Accusées, victimes, et témoins

Accusées, victimes, et témoins

Présentation du fonds du Parlement du Dauphiné aux Archives Départementales de l’Isère

Il est intéressant de s’attacher à comprendre comment s’est constitué le fonds du Parlement du Dauphiné aux Archives Départementales de Grenoble, car il est la source principale de cette étude. Ce premier chapitre s’atèle ainsi à présenter l’histoire du Parlement du Dauphiné, de la création de l’institution, de ses prémices à sa disparition, à un rapport de l’état du fonds actuel. Bien que succinct, il apparaît comme nécessaire à l’historien pour comprendre le fonctionnement de la justice d’Ancien Régime et analyser de manière optimale les éléments nécessaires à cette étude. Du Conseil delphinal … Humbert II, dauphin de la Tour et de Viennois, créé le Conseil delphinal en 1340 après avoir succédé le 24 décembre 1333 à son frère, le dauphin de la Tour et de Viennois Guigues VIII. Humbert II est le dernier souverain du Dauphiné. Il a régné jusqu’en 1349 où alors, accablé de dettes, n’ayant sut gérer les finances de son royaume, il se voit contraint de céder ses terres au roi de France Philippe VI de Valois1 . Le Traité de Romans est signé le 30 mars 1349. Il inclut plusieurs clauses particulières devant être respectées par le royaume de France. Tout d’abord, il prévoit que le fils aîné du roi de France serait le seigneur de ces terres, et porterait alors le titre de « Dauphin ». Il prévoit aussi un statut particulier, le « Statut delphinal », établit le 14 mars 1343, et de nombreux privilèges, tels que la suppression de la Mainmorte2 et de la Gabelle3 pour ses habitants. Chaque nouveau Dauphin doit, à sa prise de fonction, jurer de respecter le Statut delphinal. 1 Philipe VI de Valois, né en 1293 fut roi de France de 1328 à sa mort en 1350. Il est le fils de Charles de Valois et Marguerite de Sicile, il succède à son cousin le roi de France et dernier de la lignée des capétiens, Charles IV Le Bel. 2 La Mainmorte est un privilège accordé à un seigneur sur ses vassaux dans le cas où ces derniers décéderaient sans héritier, le seigneur pouvait alors s’emparer de sa succession. 26 La création et la mise en place du Conseil delphinal ont demandés plusieurs années et la proclamation de plusieurs ordonnances entre 1336 et 1340. Plusieurs suggestions pour nommer cette nouvelle institution ont été évoquées au cours de cette période, et son fonctionnement s’appuie grandement sur le système judiciaire français de cette période. Le lieu de son implantation a également demandé une réflexion importante, mais Grenoble l’emporte devant St Marcellin notamment. Des bâtiments avoisinants la Collégiale St André et le Palais delphinal sont achetés par Humbert II pour y établir le Conseil delphinal. Une ordonnance de 1340 désigne même les conseillers-juristes qui y siègeront, mais l’institution connaît un échec. Les bâtiments sont revendus et le Conseil delphinal tombe aux oubliettes. Dès 1355 l’institution se remet progressivement en marche. Un nouvel élan est donné par le premier dauphin de France Charles V en 1378 avec l’aide du Parlement de Paris, dont certains membres sont envoyés en Dauphiné remettre l’institution à flot. Tous les membres du Conseil delphinal sont dauphinois, leur fonction et leur statut les obligent à résider à proximité ou en son sein. C’est le cas pour le président du Conseil delphinal, le gouverneur et les deux conseillers en titre, qui occupent chacun une des chambres de l’établissement. L’institution connaît un véritable succès et le Conseil delphinal atteint enfin le but recherché, devenir une véritable cour supérieure de justice qui s’affirme en tant que telle. … Au Parlement du Dauphiné C’est sous le dauphin Louis II, futur roi de France Louis XI, que le Conseil delphinal devient alors le Parlement du Dauphiné en 1453. Six Parlements sont créés dès le début du XVIe siècle en France, dont Grenoble. On en compte treize à la fin du XVIIIe siècle. Ce sont de véritables cours souveraines qui traitent de la Haute justice et qui, en plus d’avoir des compétences judiciaires, ont également des compétences plus administratives basées 3 La Gabelle, impôt indirect, prélevé par le roi sur le sel, en vigueur en France sous l’Ancien Régime, et très impopulaire. 27 sur la publication et la mise en application d’édits, ou ordonnances émanant du roi. C’est à Paris qu’est créé le premier Parlement, qui servira d’exemple pour tous les autres et qui servira donc à façonner et mettre en place celui de Grenoble. Les Parlements vont chercher à imposer une certaine indépendance vis à vis du pouvoir royal en s’opposant parfois aux décisions prises par l’état souverain. Le rôle du Parlement est notamment de prendre en appel les procès jugés dans des tribunaux inférieurs, c’est pourquoi la grande majorité des procédures se trouvant dans le fonds du Parlement du Dauphiné a connu une première instance dans un tribunal inférieur. La provenance est généralement inscrite au dos des pièces de procédures, ainsi que sur la notice cousue au sac de procédure. Ainsi il nous faut connaître le ressort du Parlement et son découpage géographique. Le Parlement de Dauphiné comprenait donc les départements de l’Isère, des Hautes Alpes et de la Drôme4 . Les Parlements sont constitués de plusieurs chambres qui évoluent à mesure des besoins de la justice et des finances disponibles à la mise en place de nouvelles chambres5 . Suivant les Parlements, certains possèdent plus ou moins de chambres, dissociées ou regroupées au fil des siècles. Grenoble possède notamment une chambre particulière, la chambre de l’Édit6 , fondée en 1598 et qui recouvre, en plus du Dauphiné, la Bourgogne et la Provence. Cette chambre est dite « mi-partie », composée à la fois de membres issus de la religion catholique et de membres issus de la religion protestante. Elle est instaurée à la demande des protestants qui, à la suite des trêves des guerres de religions, souhaitent une justice 4 FAVIER René in FAVIER René (dir.), Le Parlement du Dauphiné, des origines à la Révolution, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2001. 5 FAVIER René « Le Parlement de Dauphiné et la ville de Grenoble aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Op. Cit, p. 195. 6 Les procédures criminelles dites de la chambre de l’Édit, sont conservées aux A.D.I. sous la cote 4B. L’ensemble de ces procédures n’est pas encore accessible, une partie de ces affaires sont mélangées à des procédures civiles également issues de la chambre de l’Édit. Il existe également des ballots de kraft non classés et non accessibles au public qui restent à être analysés par des historiens. Lors de dépouillements récents effectués dans les archives du fonds du Parlement de Dauphiné, certaines de ces affaires ont été retrouvées, mélangées dans des ballots de procédures civiles. C’est à la suite de l’Édit de Beaulieu du 6 mai 1576 que sont mises en places huit chambres de l’Édit dont une au Parlement du Dauphiné. Voir MENTZER Raymond « La chambre de l’édit de Grenoble » in COGNE Olivier, Rendre la justice en Dauphiné, de 1453 à 2003, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Collection La Pierre et l’écrit, 2003. 28 « plus équitable » en étant jugés par des hommes de loi protestants. Elle traite les affaires dont au moins une des parties est protestante, et elle sera supprimée en 1679. A son instauration, le Parlement de Dauphiné ne possède qu’une seule chambre, une seconde est crée en 1538.7 En 1658, l’institution compte cinq chambres, puis se retrouve à trois en 1679. A la fin du XVIIe siècle, le Parlement de Grenoble compte 4 chambres8 . Le fonctionnement des parlements est similaire dans toutes les villes, même si certains de plus grande importance peuvent posséder plus de chambres permanentes ou temporaires et de personnel. Pour l’illustrer, la procédure 2B30399 dont l’intitulé des réponses données derrière les barreaux10 par l’accusé débutent de telle sorte : « Procureur general Du jeudy matin 26 septembre 1711 Dans la quatrieme chambre Du conseil (…) » Chaque parlement compte une Grand’chambre11, ou chambre ordinaire, qui reste la chambre principale. D’après l’article de Béatrice Fourniel,12 les modèles de fonctionnement des Parlements étaient similaires à celui de Paris. La Grand’Chambre traitait les affaires civiles les plus importantes. De plus, elle procédait aux enregistrements 7 FAVIER René, « Le Parlement de Dauphiné et la ville de Grenoble aux XVIIe et XVIIIe siècles », In FAVIER René (dir.), Le Parlement du Dauphiné, des origines à la Révolution, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2001, p. 195. 8 BONNIN Bernard « Parlement et communautés rurales en Dauphiné de la fin du XVIe au milieu du XVIIIe siècle «, p. 43. 9 A.D.I. Cote 2B3029, procédure criminelle contre Maître André Gallin, 1711. 10 Voir Annexe n° 1 11 GARNOT Benoit, Justice et société en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éditions Ophrys, 2000 12 FOURNIEL Béatrice, « Les Institutions judiciaires d’Ancien Régime et leurs archives ». Article pour l’Institut National Universitaire Champollion. 29 des ordonnances13 et lettres patentes émanant du roi. Elle pouvait aussi faire la demande de procéder à des enquêtes secrètes, comme ce fût le cas pour la procédure 2B303214 dont les informations de témoins ont été faites secrètement : « Informations, secrettement prises par nous Louis Bourbosson advocat en parlement, commissaire député par decret du sieur juge (…) ».15 Avec le développement du système judiciaire, apparaissent les chambres des enquêtes, 16 les chambres des requêtes17 ou encore les chambres criminelles, appelées chambre de la Tournelle. D’ailleurs, l’indication qu’il s’agit d’une procédure criminelle peut être faite au dos des documents ou bien sur l’étiquette de procédure, comme pour la procédure criminelle 2B159118 dont l’étiquette indique « procedures criminelles ». 19 Les procédures relevant de crimes sont bien évidemment traitées par ces dernières, la particularité étant que seuls les magistrats laïcs opèrent dans cette chambre, la religion catholique empêchant les clercs de prononcer des peines pouvant entrainer la mort. Il existe également la chambre des vacations, qui réunit quelques magistrats désignés pour s’occuper des affaires urgentes pendant la période dite de « vacances judiciaires », qui avaient lieues d’après Benoit Garnot du 14 septembre au 12 novembre, mais qui pouvaient être sur une autre période suivant les Parlements. L’indication se fait dans le préambule des documents ou en marge de ces derniers, comme pour la procédure 2B304420 où est inscrite la phrase suivante en début de plainte : « A nos seigneurs de parlement tenant la chambre 13 D’après Benoit GARNOT Op. Cit. p. 236. « L’ordonnance est un acte législatif qui émane du roi, Et qui a le caractère d’un règlement général et qui concerne un grand nombre de matière. » 14 A.D.I. Cote 2B3032, procédure criminelle contre Jacques de Viennois, 1709. 15 Voir Annexe n° 2 16 La chambre des enquêtes gérait les procédures traitant du civil ou du petit criminel et recevait ses ordres de la Grand Chambre. 17 La chambre des requêtes concernait les jugements de personnes ayant le privilège du committimus, Ce privilège s’obtenait par les lettres émanant du roi et donnait le privilège à ses personnes de choisir les juges devant lesquels elles souhaitaient plaider.  des vaccations. » 21 . La plainte pour tentative d’assassinat, coups et blessures et mauvais traitement est déposée au mois de septembre de l’année 1712. Il existe d’autres chambres, comme la chambre des comptes en charges des finances du royaume, mais également des chambres particulières pour certaines villes. Dans le cas de Grenoble, seule la chambre de l’édit reste exceptionnelle. La présence du Parlement du Dauphiné à Grenoble fournit un rayonnement culturel et intellectuel, ainsi que d’importants revenus à la ville de Grenoble. Installé près de la collégiale St André, et à proximité du Collège des Dauphins, une partie de ses façades donnent sur la place du même nom22. Le bâtiment a évolué au fil des siècles, en parallèle avec l’extension de son pouvoir, par l’achat de bâtiments voisins et la construction ou la modification progressive des bâtiments. Il est encore aujourd’hui possible de distinguer sur sa façade les traces de son évolution architecturale relatant du style gothique au style de la renaissance et les différentes extensions effectuées.23 Le bâtiment ayant en grande partie été rénové à la fin du XIXe siècle, mais ayant conservé l’aspect qu’il avait sous l’Ancien Régime, l’aspect de l’édifice devait imposer afin de représenter la puissance de l’institution. Suite à des changements politiques, certains Parlements sont supprimés dès 177124 et jusqu’en 1788. D’autres sont mis en service entre temps. Le Parlement de Grenoble est quand à lui supprimé en 1790. 21 Voir document Annexe n° 4 procès verbal de plainte. 22 Place St André ou Place Bayard à Grenoble, au centre trône une statue du chevalier Bayard. 23 CHANCEL Dominique, GERON Colette « Les bâtiments du Parlement de Dauphiné ». in Op. cit. 24 GARNOT Benoît, Justice et société en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Éditions Ophrys, 2000, p. 124. 31 La sous-série 2B et les procédures criminelles « L’archive suppose l’archiviste » FARGE Arlette, Le goût de l’archive, Paris, Éditions du Seuil, 2004 La série B des Archives Départementales de l’Isère est classée dans la catégorie « Série Ancienne », regroupant toutes les archives publiques d’avant 1790. Actuellement, il y a 493 mètres linéaires de dossiers de procédures comptabilisés par les archivistes, dont 208 mètres linéaires classées, inventoriés et accessibles au public, soit un peu moins de la moitié. Les 285 autres mètres linéaires de procédures répertoriées ne disposent pas d’un outil de recherche pertinent permettant leur communication auprès du public. La sous-série 2B regroupe les procédures criminelles du Parlement du Dauphiné ayant pu être conservées, et sont en grande partie dépouillées. Elles représentent environ 4800 dossiers. Ces procédures ont été classées sur plusieurs périodes. Un premier classement a eut lieu dans les années 1950, avant le déménagement de ces archives dans leur lieu de conservation actuel25. Un second a eu lieu dans les années 2000, et enfin au cours de l’été 2015, des fiches papiers ont été relevées informatiquement, ce qui permet d’avoir accès plus facilement à certaines données relevées sur ces procédures. En marge de ces procédures criminelles clairement répertoriées en tant que telles, 52 ballots de krafts numérotés mais non accessibles sont conservés aux Archives Départementales de l’Isère, ainsi que 85 boites cartonnées contenant à la fois des procédures criminelles et civiles. J’ai également pu constater, à l’occasion d’un stage aux Archives Départementales de l’Isère au cours de l’été 2015, que des procédures criminelles se sont retrouvées mélangées à des procédures civiles, sans doute lors du déménagement. Il existe également 14 ballots de krafts contenant des procédures diverses qui n’ont pas été ouverts, mais aussi 900 dossiers de procédures civiles et criminelles relevant de la Chambre de l’Édit. 25 Archives départementales de l’Isère, Centre Jean Berthoin, 2 rue Auguste Prudhomme, 38000 Grenoble. 32 Un travail de classement d’une partie de ces procédures criminelles par chef d’accusation a été élaboré par les archivistes des A.D.I. Cela permet de pouvoir étudier ces procédures par typologie de crime en accédant directement aux cotes concernées, et ainsi éviter de se noyer dans les dépouillements de procédures très nombreuses. On y trouve des crimes répertoriés sous environ 86 chefs d’accusations, dont certains regroupent un nombre assez important de cotes. D’après ce classement, les chefs d’accusation recouvrant le plus de cotes sont les crimes d’assassinats (à coupler avec les tentatives d’assassinat), les crimes de coups et blessures, insultes, menaces et mauvais traitements, et les crimes de vols. Il apparaît qu’une grande majorité des procédures dépouillées sont datées du XVIIIe siècle, ce qui se confirme de part cette étude. Sur les 90 affaires différentes traitées, uniquement trois d’entre elles sont antérieures au XVIIIe siècle, deux datées du XVIIe siècle et une du XVIe siècle

Table des matières

PARTIE 1 – JUSTICE ET CRIMINALITÉ EN DAUPHINÉ AU XVIIIE SIÈCLE, LES PROCÉDURES CRIMINELLES DU FONDS DU PARLEMENT DU DAUPHINÉ
CHAPITRE 1 – PRÉSENTATION DU FONDS DU PARLEMENT DU DAUPHINÉ AUX ARCHIVES
DÉPARTEMENTALES DE L’ISÈRE
Du Conseil delphinal
… Au Parlement du Dauphiné
La sous-série 2B et les procédures criminelles
CHAPITRE 2 – LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE D’ANCIEN RÉGIME EN DAUPHINÉ AU XVIIIE SIÈCLE
Les différentes juridictions en Dauphiné
Les différents acteurs de la justice d’Ancien Régime
Le déroulement de la procédure, de la plainte à la sentence
CHAPITRE 3 – LES DIFFÉRENTES PIÈCES DE LA PROCÉDURE CRIMINELLE
Les principales pièces de procédure
Les pièces secondaires de procédures
PARTIE 2 – ACCUSÉES ET VICTIMES, LES FEMMES AU CŒUR DU CRIME2
CHAPITRE 4 – PORTRAITS DE CES FEMMES AU CŒUR DES AFFAIRES JUDICIAIRES
Accusées et victimes, qui sont elles ?
Typologie de crimes
CHAPITRE 5 – L’EXPRESSION DE LA VIOLENCE CHEZ CES FEMMES
La violence dans la sphère familiale et intime
Le crime dans le voisinage
Les gestes et les paroles violentes
CHAPITRE 6 – FACE À LA JUSTICE
L’argumentaire de ces femmes
La récidive
Sentences et condamnations
PARTIE 3 – TÉMOIGNER DANS LA JUSTICE D’ANCIEN RÉGIME
CHAPITRE 7 – L’IDENTITÉ DES TÉMOINS AU TRAVERS DES PIÈCES DE PROCÉDURES
Les pièces de procédures relatives aux témoins
Quelles informations sur leur identité ?
CHAPITRE 8 – TÉMOINS ET TAXES
Accepter la taxe ou non ?
Des témoins privilégiés ?

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