Etude de l’impact de Staphylococcus aureus sur la formation du tissu osseux

Etude de l’impact de Staphylococcus aureus sur la
formation du tissu osseux

Infections et remodelage osseux

Généralité Dans des conditions pathologiques, l’activité des ostéoblastes et/ou des ostéoclastes peut être affectée, entrainant une altération de l’homéostasie osseuse. Ainsi, lors d’une infection bactérienne, on parle alors d’ostéomyélite, on observe une réponse inflammatoire avec de nombreux médiateurs chimiques dont on a présenté l’importance. On observe également un haut taux de mortalité des ostéoblastes infectés qui va avoir un impact fort sur le tissu osseux et se traduire par un plus faible taux de formation/minéralisation de la matrice osseuse. De même, une infection peut également induire une augmentation de l’activité des ostéoclastes, traduite par une résorption accrue de la matrice osseuse (TrouilletAssant et al. 2015). Dans ces deux cas, l’équilibre synthèse/résorption osseuse est perdu, avec comme conséquence une fragilisation et une forte perte osseuse (Rasigade et al. 2013). Les staphylocoques, et notamment S. aureus, sont une des espèces les plus prévalentes dans les infections ostéoarticulaires (IOA) et entrainent une perte de l’homéostasie osseuse.

Les infections ostéoarticulaires 

En France, la prévalence des IOA est d’environ 70 patients pour 100000 habitants par an. Elles sont associées à un taux assez faible de mortalité, de l’ordre de 5% soit environ 2000 décès/an, mais présentent un taux de morbidité important d’environ 40% faisant de ces infections un problème majeur de santé publique (Laurent et al. 2018). Le genre Staphylococcus, et plus précisément l’espèce S. aureus, est impliquée dans 30% à 75% de ces IOA et en représente la première étiologie. 25 Les IOA à S. aureus sont responsables de formes cliniques sévères, avec un taux important de rechute estimé en moyenne à 10 à 20 % mais qui peut atteindre 80 % dans les cas les plus graves. Les IOA surviennent majoritairement au niveau des membres inférieurs, avec en premier lieu la hanche puis le genou (respectivement 135000 et 85000 par an en France). Les personnes âgées de plus de 65 ans sont les plus touchés avec un taux d’infection de 1 à 3%. Avec le vieillissement de la population, une augmentation continue du nombre de poses de prothèses articulaires est attendue, entrainant une augmentation mécanique du nombre d’IOA associées. L’un des problèmes majeurs associé à ces infections est leur chronicisation chez de nombreux patients. Les IOA chroniques sont des pathologies graves, difficiles à diagnostiquer et à soigner de manière efficace, nécessitant des interventions chirurgicales, des hospitalisations et des antibiothérapies de longue durée, qui peuvent engager le pronostic fonctionnel et vital du patient. 

Des IOA aiguës aux IOA chroniques.

Les IOA caractérisées par une impotence et/ou une douleur brutale, évoluant sur quelques jours sont classiquement décrites sous l’appellation « aiguës » (Waldvogel et al. 1970). Par opposition, les IOA chroniques peuvent persister des mois ou des années après l’épisode initial, avec parfois des phases asymptomatiques longues, avant une rechute. Elles sont généralement caractérisées par une inflammation de bas grade accompagnée d’une destruction progressive du tissu osseux et cartilagineux (Trouillet-Assant et al. 2016; Bosse et al. 2005). Trois facteurs principaux ont été proposés comme contribuant au développement de la chronicité des IOA à S. aureus : i) la faible diffusion des agents antimicrobiens dans le tissu osseux et l’acquisition de résistance aux antibiotiques empêchant l’éradication du réservoir bactérien (Landersdorfer 2009), ii) la formation de biofilms qui est un mode de croissance « sous protection » permettant à l’organisme de persister chez l’hôte, de se protéger du système immunitaire et limitant fortement la diffusion des agents antimicrobiens (Sanchez et al. 2013), et iii) l’internalisation des bactéries par les cellules présentes dans le tissu osseux, en particulier les ostéoblastes (John K. Ellington et al. 1999). 26 Cette internalisation intra-ostéoblastique de S. aureus est un facteur clé dans la physiopathologie des IOA chroniques, et a été étayée par des données cliniques et par des travaux expérimentaux in vitro et in vivo (J. K. Ellington et al. 2003; Josse, Velard, et Gangloff 2015). Les bactéries intracellulaires sont protégées des antibiotiques qui agissent en extracellulaire et échappent aux cellules du système immunitaire. Le compartiment intracellulaire agit comme une niche pour les bactéries, qui peuvent ainsi continuer à survivre et à se multiplier sans induire une forte réponse inflammatoire. La mort et la lyse de la cellule peut conduire à la libération des bactéries en dehors des cellules et de nouveau à des symptômes infectieux correspondant à une rechute bruyante de l’infection. Les principaux acteurs du processus d’internalisation de S. aureus par les ostéoblastes sont i) les intégrines 1 présentes à la surface de la cellule hôte, ii) la fibronectine (Fn) qui est un composant de la matrice extracellulaire (sécrétée notamment par les ostéoblastes) et iii) les protéines de liaison à la fibronectine « Fibronectin binding protein » (FnBPa et FnBPb) de liaison à la fibronectine présentes à la surface de S. aureus (figure 14) (Josse et al. 2017). Figure 14 : Mécanisme d’’internalisation de S. aureus via la voie de l’intégrine α5β1 et de la fibronectine Source : adapté d’après Josse et al. 2017 27 Cependant, la voie de signalisation dépendante de l’intégrine α5β1 et le mécanisme d’internalisation par les ostéoblastes ont été peu étudiés. Il a été montré que le contact bactéries-cellules stimule l’intégrine qui active ses protéines kinases associées, notamment FAK et Src (figure 14). Cette dernière a été décrite in vitro pour avoir un rôle majeur dans le mécanisme d’internalisation des bactéries dans des fibroblastes (Fowler et al. 2003). La signalisation associée à cette étape précoce d’internalisation permet les réarrangements du cytosquelette d’actine nécessaires à l’endocytose. Ces réarrangements sont contrôlés par la cortactine qui est activée par la petite GTPase Rac1 à la périphérie de la cellule (Head et al. 2003). Cette dernière est transférée du cytoplasme vers la membrane de la cellule grâce au transport vésiculaire intracellulaire. De plus, il a été décrit que les souches de S. aureus exprimant la FnBP (FnBP+) déclenchent la réorganisation des composants des microdomaines membranaires. Notamment la cavéoline, qui joue un rôle crucial dans la régulation de la mobilité des microdomaines membranaires et module l’endocytose des bactéries par la voie de l’intégrine (Hoffmann et al. 2010) (figure 15). Figure 15 : Internalisation de particules dans des ostéoblastes humains MG63 en présence de couches de cavéoline Image de microscopie électronique (SEM images 5000× magnification, bar 4 μm). D’après « Attempted caveolae-mediated phagocytosis of surface-fixed micro-pillars by human osteoblasts », Moerke et al. 2016. On sait donc que l’interaction α5β1/Fn/FnBP entraine la réorganisation de microdomaines membranaires et l’activation de Src et de Rac, permettant le réarrangement du cytosquelette d’actine. 28 Il apparait donc que des études plus approfondies sont nécessaires afin de comprendre l’ensemble des acteurs de la signalisation et du mécanisme moléculaire aboutissant à l’internalisation de S. aureus. C’est dans ce contexte que nous avons développé des modèles in vitro et in vivo d’IOA, afin de mieux comprendre et d’analyser la physiopathologie associée aux infections staphylococciques intracellulaires ainsi que les mécanismes associés. II. Problématique Compte tenu du coût individuel (hospitalisation prolongée, qualité de vie altérée) et sociétal élevé (arrêt de travail, invalidités partielles ou totales, temporaires ou définitives) des IOA à S. aureus et leur augmentation constante, l’objectif principal de nos travaux de recherche a été d’améliorer la compréhension des mécanismes de chronicisation des IOA et des effets sur le remodelage osseux. Notre étude s’est donc concentrée sur 2 axes principaux de recherche : le premier concerne l’étude de la voie de signalisation impliqué dans l’internalisation de S. aureus dans les OB ; le second s’est intéressé aux effets de cette internalisation sur l’activité de minéralisation des ostéoblastes. Les travaux précédents réalisés au sein du laboratoire avaient mis en évidence que l’internalisation de S. aureus dans les ostéoblastes contribue à la perte osseuse. Deux mécanismes ont été décrits comme étant les acteurs principaux de cette perte osseuse : – la réponse immunitaire délétère des ostéoblastes infectés qui conduit à la libération de signaux paracrines activant la résorption osseuse des ostéoclastes – l’inhibition des fonctions de synthèse de la matrice extracellulaire osseuse et de minéralisation des ostéoblastes infectés. Si les mécanismes ont été identifiés, les supports cellulaires et moléculaires de ces mécanismes n’ont pas été étudiés de façon systématique notamment en raison de l’absence d’une méthode d’étude robuste. Notre équipe a donc mis en place un projet de recherche en collaboration avec l’équipe « Chromatine & Epigénétique » de l’institut Albert Bonniot de Grenoble et notamment avec Daniel Bouvard, financé par la fondation FINOVI sous le nom de IMBCISa : « Integrin-Mediated Bone Cell Invasion by Staphylococcus aureus during chronic osteomyelitis: exploration of mechanisms, impact of osteoblastic responses and innovative therapeutic approaches ». 29 Ce projet avait pour but d’étudier in vitro et in vivo les mécanismes et les conséquences sur l’activité de formation osseuse de l’internalisation de S. aureus dans les ostéoblastes. L’aspect innovant de notre modèle d’infection a été sa capacité à discriminer les effets de S. aureus intracellulaires de ceux relatifs aux interactions extracellulaires initiales entre S. aureus et la cellule hôte. Ceci a été rendu possible par l’utilisation de bactéries et de cellules inactivées pour les facteurs permettant l’internalisation : les FnBPs sur le versant des S. aureus et l’intégrine β1 sur le versant des ostéoblastes. Ce travail permet in fine d’ouvrir des perspectives sur les avantages potentiels d’une thérapie ciblant la signalisation intégrine-dépendante pour empêcher l’adhésion et l’internalisation de S. aureus, lors de la chronicisation des IOA. Dans ce mémoire, je présenterai, i) l’effet sur le remodelage osseux d’une infection à S. aureus dans un modèle in vivo (en collaboration avec l’équipe EA3826 « Laboratoire de Thérapeutique Expérimentale et Clinique des Infections » de l’UFR de Médecine de Nantes), ii) la mise en place du modèle d’étude sur la formation et la minéralisation de la matrice extracellulaire osseuse par les ostéoblastes, iii) l’effet d’une infection à S. aureus dans ce modèle in vitro, iv) l’étude de la voie de l’internalisation de S. aureus au sein des ostéoblastes.

Table des matières

SOMMAIRE
TABLES DES FIGURES
ABREVIATIONS
DONNEES BIBLIOGRAPHIQUES
I. Introduction
A. Les Staphylocoques
a. Généralités
b. Colonisation et infection
B. L’os
a. Généralités
b. Les cellules osseuses
1. Les ostéocytes
2. Les ostéoclastes
3. Les ostéoblaste
Généralités
La différenciation
La minéralisation de la matrice osseuse
c. Le remodelage osseux
C. Infections et remodelage osseux
a. Généralité
b. Les infections ostéoarticulaires
1. Généralité
2. Des IOA aiguës aux IOA chroniques
II. Problématique8
MATERIELS ET METHODES
I. Les bactéries
A. Description, conservation et caractérisation des souches
B. Préparation des souches bactériennes fluorescentes
II. Culture cellulaire
A. Préparation des lignées cellulaires d’ostéoblaste OBβ1
B. Paramètres de viabilité, différenciation et minéralisation étudiés
a. Viabilité cellulaire par la méthode MTT2
b. Mesure de la phosphatase alcaline (PAL)
c. Quantification de la minéralisation osseuse
d. Expression de gènes cibles par qRTPCR5
1. Extraction d’acide ribonucléique (ARN) eucaryote
2. Passage de l’ARN à l’ADNc par méthode transcription inverse 3
3. Analyse PCR quantitative
III. Modèle d’infection in vitro, méthode de protection à la gentamicine (GPA)
A. Notion de « Multiplicity of Infection » (MOI)
B. Préparation des ostéoblastes et des bactéries pour l’infection.
C. Infections des ostéoblastes0
D. Détermination du nombre de bactéries adhérées
E. Détermination du nombre de bactéries internalisées
F. Inhibiteurs pharmacologiques
IV. Modèle d’infection in vivo
A. Modèle murin d’ostéomyélites
B. Analyses des os par microtomographie à rayons X
RESULTATS
I. Impact d’une infection à S. aureus sur modèle in vivo murin
II. Création et mise au point d’un modèle d’infection ostéoblastique in vitro
A. Création de lignées immortelles d’OB murins
B. Caractéristiques du couple isogénique de souches de S. aureus
C. Mise au point du modèle in vitro de minéralisation
III. Impact d’une infection à S. aureus sur les OB
A. Effet sur la différenciation cellulaire des OB de l’infection à S. aureus
a. Mesure du taux d’activité PAL par cellule viable
b. Analyse des marqueurs de la différenciation par qRTPCR
B. Effet de l’infection à S. aureus sur la minéralisation des OB
a. Coloration des dépôts calciques par méthode au rouge alizarine
b. Analyse des marqueurs de la minéralisation par qRTPCR
C. Effet de l’infection à S. aureus sur modèle in vivo murin
IV. Étude de la voie de l’internalisation de S. aureus dans les OB
A. Etude de la cavéoline
a. Mesure des taux d’adhésion et d’internalisation
b. Marquage fluorescent et analyse au microscope confocal
B. Lignées mutantes
a. Mesure des taux d’adhésion et d’internalisation
C. Inhibiteurs pharmacologiques de molécules de signalisation et du trafic membranaire
a. Effet bactéricide des inhibiteurs pharmacologiques
b. Effet des inhibiteurs seuls et en association sur les taux d’adhésion et d’internalisation
CONCLUSION / PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE

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