Déterminants du recours au dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes obèses

Déterminants du recours au dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes obèses

SITUATION CHEZ LES FEMMES OBESES

EPIDEMIOLOGIE DE L’OBESITE

Chez l’adulte, selon l’OMS, il y a présence d’obésité dès lors que l’indice de masse corporelle (IMC), ratio entre le poids en kg et la taille en mètres au carré, est supérieur ou égale à 30 kg/m2 (Figure 4). L’obésité est par ailleurs déclinée en trois degrés de sévérité : obésité de classe I si l’IMC est entre 30 et 34,9 kg/m2, de classe II si l’IMC est entre 35 et 39,9 et de classe III si l’IMC est supérieur ou égal à 40. Toujours selon l’OMS, l’obésité est une maladie chronique plurifactorielle définie comme « une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé ». Elle peut être le symptôme d’une autre maladie (syndrome des ovaires polykistiques etc.), l’effet secondaire d’un traitement (aux corticoïdes, par exemple), le produit d’une affection mentale (dépression etc.) ou le résultat d’une prédisposition génétique (Apovian 2016). Par ailleurs, l’obésité peut également être liée à la situation sociale de l’individu (Apovian 2016). L’étude Esteban tend à montrer que les populations les plus instruites sont moins touchées par les problèmes de poids, puisqu’en effet 61% des hommes dont le niveau d’études est inférieur au baccalauréat (bac) sont en surpoids, contre 42% chez ceux qui ont un niveau bac+3 (Verdot, Torres et al. 2017). Ce constat se retrouve également chez les enfants de maternelle : ils seraient quatre fois plus nombreux à souffrir d’obésité dans une famille d’ouvriers que dans une famille de cadres (Guignon, Delmas et al. 2017).

Note : IMC : indice de masse corporelle. Bien que n’étant pas une maladie infectieuse, l’obésité est considérée comme une pandémie et représente un véritable enjeu de santé publique. A l’échelle mondiale, le nombre de personnes obèses a triplé depuis 1975 (N. C. D. Risk Factor Collaboration 2016). En 2015, en France, 44% des femmes étaient en surpoids ou obèses (Verdot, Torres et al. 2017). Après une constante augmentation depuis les années 90 (Figure 5), la part de femmes obèses tend à se stabiliser ces dernières années à un niveau élevé : 17,4% en 2015 contre 6% en 1992 (Verdot, Torres et al. 2017). Le Programme National Nutrition Santé mis en place en 2001 par le ministère de la santé semble ainsi avoir eu des effets positifs. Des efforts sont cependant encore nécessaires et la quatrième version de ce programme est en cours (Programme National Nutrition Santé 2019-2023). L’obésité est inégalement répartie en France. Les résultats de l’enquête Obépi-Roche indiquent qu’en 2012 les régions Hauts-De-France et Grand-Est étaient celles qui concentraient le plus de problèmes de surpoids et d’obésité (ObEpi 2012). A l’inverse, les régions du sud et de l’ouest sont les plus minces. Ces résultats sont également retrouvés dans la cohorte Constances (Matta, Zins et al. 2016) (Figure 6).

DETERMINANTS DU RECOURS AU DEPISTAGE 

La littérature est assez fournie sur l’association qui existe entre l’IMC et le recours au dépistage du CCU. Une méta-analyse et une revue systématique sur le sujet concluent qu’il existe un gradient inverse entre l’IMC et le recours au dépistage : plus l’IMC est élevé, plus le recours au dépistage est faible (Aldrich and Hackley 2010, Maruthur, Bolen et al. 2009b). En effet, selon la méta-analyse (Figure 7), les odds ratio (Intervalle de Confiance à 95%) pour l’événement « est à jour pour le dépistage du CCU » diminuent à mesure que l’IMC augmente et sont respectivement de 0,91 (0,80- 1,03) pour les femmes en surpoids, 0,81 (0,70-0,93) pour les femmes ayant une obésité de classe I, 0,75 (0,64-0,88) pour les femmes ayant une obésité de classe II et 0,62 (0,55-0,69) pour les femmes ayant une obésité de classe III par rapport aux femmes ayant un IMC normal (Maruthur, Bolen et al. 2009b). Nous allons à présent détailler les facteurs qui pourraient expliquer cette association.

Situation socio-économique

 La situation socioéconomique des femmes étant associée à leur IMC et au recours au dépistage du CCU, il apparait alors pertinent de se poser la question de l’influence de la situation socioéconomique dans la relation obésité – recours au dépistage du CCU. Dans la littérature, deux revues systématiques ont montré que la situation socio-économique n’expliquait pas à elle seule le fait que les femmes obèses se fassent moins dépister pour le CCU que les autres femmes (Aldrich and Hackley 2010, Maruthur, Bolen et al. 2009b). Cela est par ailleurs retrouvé dans une étude française où les auteurs concluent que l’obésité est toujours significativement liée au moindre recours au dépistage, même après ajustement sur des variables socio-économiques (Constantinou, Dray-Spira et al. 2016). 

Etat de santé de la femme

 L’obésité tuerait trois fois plus que la malnutrition selon une étude publiée en 2012 (Wang, DwyerLindgren et al. 2012). Cette maladie favorise l’apparition de nombreuses complications de santé plus ou moins graves : hypertension, maladies cardiovasculaires, diabète et certains cancers (endomètre, sein, ovaires, prostate, foie, vésicule biliaire, rein et colon) (Apovian 2016). De ce fait, une personne obèse a souvent une ou plusieurs comorbidités associées à son excès de poids. Par conséquent, elle peut être amenée à consulter souvent un médecin généraliste afin de traiter son obésité et ses éventuelles comorbidités. La littérature montre que les individus obèses consultent plus fréquemment un médecin généraliste que les autres (Bertakis and Azari 2005, PeytremannBridevaux and Santos-Eggimann 2007). Par ailleurs, consulter fréquemment un médecin généraliste est associé en population générale à de meilleures pratiques de dépistage (Eaker, Adami et al. 2001, Hsia, Kemper et al. 2000, Labeit and Peinemann 2017, Sicsic and Franc 2014). Mais, chez les femmes obèses la situation peut être différente car plus complexe que cela, en raison d’un possible phénomène de competitive care (concept défini p16 de ce manuscrit). Ce phénomène n’est pas clairement établi en ce qui concerne le dépistage du CCU. En effet, deux études n’ont pas trouvé de différence entre la durée des visites chez le médecin généraliste des Figure 7 : Odds Ratio et Intervalle de confiance à 95 % pour la probabilité d’être à jour pour le dépistage du CCU selon l’IMC. Résultats d’une méta-analyse. Source : The Association of Obesity and Cervical Cancer Screening: A Systematic Review and Meta-Analysis (Maruthur, Bolen et al. 2009b). Introduction générale 23 patients obèses comparativement aux patients avec une corpulence normale (Bertakis and Azari 2005, Pearson, Bhat-Schelbert et al. 2009), ce qui pourrait suggérer un temps moindre disponible pour les soins de prévention parmi les patients obèses car le traitement de l’obésité et de ses possibles comorbidités associées occupe une part importante de la visite médicale. Toutefois, une récente méta-analyse n’a pas mis en évidence d’association entre la présence de comorbidités et le recours au dépistage du CCU (Diaz, Kang et al. 2017). En outre, selon une autre étude, les femmes obèses avaient reçu les mêmes recommandations de dépistage pour le CCU que les autres femmes (Ferrante, Chen et al. 2007). Outre leurs résultats discordants, la majorité des études ont été conduites aux Etats-Unis et il n’est pas clair dans quelle mesure des conclusions similaires s’observeraient dans un pays comme la France où les taux d’obésité sont plus faibles et où il existe une couverture santé universelle. Même si l’obésité est classiquement associée à des facteurs de risque cardio-métabolique, une proportion importante de personnes obèses n’en présente pas les symptômes. On parle dans ce cas d’obèse métaboliquement sain ou « Metabolically Healthy Obese » ou MHO (Bluher 2020). Ces individus ont un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2 sans signe de syndrome métabolique (hypertension artérielle, taux élevé de gras et/ou de sucre dans le sang, taux élevé de mauvais cholestérol dans le sang et/ou faible taux de bon cholestérol dans le sang). Il n’existe pas de consensus sur la définition des MHO, si bien que leur prévalence fluctue : elle se situerait entre 10 à 30% lorsque l’âge et le sexe sont pris en compte (Bluher 2020). Compte tenu de cette hétérogénéité, il semble important de tenir compte de façon précise de l’état de santé au-delà de la seule obésité lorsque l’on s’intéresse à l’impact de ce facteur sur le recours au dépistage du CCU. 

Discrimination envers les personnes obèses

 Les personnes obèses sont quotidiennement victimes de discriminations, que ce soit pendant leurs études, quand elles cherchent un travail, dans les espaces publics, chez les professionnels de santé, de la part de leurs proches, etc. L’urbanisme rappelle aussi à ces personnes que rien n’a été pensé pour les corps hors normes comme c’est le cas par exemple des sièges dans les transports en commun, trop étroits pour qu’une personne obèse s’y installe convenablement. La grossophobie est l’ensemble des attitudes hostiles et discriminantes à l’égard des personnes en surpoids. Ce terme a été popularisé en France par l’actrice Anne Zamberlan, fondatrice de l’association Allegro Fortissimo, il y a plus de vingt ans (Zamberlan 1994). Etre une femme grosse dans la société actuelle peut être vécu comme une double peine. En effet, il semble que les hommes soient moins sujets à la grossophobie que les femmes. A titre d’exemple, les femmes obèses sont huit fois plus touchées par les discriminations à l’embauche que celles qui ont un IMC normal là où les hommes, eux, sont trois fois plus touchés (9ème Baromètre du Défenseur des droits et de l’OIT sur la perception des discriminations dans l’emploi 2016). 

Discrimination dans le domaine médical 

Les personnes obèses peuvent subir de la discrimination dans le domaine médical (Joy, Amanda et al. 2018, Lee and Pause 2016, Phelan, Burgess et al. 2015). Les infrastructures dans le domaine médical peuvent transformer les lieux de soins en des lieux hostiles pour les personnes obèses. Les équipements médicaux ne sont pas toujours en capacité de recevoir des corps hors normes. Cette inadéquation du matériel médical se retrouve lors du dépistage du CCU. En effet, la table d’examen sur laquelle doit s’allonger la femme n’est le plus souvent pas adaptée aux femmes   obèses car trop étroite. Par ailleurs, on trouve plus fréquemment chez les praticiens des spéculums en plastique, alors que les spéculums en métal sont plus solides et garantissent une meilleure ouverture du vagin chez les personnes obèses. Alors qu’il existe plusieurs tailles de spéculum pour s’adapter à la morphologie de la patiente, tous les praticiens ne disposent pas de l’ensemble des tailles. Des difficultés de réalisation de l’examen ont aussi été rapportées (difficultés à l’insertion du spéculum, difficultés à trouver le col de l’utérus de la patiente etc.) (Aldrich and Hackley 2010, Ferrante, Fyffe et al. 2010, Maruthur, Bolen et al. 2009b). Au total, les médecins ne sont pas assez formés à examiner des corps différents, hors normes, et n’ont bien souvent pas le matériel adapté à toutes les corpulences. Par ailleurs, il peut être difficile pour le personnel soignant de voir au-delà des kilos de la personne obèse. Il peut en résulter une absence d’écoute du patient, un mauvais diagnostic, voire des maltraitances médicales (Joy, Amanda et al. 2018, Lee and Pause 2016, Phelan, Burgess et al. 2015). Les personnes obèses souffrent souvent du cliché selon lequel si elles sont obèses aujourd’hui et qu’elles le restent c’est qu’elles le veulent et n’ont pas la volonté de maigrir. Ce cliché a pour résultat une infantilisation des personnes obèses et une immaturité dans les rapports, notamment ceux soignants-soignés. Peuvent se rajouter des discriminations du médecin envers la femme obèse (Joy, Amanda et al. 2018, Lee and Pause 2016, Phelan, Burgess et al. 2015). Des cas ont été rapportés où le gynécologue refusait de faire un frottis à une femme obèse de peur que sa table d’examen se casse sous le poids de la patiente, ou encore de peur de ne pas réussir à faire l’examen, ou bien parce qu’il considère que cela ne sert à rien puisque vue sa morphologie cette patiente n’a pas de vie sexuelle (Ferrante, Fyffe et al. 2010, Marx and Perez-Bello 2018). Certains médecins, mal à l’aise avec le corps obèse ou bien cupides, n’hésitent pas à augmenter leurs tarifs (Marx and Perez-Bello 2018). Enfin, il a été rapporté par des médecins la difficulté de faire face à une patiente qui refuse l’examen pour des raisons associées à son poids (gêne pour se déshabiller etc.) (Ferrante, Fyffe et al. 2010). 

Table des matières

Résumé
Abstract
Remerciements
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des abréviations utilisées
Valorisation scientifique
Préambule
Introduction générale
I. Le cancer du col de l’utérus : chiffres et moyens de lutte
I.1. Incidence et mortalité
I.2. Prévention
II. Facteurs associés au dépistage du cancer du col de l’utérus : état de l’art en population générale
II.1. Le modèle d’Andersen comme cadre conceptuel du recours au dépistage
II.2. Facteurs prédisposant
II.3. Facteurs limitant
II.4. Besoins de soins
II.5. Recours aux soins et comportements de santé
II.6. Facteurs contextuels
III. Situation chez les femmes obèses
III.1. Epidémiologie de l’obésité
III.2. Déterminants du recours au dépistage
Objectifs de la thèse
Données
I. La cohorte Constances
I.1. Présentation de la cohorte Constances
I.2. Catalogue des données recueillies
II. Choix des populations et des variables utilisées
II.1. Population étudiée
II.2. Variables utilisées
Méthodes
I. Les modeles à équations structurelles
I.1. Principe
Déterminants du recours au dépistage du cancer du col de l’utérus chez les femmes obèses
I.2. Création d’un modèle à équations structurelles
I.3. Logiciels utilisés
II. Analyses de séquences
II.1. Principe
II.2. Construction des séquences
II.3. Caractérisation des séquences
II.4. Logiciels utilisés
Etat de santé, recours aux soins et pratique du dépistage du col de l’utérus chez les femmes obèses
I. Introduction
II. Analyses statistiques
III. Resultats
III.1. Effets directs sur le non-recours au dépistage du cancer du col de l’utérus dans les délais
III.2. Effets indirects sur le non-recours au dépistage du cancer du col de l’utérus dans les délais
III.3. Corrélation résiduelle
IV. Article publié
Profils de suivi gynécologique et indice de masse corporelle
I. Introduction
II. Analyses statistiques
III. Resultats
III.1. Profils de suivi gynécologique
III.2. Association entre profils de suivi gynécologique et indice de masse corporelle
IV. Article publie
Discussion générale
I. Avantages et limites de notre étude
I.1. Qualité des données recueillies
I.2. Représentativité de la population
I.3. Démêler le dépistage du suivi post-traitement et du diagnostic
I.4. Mesure de l’obésit
I.5. Limitations des méthodes statistiques
II. Discussion des résultats
II.1. Etat de santé de la femme : un impact différent selon la dimension étudiée
II.2. Suivi gynécologique des femmes obèses : un suivi différent mais pas forcément de moindre qualité
III. Perspectives
III.1. Retombées potentielles au niveau des médecins et des professionnels de santé
III.2. Apport du dépistage organisé du col de l’utérus pour le dépistage des femmes obèses
III.3. Apport de l’auto-prélèvement HPV pour le dépistage des femmes obèses
IV. Conclusion
Références

projet fin d'etude

Télécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *