LA CONSCIENCE DES TROUBLES, DES ORIGINES À AUJOURD’HUI

LA CONSCIENCE DES TROUBLES, DES ORIGINES À AUJOURD’HUI

HISTORIQUE DE LA NOTION DE CONSCIENCE

Le concept de conscience des troubles est ancien et particulièrement complexe. Il trouve ses origines aux confins de plusieurs spécialités et ainsi de courants théoriques différents, se dotant donc de plusieurs définitions. Cette multiplicité de disciplines s’étant saisie de ce phénomène est responsable du développement de nombreux concepts concernant la conscience, allant du plus généraliste au plus spécifique. Certains concepts vont partager des traits communs lorsque d’autres sembleront expliquer des phénomènes tout à fait différents. La diversité des termes concernant la conscience des troubles provient en premier lieu du domaine d’expertise de l’auteur qui l’étudie. Aujourd’hui, chaque discipline utilise un terme qui lui est propre, pouvant entraîner de la confusion au travers de la substitution des termes. Toutefois, il est important de noter que cette difficulté est majorée en raison de la terminologie anglophone. En effet, cette dernière dispose d’un champ lexical que l’on ne retrouve pas dans la langue française, ce qui pose dès lors d’autres problèmes tels que la traduction claire et précise des concepts sous-jacents à chaque discipline. Cette ambiguïté narrative a ainsi nécessité le maintien de certains termes en anglais afin de simplifier et de mieux circonscrire le concept en question. Des noms illustres ont ainsi mis en exergue ce phénomène grâce à des observations cliniques et expérimentales dont il est encore difficile aujourd’hui de saisir toutes les subtilités. LA CONSCIENCE DES TROUBLES, DES ORIGINES À AUJOURD’HUI 24 Que ce soit Freud (1891, cité par Bauer & Rubens, 1985), Pick (1908, mentionné par Gerstmann, 1942) ou encore Babinski (1914), tous ces auteurs ont considérablement contribué à la réflexion autour des altérations de la conscience de l’homme, c’est-à-dire la possibilité pour un individu de se rendre compte de changements, de modifications de ses capacités propres, qu’elles soient mentales ou comportementales. L’historique de l’émergence du concept de conscience ainsi que l’intérêt croissant autour de son origine et de ses mécanismes sont de cette manière riches de toutes les disciplines qui l’ont perçue comme un élément non négligeable dans l’étude de l’individu. Aujourd’hui déclinée sous plusieurs termes, la conscience reste pourtant une entité aux contours variables, parfois flous, faisant se recouper nombre de modèles et de théories, émanant d’un ensemble de disciplines variées et parfois hétéroclites. En France, quatre termes sont ainsi couramment utilisés et parfois substitués les uns aux autres. Ceci ne reflète pas avec exactitude la terminologie anglophone qui dispose de huit termes plus ou moins différents et ne référant pas nécessairement aux mêmes phénomènes, toujours selon les disciplines concernées (voir Tableau 1). 

LA CONSCIENCE AU TRAVERS DES DISCIPLINES 

La conscience de Soi comme axiome philosophique Le concept de conscience n’est pas nouveau. Le premier à l’avoir clairement délimité comme phénomène est Descartes au XVIIe siècle. Il distingue alors la conscience comme étant une connaissance sur le soi-même liée à la pensée. La conscience que l’on peut alors nommer conscience de Soi est appréhendée comme une partie d’un système global indissocié de la pensée ou des expériences vécues par un individu (Descartes, 1648/1937 ; Locke, 1700/1979). C’est seulement deux siècles plus tard avec les philosophes des Lumières que l’on commence à dissocier les expériences de la pensée et celles de la conscience de Soi. L’hypothèse était alors centrée sur deux concepts majeurs : d’une part, l’introspection, ou la capacité d’un sujet à s’observer au travers de ses propres expériences (Mead, 1934), une compétence que l’on acquiert en prenant conscience d’autrui (Boring, 1953) ; et, d’autre part, la compréhension – notamment développée par Freud et Husserl – qui reflète la compréhension et l’évaluation du Soi mais également l’ensemble des états mentaux y compris inconscients (Berrios, 1992). La conscience est alors considérée comme un phénomène complexe représentant à la fois le savoir sur Soi et sur le monde et les mécanismes permettant d’acquérir ces connaissances. Pour avoir conscience de lui-même, un individu doit en premier lieu vivre des expériences, interagir avec le monde ou apprendre de nouvelles informations. Une fois ces expériences assimilées, l’individu pourra non seulement prendre conscience de leur existence propre mais également en comprendre la valeur pour lui-même. Dans la lignée des travaux de Descartes, Husserl a pour ambition de transformer la philosophie en une science rigoureuse (Husserl, 1931/1992). Au travers de la phénoménologie qui a pour but un retour « aux choses mêmes », Husserl place la conscience au centre de cette science. 28 Toutefois, la conscience est ici conçue par rapport au principe d’intentionnalité, c’est-à-dire que la conscience est orientée sur un objet. Cette conception se distingue des travaux de Descartes dans le sens où la conscience n’est pas seulement une conscience de soi, ni un simple résumé de savoirs, mais elle intègre également la manière intentionnelle de perception quelque soit l’objet considéré. Leibnitz jette les premiers jalons de la possibilité d’une altération de conscience au travers du concept d’« aperception » (McRae, 1982). Le philosophe sous-entend l’existence d’une perception sensorielle d’informations, informations qui seraient toutefois trop subtiles et continues pour être aperçues, donc accessibles au champ de la conscience. B. Introspection et compréhension : piliers de la conscience en psychanalyse À la suite des travaux des philosophes des Lumières, le concept de compréhension est débattu à son tour dans le champ psychanalytique. La psychanalyse se distingue des travaux de Descartes, pour se rapprocher de ceux du philosophe Locke (1689/2001, 2006), lequel considère la conscience au-delà de son sens moral, comme constitutive de l’identité et donc du Soi. Pour cela, la conscience s’appuie sur la mémoire afin de maintenir une continuité du Soi dans le temps au fur et à mesure des expériences vécues. James (1890/1964) reprendra cette notion de continuité en définissant la conscience comme un phénomène continu, sélectionnant spécifiquement les informations à intégrer. La notion de conscience se retrouve alors directement dans les modèles tripartites freudiens. Pour Freud, le rôle de la conscience se situe à deux niveaux : le niveau perceptif qui rend compte de la présence d’une perception ou d’une pensée et le niveau qualitatif –considéré comme une sensation consciente – apparié aux affects liés à cette perception ou pensée (Lechevalier, & Lechevalier, 2007). 29 Le concept d’aperception développé par Leibniz va trouver une évolution majeure avec les travaux de Freud. Jusqu’alors seules les sensations pouvaient échapper au seuil de perception consciente, dorénavant, il est possible que des représentations mentales ne puissent être détectées par la conscience. Dans sa célèbre « Interprétation des rêves » (1900), Freud met en avant que la conscience de soi n’est pas une évidence même pour une personne sans détérioration cérébrale. Les pensées et donc les perceptions pourraient ainsi ne pas atteindre le champ de la conscience pour des raisons psychologiques. On entend ici l’implication de facteurs motivationnels – à comprendre comme non lésionnels ou neurologiques – à savoir de déni de la maladie dans son sens psychanalytique de mécanisme de défense. Les symptômes d’une pathologie vécus comme angoissants seraient alors bloqués hors de la conscience pour maintenir une image du Soi correcte et acceptable. Toutefois, l’explication de l’altération de conscience des déficits se situe dans une perspective psychodynamique qui n’entre pas dans le champ des pathologies neurologiques, sans toutefois être incompatible avec ces dernières (Lechevalier, & Lechevalier, 2007). Il existerait ainsi un système de filtre qui bloquerait les pensées négatives sur le Soi hors de la conscience. Une connaissance de Soi est alors en prise directe avec des mécanismes conscients, préconscients et également inconscients (Richfield, 1954). La connaissance des processus mentaux inconscients va alors constituer le niveau le plus profond de la connaissance de Soi et ainsi la conception la plus consensuelle dans les travaux psychanalytiques. Selon Richfield, l’Insight se détermine principalement par la méthode selon laquelle un individu accède à la connaissance et non par la nature-même de cette connaissance. L’implémentation de ces connaissances sur l’expérience se fait de manière très progressive (Segal, 1991) au travers, d’une part, des connaissances objectives (Insight descriptif) et, d’autre part, des émotions et du sens qui y sont rattachés (Insight ostensif). Les mouvements internes provoqués par l’intégration au Soi de ces informations vont être perçus par l’individu et lui permettre d’atteindre l’Insight.

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