Formes et morphogenèses urbaines en Europe et aux Etats-Unis

Formes et morphogenèses urbaines en Europe et aux Etats-Unis

Des formes urbaines « Il est assez facile de se représenter une ville comme le résultat de multiples interactions, entre des acteurs (collectivités territoriales, entreprises, groupes sociaux, habitants), leurs artefacts matériels ou symboliques (logements, équipements, institutions, représentations), et des évènements ou des épisodes marqués par certaines interventions politiques, des conjonctures économiques, des innovations techniques (. . .) Mais, à un autre niveau d’organisation, apparaissent des propriétés émergentes, issues des différentes formes d’échanges et d’interaction qui se produisent entre les villes, à plus ou moins longue distance. Ces propriétés sont caractéristiques de l’organisation des villes en réseaux, en systèmes, à un niveau macro-géographique, à l’échelle d’une grande région, d’un Etat ou d’un continent, voire du Monde. » (Denise Pumain, [Pum06b] p.238) 

Trois niveaux d’organisation du fait urbain

Quand il s’agit de se représenter et de conceptualiser les systèmes urbains à un niveau suffisamment simplifié pour pouvoir en tirer des propriétés universelles, des lois, de nombreux auteurs s’accordent, dans cette démarche de représentation systémique, à identifier trois niveaux principaux d’organisation spatiale. Ils sont classiquement désignés micro, méso et macro (cf. figure 3.1) : • le niveau micro est celui des individus, des ménages, des acteurs intra-urbains (promoteurs, services, maire, etc.) ; • le niveau méso est celui de la ville ; • le niveau macro est celui du système des villes. Ces termes micro, méso et macro ne sont pas accrochés à des niveaux dans l’absolu, l’emploi de l’un est toujours dépendant du sens donné aux deux autres, mais cet étiquetage est classique en modélisation des villes (s’y accordent par exemple D. Pumain [Pum06b] et L. Sanders [San07]). C’est cette association que nous garderons dans la suite de ce manuscrit. De plus ces trois niveaux ne sont pas des catégories fixes et fermées, nous pouvons reconnaˆıtre un continuum entre ces niveaux, le long d’une échelle spatiale qui va de l’individu isolé à l’ensemble de la surface terrestre. D’autres niveaux de décision et d’action intermédiaires à ces trois là sont par exemple celui des collectivités territoriales et de leur gouvernance, celui des groupes sociaux, celui des ensembles constitués par des villes aux profils fonctionnels identiques (technopoles européennes, villes portuaires), etc. Ces trois niveaux d’organisation principaux du 1 – Des formes urbaines 69 fait urbain évoluent à des temporalités très différentes. Ils sont décrits par des variables et sont caractérisés par des propriétés émergentes qui leur sont propres. Fig. 3.1 – Trois niveaux d’organisation du fait urbain, et les échelles spatio-temporelles et propriétés émergentes associées (extrait de [Pum06b]).

Des indicateurs et des classifications

Le choix des indicateurs pour décrire les objets urbains dépend de la question étudiée. Dans un courant donné de géographie, pour une mˆeme famille de questionnements, les mˆemes indicateurs sont utilisés. Par exemple la surface, l’altitude, des indicateurs topographiques sont ceux de la géographie physique ; les budgets, les PIB, ceux de la géographie économique ; les revenus, la taille du ménage, l’ˆage de ses membres, ceux de la géographie sociale ; etc. Dans l’étude de la dynamique des villes, des décennies de travaux ont établi la pertinence de la taille de la population (i.e. le nombre d’habitants) comme indicateur synthétique de comparaison, si tant est qu’à la fois les délimitations spatiales utilisées soient compatibles, et que les villes comparées appartiennent à des pays de niveaux de développement économique de mˆeme ordre de grandeur [Pum06b]. Pour D. Pumain [Pum97], 70 Chapitre 3 – Formes et morphogenèses urbaines en Europe et aux Etats-Unis [il s’agit d’] « un excellent (et le meilleur) résumé de très nombreuses propriétés fonctionnelles des villes. Beaucoup de descripteurs quantitatifs, comme le nombre d’emplois, d’établissements ou de logements. . . mais aussi qualitatifs, comme la diversité ou la rareté des activités et la variété des populations présentes, sont corrélés à la taille des villes. C’est la principale « dimension », c’est-à-dire le facteur de différenciation essentiel, dans un système de villes. » Ordonner les villes selon la taille de leur population s’avère donc très informatif car cela revient aussi en général à établir un classement sur la diversité des activités qu’on peut y trouver, sur le niveau de complexification de son économie. Dans tous les modèles que nous avons présentés dans le chapitre précédent, l’état de la ville, qu’il soit ou non distribué, intègre systématiquement les effectifs de populations associés aux différentes activités humaines représentées. D’autres classements de villes existent : sont par exemple régulièrement publiés des palmarès de « villes o`u il fait bon vivre », qui articulent chiffres de l’emploi, prix des loyers, offres en services publics, éducatifs et culturels, surfaces d’espaces verts, conditions climatiques, etc. Une multitude de descriptions, toutes aussi essentielles de ce qui « fait » la ville, sont plus difficilement définissables et quantifiables, et font qu’on les retrouve plutˆot dans les œuvres artistiques : tout ce qui contribue aux ambiances, aux parfums, aux couleurs des villes, ce qui fait que « Marseille sera toujours Marseille » ou bien qu’on peut « Voir Naples et mourir ». En comparaison notre regard sur les villes, qui se portera sur leurs seuls effectifs de populations, leurs fonctions urbaines et leur répartition spatiale, est certainement plus aride. Pourtant, mˆeme en qualifiant les villes par ces seuls descripteurs, des propriétés émergentes fascinantes car universelles se font jour, aux différents niveaux d’organisation que nous avons mentionnés.

Des propriétés émergentes au niveau de la ville et au niveau du système des villes

Les concepts de site et de situation, mˆeme si ils ne relèvent pas de propriétés émergentes qui nous intéressent, ont de l’importance. Le site fait d’abord intervenir des descripteurs physiques : la présence d’un cours d’eau, d’une chaˆıne montagneuse, un climat favorable, les pentes et la stabilité du sol, une position centrale au sein du territoire permettant un accès plus rapide en moyenne à toutes les parties de celui-ci. Tous ces éléments influent évidemment sur les potentialités de développement d’un lieu de peuplement. Le site ne se restreint pas aux seuls éléments physiques naturels, dont les qualités sont d’ailleurs appréciées diversement selon les époques (cf. les oppida en Gaule), mais englobe aussi les artefacts matériels créés et accumulés par les sociétés au cours du temps (bˆati, tracés viaires). L’espace garde les traces de la dynamique passée des sociétés. Les qualités d’un site influent sur la situation de la ville qui s’y réalise au sein du réseau des villes. Ils constituent des facteurs (externes) qui vont structurer le développement de la ville et guider l’émergence des propriétés émergentes à chacun des niveaux. Au niveau des villes, il est remarquable que dans une très grande majorité de cas, partout dans le monde et à toutes les époques on ait observé des répartitions concentriques de la densité, des prix et des activités, selon une intensité qui décroit du centre historique (noyau initial du peuplement) vers la périphérie. Certes il faut reconnaˆıtre que cette forme mono-centrique tend parfois aujourd’hui à se diluer, et qu’elle est insuffisante pour capturer la variété des formes issues des développements urbains depuis une vingtaine d’années, résultant des changements dans les comportements de mobilité dans de nombreuses grandes villes, sous l’augmentation croissante des distances parcourables dans un budget temps constant, du développement des centres commerciaux, et d’autres facteurs [Man04, C+07, AM04]. Dans plusieurs grandes agglomérations  urbaines mondiales on voit émerger des centralités secondaires, des edge cities1 , en somme de la péri-urbanisation. Cependant ces évolutions sont toutefois très récentes en comparaison de l’ˆage de ces villes, et la présence d’un centre unique, polarisant, très densément peuplé au coeur de la ville, a longtemps été une constante universelle. Au niveau des systèmes de villes, les propriétés suivantes ont été observées en tout lieu et en toutes périodes : 1. une régularité statistique dans la distribution des tailles de villes : au niveau système de villes, partout dans le monde et à toutes les époques, le fait qu’il y ait « une hiérarchie urbaine telle que le nombre des villes suit une progression géométrique inverse de leur taille, constitue une caractéristique remarquable, invariante par rapport aux systèmes politiques, économiques et culturels » [Pum06b]. 2. une régularité dans la disposition des villes dans l’espace, ce qui est appelé la trame spatiale. La théorie la plus connue proposant une explication formalisée « du nombre, de la taille et de l’espacement des villes » est due à Christaller [Chr33], dont nous avons déjà parlé dans la section 1.3 du chapitre 2. 3. une diversité fonctionnelle des villes d’un mˆeme système. Cette propriété a été mise à jour depuis longtemps, d’abord au moyen de typologies littérales, descriptives (dans [Pum06b] est mentionné le travail d’Aurrousseau, dès 1921, pour les villes américaines) puis quantitativement par des classifications statistiques multivariées [Ber64, Pau04, PPVM09]. Cette diversité se traduit, dans les trames spatiales, par une imbrication de villes de spécialités différentes (offrant des services différents et jouant donc des rˆoles différents au sein du système). Cette répartition « équilibrée » peut ˆetre complétée par des phénomènes de concentration régionale de plusieurs villes de mˆeme profil fonctionnel. Cette concentration peut résulter des avantages naturels du site pour ladite fonction (gisements miniers, climat permettant les activités touristiques, etc.) 4. une path-dependency des trajectoires individuelles des villes, et des décalages temporels entre les villes dans l’adoption des activités associées aux cycles d’innovation successifs. Ces propriétés dynamiques ne sont pas le résultat d’une stratégie intentionnelle des acteurs institutionnels et économiques, visant à les faire apparaˆıtre. Nous allons maintenant nous focaliser sur les modalités spécifiques prises par ces propriétés dans les deux terrains que nous souhaitons comparer en les simulant, l’Europe et les Etats-Unis.

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