« Identité narrative » et psychanalyse se raconter pour se comprendre

« Identité narrative » et psychanalyse se raconter pour se comprendre

Dans la lignée de Paul Ricoeur, qui a jeté les bases d’une narrativité ontologique dans la mesure où le temps devient humain lorsqu’il est articulé sur le mode narratif, Patrick de Saint- Exupéry insiste sur le même enjeu : « La narration participe de la structuration de tout un chacun. Et nous en avons un besoin fondamental : c’est ce qui nous permet de nous représenter dans le monde et de nous représenter le monde. » 91 Le rédacteur en chef de la revue XXI rejoint ainsi une conception du récit proche de celle que défend le philosophe avec sa notion d’identité narrative. Transfert, qui a aussi fait le pari du narratif, semble montrer ce mouvement de construction de soi à travers une narration de l’intime, et le podcast masque en même temps ce qui rend possible cette narration de soi, à savoir les questions du journaliste, et donc l’oralité d’un échange.  « On avait envie d’histoires qui, à la fois, racontent des histoires personnelles, des histoires singulières à la première personne, que ce soit du vécu, des histoires racontées, vraiment de façon narrative avec des péripéties, et racontées visuellement, que l’on s’imagine être avec eux. Et, dans le même temps, on voulait des personnes qui aient suffisamment d’autonanalyse, d’introspection pour avoir un recul, pour nous dire ce que ça avait remué en eux, ce que ça avait provoqué, et si ça avait un peu changé leur vie. » 92

Le récit semble structurer notre identité. C’est pourquoi la seconde partie de ce travail s’attachera à montrer dans quelle mesure le podcast narratif à la première personne peut devenir un espace de médiation pour penser ou construire son propre parcours de vie, comme s’il reprenait l’ambition d’une psychanalyse, où les échanges entre le thérapeute et le patient Après avoir mobilisé la pensée de Ricoeur pour montrer que l’homme vit à travers les récits qu’il fait de lui-même, et l’importance de l’échange oral pour créer un récit unifié et introspectif, nous nous interrogerons sur la place qu’occupe le témoignage dans l’univers médiatique actuel et sur la posture adoptée par le journaliste pour co-créer un récit intime. Le philosophe Paul Ricoeur a discuté la doxa selon laquelle « les histoires sont racontées et non vécues ; la vie est vécue est non racontée. » 93 Selon lui, le récit narratif fonctionne comme opérateur d’identité du moi dans la mesure où le temps, cette entité complexe et insaisissable, devient humain lorsque l’expérience est narrativisée : « Il apparaît alors que notre vie, embrassée d’un seul regard, nous apparaît comme le champ d’une activité constructrice, empruntée à l’intelligence narrative, par laquelle nous tentons de retrouver, et non pas simplement d’imposer du dehors, l’identité narrative qui nous constitue. J’insiste sur cette expression d’« identité narrative », car ce que nous appelons la subjectivité n’est ni une suite incohérente d’événements ni une substantialité immuable inaccessible au devenir. C’est précisément la sorte d’identité narrative que seule la composition narrative peut créer par son dynamisme. »

La narration est donc un élément considérable de la compréhension de soi. Puisque notre vie n’est pas terminée, nous ne connaissons pas la fin de l’histoire, et le récit que nous faisons sur nous-mêmes est en relation avec ce que nous attendons encore de la vie : « Le seul narratif qui nous est accessible est celui que Gadamer comme Koselleck ont appelé un « horizon d’attente ». Cette idée que le temps est à la fois rétention du passé et aussi pro-tension du futur, mémoire et attente, vient de Saint Augustin ; elle est reprise par Husserl puis par Heidegger, avec l’idée que l’homme est fondamentalement et premièrement un être en avant de lui-même, vorweg, en chemin, donc que la structure du temps est plutôt le futur avec cet horizon de mort. »97 « J’ai une histoire précise. Mais je ne pense pas que je vais les contacter [les journalistes de Transfert] car je suis trop timide. J’aurais peur de laisser une trace à tout jamais de cette histoire. Car, quand tu livres ton histoire, elle reste telle quelle pour toujours. Et ça me fait un petit peu peur car, comme je n’ai que 32 ans, ma vie évolue encore, et donc mon histoire n’est pas encore définitive. » 98 histoires que nous n’avons pas encore narrativisées. Lors d’une séance de psychanalyse, le patient raconte des bribes d’histoires vécues, des rêves, des scènes primitives, et le but de l’analyse est de tirer de ces bribes un récit intelligible et supportable. La psychanalyse se situe ainsi du côté d’une restructuration narrative de l’identité du patient.

 

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