Démocratie directe et démocratie indirecte

Cadre théorique et conceptuel

Concepts en relation avec la démocratie

Démocratie

Le processus démocratique a pris naissance différemment au sein de la Grèce antique par rapport à l’Empire romain. Au sein de la Grèce antique, la démocratie directe a été définie par Périclès, comme « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (Polère, 2007a : 2). Cette démocratie, qui exprime la « souveraineté du peuple » (demokratia), est marquée par la liberté, l’égalité politique et la dignité (Ober, 1998 : 145). Plus précisément, la démocratie au sens de la Grèce antique est définie par le mot « isonomie » qui signifie l’égalité devant la loi et la participation directe à la décision politique (Hogga, 2007 : 21). Contrairement à l’expérience de la Grèce antique, l’Empire romain a mis en œuvre une démocratie indirecte. Ce type de démocratie renforce la position de la classe aristocratique (les riches, les chevaliers romains et les nobles) et marginalise la voix du peuple. Plus précisément, Cicéron a indiqué que l’assemblé du peuple est sous le contrôle du Sénat et des magistrats.

Ces deux derniers monopolisent la prise de décision sur l’élaboration des lois (Moatti, 2010 : 26-27). Ainsi, la « res publica » qui définit « les choses du peuple » au sens romain (Audier, 2004 : 7) n’est autre « qu’un système “timocratie” qui est un système fondé sur les qualifications de propriétés » (Manin, 1997 : 45)54. La revue de la littérature concernant l’expérience de la Grèce antique et de l’Empire romain dévoile la présence d’un changement sur le plan sociopolitique défini par l’affaiblissement du pouvoir monarchique et la mise en valeur de l’opinion publique, de la liberté et de la justice sociale.

L’élimination du pouvoir monarchique, la mise en valeur de l’opinion publique, la liberté et la justice sociale ont marqué la Révolution française bien plus qu’ils ne l’ont fait lors de la révolution britannique et américaine. L’Angleterre a instauré en 1689 une république monarchique55, alors qu’aux États-Unis, il n’y a pas eu d’amélioration du traitement réservé aux esclaves noirs (Kaspi, 1972 : 5, 13). Mais, ces révolutions ont fixé, vers la fin du 18e siècle, un objectif commun, à savoir que « le principe individualiste est une vérité absolue » (Duguit, 2002 : 131-132). La liberté individuelle a été consolidée, en France, par la loi du « Chapelier » du 14 juin 1791. Cette loi renforce la liberté individuelle selon la vision libérale au détriment des corporations (Audier, 2004 : 37, 56). Cette loi a été fondée sur le principe Jacobin de la Révolution française qui ne permet à aucun corps de s’interposer entre les citoyens et le pouvoir (Desjardins, 1970a : 220). Ce principe donne à l’individu le pouvoir et la liberté pour qu’il soit son propre maître dans ses actions et dans ses choix décisionnels.

L’étude des révolutions au sein de la Grèce antique, de l’Empire romain et du monde moderne suggère qu’elles ont toutes été fondées sur l’amélioration de la liberté, de l’égalité et de la justice. Dans ce contexte, nous pouvons citer la définition de la démocratie, selon Castoriadis, pour qui « la démocratie se définit comme la capacité d’une société à remettre en question sans cesse les notions de liberté, de justice, d’équité et d’égalité ». (Moatti, 2010 : 25). Cela étant dit, la démocratie apparaît comme un fait social qui a été créé pour instaurer la paix sociale et pour éliminer ou réduire les conflits sociaux.
La démocratie, à travers les notions de liberté, de justice, d’équité et d’égalité qu’elle suggère, définit l’aspect philosophique de la vie, où l’action porte sur la recherche de l’amélioration mutuelle de l’intérêt individuel et collectif. Ce point de vue sur la nature de la démocratie nous amène vers le concept de la démocratie sociale (Martins, 1949 : 1-12 ; De Lamarzelle, 1964 : 1, 7, 34 58 ; Adler, 1970 : 71). Notons que le renforcement de « l’égalité de droits politiques » (la démocratie politique) n’implique pas nécessairement une amélioration de « l’égalité du destin » (la démocratie sociale) (Weber, 1990 : 24)57. Dans ce contexte, certains auteurs ont montré que si la démocratie a été définie strictement politiquement, alors elle sera présentée comme une démocratie de « façade ». Pour ces auteurs, la « vraie » démocratie ne peut exister que si l’organisation sociopolitique a pu instaurer et renforcer l’égalité et la justice au plan socio-économique (O’Donnell, 2001 : 200-201).

À partir de ce qui a été développé ci-dessus, nous remarquons la présence d’un conflit entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel. Ce conflit nous amène vers un autre point de raisonnement ; portant sur la nature de la relation entre la souveraineté individuelle et la souveraineté collective. De ce fait, nous présentons dans ce qui suit les caractéristiques de la souveraineté.

Les caractéristiques de la souveraineté

Rousseau a défini la souveraineté comme une « volonté générale », inaliénable et indivisible (Rousseau, 1977 : 192-196). En second lieu, nous allons nous référer à Duguit (2002). Ce dernier a articulé la notion de la souveraineté autour de deux caractéristiques : l’originalité et l’unicité58. Cette souveraineté, au sens de la volonté individuelle ou générale, ne peut être en acte, selon Duguit, que si elle a été déterminée par un but et soutenue par un être conscient. L’auteur, en se basant sur les idées du philosophe américain William James, indique que la volonté est une énergie idéomotrice, c’est-à-dire « une énergie qui reste à l’état potentiel jusqu’au moment où l’idée d’un certain but à atteindre détermine le sujet à passer à l’acte, à faire un acte de volonté, à mettre en mouvement son activité » (Duguit, 2002 : 72). Dans cette thèse, nous utilisons désormais la volonté comme synonyme de la souveraineté (Duguit, 2002 : 70).

En premier lieu, dire que la souveraineté est inaliénable, ceci implique que la volonté individuelle ou générale ne peut pas être cédée à quiconque, car une fois cette volonté retirée, l’être conscient en tant qu’individu ou groupe perdra son existence en tant qu’acteur actif sur l’arène socio-politico-économique. En second lieu, dire que la souveraineté est indivisible, ceci implique que la volonté générale ne peut pas être répartie sur plusieurs sous-groupes. Car si la volonté est subdivisée en plusieurs parcelles, ceci mènera soit vers la marginalisation de la volonté sur le plan de sa valeur, soit vers l’émergence d’une concurrence entre plusieurs sous-groupes d’individus ou entre plusieurs individus. En troisième lieu, dire que la volonté est un bloc unique et indissociable, ceci implique le renforcement de l’idée de la suprématie d’une volonté générale par rapport aux autres (ex. individuel, sous-groupe). Car s’il n’y a pas une volonté suprême, nous convergerons vers les deux conséquences négatives citées dans le cas de l’indivisibilité. En quatrième lieu dire que la volonté est originale implique que la volonté est édifiée par elle-même et non par une volonté antérieure ou supérieure à elle. Car si c’est le cas, elle ne sera pas une volonté illimitée et absolue sur le plan de son espace (Duguit, 2002 : 70-84). Le concept de volonté a fait couler beaucoup d’encre s’agissant de la protection de la liberté individuelle, étant donné que la volonté a été définie comme une puissance suprême illimitée.

Par ailleurs, la lecture de la documentation scientifique souligne la présence de deux types de démocratie : la démocratie directe (participative) et la démocratie indirecte (représentative). Cette dernière, contrairement à la démocratie directe (participative), a été plus présente dans les révolutions modernes (la France, l’Angleterre et l’Amérique).

Démocratie directe et démocratie indirecte

Dans cette section, nous présentons en premier lieu la démocratie représentative et en second lieu nous abordons la démocratie participative. Dans la première sous-section, nous parlerons de la monopolisation de la classe aristocratique, de sa supériorité sociale sur le plan économique et politique. Cette supériorité a été assurée par la richesse, les règlements et la connaissance académique. Nous supposons alors la continuité de la division sociale par le principe de la propriété des moyens de production en plus du principe de la « méritocratie » (Polère, 2007a : 12). Aussi, dans cette section, nous évoquons la relation entre la démocratie indirecte et la formation des élites de la classe aristocratique en particulier. Ces élites vont imposer leur volonté par rapport à celle des électeurs. Dans la deuxième section, évoquons la réintégration de la démocratie « classique » qui implique une politique cherchant à revaloriser « la volonté » du peuple afin de l’intégrer dans la prise de décision et réduire les conflits sociaux. Cette action vise la décentralisation de la prise de décision basée sur le critère de la possession des moyens de production. Ceci implique indirectement le partage de « la volonté ou de la souveraineté ». Nous évoquons également la pratique de la démocratie participative dans le contexte officieux qui a mené vers la conservation de la domination de « la volonté » des élites et de la marginalisation de celle du peuple.

Démocratie indirecte (représentative)

La démocratie représentative a pris de l’ampleur et de l’importance à la suite des révolutions françaises, américaines et anglaises. La mise en œuvre de ce type de modèle démocratique s’articule autour de trois justifications. La première est associée à l’incapacité de rassembler, au sein de l’assemblée du peuple, un nombre élevé d’individus parmi la population. La deuxième justification est liée à l’incompétence probable d’une gouvernance libre par le peuple. La troisième concerne la possibilité de la substitution de la propriété privée par un système égalitariste de partage de la propriété. Ainsi, le modèle de la démocratie représentative a eu pour but d’instaurer un système de gouvernance fondé sur un groupe d’élus bien instruits : les élites (Manin, 1997 : 2, 44, 161 ; Polère 2007a : 12)60. Le cadre représentatif au sein des républiques modernes a renforcé la prédominance de la classe aristocratique sur la scène politique. Cette classe a été soutenue principalement par les détenteurs du capital61. Le critère de détention du capital, nécessaire chez les élus, a été souvent présenté comme un outil de protection contre la corruption et garant de l’indépendance du pouvoir exécutif et/ou de la monarchie (Manin, 1997 : 105). Aux États-Unis, malgré la divergence entre les antifédéralistes et les fédéralistes au sujet de la nature des représentants, ils ont fini par lier la méthode de choix au cadre aristocratique (des personnes « supérieures » à ceux qui les élisent) (Manin, 1997 : 133).

À partir de ce que nous avons pu développer jusque-là, nous pouvons consolider l’idée que la démocratie représentative a instauré le principe du « gouvernement du peuple par les représentants du peuple » » à la place de celui du « gouvernement du peuple par le peuple » (Polère, 2007a : 13). Ce type de démocratie a été défini par Schumpeter, comme « un système institutionnel aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple » (Gaxie, 2008 : 438). Par cette définition, Schumpeter suggère que la réalité empirique de la démocratie représentative implique que l’électeur ne peut ni prendre des décisions sur les affaires publiques de manière indirecte ni exprimer une volonté populaire62. Concrètement, la démocratie représentative concerne un rassemblement d’une minorité choisie pour mettre en œuvre sa volonté dans le processus de prise de décisions politiques. Ainsi, Schumpeter cite que la volonté des électeurs ne domine pas la volonté du parlement, mais que c’est la volonté des leaders politiques qui dessine la volonté du peuple.

Ce faisant, Schumpeter conteste la vision idéaliste selon laquelle la démocratie représentative reflète la volonté du peuple et qu’elle sert le « bien commun ». Ainsi, selon lui, « la volonté » du peuple est soumise et fabriquée de manière continue par d’autres individus ou groupes d’individus appartenant à son environnement socio-politico-économique. Ces individus ou ces groupes d’individus incarnent le caractère de la proximité entre l’électeur et l’élu, et ceci, pour donner à l’élu une image fidèle et réaliste en tant que représentant des électeurs. Les fédéralistes de leur côté ont fortement appuyé le principe de la propriété des députés tout en montrant son efficacité dans l’émergence d’un pouvoir central fort profitable pour le développement de la nation (Manin, 1997 : 98-10, 109-110, 120-121, 131) de la suprématie du leadership. Manin (1997) suggère que même si Schumpeter n’a pas mentionné explicitement le concept élitiste, sa critique associe la démocratie à un système élitiste63. Cette vision a donné à la démocratie représentative une conception antidémocratique qui est fondée sur la « concurrence pour les votes ». Ainsi, selon la doctrine moderne de la démocratie : « la démocratie se traduit par une concurrence des leaders pour les votes » (Mackie, 2009 : 129 ; Manin, 1997 : 15, 161-162 ; Paquet, 1990 : 3 ; Lakomski-Laguerre et Longuet, 2004 : 33, 40)64. La vision de Schumpeter atteste ainsi la prédominance de la démocratie sociopolitique à la démocratie socio-économique.

À la différence des régimes du passé, à partir du 17e siècle et jusqu’à nos jours, les élites au pouvoir ne viennent pas de l’aristocratie traditionnelle (nobles), mais plutôt, de la classe sociale la plus aisée, la plus puissante économiquement ; la grande et la moyenne bourgeoisie mais également, du reste du peuple65. Les élites du reste du peuple sont choisies selon les critères de la qualification et de la compétence intellectuelle ; selon donc une approche « méritocratique » (Polère, 2007a : 12). La démocratie représentative se fonde implicitement sur une catégorisation de la population, où l’élite politique est « une experte potentielle » en gouvernance et où les électeurs ne le sont pas. Sur le plan politique, les élites ont alors un rôle déterministe, alors que les électeurs jouent un rôle secondaire se limitant à surveiller les représentants (Gaxie, 2008 : 440).

Démocratie directe (participative)

D’un point du vue historique, le débat sur la démocratie participative a repris de la vigueur dans les années 60. Cette renaissance a été nourrie par les problèmes économiques (ex. la pauvreté, le chômage, les inégalités d’opportunité et de richesse) et environnementaux (Touraine, 197366 ; Gaudin, 2007 : 10, 28-29 ; Polère, 2007b : 5-6). Le principe de participation, en tant que moyen de revendication direct, a été particulièrement utilisé par les travailleurs durant les mouvements de masses dans les années 60 et 7067 pour reconsidérer la répartition du profit (Gaudin, 2007 : 31 ; Sintomer, 2007 : 103 ; Molénat, 2010 : 105). À partir des années 70 et 80, des dispositifs ont été mis en place afin de matérialiser la mise en application de la démocratie participative au sein des entreprises, des quartiers et de la vie politique de la nation (e.g, le budget participatif (Flammand et Nez, 2010 : 19), les jurys citoyens (Bacqué et Sintomer, 2010 : 84-85), le débat public, l’assemblée citoyenne (Molénat, 2010 : 104), les conférences des citoyens (Sintomer, 2007 : 128-129) et le référendum (Ranney,1996 : 1, 18))

L’objectif de la pratique de la démocratie participative directe, selon Sintomer (2007), est de « rompre avec le monopole des élus sur la définition de l’intérêt général sans tomber dans les travers de la démocratie médiatique ou se perdre dans les méandres d’une gouvernance exercée par des groupes d’intérêts non contrôlés » (Sintomer, 2007 : 156-157). Le principe de la démocratie participative consiste alors à « organiser sur un thème précis un débat entre citoyens ordinaires, experts et élus, en assurant à l’ensemble des participants une égale considération et une information complète sur les données du problème traité » (Molénat, 2010 : 103)68. Dans le même ordre d’idées, Fauchard et Mocellin (2012 : 112) mentionnent que la démocratie participative vise la recherche d’une « nouvelle citoyenneté » traduisant une implication active des citoyens dans le processus décisionnel pour affaiblir la centralisation dans les processus décisionnels. Selon les mêmes auteurs, la « nouvelle citoyenneté » est définie par un rapprochement des citoyens avec le pouvoir par un mécanisme de dialogue et de négociation. Ce type de raisonnement traduit une gouvernance qui prend naissance à la base et s’oriente vers le haut, à l’inverse de la démocratie représentative. Blondiaux (2007 : 127-129), quant à lui, suggère que la démocratie participative peut être un instrument de justice sociale, une arme de contestation, un moyen de contrôle de l’action publique seulement s’il y a une forte institutionnalisation du débat public et une reconnaissance politique de la diversité de l’opinion publique. La démocratie participative est alors une institution qui vise la création d’un système de gouvernance décentralisé de la sphère des élites gouvernantes.

Selon certains auteurs (Blondiaux, Ranney, Gaudin), la démocratie participative s’inscrit dans l’agenda des élites politiques. En effet, même si le citoyen est intégré dans le processus de l’élaboration de la politique publique, le monopole de la prise de décision finale et la définition de l’intérêt collectif, selon Polère (2007b :10), entre autres, sont toujours conservés par les élus69. La démocratie participative, lors de sa mise en œuvre, présente un manque de transparence et elle est utilisée dans les sujets secondaires loin du cadre politique de gouvernance, dans la politique de clientélisme et dans la conservation de la suprématie de l’élite politique sur la prise de la décision finale70. Ces inconvénients marginalisent et restreignent l’influence de la classe inférieure (la population non qualifiée et les travailleurs), et renforcent l’influence de la classe supérieure (la bourgeoisie) à travers sa richesse et son savoir-faire (Blondiaux, 2007 : 124-127 ; Ranney, 1996 : 15-18 ; Gaudin, 2007 : 88, 117 ; Koebel, 2010 : 116-119 ; Molénat, 2010 : 107-108).
La démocratie représentative et la démocratie participative sont deux systèmes que le mouvement syndical a utilisés dans sa lutte pour l’amélioration de l’intérêt socio-économique de la collectivité. Dans la section suivante, nous exposons une revue de la littérature au sujet du l’institution syndicale et la pratique de la démocratie participative et de la démocratie représentative.

Syndicalisme et démocratie participative et représentative

Le dictionnaire canadien des relations du travail définit le syndicat comme « l’association de personnes physiques ou morales ayant pour objet la représentation et la défense d’intérêts communs » (Dion, 1986 : 460). Sidney et Beatrice Webb définissent le syndicat comme une « association permanente de salariés qui se proposent de défendre ou d’améliorer les conditions de leur contrat de travail » (Lefranc, 1961 : 5). Garello, Lemennicier et Lepage, de leur côté, ont défini le syndicat comme « un groupe de pression71 qui agit comme un cartel » et qui a deux objectifs principaux. Le premier porte sur l’augmentation des rémunérations monétaires et la redistribution du gain de l’entreprise. Le deuxième porte sur l’amélioration des conditions de travail et des avantages sociaux (Garello, Lemennicier et Lepage, 1990 : 27-28, 31-32). Pouget signale que cette association « doit éclore spontanément et se développer dans tous les milieux, et cela, indépendamment de toute théorie préconçue » (Pouget, 2010 : 54-55)72. La liberté d’association syndicale a été renforcée par la convention no87 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette convention « garantit aux travailleurs les droits fondamentaux d’organisation et de libre activité pour protéger et défendre leurs intérêts » (Brett, 1999 : 1). Dans le cadre de ce travail, l’objectif n’est pas tant de détailler les définitions du syndicat, mais d’analyser le rapport des syndicats aux processus démocratiques, interne et externe.

Démocratie syndicale interne

Pour certains auteurs (Lapointe, Merritt, Mouriaux), pour que la représentation et la participation démocratiques du syndicat soient productives et efficaces, il faut que la démocratie représentative et la démocratie participative soient d’abord implantées au sein même du syndicat. Cette implantation est une condition nécessaire, mais non suffisante pour matérialiser la crédibilité du syndicat dans sa lutte pour la démocratisation du système socio-économique. Encore faut-il que le syndicat soit libre de tout type d’influence externe sur les plans financier et politique. À cet égard, Lapointe récapitule l’importance de la démocratie interne au sein du syndicat en précisant que celle-ci « représente l’une des dimensions cruciales des identités syndicales, car elle constitue le principal mécanisme qui relie les membres à leur direction syndicale et assure la représentation de leurs intérêts.

[…] : elle est représentative, dans la mesure où les dirigeants sont élus et doivent rendre des comptes à leurs mandants ; elle est participative, dans la mesure où elle fait appel à la mobilisation des membres et à leur anticipation active […] aux débats et discussions présidant à l’élaboration des positions et des stratégies » (Lapointe, 2007 : 521)73.
ceci, pour mettre en place un système socio-économique équitable. La troisième catégorie concerne la vision révolutionnaire. Cette vision rejette le système capitaliste ; et elle présente le mouvement syndical comme un mouvement social cherchant à renverser le système capitaliste sur la base du conflit entre le capital et le travail.
Mouriaux, évoque également que l’indépendance du syndicat dépend de la démocratie, de la spécificité et du projet. Au sujet de la démocratie, il met l’accent sur l’autonomisation de la médiation entre la base et le sommet, et le rejet de l’idée de l’accumulation des mandats syndicaux et politiques à la fois. Pour la spécificité, il insiste sur le rôle du syndicat qui doit être axé sur la protection des intérêts économiques et moraux, et sur la transformation du système économique. Au sujet du projet, il souligne la nécessité pour le syndicat de disposer d’un programme ou d’un plan de développement socio-économique qui lui soit propre et indépendant des projets des partis politiques (Mouriaux, 2006 : 34-35).

Merritt indique la présence d’une politique autoritaire dans certaines organisations syndicales françaises. Cette politique autoritaire a été jugée, par certains syndicalistes français, plus forte que celle imposée par le capital74. Selon lui, la création d’un système démocratique à partir d’un environnement syndicaliste autoritaire à la place du despotisme du système capitaliste est « totalement erronée, contradictoire et irrationnelle » (Merritt, 1920 : 40). Les économistes institutionnalistes, eux aussi, ont confirmé cette idée en affirmant que les pratiques de gouvernance au sein de nombreux syndicats sont loin d’être démocratiques (Kaufman, 2000 : 190)75. La présence d’une politique non démocratique au sein des syndicats s’accorde avec certaines littératures prometteuses d’une politique antidémocratique au sein du syndicat. Ces littératures en question suggèrent que la démocratie au sein des syndicats est nuisible à la démocratie sociale et vice versa (Baccaro, 2001)76. À titre d’exemple, nous avons la littérature de la politique des sciences américaines. Cette dernière a fondé son idée sur le fait que la démocratie au sein du syndicat conduit vers une forte demande de revendication auprès de l’État (Crouch, 1979)77, ce qui conduit vers la politique du marchandage et vers une forte dépense (Wood, 2006a : 4). Nous avons également trouvé des auteurs sur le néocorporatisme qui voient dans le l’autoritarisme au sein du syndicat une politique pour maîtriser les rebelles potentiels (Regini, 1986 ; Schmidt and Reissert, 1991)78 et pour garder la base sur la même voie que celle de l’élite syndicaliste (Olson, 1982)79.

Démocratie syndicale externe

Dans cette sous-section, nous évoquons la nature de la démocratie représentative et de la démocratie participative du syndicat dans le contexte externe.

Démocratie représentative du syndicat
Selon Hege, la représentation démocratique repose sur trois catégories de légitimité. La première légitimité est historique et fait référence à la reconnaissance de l’existence du salarié comme un nouvel acteur, et donc à la reconnaissance d’une représentation propre de ses intérêts. La deuxième légitimité est institutionnelle et se réfère à la reconnaissance du syndicat de la part du pouvoir comme un acteur principal intervenant dans les conflits sociaux. La troisième légitimité est identitaire et concerne le renforcement de la solidarité et l’unité au sein de la communauté syndicale (Hege, 2000 : 1-10). La représentation syndicale, selon Murray et Verge (1994 : 423), peut être de nature hétérogène ou de nature homogène. Elle est hétérogène lorsque les sujets du conflit concernent l’ensemble des secteurs, des professions ou des régions industrielles. Elle est homogène lorsque les sujets du conflit concernent un secteur industriel particulier, une région particulière ou une profession particulière (Voir tableau 1). Murray et Verge suggèrent, également, que le salarié peut se définir comme un citoyen, sur le plan de la représentation syndicale, lorsque les sujets du conflit dépassent le milieu du travail pour atteindre le milieu national (Murray et Verge, 1994 : 425).

Démocratie directe et démocratie indirecteTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *