Carte des philosophes antiques 

Carte des philosophes antiques 

La « Cartographie des philosophes antiques2 » est le résultat d’un projet de recherche de deux ans (2018-2020), soutenu par le Labex HASTEC, le Centre Jean Pépin et le laboratoire ANHIMA, qui visait à produire une visualisation géographique des lieux de naissance, de formation, d’activité (académique, politique ou culturelle) et de décès d’un ensemble non exhaustif mais représentatif de philosophes antiques. Cette visualisation est destinée à un public varié : chercheurs, enseignants, étudiants, grand public. L’objectif de cette cartographie est en effet double : d’une part proposer un accès à des données précises et de bonne qualité, librement réutilisables pour un usage scientifique, d’autre part offrir des supports utilisables en cours de langues anciennes, d’histoire, ou de philosophie tant dans le supérieur que dans le secondaire. Le projet s’appuie sur des données produites et exposées dans la base de données CIRIS, créée et maintenue au sein du Centre Jean Pépin par une équipe de bibliographes professionnels.  Un autre objectif à plus long terme est l’enrichissement de Wikidata afin de proposer au plus grand nombre des données vérifiées, dans un format ouvert et libre. L’idée même de ce travail cartographique doit beaucoup à quelques projets pionniers majeurs, qui ont été pour nous des sources d’inspiration décisives – quand bien même nous avons adopté des choix techniques parfois très différents. Mentionnons simplement le réseau Pelagios (https://pelagios.org/), dont le travail depuis une dizaine d’années a orienté dans des directions nouvelles toute la cartographie antique, en insistant notamment sur la nécessité de coordonner les initiatives, de favoriser les collaborations et d’adopter des pratiques d’annotation géographique rigoureuses, appuyées sur des référentiels et des données liées. L’outil Recogito (https://recogito.pelagios.org/), issu de ce réseau, est devenu aujourd’hui une référence pour l’annotation de corpus. Citons également la base de données collaborative Pleiades (https://pleiades.stoa.org/), que nous avons directement utilisée pour renforcer l’identification des lieux. Dans un autre registre, parmi les projets actuellement développés en France, on doit également mentionner la base de données Biblindex (http://www.biblindex.mom.fr/fr), qui représente depuis maintenant plusieurs années un modèle remarquable d’élaboration de données liées, fondées sur des sources anciennes.

Ce projet est né du constat que la représentation spontanée de la philosophie antique s’envisage comme un fait socio-culturel extrêmement concentré géographiquement, autour de quelques foyers bien identifiés comme Athènes, Rome et Alexandrie. Cette représentation n’est pas fausse à proprement parler, dans la mesure où la concentration de l’activité philosophique dans ces centres est bien documentée, et liée à la présence de sites d’enseignement et de recherche. Mais elle est incomplète : elle occulte en effet la diversité géographique réelle de la vie culturelle dans le bassin Méditerranéen sur la très longue durée de l’Antiquité gréco-latine, à laquelle s’ajoute la diversité ethnique très importante des acteurs de cette vie culturelle. En outre elle fausse la perspective, en exagérant parfois le rôle de ces foyers culturels majeurs dans l’évolution culturelle et politique du monde antique, au détriment d’autres influences moins documentées mais probablement tout aussi décisives3. Or, cet écrasement de la diversité ethnique des acteurs de la vie culturelle et philosophique constitue un point qui ne doit pas rester aveugle, surtout dans le contexte actuel. En effet, l’appropriation de l’Antiquité par des mouvements politiques ou sociaux est un fait bien étudié par les historiens depuis la Seconde Guerre mondiale, en commençant par la fascination du régime nazi pour l’Antiquité grecque et romaine. Au-delà de la fascination, de nombreuses études ont montré qu’il s’agit bien d’une construction argumentée à laquelle non seulement la propagande, mais aussi les sciences de l’époque et celles du siècle précédent ont contribué4. La « racialisation » de l’histoire dont parlait il y a une dizaine d’années Maurice Sartre5, qui consiste à abuser des discours sur les vertus et les vices supposés de groupes humains, a connuun développement continu jusqu’à aujourd’hui qu’il ne faudrait pas sous-estimer.

Les études classiques américaines, canadiennes, australiennes et anglaises ont pris conscience du fait que leur champ de recherches n’était pas exempt de ces diverses réappropriations et mystifications fondées sur des stéréotypes ou des mythes tenaces qu’il est nécessaire de déconstruire en rappelant les faits. Cette déconstruction ne s’opère pas sans difficulté, comme l’a expérimenté par exemple l’universitaire Sarah E. Bond. En 2017, elle rédige un article de vulgarisation scientifique sur son blog universitaire appelant à voir l’Antiquité en couleurs, dans la mesure où établir une équation entre la blancheur des statues antiques et la beauté relève d’une construction qui influence encore aujourd’hui le mouvement des suprémacistes blancs américains6. Après la publication de cet article, elle a non seulement été l’objet de moqueries de la part de sites conservateurs, mais elle a également subi des menaces en ligne7. On comprend mieux dès lors l’enjeu qui sous-tend ces recherches. De nombreux articles, ouvrages et initiatives8 ont vu le jour afin de pas laisser le champ libre aux idéologies qui se fondent sur une Antiquité fantasmée et revisitée pour imposer une vision du monde sexiste, raciste, homophobe, suprémaciste, très loin des tentatives universitaires de délivrer un enseignement inclusif sur l’Antiquité9. Ces réflexions émergent lentement dans les études classiques françaises10. La philologie, l’étude de la littérature, l’histoire antique ont déjà amorcé un mouvement de réflexion sur leurs propres champs d’étude pour déconstruire ces appropriations11, mais il n’en va pas encore de même pour la philosophie antique. Pourtant, les falsifications et approximations existent et nécessitent également cet effort de déconstruction évoqué précédemment. Ainsi, sur le site Eurocanadian.ca est proposée une liste de soixante- quinze philosophes de l’Antiquité à la période moderne intitulée « Greatest Philosophers are ALL European Men12 » afin de justifier la supériorité intellectuelle et raciale des Européens. Il serait erroné de penser que ce type d’initiative est issu exclusivement de discours non scientifiques.

 

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