Rap, musique et comportements délinquants

Historique du rap

Plusieurs significations sont envisagées pour le terme « rap ». Il serait l’acronyme de « rythm and poetry » pour (Lessard, 2017), et la traduction de plusieurs expressions que l’on pourrait traduire par « baratiner » ou « avoir de la répartie » (Karanfilovic, 2004). Le rap naît dans les années 1970 dans le Bronx, à New-York, et est décrit comme étant le mariage entre une forme de narration en rimes et des musiques électroniques très rythmées (Rose, 1994). Il est, avec le DJing, le versant musical du hip-hop, culture afroaméricaine qui comprend également une composante visuelle – le graffiti – et une composante dite corporelle – le breakdance (Best & Kellner, 1999). Dans un premier temps, le rappeur est le MC – le maître de cérémonie – et a pour but de maintenir la foule en haleine pendant que le DJ passe ses samples (Sköld & Rehn, 2007). Le rap est donc, au commencement, une musique dansante et festive, mais le contexte dans lequel il prend forme en fait aussi un instrument utilisé par les rappeurs pour défendre leur territoire (Tsitsos, 2018). Comme expliqué par Chang (2007), la construction du Cross Bronx Expressway au début des années 70 sera un évènement catalyseur pour les populations pauvres du sud du Bronx, essentiellement afro-américaines et portoricaines.

Selon Rose (1994), la construction de cette route entraînera la suppression de quelques 60.000 logements, forçant des habitants déjà vulnérables économiquement à trouver d’autres solutions. Toujours selon Rose (1994), ces habitants afro-américains et portoricains forcés à s’exiler seront le coeur des premiers raps, utilisant ce médium pour faire état de leur condition. C’est dans ce sens que Tsitsos (2018) considère la naissance du rap comme étant une tentative de chasser, de manière symbolique, l’invasion qui vient déformer le sud du Bronx, ce qui explique en partie la composante territoriale présente dans cette musique. Comme le dit Forman (2002), le territoire est un thème central au sein du rap. Les morceaux qui contribueront à rendre le rap si populaire sont d’une part « Rapper’s Delight » sorti en 1979 de The Sugarhill Gang, et « The Message », sorti en 1982 par GrandMaster Flash and The Furious Five, faisant ainsi du rap une musique vectrice tantôt de gaieté, tantôt un porte-voix pour les marginalisés (French, 2017). En effet, le morceau de 1979 est une chanson plutôt festive, où le rappeur Master Gee met en avant sa virilité et ses compétences techniques, tandis que celui de 1982 est utilisé par le rappeur Melle Mel pour parler de thèmes tels que l’inflation, la toxicomanie et le chômage. C’est à la fin des années 1980 que le rap se fait plus politique, notamment avec le groupe Public Ennemy, qui selon Dimitriadis (1996) a embrassé une « conscience sociale radicale », visant dans leurs textes les institutions de pouvoir pour les confronter aux inégalités raciales croissantes aux États-Unis. C’est donc dans ce cadre que nous pouvons dire, pour reprendre les termes de Marquet (2013, p. 1), que le rap « porte un potentiel militant et contestataire » et qu’il est « porteur d’une dimension politique ». Toujours selon Marquet (2013, pp. 2-3), il y a dans le rap « conscience et volonté d’agir sur les représentations et le monde social ».

Le rap, une musique contestataire

Le rap devient ainsi une forme de résistance et de culture d’opposition (Martinez, 1997). Certains rappeurs, tels que Bambaataa, utilisent le rap pour éloigner les jeunes de la violence des gangs en les incitant à canaliser leur colère dans la musique, la dance et le graffiti (Lipsitz, 1994). Mais à la fin des années 1980, un style nouveau apparaît : le « gangsta rap ». Le groupe NWA – Niggaz Wit Attitudes – et leur album « Fuck the police » seront les pionniers de ce style, abordant des problèmes sociaux et politiques avec une tonalité plus violente (Stephens & Wright, 2000). Peu à peu, les rappeurs se transforment en agents d’un changement politique (Nielson, 2012) et seront, par conséquent, les cibles de la surveillance et du harcèlement policier. Cette pression policière sera illustrée à la fin des années 1980 lorsque Milt Ahlerich, alors directeur adjoint du FBI, adressa une lettre au label de NWA – Priority Records – pour faire part de sa désapprobation concernant la musique qu’ils produisaient (Nielson, 2010).

Cette lettre déclenchera une réaction de la part de la police, laquelle fera irruption sur scène à Detroit lors d’un concert de NWA (Nielson, 2010) et entraîna l’annulation d’autres évènements (Marsh & Pollack, 1989). Cette dimension plus agressive apparue avec le gangsta rap sera l’objet de critiques. French (2017) expliquait par exemple que le rap sera critiqué pour sa glorification de la violence et une certaine admiration pour les activités criminelles, qui propageraient des stéréotypes négatifs quant aux centres-villes américains. Cette violence deviendra de plus en plus commune au sein du rap : le pourcentage de chansons avec du contenu violent passera de 27% pour la période allant de 1979 à 1984, puis 60% entre 1994 et 1997 (Herd, 2009) pour atteindre 65% pour la période entre 1992 et 2000 (Kubrin, 2005). Mais la violence n’est pas le seul trait problématique : l’objectification de la femme (Rebollo-Gil & Moras, 2012), l’homophobie (Rodriguez, 2018) ou encore la consommation de drogues (Rigg & Estreet, 2019) sont d’autres thèmes présents dans le rap sujets à la controverse. D’après Miranda (2002, cité dans Miranda & Claes, 2004), les rappeurs français seraient reconnus comme étant plus enclins à se vanter de consommer du cannabis, d’appartenir à des gangs et de vivre dans des quartiers difficiles.

Rap français

Le rap arrive en France à la fin des années 1970, notamment grâce à une tournée de Bambaataa, fondateur de la Zulu Nation, et de l’émission télévisée « H.I.P H.O.P » diffusée sur TF1 et qui permet au genre de se populariser outre-Atlantique (Decouvelaere, 2008). Selon Decouvelaere (2008), les premiers succès commerciaux français apparaissent au début des années 1990, et le rap s’installera rapidement comme marché populaire auprès du jeune public. En 2003, ce sont 9% des Français qui disent écouter régulièrement du rap, contre 5% en 1997, ce public étant composé en majorité d’hommes de moins de 25 ans (Molinero, 2009). C’est aussi à la fin des années 1990 que le rap français devient plus contestataire que festif : selon Miranda et Claes (2004), ce changement de paradigme proviendrait du fait que le rap est principalement issu de quartiers défavorisés que l’on appelle communément « les cités ». Les jeunes provenant de ces quartiers, en majorité des enfants d’immigrés nord-africains et ouest-africains, ont fait du rap une source alternative d’identité au sein d’un pays qui les discriminerait (Boucher, 1998). Cette discrimination serait illustrée par leur rapport avec la police, laquelle serait violente et raciste à leur égard, le rap étant ainsi utilisé pour lancer un appel à « la révolte et à la violence » (Mucchielli, 2003, p. 337). Au sein de ces banlieues, la police peut faire l’objet d’un fort rejet, notamment de la part de populations issues de minorités ethniques, chez qui la défiance envers la police serait d’autant plus marquée lorsque celles-ci vivent en banlieue (Roux, 2017).

Cette défiance marquée de la part de minorités ethniques envers la police se retrouve aussi en Belgique, les personnes d’origine ou de nationalité Marocaine et Turque partageant cette réserve (Van Craen, 2013). Ainsi, d’après Roux (2017, p. 561), « le sentiment subjectif d’appartenance raciale encourage la défiance envers la police, qui tend à être vue comme l’adversaire du groupe ». Dans son article, Mucchielli (2003) nous explique que le rap permet à ces jeunes de banlieues d’exprimer leur quotidien avec la police : contrôle au faciès, violence verbale et physique, justice inique. L’ouvrage de Boucher (2013) fait également le récit de ces jeunes dénonçant un racisme policier ainsi que des contrôles au faciès récurrents. D’autres théories concernant cette violence au sein du rap ont été émises : pour Pecqueux (2007), le rap paraît violent en raison de son langage vulgaire. Pour Beru (2006), les rappeurs grossissent le trait simplement parce que la violence fait vendre. D’autres auteurs tels que Lena (2006) vont dans ce sens. Enfin, selon Zubčeková (2015, p. 300), « la réputation violente n’est pas simplement un cliché à surmonter, mais elle est basée sur une des caractéristiques de ce genre musical ». Enfin, abordons en quelques chiffres la popularité du rap en France. En juillet 2020, le journal Libération réalisait une infographie basée sur les statistiques de Spotify, indiquant que le hip-hop était le genre musical le plus écouté entre 2016 et 2020, devant la pop et l’électro : 69,7% des morceaux figurant au « Top 200 hebdomadaire » sont des musiques hip-hop, la deuxième place revenant à la pop avec 17,7% (Magoria, 2020). Comme nous pouvons le constater dans l’Annexe 1, sur les 20 artistes les plus écoutés en streaming, seuls 4 ne produisent pas de rap. L’application Spotify est considérée comme étant la plateforme de streaming la plus importante au monde, avec plus de cent millions d’utilisateurs mensuels comptabilisés en juin 2016 (Vonderau, 2019).

Occurrences et thèmes

L’objectif initial était de compiler tous les extraits faisant mention de la police afin de les quantifier et de les analyser. Pour ce faire, certaines règles ont été préalablement définies. Premièrement, nous avons eu besoin de créer des listes de vocabulaire (Annexe 3). En effet, les termes utilisés dans le rap décrivant la police sont nombreux et variés, et c’est au fil de notre recherche que de nombreux termes utilisés pour parler de la police ont été découverts. Au total, cinq listes de vocabulaire ont été créées. La première liste répertorie les 49 termes utilisés pour parler du policier en tant que personne (par exemple : condé, porc, hnoucha). La seconde répertorie les 25 termes employés pour parler de la police en tant qu’institution (par exemple : B.A.C, OCRTIS, les stup’). La troisième liste relève les 24 termes empruntés pour mentionner les objets en lien avec la police (par exemple : képis, Mondéo, uniforme). La quatrième liste présente les 22 termes utilisés pour parler des diverses méthodes policières (par exemple : contrôle, perquis’, embarquer). Enfin, la cinquième liste répertorie trois expressions qui ne rentraient dans aucune de ces listes, à savoir « arah », « arténa » – deux termes utilisés pour prévenir de l’arrivée de la police – et « indic’ ». Pour comprendre certains termes, les mémoires de Zelenková (2013) et Sekaninová (2012) se sont révélés très instructifs.

Nous avons également écouté de nombreuses interviews de rappeurs, lesquels traduisant volontiers certaines expressions qu’ils mobilisent dans leurs textes. Les termes cités précédemment n’ont pas été les seuls à être relevés, la police étant parfois mentionnée par l’usage de pronoms personnels : tels que dans l’extrait suivant « Les porcs font des photos, un dossier bien garni (bien garni) ; Mais ils restent des boloss à rouler dans la farine (dans la farine) » (Ninho, Zéro paluche, 2019) ou comme dans cet extrait « Arah y a la B.A.C, B.A.C, B.A.C ; On va te les mettre à quatre pattes » (Naps, Piste blanche, 2018). Ensuite, les répétitions ne sont pas comptabilisées. Par exemple, dans la phrase « Nique la police, vive la guedro (woh), nique la police, vive la guedro (woh) » (Koba La D, Guedro, 2019), nous ne retenons qu’une occurrence. De même pour l’extrait « La ne-zo est quadrillée, faut courir : y a les condés ; Et vu qu’sur moi j’ai du détail, s’ils m’pécho, c’est garde à v’ ; La ne-zo est quadrillée (ouais, ouais), faut courir : y a les condés (ouais, ouais) ; Et vu qu’j’ai du détail sur moi, s’ils m’pécho, c’est garde à v’ (ouais, ouais) » (Koba La D, Quadrillé, 2019), dans ce cas également, une seule occurrence sera comptabilisée, la proposition se répétant. Les occurrences figurant l’une à côté de l’autre ont été, elles aussi, comptabilisées comme n’étant qu’une seule mention. Par exemple, dans l’extrait « Et j’suis dans l’quatre anneaux, 2018 (2018) avec Deuspi, Suge, j’suis dans l’Ford, menotté » (Koba La D, Mélange, 2019), nous ne retenons qu’une occurrence.

En revanche, dans l’extrait « Au poste, il prend du grade, il attire les grosses brigades ; Les brigadiers veulent sa te-tê, lui, il est prêt pour allumer » (Moha La Squale, Bendero, 2018), nous comptabilisons trois occurrences, les deux premières figurant respectivement en début et en fin de phrase alors que la troisième se trouve au début d’une nouvelle phrase. La première partie de notre travail a donc des fins quantitatives, visant à évaluer dans quelle mesure la police est présente dans les textes de rap français. Dans un second temps, nous avons tenté d’identifier la présence de thèmes récurrents et en lien direct avec la police au sein de notre échantillon de 417 chansons. Pour ce faire, plusieurs lectures de notre corpus et de nombreuses écoutes ont été effectuées. Ces thèmes sont au nombre de 5 et seront explicités dans le chapitre suivant. Ils nous permettront d’obtenir un premier point de vue concernant la description de la police faite dans notre échantillon. Ce sont au final quelques 455 extraits qui figureront dans un ou plusieurs thèmes et qui feront l’objet de notre analyse. Ensuite, une fois les différents extraits répertoriés dans les thèmes appropriés, nous avons tenté de repérer différentes thématiques prégnantes au sein de nos extraits. Ces thématiques ont été répertoriées et classées selon un code couleur et seront expliquées dans la rubrique suivante.

Table des matières

1. Résumé/Abstract
2. Introduction
2.1 Contexte social
2.2 Contexte médiatique
2.3 Rappeurs et justice
2.4 Absence de travaux similaires au sein de la littérature scientifique
3. Corpus théorique
3.1 Historique du rap
3.2 Le rap, une musique contestataire
3.3 Rap, musique et comportements délinquants
3.4 Rap français
4. Question de recherche
5. Méthodologie
5.1 Population et échantillon
5.2 Occurrences et thèmes
5.3 Outils pour l’analyse de données textuelles
6. Résultats
6.1 Émergence de 5 thèmes principaux
6.1.1 Méthodes/actions
6.1.2 Fuite/esquive
6.1.3 Présence sur le terrain
6.1.4 Hostilité envers la police
6.1.5 Violences policières
6.2 Sous-thèmes
6.3 Résumé
7. Discussion
7.1 Limites et faiblesses
7.2 Forces
7.3 Implications futures et pistes d’amélioration
7.4 Mise en perspective théorique
7.4.1 Cultivation theory
8. Conclusion
9. Bibliographie
10. Annexes

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