EVALUATION : LES NOTES EN TECHNOLOGIE, LA FIN DU CAUCHEMAR POUR LES ELEVES ?

EVALUATION : LES NOTES EN TECHNOLOGIE, LA FIN DU CAUCHEMAR POUR LES ELEVES ?

Parmi les questions d’évaluation non résolues au plan national, figure celle de la « constante macabre », c’est-à-dire ce système qui selon les ouvrages d’André Antibi, veut que « …sous la pression de la société, les enseignants, inconsciemment, se sentent obligés de mettre un certain pourcentage de mauvaises  notes, même dans les classes de bon niveau, pour être crédibles » (1). Le cauchemar est donc celui que vivent les élèves.

Cette question touche t-elle aussi la technologie ? Je pense personnellement que oui. Comment alors les professeurs de technologie participent-ils ou pourraient-ils éviter de participer à ce piège, même si les productions notées sont plus nombreuses et différentes des seuls contrôles écrits et oraux dont il est seulement question dans ces ouvrages ? Les professeurs de technologie sont-ils engagés et doivent-ils s’engager dans cet important mouvement en vue de supprimer progressivement ce dysfonctionnement ?

A partir des deux ouvrages qu’A. Antibi a consacré en 2005 et 2007 à cette question (voir les références (1) et (2)), je vous propose une première approche descriptive, analytique et critique sur la base de ces écrits et des premiers résultats de l’expérimentation en France de ce système nouveau d’Evaluation Par Contrat de Confiance (EPCC). En fait, selon moi, le challenge proposé est de redonner confiance aux élèves lors des évaluations notées face à une attitude généralement contraignante, stressante, emprisonnante, fataliste et souvent négative, tant dans la forme, que dans le contenu des exercices.

La « constante macabre » : question et réponse fondamentales, mais ce n’est pas la seule réponse

Cette question de la remise en cause scientifique et pédagogique de la « répartition » des notes à partir d’une moyenne de 10/20, avec 1/3 d’élèves « mauvais », 1/3 d’élèves « moyens » et 1/3 de bons élèves, n’a pas une réponse unique, celle que suggère A. Antibi. En effet s’il est indéniable qu’il faille, comme A. Antibi le suggère, rédiger et proposer des exercices notés conçus et planifiés de façon différente, je pense personnellement qu’il faut tout autant vérifier que d’une part les outils d’évaluation (listes d’opérations à cocher, questionnaires, questions à réponses ouvertes, graphiques, tri d’énoncés qualitatifs, etc.) sont variés et bien choisis, et d’autre part, que critères, corrigés-types et barèmes soient eux aussi soigneusement et effectivement établis lors de la préparation d’un cours et non après le cours.

Dans le présent document, j’examine donc ce qu’A. Antibi relate dans cette problématique et comme premiers résultats de l’expérimentation menée aux différents niveaux d’enseignement, c’est à dire de l’école primaire aux écoles d’ingénieurs. En effet les professeurs de technologie ne peuvent pas rester eux aussi insensibles à cette question d’attribution des notes « réparties administrativement » en trois tiers afin d’aboutir approximativement à une moyenne de 10/20. En qualité d’expert praticien en évaluation, et plus particulièrement ici en technologie au collège (revoir les ouvrages de formation des professeurs sur ce thème de l’évaluation (3) (4) (5)), je propose des commentaires et des suggestions à expérimenter à partir de chacune des idées exprimées par A. Antibi. Il faut cependant remarquer que ce dernier ne publie aucun témoignage de professeurs de technologie et regroupe les « matières » sciences physiques et technologie du collège et de lycée d’enseignement général, ce qui est quelque peu curieux comme regroupement disciplinaire (6).

LA « CONSTANTE MACABRE » SELON A. ANTIBI

Une sélection des faits signalés

Des illustrations significatives

Le début de chacun des huit chapitres est illustré par un dessin commenté et significatif des attitudes, voulues ou non, de pratiques d’enseignants concernant les évaluations notées, nommées aussi « contrôles », situations bien connues des chercheurs en évaluation. Par exemple :

–  Comment les sujets de contrôle génèrent la constante macabre : « Ouf…enfin une mauvaise copie ! J’ai eu peur que la moyenne soit trop élevée ».

Comment rédiger : aucune règle : « Quelle note donnez-vous à cet élève ? 8/20, 12/20, 15/20 ».

Réactions d’enseignants : « Voilà  trois nouveaux élèves. Tiens : un bon, un moyen et un mauvais »

Réactions en dehors du milieu enseignant : « Moi, j’étais nul en orthographe…Moi, j’étais nul en sport…Et moi, j’étais nul en maths ! ».

Suggestions pour lutter contre la constante macabre : « 1. Tu ne diras pas à un élève qu’il est nul. 2. Tu te souviendras que personne ne résout un problème vraiment nouveau en un temps limité. 3. Tu n’oublieras pas que ta mission est de former et non de sélectionner… ».Voyons d’abord ce qui est dit à propos de ce qu’est la constante macabre et de son existence dans les pratiques enseignantes.

 

Constatations sur les pratiques enseignantes

A.Antibi, recense plusieurs situations d’enseignement, dont les premières font référence à des pratiques négatives fort connues et qu’il conteste :

– « …On doit reconnaître que l’existence d’une telle constante, « macabre » (pour beaucoup d’élèves en tout cas), traduit une certaine forme d’injustice de notre système d’évaluation qui semble destiné davantage à classer les élèves qu’à évaluer réellement leurs connaissances » (7).

– « …en admettant que la répartition des notes suive une loi de Gauss (courbe en cloche), pourquoi la moyenne serait-elle égale à 10 sur 20 ? Que je sache, Gauss n’a jamais imposé pareille chose. De plus, une répartition de données naturelles (taille, poids,…) suit souvent une loi de Gauss, mais pourquoi en serait-il de même pour une répartition de notes ? N’est-ce pas plutôt l’enseignant qui, inconsciemment le plus souvent, fait en sorte que la répartition soit de ce type ? Avec un type d’évaluation plus précis, par objectifs clairement définis, la répartition des notes n’a aucune raison de suivre une loi de Gauss » (8).

– « …Si l’on n’était confronté, en situation  d’apprentissage, qu’à des situations connues que l’on peut surmonter sans effort, on apprendrait peu de choses. Il est donc normal que l’élève rencontre des obstacles pour mieux s’approprier de nouvelles notions. Mais il ne faut pas confondre une situation d’apprentissage et une situation d’évaluation ! » (8).

Cela existe-t-il dans toutes les filières ? A. Antibi affirme que non. Et de citer celles où cela n’existe pas « …Dans les lycées techniques et professionnels, cette constante macabre est moins présente. C’est un peu comme si, de toutes les manières, les élèves de ces sections ne se font plus d’illusions ! Il est donc inutile de les sélectionner à nouveau ». « …Dans les Grandes Ecoles (écoles d’ingénieurs, de commerce…). Dans ce cas aussi, la sélection a déjà été effectuée » (9).

Et de terminer en affirmant que la raison essentielle de l’existence de cette constante est que « …La société fait jouer au système éducatif un rôle de sélection…Notre comportement s’est adapté au contrat implicite dicté par la société » (10).

A partir de ces situations d’enseignement générant la constante macabre, voyons comment, selon A. Antibi, les sujets de contrôle peuvent en être la cause.

Constatations sur la forme des sujets d’évaluation

Parmi la dizaine de causes concernant une rédaction des sujets engendrant la constante macabre et citées par A. Antibi, j’ai relevé au moins quatre groupes de causes que l’on retrouve aussi dans la discipline technologie.

Le premier groupe de causes concerne la difficulté des questions posées « …elle dépend essentiellement de la similitude entre le sujet de contrôle et les activités que le professeur a proposées avant le contrôle. Nous avons trop souvent tendance à oublier le point important suivant : en temps limité, nous ne pouvons résoudre que des exercices d’un type analogue à des exercices traités auparavant » (11).

Le second groupe de causes stigmatise les sujets trop longs et ceux qui veulent balayer une trop grande partie du programme «…L’analyse de leur sujet montre alors presque toujours qu’il est trop long. Dans certains cas, les professeurs eux-mêmes auraient du mal à rédiger toute la solution dans le temps imparti… » ; « …Un objectif légitime de l’enseignant est de poser un sujet faisant appel au plus possible de propriétés du programme. On peut alors être conduit à allonger un sujet pour atteindre un tel objectif. » (12).

Le troisième groupe de causes pointe les défauts constatés lors de la correction des exercices par une modification du barème et sur l’appréciation de la rigueur des solutions proposées par l’élève « …on peut toujours ajuster le barème d’un sujet de contrôle pour abaisser une moyenne de classe trop élevée : il suffit de réduire le nombre de points accordés aux questions faciles, et augmenter le nombre de points aux questions difficiles. » ; « …Imaginons que les procédés précédents soient encore insuffisants ; on dispose alors, en mathématiques par exemple, d’une autre ressource : on sanctionne davantage des solutions pas assez « rigoureuses » Or…aucune consigne officielle n’est donnée aux enseignants dans ce domaine » (13).

Le quatrième groupe de causes concerne le manque de temps et l’imprévision pour l’élaboration des sujets de contrôle « …Nous « sentons » que tel sujet devrait convenir. Nous n’avons pas le temps de tester auprès de quelques élèves « étalons » la longueur du sujet, sa difficulté…On ne peut que regretter ce décalage énorme entre l’importance accordée à la note et l’imprécision dans la manière d’élaborer nos sujets de contrôle.» (14).A.Antibi avance quelques raisons à ces pratiques qui contribuent à installer la constante macabre.

Constatations sur les règles de rédaction

Après une expérimentation conduite en 1994 en mathématiques dans l’un des groupes de dix professeurs, il a été proposé de rédiger en commun un exercice dont les résultats (dix copies)  ont été ensuite corrigés par chacun d’entre-eux, dont la correction de sa propre copie, ceci à partir d’une liste de solutions acceptables rédigées par les professeurs eux-mêmes. On pouvait s’attendre à ce que la note mise par chaque professeur à sa propre copie recueille la note maximale. Or cela n’a pas été le cas « … entre le moment de la rédaction et celui de la correction, certains collègues se sont rendus compte que, en définitive, certaines parties de leur propre solution n’étaient pas satisfaisantes ! » (15). Et A. Antibi de proposer qu’« …il est tout à fait possible d’améliorer la situation en proposant dans les programmes des indications sur certains types de rédactions autorisés »

Constatations sur les réactions d’enseignants

Parmi les nombreux témoignages cités provenant de 500 enseignants interrogés, j’en ai relevé quelques-uns très significatifs de l’existence de la constante et/ou de l’ignorance de certains enseignants sur ce phénomène. « Mon épouse, professeur d’anglais en collège, est très mal vue car elle a une trop bonne moyenne. » (17). « Plusieurs enseignants interrogés ont réellement pris connaissance de l’existence de la « constante macabre » au cours de l’entretien. Ils ne s’étaient jamais posé la question, et semblaient convaincus qu’une répartition « 1/3, 1/3, 1/3 » était tout à fait naturelle ». Et à A.Antibi d’avancer trois raisons à la tendance générale de déplorer une baisse de niveau, « Tout d’abord, je pense qu’il s’agit d’un réflexe naturel de chacun d’entre-nous, après quelques années d’expérience : à force d’expliquer et de manipuler les mêmes notions, on a tendance à les trouver de plus en plus facile. », « D’autre part, les souvenirs des difficultés rencontrées par l’enseignant durant son propre cursus scolaire sont de plus en plus lointains. », « Enfin, une autre raison vraisemblable : devant la difficulté de notre métier d’enseignant, nous cherchons, peut-être inconsciemment, une excuse au cas où nous échouerions dans notre mission… »(18). D’ailleurs cette tendance à déplorer une baisse de niveau est également contestée par d’autres chercheurs, comme par exemple Ph. Meirieu (19).

Et A. Antibi de pointer un problème de formation : « …le décalage énorme entre l’importance accordée à la note et la manière dont les sujets d’évaluation sont élaborés. Par manque de formation, nous élaborons le plus souvent nos sujets par empirisme, par tradition. » (20) ainsi qu’un problème de prise de conscience des enseignants : « Il est frappant de constater à quel point on peut prendre conscience de certains dysfonctionnements lorsque ses propres enfants en sont les victimes. » (21).

Constatations sur quelques « idées reçues » à l’extérieur de l’école

Un jeune ingénieur : « Pour une énorme majorité de gens, un prof qui mettrait que des bonnes notes, ne peut être un bon prof : c’est un prof qui donne des sujets faciles. » (22). Un technicien titulaire d’un BTS : « Des remarques blessantes, ça peut bloquer pour longtemps. Je me souviens d’un prof qui faisait systématiquement passer un élève au tableau pour se foutre de lui ; ça a cassé l’élève. Je me souviens aussi d’une prof de math acariâtre, qui ne supportait pas de mettre plus de 12 ! » (23). A. Antibi cite ceci : « Plusieurs témoignages mettent en évidence le point suivant : dans le domaine éducatif, les enseignants ont trop souvent tendance à décourager les élèves au lieu de les encourager. Ce comportement, très involontaire, s’inscrit dans une tradition regrettable : l’élève, en situation d’échec, travaillerait davantage… Les encouragements et la réussite  sont deux facteurs très motivants.» (24). Il pointe aussi la crainte d’intentions laxistes exprimées par des personnes, dont les enseignants, qui ont connaissance de son action contre la constante macabre : « Ils craignent que la suppression de la « constante macabre » conduise à une baisse de niveau, à une facilité encore plus grande des études, à une perte du sens de l’effort…En d’autres termes selon elles, la suppression de la « constante macabre » serait démagogique et mènerait à une politique éducative du genre : «  tout le monde peut le faire sans se fatiguer » » (25).

L’ensemble de ces constatations se poursuit par des suggestions éducatives.

 

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