Approches mathématiques multi-niveaux pour l’étude de la croissance des tumeurs

Approches mathématiques multi-niveaux pour l’étude de la croissance des tumeurs

Considérations biologiques des tumeurs cancéreuses 

Les caractéristiques des cellules cancéreuses selon D. Hanahan et R.A. Weinberg On catégorise généralement les cancers en fonction du type de cellules dont ils émergent. On peut ainsi distinguer : – les carcinomes, formés à partir de cellules constituant l’épithélium, – les sarcomes, à partir de cellules de tissus conjonctifs – les cancers hématopoïétiques, qui touchent les cellules sanguines. Notre travail portera uniquement sur des carcinomes, en particulier le cancer du sein, issu des cellules épithéliales constituant les canaux lactifères, et le cancer colorectal qui émerge à partir des cellules épithéliales de la muqueuse intestinale. Ainsi tous les mécanismes biologiques décrits ci-après, ainsi que les modèles mathématiques développés ne concernent que le développement de tumeurs solides. Dans cette partie, nous souhaitons présenter des considérations générales sur la biologie des tumeurs, pour ce faire, nous nous sommes basés sur les travaux de Douglas Hanahan et Robert A. Weinberg qui décrivirent dans une première version en 2000 puis en 2011 dans la revue Cell (Hanahan and Weinberg, 2000, 2011), les principales caractéristiques des cellules cancéreuses. Un cancer, ou tumeur maligne, est un amas de cellules qui ont subi des mutations génétiques modifiant leur comportement. Ainsi, selon les auteurs, il y a 7 caractéristiques déterminantes qui différencient les cellules cancéreuses des cellules saines (voir figure 1.1) : l’évasion aux mécanismes d’apoptose, l’autostimulation de signaux de croissance, l’invasion des tissus et la formation de métastases, le potentiel de réplication infini, l’échappement à la surveillance et à l’action du système immunitaire, l’insensibilité aux signaux d’anti-croissance et enfin l’induction du processus d’angiogénèse ou la formation de nouveaux vaisseaux sanguins dans la tumeur. Figure 1.1 – Les 7 caractéristiques d’une cellule cancéreuse, en comparaison à une cellule saine. Source : Future, Aventis 2003, A. Puisieux, CLB, Lyon. Représentation inspirée de l’article de Douglas Hanahan et Robert A. Weinberg publié dans la revue Cell en 2000. L’évasion aux mécanismes d’apoptose : Dans la plupart des cancers, les cellules deviennent insensibles aux signaux d’apoptose ou de mort cellulaire, qui permettent normalement de réguler leur prolifération et qui empêchent la réplication de cellules génétiquement altérées, et donc le développement de tumeurs. Cela entraîne un mécanisme d’emballement qui donne lieu à la réplication de cellules dont le matériel génétique devient de plus en plus altéré. Une des mutations les plus classiques est l’inactivation du gène codant la protéine p53, un suppresseur de tumeur qui arrête le cycle cellulaire et peut déclencher la mort cellulaire. L’auto-stimulation de signaux de croissance : une des modifications les plus importantes est l’autosuffisance en signaux de prolifération. Celle-ci se met en place de diverses façons : les cellules vont sécréter des facteurs de croissance qui stimulent les cellules voisines, on parle alors de stimulation paracrine, ou bien répondre aux signaux qu’elles produisent elles-mêmes, il s’agit  ici de stimulation autocrine. De plus, les cellules peuvent stimuler des composants de la matrice extracelullaire tels que les fibroblastes qui vont sécréter en retour des facteurs de croissance. Les cellules cancéreuses peuvent aussi voir leur quantité de récepteurs membranaires augmenter, ce qui accroît la réponse à la quantité normale de ligand. Par ailleurs, l’augmentation de la prolifération peut être due à des modifications des voies de signalisation intracellulaires qui peuvent s’activer en absence de liaison du récepteur à son ligand. Enfin, les boucles de rétroaction censées atténuer la réponse cellulaire aux signaux prolifératifs peuvent être inactivées. L’invasion des tissus et la formation de métastases : L’envahissement ou l’invasion des tissus conjonctifs en périphérie des tumeurs solides est à l’origine de la formation des métastases (mécanisme qui requiert d’autres processus tels que l’angiogénèse, détaillée plus loin). A l’origine de ce processus, plusieurs classes de protéines impliquées dans la liaison des cellules à leur tissu environnant sont modifiées. Ces protéines sont principalement les cadhérines et les intégrines. En plus des signaux favorables à la croissance qui pourraient résulter de cette aberration, elle conduit aussi à la sécrétion des enzymes de protéolyse ou de métalloprotéinases (MMP) qui dégradent la matrice extracellulaire. Les cellules peuvent alors migrer dans le tissu conjonctif. Le potentiel de réplication infini : Dans les tissus sains, le nombre de divisions cellulaires est limité par l’érosion des télomères, parties terminales des chromosomes. Une cellule ayant des télomères trop érodés entre irréversiblement en sénescence, un état stable mais non prolifératif. Dans de nombreuses souches cancéreuses, on observe une surproduction de télomèrases, protéines qui recontruisent les télomères endommagés. Ainsi, il n’y a plus de système de décompte des divisions cellulaires, permettant à la cellule une reproduction potentiellement infinie. Un petit nombre de cellules mutées est donc suffisant pour voir apparaître une lésion tumorale, par accumulation successive de dégradations du matériel génétique au cours de l’expansion clonale. L’échappement à la surveillance et à l’action du système immunitaire : Notre organisme est doté de mécanismes immunitaires de surveillance et de contrôle de toutes anomalies cellulaires. En effet, il est possible qu’un grand nombre de lésions tumorales restent à un stade bénin, la surveillance immunitaires les empêchant d’acquérir plus de mutations et de devenir invasives. Les tumeurs malignes ne sont plus sensibles à ce contrôle.  L’insensibilité aux signaux d’anti-croissance : La progression dans le cycle cellulaire (série de processus qui permettent à une cellule d’accroître son volume, de répliquer son matériel génétique et procéder à la mitose donnant lieu à la division en deux cellules indépendantes) est normalement régulée négativement par un ensemble de mécanismes moléculaires. En particulier des protéines peuvent arrêter le cycle cellulaire si des erreurs de réplication génétique sont repérées. Dans de nombreuses souches cancéreuses, ces protéines sont inactives ou fortement inhibées. C’est le cas par exemple des complexes Cyclin-CDKs. L’induction du processus d’angiogénèse : Afin de pouvoir grossir librement, la tumeur doit établir son propre réseau vasculaire. Des mutations génétiques permettent aux cellules de sécréter, en cas de stress hypoxique, des facteurs angiogéniques qui vont entrer en compétition avec les facteurs anti-angiogéniques naturellement présents dans l’organisme pour prévenir une croissance anarchique de la vasculature (Folkman, 2006). On assiste alors à ce qu’on appelle le « switch » angiogénique, la quantité de facteurs pro-angiogénèse dépassant celle des facteurs l’inhibant (Hanahan and Folkman, 1996). De nombreuses molécules angiogéniques chemo-attractantes peuvent être sécrétées par les cellules tumorales, entre autres, l’EGF (epidermal growth factor ou facteur de croissance épidermique), le FGF (fibroblast growth factors ou facteur de croissance des fibroblastes) et le plus fréquemment cité, le VEGF (vascular endothelial growth factor ou facteur de croissance de l’endothélium vasculaire). Ces molécules sont contrebalancées par les angiopoïétines, la thrombospondine ou l’endostatine, sécrétées par les tissus sains (Ferrara, 2002). En réponse aux signaux angiogéniques qui diffusent dans les tissus autour de la tumeur, créant un gradient de concentration chimique, les cellules endothéliales constituant les vaisseaux sanguins proches de la tumeur sont activées. On assiste à une dégradation des adhésions moléculaires entre les cellules endothéliales elles-mêmes et entre cellules endothéliales et péricytes entourant les vaisseaux sanguins. Cette déstabilisation induit la sécrétion de MMPs (matrix metallo-proteases ou métalloprotéases matricielles), enzymes protéolytiques qui dégradent la matrice extracellulaire pour y faciliter la migration des cellules. La prolifération des cellules endothéliales s’accélère, et elles migrent suivant le gradient de signaux angiogéniques, suivant un mécanisme dit de chemotaxie, ou chimiotactisme. Elles s’organisent alors pour former des structures tubulaires, les néo-vaisseaux. Via la sécrétion de FGF, la tumeur recrute des fibroblastes qui vont se différencier en péricytes et cellules musculaires lisses autour des néo-vaisseaux, ce qui permet la maturation et la stabilisation des cellules endothéliales. Cependant la maturation des vaisseaux créés par l’angiogénèse tumorale est incomplète, les  vaisseaux sont peu efficients, ayant une trop grande perméabilité (Jain, 1988, 2001). Néanmoins, les vaisseaux se développent jusqu’à atteindre la tumeur, créant alors une source d’oxygène et de nutriments favorisant la croissance de la tumeur (Bergers et al., 2003). La figure 1.2 représente schématiquement les processus de l’angiogénèse tumorale. Figure 1.2 – Représentation schématique du processus d’angiogénèse tumorale. Source Genentech (www.gene.com). De gauche à droite : la tumeur avasculaire et hypoxique sécrète des facteurs de croissance (VEGF). Ces derniers vons se lier aux cellules endothéliales constituant la paroi des vaisseaux sanguins et promouvoir leur prolifération et migration vers la tumeur. Il en résulte la formation d’un réseau sanguin intra-tumoral. On parle alors de tumeur vasculaire ou vascularisée. 

Les différentes phases de la croissance tumorale

La phase avasculaire : Le développement d’un cancer solide débute par une phase appelée hyperplasie, le volume du tissu épithélial augmente suite à  une prolifération cellulaire accrue. Puis vient une phase de dysplasie : l’architecture du tissu se désorganise, la différenciation cellulaire diminue, des irrégularités apparaissent dans la taille des cellules et des noyaux, la polarité des cellules est disparate. Lorsque les cellules cancéreuses remplissent toute la hauteur de l’épithélium, mais sans traverser la membrane basale épithéliale, on parle de carcinome in situ, ou carcinome non invasif. On peut distinguer ces différents états tissulaires sur la figure 1.3 qui présente des images d’anatomo-pathologie et des vues schématiques des phases d’hyperplasie, dysplasie et invasion locale. Dans les premières phases de développement, les tumeurs puisent les nutriments et l’oxygène nécessaires à leur survie dans le milieu environnant, à partir des structures vasculaires et lymphatiques préexistantes, au détriment du tissu sain. La taille tumorale est alors limitée à quelques millimètres. En effet, du fait de leur fort taux de prolifération, les cellules épuisent les ressources en oxygène du milieu, n’en laissant pas suffisamment aux cellules situées plus profondément dans la masse. Les cellules au centre de la tumeur en viennent à souffrir d’hypoxie, et rentrent alors en phase quiescente, tandis que seules les cellules périphériques conservent un caractère prolifératif. Les cellules en hypoxie entrent en nécrose si les conditions se dégradent trop fortement du fait de l’accroissement de la masse tumorale. La tumeur se structure alors en couches de cellules de phénotypes différents. La périphérie de la masse tumorale est constituée de cellules proliférantes, qui entourent une populations de cellules quiescentes, hypoxiques, elles-mêmes entourant un cœur nécrotique. On parle alors de structures sphéroïdes ou tumeurs avasculaires. La phase vasculaire : Une fois reliée à son propre réseau vasculaire, la tumeur peut croître de façon exponentielle, recrutant de nouveaux vaisseaux à mesure que ses besoins en nutriments augmentent. Un cœur nécrosé subsiste néanmoins toujours, entouré d’un anneau de cellules quiescentes. En effet la qualité de la néo-vasculature étant mauvaise, l’oxygène ne peut diffuser sur quelques millimètres dans les tissus autour des vaisseaux. La présence d’un réseau vasculaire permet le détachement de cellules tumorales qui, profitant de la perméabilité des vaisseaux, vont entrer dans la circulation sanguine. Elles peuvent alors être déposées au niveau d’autres organes où elles s’établissent et forment des tumeurs secondaires appelées métastases. La formation des métastases se fait suivant plusieurs étapes. Les liaisons cadhérines liant les cellules tumorales entre elles se dissocient, permettant la migration de cellules dans la tumeur puis dans les tissus environnants dégradés auparavant par des MMPs. Les cellules libres peuvent alors entrer dans les capillaires sanguins ou lymphatiques (phénomène d’intravasation) et en ressortir (extravasation) au niveau 13 .Figure 1.3 – Photos (gauche) et illustration (droite) des phases d’hyperplasie (haut), dysplasie (milieu) et invasion locale (bas). Source inconnue  d’un autre organe. Après une phase de dormance, la cellule entre en mitose, créant une micro-métastase avasculaire. La nouvelle tumeur croît ensuite suivant le même processus que la tumeur primaire, en établissant par angiogénèse son propre réseau vasculaire. Plus de détails sur ces mécanismes peuvent être trouvés dans Gupta and Massagué (2006) et Klein (2008). Par ailleurs, une illustration de la croissance tumorale est proposée dans la figure 1.4. 

Table des matières

1 Introduction
1.1 Notions d’épidémiologie du cancer
1.2 Considérations biologiques des tumeurs cancéreuses
1.3 Considérations thérapeutiques et pharmacologiques
1.4 Intérêt de la modélisation en cancérologie
1.5 Problématique, hypothèses et objectifs du travail
2 État de l’art
2.1 Les premiers modèles en cancérologie
2.2 Les modèles pour données précliniques
2.3 Les modèles pour données cliniques
2.4 Les modèles mécanistiques
3 Modèle continu, multi-niveaux de croissance de tumeur solide et d’angiogénèse
3.1 Avant-propos
3.2 Article : Analysis of the efficacy of antiangiogenic drugs combined to chemotherapy with a tumour growth inhibition multiscale model
4 Modèle continu des voies de signalisation moléculaire du VEGF,approche biologie systémique
4.1 Avant-propos
4.2 Article : A structural model of the VEGF signalling pathway :emergence of robustness and redundancy properties
5 Modèle discret de formation de sphéroïdes de cellules mammaires humaines in vitro
5.1 Avant-propos
5.2 Article : A computational model of HER2 over-expressing mammary epithelial cells spheroid formation in vitro
6 Discussion
Liste des Figures
Bibliographie

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