Vers l’émergence d’un corpus professionnel

ANALYSE DES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE

L’enquête quantitative permet de dégager à gros grain le rapport que les étudiants entretiennent avec les corpus d’œuvres et les enjeux qu’ils assignent à la lecture des textes littéraires à l’école. L’analyse montre qu’au fil de la formation initiale, on assiste à l’émergence d’un « corpus professionnel » (1.1) et à l’omniprésence des enjeux de transmission et à la baisse de la part des enjeux expérientiels (1.2). Les données correspondant à ces analyses se situent en annexes I, II, III, IV.

Vers l’émergence d’un corpus professionnel

L’objectif est de saisir les constantes et les évolutions des corpus cités par les enseignants. Si l’évolution est intéressante en tant que telle, l’analyse porte également sur les corpus en eux-mêmes et la façon dont les enquêtés les évoquent. Ces éléments sont significatifs d’un rapport à la culture que nous cherchons à analyser. Aussi, dans un premier temps, est analysée la façon dont les enquêtés évoquent les corpus, passant d’un discours marqué par un complexe par rapport à la culture scolaire à un discours témoignant de l’appropriation d’un métalangage acquis en formation et d’une appropriation de la culture professionnelle. Dans un deuxième temps, l’analyse vise à montrer en quoi le corpus évolue pour passer d’un « corpus de fond », la bibliothèque intérieure des étudiants lorsqu’ils arrivent en formation, à un « corpus redéfini », d’abord en formation puis lors des premières expériences en classe.

Ces discours sont la trace de conceptions sur la littérature et la culture en général qui sont analysés en mobilisant les apports de la sociologie et des recherches littéraires. L’évolution des corpus et des discours sur les corpus sont mis en lien avec le rapport que les étudiants et stagiaires entretiennent avec la lecture, la littérature et la culture. Il s’agit d’analyser en quoi l’appropriation de la culture scolaire par les étudiants et les stagiaires s’accompagne d’une évolution du rapport à leur culture personnelle, comment ces étudiants et ces stagiaires gèrent les tensions entre lecture privée et lecture scolaire, à la suite des questions déjà soulevées par l’ouvrage dirigé par Demougin et Massol (1999). En questionnant l’évidence de l’opposition entre ce qui serait une culture personnelle, « privée », et une culture scolaire, on s’interroge sur le statut et la légitimité accordée à chacune et sur les relations qu’elles peuvent ou pas entretenir à l’école, selon les enquêtés. Ce questionnement s’inscrit dans la lignée de celui soulevé dans cet ouvrage (Ibid., 1999, p.9) et nous le transposons à notre recherche. Il s’agit de comprendre la place accordée dans les discours des enquêtés à ces différentes cultures. Là où la culture dominante favorise désormais un certain éclectisme (Coulangeon, 2004, p.60 ; Bonnéry, 2010b), comment les étudiants et les stagiaires se situent-ils par rapport aux évolutions des questions de « légitimité culturelle » (Coulangeon, Ibid., p.59) ?

Il convient par ailleurs d’apporter quelques précisions théoriques pour expliciter les fondements de l’analyse. D’une part, les recherches en littérature tendent à dépasser les clivages entre ce qui serait « la grande littérature et la culture de masse », entre la « culture lettrée » et la « culture populaire », littérature et paralittérature (Letourneux, 2015) et à s’intéresser davantage aux modalités de production et de réception des œuvres dans leur diversité (Letourneux, 2011). Les travaux des Québécois sur la « littératie médiatique multimodale » (Lebrun, Boutin, Lacelle, 2012) mettent en évidence les mutations des objets culturels contemporains et des compétences impliquées dans leurs usages. Ces travaux tendent à redéfinir les frontières entre culture scolaire et culture privée et à montrer en quoi l’école pourrait « mettre à profit les ressources de la littératie médiatique multimodale appliquée à la culture populaire » (Lebrun, 2012, p.41). Notons que la culture populaire est ici définie comme un ensemble constitué des « émissions de télévision, les films à effets spéciaux, une certaine musique, les revues grand public, les bandes dessinées, la mode, les jeux vidéo et, enfin, Internet (sur divers supports), qui portent des coutumes et valeurs marquant fortement le style de vie des jeunes, car elles sont facilement accessibles partout et acceptées par tous » (Lebrun, 2012, p.40). Au regard des résultats de notre enquête, nous considérons que ce dernier terme « par tous » peut être discuté, notamment à l’école. Plutôt que le terme de littératie médiatique multimodale, le terme de culture médiatique multimodale est ici retenu pour évoquer les objets culturels – sachant que sont inclus dans cette catégorie des livres d’auteurs contemporains les plus vendus et les séries à grands tirages, tant en la littérature jeunesse qu’en littérature générale –, leur mode de réception et de production plutôt que les dispositions qu’ils supposent. Le terme de « culture populaire » pourra également être employé de façon équivalente.

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