PCI ET LABEL «UNESCO»,UNE COM BINAISON PA S NECESSAIREMENT GAGNANTE

PCI ET LABEL «UNESCO»,UNE COM BINAISON PA S NECESSAIREMENT GAGNANTE

L’immatériel : une notion encore méconnue et difficile à appréhender

Le problème de la définition du patrimoine dans le subconscient collectif « Ces deux mots accolés, « patrimoine immatériel », de plus en plus souvent employés, produisent une impression de nouveauté, d’inédit, mais aussi frappent les esprits par l’étrangeté, voire l’invraisemblance de leur rapprochement, tant il est vrai qu’au pays de Mérimée ou de Viollet-le-Duc, le patrimoine semblerait ne devoir s’incarner que dans la pierre et être indissociable de la matière. » 1 Dans l’introduction de ce mémoire j’ai abordé la chronologie de la mise en place de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, et j’ai considéré son élaboration comme une sorte d’aboutissement d’une réflexion qui arrivait à maturité en 2003. « Aboutissement », en fait, n’est pas tellement le mot qui convient, car si l’adoption de la Convention en 2003 est l’étape ultime d’une longue bataille, elle est aussi le point de départ d’une nouvelle conception du patrimoine. Or, même avec l’officialisation de la pertinence de l’immatériel comme élément « patrimonialisable », faire changer les mentalités dans des pays où le patrimoine est inconsciemment encore très associé aux monuments historiques n’est pas chose aisée. En effet, comme le dit Françoise Choay, « le concept de monument historique n’est pas seulement une sous-catégorie de celui de patrimoine, […] mais il en a contaminé la constitution »2 . En France notamment, le mot patrimoine est pour beaucoup synonyme de châteaux, cathédrales ou autres monuments qui ont traversé les âges et témoignent du passé, suivi par le patrimoine naturel, qui fait appel à la contemplation et titille la corde sensible de chacun. Enfin, le patrimoine culturel immatériel est connu de très peu de personnes. Que signifie « patrimoine culturel immatériel » ? De quoi s’agit-il concrètement ? Qu’y met-on ? Si les réponses à ces questions semblent claires pour les chercheurs qui ont construit la notion de patrimoine immatériel au cours des vingt dernières années, elles le sont moins pour les professionnels du patrimoine, les institutionnels, les citoyens en général… Les champs couverts par le patrimoine culturel immatériel sont finalement plus proches de l’idée que l’on se fait de la culture en général, dans le sens des productions artistiques et intellectuelles d’une société, que de celle que l’on se fait du patrimoine précisément, si l’on retient l’association quasi systématique aux monuments décrite plus haut. Ainsi, le concept de patrimoine culturel immatériel mûrit lentement chez ceux qui n’ont pas participé à son identification en tant qu’objet patrimonial. D’ailleurs, en 2001, quand la notion de patrimoine immatériel naissait à travers l’appellation de « chefs-d’œuvre », la France tardait à mettre en avant son patrimoine immatériel. « Au mieux on se renvoie la balle de ministère en ministère, de direction en direction et de service en service »1 , explique Chérif Khaznadar qui essayait à l’époque de constituer les dossiers de candidatures de la France. La notion de patrimoine culturel immatériel en France a mis un moment avant d’être intégrée dans les circuits institutionnels. Il a fallu attendre un changement d’équipe au sein de l’ancienne Mission du Patrimoine Ethnologique pour qu’enfin un regard neuf et dynamique « saisisse l’importance de cette nouvelle approche du patrimoine »2 . L’avancée des réflexions et l’apprivoisement de la notion de patrimoine culturel immatériel est bien souvent au départ une affaire de personnes, d’individus, qui auraient plus ou moins d’affinités avec le concept. Aujourd’hui, avec le soutien du Ministère de la Culture, ce sont les professionnels du patrimoine, comme les conservateurs de musées, qui font la démarche de découverte et d’appropriation de la notion pour mieux la transmettre au grand public. La part des associations dans les démarches d’intégration de ce patrimoine dans les politiques publiques est aussi particulièrement importante. Le patrimoine a beau être stricto sensu « ce qui est censé mériter d’être transmis du passé pour trouver une valeur dans le présent »3 , il n’en reste pas moins que sa perception occidentale est étroitement liée aux monuments et sites, et que sa part immatérielle est une notion nouvelle qui est apprivoisée lentement. Cette lenteur dans l’évolution et l’adaptation des mentalités est un des premiers freins au succès d’une reconnaissance patrimoniale. 

La Réunion dans l’imitation de la métropole

La notion de patrimoine est particulièrement récente à La Réunion, d’une part parce que l’Histoire de l’île est particulièrement jeune du fait qu’elle était inhabitée jusqu’en 1665, et d’autre part parce que les réunionnais ont longtemps vécu dans une précarité qui ne permettait pas vraiment le développement de réflexions autour du patrimoine4 . Or, si la part bâtie du patrimoine est constituée principalement de quelques villas, monuments religieux ou vestiges d’usines sucrières, il faut se rendre compte que l’essentiel du patrimoine réunionnais est en fait bien plus immatériel que matériel. Parallèlement, cet état de fait cohabite avec « une culture du mépris pour le vernaculaire, la fascination pour la « métropole » ainsi qu’une réinvention ethnicisée de la tradition »1 . La culture du mépris pour le vernaculaire n’est pas une paranoïa des porteurs de projets en faveur du patrimoine oral et de La Réunion lontan2 . Gilbert Manès, dans La culture réunionnaise y taque barreau, défend la thèse d’une culture réunionnaise fille quasi uniquement de la culture française, apportée par les colons. Il cherche à évincer l’apport culturel des réunionnais d’origine africaine, indienne, chinoise… et qualifie le patrimoine vernaculaire réunionnais de « culture misérabiliste » . L’admiration pour la métropole a toujours existé, surtout au moment de la départementalisation, quand il s’est agit de tourner la page, de tordre le cou au passé esclavagiste et à la longue période d’engagisme4 qui a suivi, et qui n’était rien d’autre qu’une forme moderne d’esclavage. Cependant, aujourd’hui le fait que La Réunion soit une part entière et légitime de la France est un acquis qui ne risque pas d’être remis en question. Il est donc tout naturel que les réflexions sur ce qui constitue le patrimoine réunionnais spécifiquement puissent être abordées ouvertement. La Réunion est quelque part un peu comme une enfant adoptée, et le fait qu’elle recherche une part de son identité qu’elle connait mal ne peut être qu’un enrichissement. Or, aujourd’hui encore, l’admiration pour la métropole est très présente : « l’institutionnalisation du tiercé dans l’île depuis plus d’une décennie s’inscrit dans la même logique d’exportation continue de modèles métropolitains – parfois virtuels– dans un contexte socio-culturel où ils sont passablement décalés. »5 En matière de patrimoine, le même phénomène s’observe : comment s’approprier la part prédominante d’un patrimoine lorsque celle-ci est immatérielle alors que la métropole et son riche patrimoine matériel reste encore inconsciemment un modèle ? Certains réunionnais en viennent à regretter de ne pas avoir plus de monuments historiques, et pour eux la forme immatérielle du patrimoine a une valeur moindre. Cette dualité permanente entre une curiosité légitime pour une lecture différente de l’Histoire et l’inévitable reproduction des modèles proposés par la métropole limite considérablement l’appropriation de la part immatérielle du patrimoine à La Réunion.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *