospital lorsqu’il épouse Charlotte des Essarts. Elle est amoureuse de lui, mais il ne peut se résoudre à l’épouser car elle souffre d’une mauvaise réputation, elle le menace pour qu’il l’épouse et finalement il se résigne : « Putain, pour putain, je préfère encore celle la qu’une autre » 4 . Que Mlle des Essart soit surnommée ainsi à cause de sa mauvaise réputation peut s’expliquer mais il est déplacé de généraliser. Il s’agit d’un exemple où c’est bien l’image de la femme, sa nature, qui est remise en question. Rappelons qu’à cette époque l’image de la femme déraisonnable, l’être luxurieux de nature, porteuse du péché originel, est toujours d’actualité5 . Ce stéréotype n’a en effet, rien de nouveau puisqu’il est issu de la tradition chrétienne. Se lier à une femme, sans possible retour, là est le risque dans l’entreprise. Les obligations inhérentes au mariage peuvent aussi tout simplement ne pas correspondre aux aspirations personnelles. Madame de Rambouillet aspire à une vie calme, loin des foules qu’elle déteste. Tallemant écrit : « elle jure que si on l’eust laissée jusqu’à vingt ans, et qu’on l’eust point obligée après à se marier, elle fust demeurée fille » 6 . Or dans son milieu, le mariage oblige à un devoir de représentation, à des sorties, notamment dans des lieux où il faut être vu. Il ne s’agit pas d’une opposition au mariage en tant qu’institution ou en tant que structure, mais aux obligations qu’il impose. 

Des critères établis

Il est donc nécessaire de choisir avec une grande attention son époux ou son épouse. Tallemant se montre plus bavard quand il s’agit d’expliquer quels sont les critères féminins que recherche un homme voulant se marier. On observe parfois une certaine connivence de sa part envers l’histoire ou le comportement d’autres hommes, cela semble l’amuser. Il décrit donc les femmes et ce qu’elles sont, ou ce qu’on aimerait qu’elles soient. Ceci s’explique aussi par le fait que les femmes ont encore moins fréquemment voix au chapitre que les hommes. Si les hommes peuvent être actifs dans la recherche d’une épouse, les femmes semblent rester passives, en tout cas quand il s’agit d’un premier mariage. Dans le cas d’un premier mariage, on a vu la famille de la fille à marier lui chercher un bon parti. Nous ne reviendrons pas sur ces critères, ils sont évidents. Pour un remariage, l’impression dominante, c’est qu’à moins de vouloir (et de pouvoir) rester seule, une femme cherche absolument à se remarier, quitte à épouser quelqu’un à tout prix. En effet, pour le mariage des hommes, il arrive parfois, que l’on ait l’impression que c’est le fruit du hasard. Comme pour Borstel qui fait connaissance avec sa femme Charlotte de Farou de S. Marolle, lorsqu’il souhaite acquérir une terre, « Borstel, quelque temps après, en cherchant une terre, trouva une femme1 ». Rappelons le cas de la sœur de Croisilles. Tallemant est sûrement moqueur, mais il est intéressant de voir comment justement il se moque d’elle, en sous-entendant qu’il y a manigance : « elle s’avisa, le Bureau d’adresse venant d’être étably, de se faire inscrire, en qualité de femme veuve cherchant un mary » 2 . Dans l’imaginaire social, une femme « avise », « s’arrange pour », « offre s’il vouloit l’épouser de…3 », etc… Tandis que l’homme « tombe », « consent », « tombe amoureux », « cherche à épouser », etc… Quant aux critères en eux-mêmes, les personnes décrites par Tallemant, fournissent une description de ce que doit être une épouse, description parfois bien fournie. Parmi lesquelles la beauté, la jeunesse, la situation, une bonne réputation, la complaisance, figurent en haut de la liste. On en retrouve des échos à l’époque, dans les Economies royales de Sully :« Si l’on obtenait des femmes par souhait, afin de ne me repentir d’un marché si hasardeux, j’en aurai une laquelle aurait entre autre sept conditions, beauté en la personne, pudicité en la vie, complaisance en l’humeur, habilité en l’esprit, fécondité en génération, complaisance en l’esprit, éminence en extraction, et grands états en sa possession » 1 . Sully évoque ici les critères nécessaires, à une princesse ou une reine. Mais ces critères font écho à ceux appliqués aux futures épouses de la haute bourgeoisie et de la noblesse, que l’on observe dans les Historiettes. Tallemant, quant à lui, à une vision particulière de l’épouse la plus appropriée et applique ses critères, lorsqu’il doit choisir son épouse : « C’estoit ma cousine-germaine : on m’estimoit dans sa famille, la mère m’aimoit tendrement, les filz estoient en quelque sorte mes disciples ; on ne me pouvoit pas tromper pour le bien, nos pères avoient fait mesmes affaires » 2 . Tallemant ne se concentre donc pas sur sa future épouse, il met l’accent sur les liens qu’il entretiendra avec sa future belle-famille, et privilégie donc une qualité de vie. Bien se marier, ou se marier prudemment c’est donc réfléchir à sa future situation familiale. On intègre les deux familles pour qu’elles ne forment qu’une seule grande famille. Sa future belle-mère l’aime déjà comme une mère, ses futurs beaux-frères ont de l’admiration fraternelle pour lui, et les pères peuvent cohabiter à la commande des affaires familiales. La famille s’agrandit mais les liens du schéma traditionnel de la famille sont conservés : parents, enfants, frères et sœurs. Tallemant parle aussi « d’inclination » à l’égard de sa future épouse, mais nous aborderons ce sujet plus tard. On perçoit également que pour Tallemant, il est important que le mari commande sa femme. Cela se remarque lorsqu’il empêche le mariage imprudent de Nicolas Rambouillet et de Marie Tallemant : les deux jeunes gens se sont engagés un peu vite, et pour de mauvaises raisons. Nicolas Rambouillet regrette cette décision et demande l’aide de Tallemant pour mettre fin à ce projet de mariage. Tallemant est d’accord, le projet est imprudent puisque les motifs ne sont pas bons, et que le futur époux veut tout faire pour fuir ce mariage. Il rajoute « Ils ne sont point le fait l’un de l’autre ; il y faut un homme d’autorité, et mon cousin est quasy aussi jeune qu’elle : ils mourroient tous deux de chagrin1 ». De même, on a noté la très grande jeunesse de certaines épouses, qui est fréquente dans les milieux favorisés. Après le père, c’est au mari de guider le comportement de sa femme. Ce lien conjugal, éducatif2 , se voit conforté lorsque l’épouse est très jeune. Les Historiettes témoignent, comme d’autres sources modernes, du risque que peut représenter le mariage. Il est donc nécessaire de prendre de multiples précautions dans le choix du conjoint. Ces critères sont donc autant de normes qu’il vaut mieux respecter.

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