Transparence par l’audit, transparence de l’audit un effet d’optique

Transparence par l’audit, transparence de l’audit un effet d’optique

La codification et le contrôle de la comptabilité et de l’audit légal : de l’obtention de la transparence selon Taylor

Une grande partie [des] connaissances [développées par les ouvriers] est ignorée de la direction. […] Par conséquent, les directeurs les plus expérimentés laissent franchement à leurs ouvriers la responsabilité du choix du mode le meilleur et le plus économique d’exécution du travail. […] Le problème qui se pose alors à la direction est de rechercher comment obtenir de chaque ouvrier qu’il développe à fond son initiative […]. Or […] on peut dire sans crainte de se tromper que dans 95% des entreprises industrielles les ouvriers croient qu’il est contraire à leur intérêt de faire profiter leurs employeurs de leur meilleure initiative. Aussi au lieu de travailler énergiquement pour accomplir la plus grande quantité de travail possible, tout en produisant un article de la meilleure qualité, ils travaillent délibérément aussi lentement qu’ils l’osent, tout en essayant en même temps de faire croire à leurs chefs qu’ils travaillent vite. (Taylor, 1957, pp.61-62) Depuis les débuts du capitalisme, les patrons se méfient de leurs employés, et s’efforcent pour cela de rendre leur activité totalement transparente (Cooper & Taylor, 2000, p.559). Foucault (1975) décrit ainsi la manière dont les ouvriers furent, dès la fin du XVIIIe siècle, regroupés dans des usines pour y être mieux surveillés, selon le principe du panoptique imaginé par Bentham. Mais suffit-il d’observer la réalisation d’un travail pour en assurer la transparence ? Dans l’extrait qui précède, Taylor montre le contraire. Il faut aussi, selon lui, savoir ce qui, dans l’exercice du travail en question, relève ou devrait relever de la meilleure pratique professionnelle. Lorsque les opérateurs possèdent seuls cette connaissance, ils peuvent feindre d’agir au mieux sans pouvoir être démasqués, et, 60 dans ces conditions, leur activité ne saurait être dite transparente. Aux yeux de Taylor, une activité menée de manière transparente est une activité dont le processus optimal a été mis en lumière, formalisé, et qui se trouve accomplie conformément à ce dernier. Rendre une activité transparente revient donc à objectiver sous la forme de procédures les connaissances des travailleurs les plus expérimentés, et à faire en sorte que les modes opératoires ainsi codifiés soient respectés par tous dans les faits. Telle est l’idée de ce que Taylor nomme la direction scientifique des entreprises. Celle-ci repose sur trois grands principes (Taylor, 1957, pp.68-70). La codification et le contrôle de la comptabilité et de l’audit en sont de parfaits exemples d’application.

Principe n°1 : codifier

Selon le premier principe de Taylor, les connaissances traditionnelles développées au fil du temps par les opérateurs doivent être rassemblées, enregistrées, classées, et réduites en règles et lois. Il revient à des départements créés à cet effet de s’y employer, et de suivre pour cela une démarche scientifique. En comptabilité, les principes et les normes comptables sont le fruit de dispositifs institutionnels agissant comme pourrait le faire un bureau des méthodes. Ces dispositifs codifient et rationnalisent les pratiques existantes sur la base de théories, jadis classificatoires et désormais normatives. Au sein des organisations, les procédures comptables sont élaborées par des centres administratifs chargés du contrôle interne, sur la base des meilleures habitudes observées en la matière. Dans le domaine du commissariat aux comptes, comme nous l’avons vu, l’activité des auditeurs est codifiée par l’Etat, les instituts professionnels et les grands cabinets, qui s’appuient pour cela sur de multiples travaux de recherche. Taylor vise, entre autres, à réduire au maximum la marge de manœuvre des opérateurs dont il se méfie ; discrétion et transparence sont pour lui antinomiques. Les procédures élaborées doivent être pour cela très détaillées, et leur application rendue obligatoire. Celle-ci est en effet supposée conduire automatiquement à l’atteinte la plus efficiente du résultat souhaité. Les méthodes prescrites, si possible exprimées sous forme mathématique, précisent tout du travail qu’il est nécessaire et suffisant d’effectuer ; nul 61 besoin de les compléter ni d’en commenter la mise en œuvre : ce dont elles ne disent mot relève au mieux de l’accessoire. Afin de restreindre la marge de manœuvre des dirigeants en matière de reddition de comptes, les normes comptables sont à la fois nombreuses et détaillées, ou, lorsque tel n’est pas encore le cas, ont du moins vocation à le devenir. Les principes de régularité et de sincérité font de leur correcte application un impératif, car celle-ci est supposée garantir l’atteinte de l’objectif d’image fidèle. Les normes commandent l’opération de calculs mathématiques plus ou moins complexes.35 Commenter leur mise en œuvre et compléter les informations qu’elles permettent de produire est dans une certaine mesure qualifié d’accessoire ; le document qui permet de le faire reçoit en effet le nom d’annexe, ou de footnotes en anglais (notes de bas de page). Au sein des organisations, la correcte application des procédures comptables, souvent très précises et toujours obligatoires, est supposée garantir le respect des normes comptables.

Principe n°2 : sélectionner et former

La logique taylorienne vise finalement à abolir le travail humain pour lui substituer une production entièrement mécanique. Comme l’écrit Cazamian (1996, p.56), « le dessein final, dont on ne se cache guère, est [ici] la production sans homme, l’usine presse bouton ». En attendant de voir ce dessein-là se réaliser, il faut bien, cependant, composer avec les travailleurs, et les amener – puisque tel est l’idéal – à se comporter comme pourraient le faire des machines. Il convient alors de procéder à leur « sélection scientifique », et de les former sans relâche à la stricte application des règles (Taylor, 1957, p.69). Colasse (2005b) met en relief et critique la manière dont l’enseignement de la comptabilité forme les étudiants à une pratique mécanique de cette dernière. Selon lui, cet enseignement est ainsi notamment trop technique et insuffisamment critique (pp.9-10): Trop technique, c’est-à-dire trop centré sur l’enregistrement des opérations […] ; cette technicité peut prendre un tour moderniste lorsqu’elle emprunte aux systèmes d’information, mais cela n’y change rien […]. Insuffisamment critique et trop révérencieux à l’égard des normes. J’en veux pour preuve les premiers ouvrages consacrés aux normes comptables qui se bornent le plus souvent à répéter ces normes ou, au mieux, à les reformuler mais qui ne les critiquent guère, et qui n’évoquent pas les solutions alternatives de celles qu’elles proposent. La formation des auditeurs pourrait faire l’objet d’un commentaire tout à fait similaire. Ces derniers sont en effet, notamment au sein des cabinets, principalement formés à appliquer la méthodologie de travail de leur firme. Comme nous l’avons vu, certains chercheurs recommandent, sur la base de la théorie de Kohlberg (1969), le recrutement d’individus situés au stade de développement moral dit conventionnel, c’està-dire portés à accepter les règles qu’on leur fixe, et les « bons élèves » sélectionnés par les cabinets appartiennent sans doute pour une bonne part à cette catégorie-là. 

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