PRODUCTION D’H2 IN-SITU SOUS ATMOSPHÈRE CO2

PRODUCTION D’H2 IN-SITU SOUS ATMOSPHÈRE CO2

Introduction 

L’expérience 1 décrite précédemment a été menée sous une atmosphère neutre (argon) afin de limiter les interactions entre le gaz et le fluide. Cependant, dans le milieu naturel, les processus magmatiques génèrent de grandes quantités de gaz carbonique au niveau des volcans actifs. Aussi, les fluides collectés sur les champs hydrothermaux montrent généralement des concentrations élevées en carbone dissout, ou sous forme de gaz. Le carbone joue un rôle important dans ce type de contexte puisque sa catalyse avec une molécule d’hydrogène, par réaction « Fischer-Tropsch », conduit à la formation de grande quantités de CH4 , voire d’hydrocarbures plus complexes (Kelley et Früh-Green, 1999 ; Holm et Charlou, 2001 ; Charlou et al., 2002 ; Sherwood et al., 2002 ; Foustoukos et Seyfried, 2004 ; McCollom et Seewald, 2006). Ainsi, de nombreuses études ont été menées ces dernières années sur la formation de molécules prébiotiques et la possible apparition de la vie dans ce type de contexte géologique (Russell et al., 1989 ; Früh-Green et al., 2004 ; Martin et Russell, 2007 ; Russell et al., 2010). Il se trouve justement que de fortes teneurs en CO2 , CH4 , et autres hydrocarbures ont été détectés sur les fumeurs des sites ultrabasiques Rainbow, Logatchev, ou encore Lost City (Kelley et al., 2001 ; Charlou et al., 2002 ; Douville et al., 2002). A titre d’exemple, les concentrations en CH4 et CO2 atteignent respectivement 2,5 et 16 mMol.L-1 sur le site hydrothermal Rainbow. L’apport de carbone dans le fluide acidifie la solution et rend la solution plus réductrice. Cet atome se complexe également facilement avec certains cations divalents (Mg2+, Ca2+, Fe2+), abondants dans ce type de contexte, pour former des carbonates. Les fumeurs de basses températures présents sur le site de Lost City en sont des témoins notables puisqu’ils se composent principalement d’aragonite, de calcite, et de brucite (Kelley et al., 2001 ; Proskurowski et al., 2006, 2008). Ces formations représentent donc un formidable moyen de séquestration du CO2 . La minéralogie associée au processus de serpentinisation en conditions très réductrices et à hautes températures n’avait jamais été clairement caractérisé de manière expérimentale avant l’étude de Dufaud et al. (2009). Ces auteurs ont en effet réalisé une étude de carbonatation en conditions supercritiques (400°C et 500°C), sur une péridotite très grossièrement broyée. Les produits expérimentaux ont principalement été caractérisés par microscopie électronique à balayage. Cependant, leur expérience n’apporte pas d’informations comparatives entre la production de H2 , de CH4 , et l’état d’oxydation du fer dans les produits altérés. Dès 2008, nous avons expérimentalement altéré une lherzolite à 300°C/300 bar sous atmosphère CO2 dans le but de mieux contraindre le rôle et la distribution du carbone dans les gaz et les produits minéralogiques au cours du processus de serpentinisation. Pour cela, nous avons utilisé le même protocole expérimental que celui décrit dans l’expérience 1 où 120 g de lherzolite ont été placés en présence de 180 mL d’eau déminéralisée (résistivité de 18 MΩ) dans un autoclave de 250 mL (voir article 1 pour plus de détails). La mise en pression a été effectuée par injection de CO2 à 300 bar. Après 61 jours d’expérience, les gaz ont été prélevés et analysés in-situ par GC. Afin de compléter l’étude réalisée par Dufaud et al. (2009), les produits minéralogiques ont été caractérisés par DRX, MEB et spectroscopie XANES au seuil K du fer pour contraindre la spéciation du fer.

Résultats 

Phase fluide

 La pression a été soigneusement contrôlée durant cette expérience. De fait, le dioxyde de carbone n’étant pas un gaz neutre, nous nous attendions à une rapide interaction entre celui-ci et le fluide. Et justement, nous avons constaté une chute brutale de la pression dès les premières heures d’expérience, puisque celle-ci est passée de 300 à 281 bar en moins de 24h. Comme aucune fuite n’a été détectée, nous avons vérifié que la dissolution du CO2 était bien à l’origine du phénomène. Pour cela, la surface de saturation du CO2 (en mol.L-1 dans le liquide) a été calculée en fonction de la pression et de la température (Figure 26). Nous avons utilisé la loi de Henry à l’aide des constantes de Henry fournies par Lide et Frederikse (1995) dans le cas du dioxyde de carbone.  où pi est la pression partielle de gaz en bar, xi est la fraction molaire de gaz en mol.L-1 , Ki est la constante de Henry qui est fonction de la température (T) du système,   T k correspond à la constante de Henry pour une température de référence T (298 K), C est une constante fonction de l’enthalpie de solution et est exprimée en Kelvin. Le calcul montre que le CO2 dissout à saturation dans nos conditions expérimentales devrait être égal à 0,038 mol. En utilisant la loi des gaz parfaits (PV = nRT), nous montrons que la chute de pression associée au passage de cette quantité de CO2 de l’état gazeux à l’état dissout revient à baisser la pression de 25 bar dans l’autoclave. Aussi, la chute de pression observée est donc clairement imputable à une rapide dissolution de ce gaz dans la phase liquide dès les premières heures d’expérience. Enfin, le reste de l’expérience est caractérisé par une chute plus douce de la pression qui se stabilise autour de 210 bar. Figure 26 : Surface de saturation du CO2 dans de l’eau, calculée avec la loi de Henry, pour différentes pressions et températures. Après 61 jours d’expérience, la composition des gaz prélevés est marquée par la présence de CO2 , d’hydrogène, et de méthane en très faible quantité. La quantité d’hydrogène mesurée par chromatographie gazeuse est proche des 5,05×10-3 mol (soit 0,039 mol.L-1 ), ce qui est beaucoup plus faible que les valeurs mesurées sous ciel argon pour une période d’altération équivalente (0,013 mol). Par conséquence, les réactions de type Fischer-Tropsh n’ont pas été suffisamment importantes pour produire du méthane en grande quantité. En effet, si ce dernier est détecté, la faible aire de son pic n’a pas permis d’en quantifier la concentration (<1 mmol.L-1 ).

Phase solide 

Les produits minéralogiques, de couleur rouge/orangé, ont été caractérisés par DRX, MEB (voir Figure 27), et spectroscopie d’absorption X au seuil K du fer. Figure 27 : Poudre orangée récoltée à l’issue de l’expérience 3. Le diffractogramme de rayons X (Fig. 28) montre que la réaction hydrothermale est pratiquement allée à son terme puisque les produits de départ (i.e., olivines et pyroxènes) ont quasiment disparu. Mis à part quelques reliquats d’olivine, les produits finaux s’avèrent être essentiellement constitués de carbonates magnésiens (magnésite), et dans une moindre mesure, de chrysotile. Compte tenu de la rapide baisse en pression observée dans les premières heures de manipulation, les carbonates ont certainement cristallisé très rapidement en début d’expérience. Malgré la couleur orange de l’échantillon, aucun oxyde de fer n’a été clairement détecté. Nous supposons donc que le fer a massivement incorporé la magnésite (formule : (Mg,Fe)CO3 ). Si ce  minéral est rare dans des conditions d’hydrothermalisme de dorsale, la magnésite est fréquemment associée à des recristallisations secondaires, dû à des processus hydrothermaux de moyenne température, dans les serpentinites de zones de subduction (Abu-Jaber and Kimberley, 1992 ; Treiman et al., 2002 ; Ulrich et al., 2010). Elle a également été mesurée récemment par spectroscopie infrarouge à la surface de Mars (Ehlmann et al., 2010), et dans des météorites d’origine martienne et hydrothermalisées (par exemple ALH84001, Treiman et al., 2002). La principale raison de son absence sur les principaux sites hydrothermaux établis en contexte ultrabasique semble être due aux faibles concentrations en magnésium dans les fluides des fumeurs. Figure 28 : Diffractogramme du produit d’altération de l’expérience réalisée sous ciel CO2 à 300 bar, 300°C. Au vu des conditions réductrices présentes dans la solution, on peut s’attendre à la cristallisation d’une phase carbonée et réductrice. Il se trouve justement que deux pics majeurs ont été référencés selon la base de données du logiciel comme étant du carbure de silicum (SiC). Dans la nature, ce minéral n’a été retrouvé que dans des conditions de relatives hautes pressions et hautes températures. Aussi, sur Terre, le SiC n’a été découvert que sur la météorite Canyon Diablo (Moissan, 1904) et dans certaines Kimberlites (Leung, 1990). La position des pics de diffraction a d’abord été vérifiée, puis confirmée si l’on considère les clichés de diffraction réalisés sur le SiC dans l’étude de Xingzhong et al., (2010). En outre, une récente étude expérimentale menée par Kakiuchi et al. (2008) a montré la possibilité de cristalliser du SiC à basse température (130°C) et à pression ambiante. Si Dufaud et al. (2009) ont caractérisé d’autres minéraux réducteurs dans leur expérience, notamment des zones enrichies en graphite pur, le carbure de silicium n’a pas été encore découvert sur les sites hydrothermaux naturels. Son absence est certainement explicable par les faibles concentrations naturelles en CO2 dissout en comparaison de celles obtenues dans notre expérience (CO2 à saturation). Cet échantillon a également été mesuré par spectroscopie d’absorption X au seuil K du fer, à l’ESRF (Fig. 29).Le spectre acquis sur l’échantillon a été comparé à la lherzolite de départ, à la sidérite, et à la magnétite. Nous avons utilisé la sidérite (FeCO3 ) car sa structure est certainement très proche de la magnésite ferrifère de formule (Mg,Fe)CO3 . Les pré-pics (A) ont été représentés dans la Fig. 29b. Celui de l’échantillon a une aire faible (fer en octaèdre) et semble légèrement décalé vers les hautes énergies par rapport à la lherzolite de départ, indiquant une oxydation sensible. La quantité de Fe3+ reste malgré tout difficilement quantifiable car, au contraire de la première expérience, le fer intègre cette fois essentiellement une phase carbonatée : la magnésite. Le système minéralogique n’est donc pas constitué de silicate et ne nous permet pas d’utiliser la courbe de calibration définie dans l’expérience 1. Parallèlement, le spectre XANES de l’échantillon semble constitué d’un mélange entre la sidérite (magnésite ferreuse ici) et la magnétite. Les fortes similitudes avec le spectre de la sidérite s’expriment notamment par la présence d’un doublet caractéristique au niveau de la raie blanche (B, D). Des caractères communs sont également visibles à plus haute énergie autour de la première oscillation EXAFS (E, F). D’autre part, le doublet observé sur la raie blanche est moins prononcé dans l’échantillon grâce à une probable contribution de la magnétite (C) entre les deux pics B et D. Enfin, et comme on pouvait s’y attendre au vu du spectre de diffraction, la contribution de la lherzolite reste marginale en accord avec une altération quasi-complète du produit de départ. Ces résultats sont importants puisqu’ils permettent de mettre en évidence la présence de magnétite que l’on ne voit pas sur le diffractogramme de rayons X. En considérant le seuil de détection de la DRX autour de 5 wt%, on peut considérer que l’on a moins de 5 wt% de magnétite dans le produit altéré. Le fer ferrique incorporé dans cette phase suffit cependant pour observer un léger décalage du pré-pic vers les hautes énergies par rapport à la lherzolite.

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