Apport des méthodes cinétiques à la simulation d’écoulements dans les milieux poreux

La présente thèse de doctorat porte sur l’apport de la théorie cinétique à la simulation d’écoulements de fluides, en particulier des gaz, dans des structures confinantes de petites tailles. Par petites tailles, il faut entendre, dans le cas des gaz et dans des conditions normales, des tailles comprises entre le millimètre et le nanomètre. Nous parlerons donc ici de “micro-écoulements” dont l’étude fait l’objet d’une discipline récente que l’on nomme la microfluidique [CB04,eH05] . Bien que la microfluidique porte principalement sur l’étude de micro-systèmes manufacturés  (micro-turbines, micro-pompes, etc.), de tels écoulements abondent dans la nature, notamment dans les géomatériaux poreux, mais aussi dans le cadre industriel, où des matériaux poreux, naturels ou synthétiques, sont utilisés, par exemple, comme filtres, vannes, tamis moléculaires ou encore pompes sans pièce mobile [GG08] (motionless pumps). Les matériaux poreux ont la particularité de posséder des géométries relativement complexes, tortueuses et désordonnées, et aussi de pouvoir présenter plusieurs tailles caractéristiques. En effet, un matériau poreux peut posséder une distribution en tailles de pores très large, ou simplement comporter des fissures dont la taille est grande par rapport à la taille moyenne de ses pores. Ces deux caractéristiques constituent des difficultés du point de vue de la simulation numérique de ces écoulements. D’une part, les géométries complexes donnent naissance à des difficultés de conditions aux bords, d’autre part, comme nous le verrons dans la section suivante, la diversité des échelles de tailles des structures confinantes nécessite l’emploi d’une description du fluide plus fine que celle des milieux continus, qui cesse d’être valide aux petites échelles, pour lesquelles la structure granulaire/atomique de la matière commence à se manifester.

La description proposée ici sera celle de la physique statistique hors d’équilibre, grâce à laquelle le fluide sera décrit par une fonction de distribution de probabilité, dont l’évolution est régie par l’équation de Boltzmann. Plus précisément, il sera proposé d’étendre les méthodes de Boltzmann sur réseau (LBM), que l’on sait valide dans la limite hydrodynamique, aux écoulements non hydrodynamiques, en suivant la démarche systématique de construction des LBM proposée par Shan et He [SH98].

Les différentes approches en mécanique des fluides et leurs limites de validité

En mécanique des fluides, la description la plus communément utilisée est la mécanique des milieux continus (MMC). Celle-ci consiste à décrire l’évolution spatiotemporelle des champs macroscopiques de densité, d’impulsion et d’énergie par les équations de Navier-Stokes [Lan90,GHP01]. Ces champs sont, du point de vue de la physique statistique, à l’équilibre. Or, par définition, un système à l’équilibre ne peut évoluer dans le temps. L’évolution temporelle de ces champs macroscopiques nécessite donc l’introduction d’équations représentatives de l’éloignement du système à l’équilibre, source de l’évolution du système. Ces équations s’appellent équations constitutives  et nécessitent l’introduction de quantités empiriques appelées coefficients de transport  . Cependant, ces équations d’évolutions, dans le cadre de la MMC, ne représentent que de très faibles écarts à l’équilibre. Or, il est possible que dans certaines circonstances, un fluide puisse s’éloigner fortement de l’équilibre, et que, dans ce cas, les équations de la mécanique des milieux continus ne suffisent plus. Il est alors nécessaire d’utiliser une description plus fine de notre fluide. Nous pourrions par exemple considérer l’ensemble de toutes les molécules, ou atomes, qui le constitue. La résolution des équations du mouvement de cet ensemble de molécules, appelé problème à N corps, permet de retrouver le comportement des fluides, y compris lorsqu’ils s’éloignent fortement de l’équilibre. Cependant, une telle description est lourde et ne permettra la simulation de systèmes constitués que d’un petit nombre de molécules.

Entre ces deux descriptions (en terme de complexité), on trouve la théorie cinétique, qui consiste essentiellement en une description statistique du problème à N corps. La statistique permet d’une part de réduire considérablement le nombre de degrés de libertés du système, et permet d’autre part de passer d’un problème discontinu (les N corps), à un problème continu. Les N corps sont remplacés par une fonction de distribution statistique, qui bien que continue, conserve les caractéristiques discrètes sous-jacentes, à l’exception des fluctuations  . L’évolution de cette fonction de distribution est gouvernée par une équation aux dérivées partielles, l’équation de Boltzmann, qui est similaire aux équations rencontrées dans le cadre de la MMC et pour lesquelles les techniques numériques sont très développées.

Un découpage plus fin en différents régimes peut être fait,  sur laquelle on trouve les descriptions ainsi que quelques méthodes qui leur sont associées. Ce découpage place le régime hydrodynamique pour des Knudsen inférieurs à 0,01. Sur cet intervalle, les équations de la MMC, ainsi que ses hypothèses, peuvent être appliquées sans crainte. C’est le cadre actuel de la dynamique des fluides numérique (CFD), pour laquelle d’innombrables outils logiciels ont été développés, dont certains reposent sur la résolution des équations de Navier-Stokes, mais aussi sur des schémas particuliers de résolution de l’équation de Boltzmann-BGK, appelés méthodes de Boltzmann sur réseau (LBM), limitées à ce régime d’écoulement. Les LBM font l’objet de recherches intensives actuellement, car elles sont particulièrement bien adaptées à la structure parallèle des super-ordinateurs modernes  (les clusters ou grappes de calcul). Pour des nombres de Knudsen supérieurs à 10, se trouve le régime de particules libres. Il correspond typiquement aux conditions rencontrées dans l’aérospatiale, comme par exemple à la situation d’un satellite artificiel en mouvement dans le gaz ténu de la très haute atmosphère de la Terre. En effet, la taille L des satellites, y est plusieurs fois plus petite que le libre parcours moyen λ des molécules de l’atmosphère. Ce régime a lui aussi été l’objet d’intenses recherches et développements, bien que les outils logiciels soient moins abondants et plus confidentiels que ceux dédiés au régime hydrodynamique. Ces outils sont, en général, soit des codes déterministes de dynamique moléculaire, (on résout les équations du mouvement de toutes les particules du fluide, dont le nombre reste limité) soit des codes de résolution de l’équation de Boltzmann basés sur des techniques de tirages aléatoires (on parle alors de simulation directe par méthode de Monte Carlo  (DSMC) [ZGA02]). Entre ces deux régimes extrêmes, on distingue encore deux sous-régimes. Pour 0,01 ≤ Kn ≤ 0,1 le régime est qualifié de régime de glissement. Il peut être vu comme un prolongement du régime hydrodynamique, en ce sens que la description du fluide peut encore y être faite par la MMC ; cependant, certaines hypothèses de celle-ci n’y sont plus valides. En particulier, il n’est plus possible de considérer que le fluide “adhère” aux parois solides qui le délimitent, le fluide peut y avoir une vitesse différente de celle de la paroi et semble glisser sur celle-ci, d’où l’appellation du “régime de glissement”. Les techniques utilisées pour ce régime peuvent donc dériver de celles utilisées en MMC, en leur ajoutant des conditions aux bords (BC) spéciales de glissement (Slip BC). Ces conditions de glissement seront cependant obtenues grâce à la description cinétique (ou statistique) du fluide. Finalement, pour 0,1 ≤ Kn ≤ 3, le régime sera qualifié de régime transitionnel, car il marque la transition entre les aspects continu et granulaire de la matière, où elle peut sembler présenter une forme de dualité. Les méthodes utilisables ici ne peuvent être dérivées que de la description statistique ; en effet, la MMC est insuffisante, car non particulaire, et si nous choisissions la description particulaire, alors nous devrions faire des statistiques a posteriori sur les solutions obtenues, pour retrouver le continu. Il est donc judicieux, comme cela est décrit dans le premier chapitre de cette thèse, de faire des statistiques a priori sur le système de particules constituant le fluide, et de déterminer les équations qui régissent l’évolution de ces propriétés statistiques. D’autant que cette démarche a l’avantage de diminuer considérablement le nombre de degrés de libertés nécessaires à la description du système. Partant de cette description statistique, deux grandes voies sont alors possibles. La première consiste à déterminer, par l’équation de Boltzmann, l’évolution des propriétés statistiques du système, puis de déduire des solutions obtenues, l’évolution des grandeurs macroscopiques. C’est la voie que nous choisirons. L’autre voie consiste à construire les équations d’évolution pour les champs macroscopiques à partir de l’équation de Boltzmann, on parle alors de méthode des moments [Gra49b,ST03].

Signalons enfin que pour Kn = 0, le fluide est dit parfait et il a la particularité d’avoir une viscosité et une conductivité thermique nulles. Les équations qui régissent son évolution sont les équations d’Euler. À l’opposé, lorsque Kn → ∞, les molécules du gaz ne subissent aucune collision, on parle alors de gaz de Knudsen.

Espace des phases – Équations de Hamilton

L’espace des phases est l’espace le plus adapté à l’étude des systèmes thermodynamiques. Il s’agit d’un espace abstrait qui, pour un gaz de N particules (indicées par k), est engendré par l’ensemble des coordonnées xk et des impulsions mkvk des particules du gaz ; chaque point de cet espace représentant un état du système considéré. On appellera le sous-espace des positions de l’espace des phases, l’espace des configurations et le sous-espace des impulsions, l’espace des impulsions.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Approches en mécanique des fluides et leurs limites de validité
1.2 Coexistence de différents régimes au sein d’un même milieu
1.3 Plan de la thèse
2 Éléments de théorie cinétique
2.1 Espace des phases – Équations de Hamilton
2.2 Fonction de distribution dans l’espace des phases
2.2.1 Fonction de distribution à N particules
2.2.2 Fonction de distribution réduite
2.2.3 Fonction de distribution et grandeurs macroscopiques
2.2.4 Fonction de distribution d’équilibre
2.3 Évolution de la fonction de distribution dans l’espace des phases
2.3.1 Équation de Liouville
2.3.2 Opérateur de collisions
2.4 Gaz dilués – Limite de validité de l’équation de Boltzmann
3 Limite hydrodynamique de l’équation de Boltzmann
3.1 Hiérarchie des moments
3.2 Invariants collisionnels
3.3 Équations de bilan local sur les invariants collisionnels
3.3.1 Bilan de masse
3.3.2 Bilan de quantité de mouvement
3.3.3 Bilan d’énergie interne
3.4 Équations hydrodynamiques
3.5 Temps de relaxation
3.5.1 Temps de relaxation local
3.5.2 Temps de relaxation et nombre de Knudsen
4 Écoulements glissants et transitionnels
4.1 Conditions aux bords
4.1.1 Conditions aux bords cinétiques
4.1.2 Modèle de Maxwell
4.2 Vitesse de glissement à la paroi
4.3 Écoulement de Poiseuille avec glissement
4.3.1 Profil de vitesse
4.3.2 Vitesse débitante
4.4 Saut de température et transpiration thermique
4.4.1 Saut de température
4.4.2 Transpiration thermique
5 L’équation de Boltzmann sur réseau
5.1 Schémas de Boltzmann sur réseau
5.2 Schéma général de résolution de l’équation de Boltzmann-BGK
5.3 Projection de l’équation de Boltzmann-BGK
5.4 Quadrature et troncature de la fonction de distribution
5.5 Fonction d’équilibre discrète
5.6 Opérateur de collisions
5.6.1 Splitting des opérateurs
5.6.2 Moyenne des collisions
5.7 Hiérarchie des coefficients d’Hermite
5.8 Forces extérieures
5.9 Conditions aux limites
Conclusion

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