Physique du vent solaire : modèles cinétiques et distributions non thermiques

Physique du vent solaire : modèles cinétiques et
distributions non thermiques

Qu’est-ce que le vent solaire ?

L’éjection du vent solaire est un problème astrophysique important, étant l’exemple le plus accessible d’éjection de matière par un objet cosmique. La notion moderne de vent solaire permanent remonte (dans une certaine mesure) aux travaux de Biermann sur la formation des queues cométaires qui ont tendance à se dédoubler. Il expliqua ce phénomène par la présence d’un flux de particules chargées s’échappant du Soleil : lorsque l’atmosphère de la comète contient des particules de gaz ionisé, celles-ci seraient entraînées par ce flux pour former la seconde partie de la queue. Avec les sondes spatiales, on a pu vérifier in situ l’existence de ces particules chargées et mesurer leur vitesses. On a pu ainsi se convaincre que ces particules s’échappent du Soleil et remplissent tout l’espace interplanétaire dans une zone appelée héliosphère. Actuellement, on ne sait toujours pas où se situe exactement la frontière entre l’héliosphère et le milieu interstellaire, mais on estime que sa distance est comprise entre 100 et 200 Unités Astronomiques (UA). Récemment (en décembre 2004) la sonde Voyager 1 a traversé le choc terminal à 94 UA, c’est-àdire la région où la vitesse du vent solaire qui est supersonique chute brutalement et devient subsonique. Les particules du vent solaire proviennent de la couche la plus externe du Soleil appelée couronne solaire. La température de la couronne est de l’ordre du million de degrés, si bien que la majorité des particules du gaz qui s’y trouve est ionisée sous l’effet de l’agitation thermique : ce sont principalement des protons, des   électrons, des noyaux d’hélium et quelques autres éléments plus lourds à différents degrés d’ionisation. Les électrons étant les plus légers, ce sont ceux qui ont la plus grande vitesse thermique (de l’ordre de 5000 km/s). Ensuite viennent les protons (150 km/s), puis les autres éléments plus lourds. Ces vitesses thermiques n’étant pas négligeables devant la vitesse de libération, les particules coronales ont tendance à s’échapper de l’attraction gravitationelle du Soleil, ce qui crée une évaporation globale de la couronne dans le quasi-vide interstellaire. Cette évaporation fait perdre trois millionièmes de sa masse au Soleil en cent millions d’années. Le vent solaire est donc le résultat d’une évaporation de la couronne en raison de la forte température qui y règne. Un des grands problèmes de la physique solaire est qu’on ne sait pas pourquoi cette température est si élevée, alors que la photosphère, région située sous la couronne et qui constitue la limite visible du Soleil depuis la Terre, n’est qu’à 5800 degrés kelvin. Si l’on s’intéresse à la structure à grande échelle du vent solaire, on s’aperçoit que celle-ci est fortement liée à la géométrie du champ magnétique solaire. En effet, les particules chargées du plasma du vent solaire ont tendance à s’enrouler autour des lignes de champ magnétique. Réciproquement, à cause de la très forte conductivité du plasma, les lignes de champ sont entraînées par le plasma : on dit que le champ magnétique y est gelé. Le champ magnétique du Soleil est à peu près dipolaire : des lignes de champ fermées forment des boucles reliant les deux hémisphères. Elles confinent ainsi le plasma de la couronne sous une forte pression et température. Le plasma parvient à s’en échapper sous forme d’un vent qualifié de “lent” (400 km/s), en poussant et ouvrant les lignes de champ magnétique près de l’équateur. Il existe par ailleurs des zones de la couronne, appelées “trous coronaux”, où les lignes de champ s’évasent sans se refermer : le plasma y est plus froid et s’y échappe librement en suivant ces lignes magnétiques ouvertes, sous forme d’un vent qualifié de “rapide” (700-800 km/s). Les trous coronaux, étant plus froids et moins denses, paraissent sombres sur les clichés en rayon X de la couronne. Ils sont généralement situés dans les régions polaires du Soleil, mais se déplacent, au cours du cycle solaire, pour se retrouver à l’équateur du Soleil et ailleurs. Dans ce cas, le vent qui s’échappe de ces trous coronaux peut être observé dans l’écliptique. Tout comme le chauffage de la couronne, l’accélération du vent solaire rapide reste mystérieuse. La plupart des modèles d’accélération du vent solaire sont une généralisation du modèle classique hydrodynamique de Parker dans lequel la vitesse terminale est directement liée à l’énergie thermique disponible dans la couronne solaire. Toutefois, au vu des contraintes observationelles sur la température coronale (∼ 106K), ce modèle ne permet pas d’expliquer le vent rapide (vitesses de l’ordre de 700-800 km/s).

Où est le problème ?

La difficulté théorique vient du fait que le milieu est faiblement collisionnel, un domaine de la physique des plasmas encore mal connu. En effet, le libre parcours moyen des électrons et des protons dans le vent solaire est de l’ordre de l’Unité 1.2 Où est le problème ? 3 Astronomique (distance Terre-Soleil). Cela indique que les particules collisionnent trop peu pour pouvoir être traitées comme un fluide, ce qui simplifierait notre tâche. En même temps, les collisions ne sont pas négligeables et le problème ne peut pas être complètement décrit en termes de physique des plasmas non collisionnels. Les théories “simples » valables dans ces deux cas extrêmes, ne pourront nous aider que pour donner quelques éléments de base du phénomène physique en question. Si l’on définit le nombre de Knudsen Kn comme le rapport entre le libre parcours moyen l des particules du plasma et la hauteur d’échelle caractéristique du milieu H, on peut calculer qu’au niveau de l’orbite terrestre, ce nombre est presque égal à l’unité (Figure 1.1). L’approche fluide classique peut s’appliquer au Fig. 1.1: Densité, température et nombre de Knudsen (l/H) en fonction de la distance depuis la surface solaire. [Extrait de Meyer-Vernet, 2006] cas extrême où Kn  1, c’est-à-dire quand les collisions sont dominantes. Dans ce cas, les fonctions de distribution des vitesses (FDV) sont pratiquement Maxwelliennes, puisque le milieu se trouve à l’équilibre thermodynamique local. On peut ainsi utiliser les approximations d’Euler ou de Navier-Stokes pour produire un vent thermique émanant de la couronne solaire chaude. Mais les électrons du vent solaire se trouvent loin d’un tel équilibre thermodynamique local. Les FDV des électrons mesurées in situ dans le vent solaire par des sondes spatiales montrent l’existence d’électrons à haute énergie qui s’écartent de l’équilibre. En effet, ces fonctions présentent un excès d’électrons “suprathermiques » (Figure 1.2). Cela n’est pas surprenant vu le manque de collisions. De plus, plusieurs travaux récents théoriques (Viñas et al., 2000; Leubner, 2002) ainsi qu’observationnels (Esser and Edgar, 2000) montrent que de telles FDV pourraient être présentes dans la couronne ou même plus bas à la zone de transition. Le libre parcours des collisions de Coulomb dépend de manière cruciale de la vitesse v des particules : l ∝ v 4/n et par conséquent, même des plasmas collisionels (Kn ∼ 10−3 ) – aussi denses que ceux de la basse couronne ou de la zone de transition – peuvent être loin de l’équilibre thermodynamique local (Shoub, 1983). On pourrait, donc, faire l’hypothèse que de telles “queues » suprathermiques pour les électrons existent dans la couronne et dans la région d’accélération du vent. Dans   Fig. 1.2: Distribution d’électrons typique observée dans le vent solaire. On peut voir que la courbe bleue, qui ajuste bien les points expérimentaux, présente des queues suprathermiques qui s’écartent de la fonction Maxwellienne en rouge. un tel milieu semi-collisionnel, on peut également utiliser une approche alternative, qui se trouve à l’autre extremité des théories fluides. Il s’agit des modèles cinétiques non collisionnels dont on verra l’historique dans la section suivante.

Historique des modèles du vent solaire

Malgré la mise en évidence observationnelle du vent solaire par Biermann, il a fallu attendre les travaux de E.N. Parker en 1958 pour le développement de la première théorie du vent solaire basée sur une approche fluide (Parker, 1958). Cette théorie est encore aujourd’hui largement utilisée pour décrire le vent solaire1 . Néanmoins, le modèle de Parker ne permet pas de reproduire le vent solaire rapide, dont la vitesse peut dépasser les 800 km/s, sans invoquer une isothermie radiale et des températures coronales dépassant les 2×106K. Il existe bien évidemment des raffinements à cette approche simplifiée. Un raffinement possible consiste à faire intervenir le champ magnétique interplanétaire. Il est ainsi possible, tout en maintenant des conditions coronales raisonnables, de remplacer l’isothermie radiale, nécessaire dans le modèle de Parker pour obtenir des vents dépassant 800 km/s, par une source d’énergie, par exemple sous forme d’ondes d’Alfvén, présentes à toutes les distances héliocentriques. Le défaut majeur de l’approche hydrodynamique de Parker est qu’elle n’est pas justifiée théoriquement : d’une part le plasma coronal est semi-collisionel, comme on vient de l’expliquer ; d’autre part la variation des températures est imposée de façon ad-hoc. Parallèlement à cette approche hydrodynamique, les modèles exosphériques, qui sont des modèles cinétiques sans collisions, proposent de décrire le plasma de la couronne en étudiant directement le mouvement des particules chargées. Cela 1Une description qualitative et simplifiée de cette théorie se trouve en Annexe C est justifié par le fait que, comme on vient de le noter, le plasma du vent solaire est faiblement collisionnel. Dans ces modèles, l’exobase ou baropause est une surface qui délimite deux régions bien distinctes, la barosphère et l’exosphère. La barosphère, qui se trouve en dessous de l’exobase, est la région dans laquelle la fréquence de collisions coulombiennes est suffisamment importante pour que la distribution des vitesses des particules soit très voisine d’une maxwellienne. Dans cette région, on suppose donc que la formulation hydrodynamique est valable pour le plasma. L’exosphère est la région qui s’étend au delà de l’exobase, jusqu’à l’infini. Dans cette région, par contre, on suppose que les particules ne subissent aucune collision et que par conséquent, partant de l’exobase, elles se déplacent pratiquement en vol libre dans l’exosphère où elles ne sont influencées que par les champs interplanétaires gravitationnel, magnétique et électrique. Pratiquement, l’exobase, située à une distance r0 du centre de l’astre, est en général définie comme étant l’endroit où le libre parcours moyen des particules du plasma est égal à la distance caractéristique de variation à grande échelle des paramètres du plasma (densité, température, etc). Ainsi, dans les modèles cinétiques du vent solaire, les particules ayant à l’exobase une vitesse supérieure à leur vitesse de libération, peuvent s’échapper de la couronne solaire pour rejoindre l’infini. Ce sont ces particules qui créent le flux constituant le vent solaire. En 1960, Chamberlain propose un modèle cinétique du vent solaire qu’il baptise modèle de “brise solaire”, par opposition au “vent solaire” de Parker. Dans ce modèle, les particules ont en effet une vitesse subsonique, de l’ordre de 20 km/s à une unité astronomique. Comme finalement, le vent solaire supersonique prédit par Parker a été confirmé par des mesures directes, le modèle de Chamberlain, et en général toute approche exosphérique, fut considéré comme solution académique qui pouvait éventuellement s’appliquer dans le cas d’étoiles très chaudes, mais qui ne présentait aucun intérêt pour la couronne solaire. Les modèles cinétiques sont quelque peu réhabilités dans les années 70 avec les modèles de Lemaire and Scherer (1971a) et de Jockers (1970). Ces auteurs ont montré que le potentiel électrique dans l’exosphère utilisé par Chamberlain dans son modèle de brise solaire n’est pas valide : il s’agit du potentiel de Pannekoek (1922) – Rosseland (1924), que l’on obtient en imposant l’égalité des hauteurs d’échelle pour les protons et électrons dans une atmosphère en équilibre hydrostatique. Or, c’est bien cette hypothèse d’équilibre hydrostatique qui est fausse comme l’a montré Parker. Trouvant une nouvelle méthode pour calculer le potentiel, ils montrent que celui-ci est beaucoup plus important, accélérant ainsi le vent solaire jusqu’à 300 km/s à une unité astronomique. Ainsi donc, issus d’une approche opposée à celle de Parker, les modèles cinétiques maxwelliens du vent solaire n’en donnent pas moins des résultats tout aussi satisfaisants que ceux que l’on obtient avec un modèle hydrodynamique simple. 

Table des matières

1 Introduction
1.1 Qu’est-ce que le vent solaire ?
1.2 Où est le problème ?
1.3 Historique des modèles du vent solaire
1.4 Plan de la thèse
2 Le modèle exosphérique
2.1 Ce qu’il faut expliquer au minimum
2.2 Principe physique de base
2.3 L’équation de Vlasov
2.4 Fonction de distribution des vitesses
2.4.1 Fonction de distribution Maxwellienne
2.4.2 Fonction de distribution Kappa
2.4.3 Vent solaire et fonctions Kappa
2.4.4 Somme de deux Maxwelliennes
2.4.5 Une Maxwellienne plus une Kappa
2.5 Catégories de particules
2.5.1 Cas d’une énergie potentielle négative croissante (attractive)
2.5.2 Cas d’une énergie potentielle positive décroissante (répulsive)
2.5.3 Cas d’une énergie potentielle présentant un maximum
2.6 Champ magnétique
2.7 En pratique
2.8 Résultats
2.9 Conclusions
3 L’influence des collisions
3.1 Le principe des simulations
3.2 Résultats
3.3 Conclusions
4 Observations des distributions d’électrons dans le vent solaire
4.1 Analyse des données
4.2 Résultats
4.2.1 Ajustements et gradients
4.2.2 Evolution radiale des FDV et variation du κ
4.3 Remarques finales
5 Conclusion et perspectives
Annexes
A Modèle exosphérique : expressions des moments des FDV des électrons
A-1 Moments des fonctions de distribution
A-2 Electrons Maxwelliens
A-3 Electrons Lorentziens
B Modèle exosphérique : expressions des moments des FDV des protons
B-1 Energie potentielle arbitraire
B-2 Espace des phases E − µ
B-3 Différences avec le modèle Lemaire-Scherer
B-4 Implementation d’un modèle généralisé
B-5 Approximation de trois points
B-6 Moments des protons bi-Maxwelliens
C Modèle de Parker
C-1 Accélération isotherme du vent solaire
C-2 Potentiel électrique dans le modèle de Parker
D Protons : être ou ne pas être piégé ?
E Publications principales
E-1 A transonic collisionless model of the solar wind
E-2 Acceleration of weakly collisional solar-type winds
E-3 Radial evolution of the electron distribution functions in the fast solar wind between 0.3 and 1.5 AU
F Autres publications
F-1 A new exospheric model of the solar wind acceleration : the transonic solutions
F-2 Acceleration of the solar wind : kinetic models and effect of Coulomb collisions
F-3 Solar wind electron temperature and density measurements on the Solar Orbiter with thermal noise spectroscopy
Bibliographie

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