La douleur mécanismes et structures impliquées

La douleur mécanismes et structures impliquées

La nociception

Ce terme a été crée en 1908 par le neurobiologiste anglais Sherrington (prix Nobel de Médecine en 1932 pour ses travaux en neurophysiologie) à partir de la racine latine nocere = nuire et du mot ré-ception. Définition : la nociception est une modalité sensorielle mise en jeu par tout stimulus capable de produire une lésion tissulaire. Le concept de nociception se réfère à une approche pragmatique et expérimentale qui permet avant tout de caractériser le stimulus, qui est nocif, qui nuit à l’intégrité des tissus. Un nocicepteur est le type de récepteur préférentiellement sensible à un stimulus nuisible ou qui pourrait devenir nuisible si prolongé. Dans la définition de la douleur proposée en anglais pour les animaux (pain), figurent les mots awareness que l’on peut ici traduire par l’idée « d’alerte », « d’avertissement », voir de « conscience » et aversive dont le sens est plus évident (“aversive sensory and emotional experience representing an awareness of damage or threat to the integrity of its tissues”, (Molony & Kent, 1997)). Les deux termes, nociception et douleur permettent de distinguer : – l’expérience sensorielle élémentaire (nociception), – de l’expérience émotionnelle qui s’ajoute à l’expérience sensorielle élémentaire apportant ainsi une dimension de plus grande complexité à cette sensation. Le terme « aversif » a été introduit pour insister sur la dimension comportementale et physiologique qui, chez l’animal, est la seule réponse activement produite et éventuellement identifiable par un observateur humain. D’autre part, l’IASP recommande pour des raisons de précision et d’exactitude dans la référence implicite aux mécanismes impliqués, d’éviter d’utiliser des termes comme « récepteur de la douleur », « voie de la douleur », etc. (cf. ESCo La douleur mécanismes et structures impliquées recommandation IASP in « version française » à partir de la terminologie IASP 1994 (Merskey & Bogduk, 1994)) La nociception est donc considérée comme le système sensoriel primaire d’alarme permettant la protection de l’organisme en assurant le déclenchement de réponses réflexes (somatiques et végétatives) et comportementales simples dont la finalité est de faire cesser et de limiter les conséquences négatives de l’agression tissulaire. 

Les composantes de la douleur

Les descriptions proposées dans cette section correspondent avant tout à des catégorisations utilisées en clinique humaine ; nous mentionnerons les points vis-à-vis desquels la transposition aux animaux ne peut s’appliquer directement.

La composante temporelle

La douleur est une sensation physiologique normale qui participe à la survie et à la protection de l’individu. En effet, dès les premiers jours de la vie, le jeune enfant apprend que la douleur est un système des plus efficaces pour prévenir les atteintes lésionnelles de l’organisme. La douleur entraînée par une lésion ou un stimulus va induire un comportement qui a pour but, dans un premier temps, de protéger les tissus non lésés et de limiter l’importance et les conséquences de l’agression en elle-même. Ceci se manifeste par un mouvement de retrait, de fuite ou tout autre comportement de protection, qui vise à empêcher l’aggravation de la blessure, ou à provoquer l’immobilisation ou l’enlèvement de l’agent responsable. Dans un deuxième temps, c’est par l’apprentissage que l’individu évitera les situations ou les agents nocifs : les expériences douloureuses antérieures mémorisées préviennent une lésion potentielle ou future. Cette fonction protectrice est bien mise en évidence dans : – les douleurs accompagnant les lésions articulaires majeures ou les affections importantes de l’organisme qui imposent l’inactivité et le repos permettant aux mécanismes récupérateurs de favoriser la guérison ; – l’insensibilité congénitale à la douleur, une affection rarissime caractérisée par l’impossibilité de ressentir la douleur (Danziger et al., 2009; Danziger & Willer, 2009). Cette particularité semble associée à au moins une modification génétique particulière qui a été identifiée récemment (Ahmad et al., 2007). Les jeunes enfants atteints par cette pathologie se blessent, se brûlent, se mordent, présentent des fractures multiples, des lésions articulaires en rapport avec des micro-traumatismes répétés dus à des hyperpressions prolongées et à l’absence de mise en repos des articulations. Il n’y a pas dans ce cas perception des douleurs qui localisent une inflammation comme la douleur de la fosse iliaque droite de l’appendicite. La douleur aiguë, douleur signal d’alarme, a comme principale caractéristique, inhérente à sa définition, la place qu’elle occupe dans le temps : elle s’inscrit dans le présent, elle est transitoire et disparaît rapidement. Elle est provoquée par des évènements tels que la brûlure, la piqûre, les pincements, et persiste jusqu’à la fin du processus de cicatrisation. Des traitements existent pour la faire disparaître. Bien plus importante que sa séquence dans le temps est sa signification, elle est une « sentinelle rapprochée qui protège notre corps » (Bergson, 1896). Cette sensation douloureuse est un signal d’alarme, elle va participer au diagnostic, témoigner de la présence d’une lésion, et c’est elle qui va amener le patient à consulter. Cependant, cette fonction d’alarme est imparfaite ; en effet, les lésions cancéreuses par exemple, n’induisent une douleur que lorsqu’elles ont évolué localement, et, dans ce cas, la destruction tissulaire est permanente, ou lorsqu’elles ont métastasé. Lorsque cette douleur se prolonge et qu’elle n’est pas rapidement traitée, elle perd sa fonction utile et devient préjudiciable, donnant naissance à une douleur chronique. La douleur chronique, douleur maladie. Cette douleur induit différents retentissements sur les plans physique et psychologique, qui peu à peu constituent un véritable syndrome douloureux chronique, qui va évoluer pour son propre compte. Elle peut être symptomatique  d’une maladie évolutive (cancer, pathologie rhumatismale) ou résulter de séquelles traumatiques ou chirurgicales (avulsion plexique, c’est à dire arrachement d’un plexus nerveux, ou amputation de membre), ou d’une maladie guérie (post-zostérienne, pour une douleur survenant après une infection par le virus herpès zoster). La douleur chronique n’a plus aucune fonction, ni aucun objectif biologique : elle est devenue « maladie ». Elle va conditionner la vie de l’individu, entraîner des troubles de l’appétit, une perte du sommeil, envahir son univers affectif, retentir sur le vécu quotidien avec des répercussions sociales, professionnelles et familiales. Elle va devenir la préoccupation dominante. On admet, de façon arbitraire qu’une douleur devient chronique lorsqu’elle dure au-delà de trois à six mois. Cette définition temporelle s’applique difficilement à la plupart des animaux d’élevage dont l’espérance de vie est parfois plus courte que le délai de trois à six mois adopté pour caractériser la chronicité chez l’homme. Ainsi, on parlera de boiteries chroniques chez des poulets de chair dont la durée de vie moyenne n’est en moyenne que de deux mois. Toutefois il faut dès ce niveau préciser d’une part, que les douleurs chroniques sont très rarement décrites en tant que telles en médecine vétérinaire (O’Hagan, 2006) et d’autre part, que leur caractérisation en tant que « modèle validé de douleur chronique chez les animaux » fait toujours l’objet de débats scientifiques dans le domaine de l’expérimentation (Le Bars et al., 2009). Toutefois ce point ne relève pas du champ de la présente expertise. On peut distinguer les douleurs dont on connaît la cause et les douleurs pour lesquelles les mécanismes physio-pathologiques ne sont pas encore élucidés. De façon paradoxale, celles qui sont parmi les mieux appréhendées sur le plan diagnostic et dont on identifie la cause, telles que les douleurs post-zostériennes, d’amputation, d’avulsion plexique et les lombo-sciatalgies ne sont pas celles qui répondent à un traitement parfaitement bien codifié. Il est vrai que l’on retrouve préférentiellement dans ce groupe des douleurs dont la cause est identifiée des lésions tenant à la désafférentation liée à une amputation. Dans l’autre groupe (par exemple : algie vasculaire de la face, migraine, névralgie du trijumeau…), les données physio-pathologiques ne sont pas encore claires, alors que les thérapeutiques apportent des réponses. 

Dimensions sensorielle, cognitive et émotionnelle de la douleur

Ces trois composantes ont été distinguées sur la base d’une catégorisation initialement établie chez le sujet humain, leur identification permet d’analyser et de schématiser la complexité dynamique de la sensation douloureuse (Figure 2). La composante sensori-discriminative correspond au décodage du message sensoriel dans ses caractéristiques de qualité (décharge électrique, piqûre, brûlure, fourmillement…), d’intensité, de durée (permanente, brève, paroxystique, répétée…) et de localisation. Bien qu’importante et indispensable, car c’est en utilisant ces données que la plupart des patients vont décrire leur douleur, cette composante reste dans le registre d’un vécu difficile à partager. De plus certaines données seront erronées, c’est le cas de la localisation d’une « douleur projetée » qui est ressentie chez l’homme non pas à sa source réelle mais au niveau d’un territoire cutané. Un exemple devenu classique est celui d’une oesophagite qui se manifeste cliniquement par des douleurs ou des hyperalgies* dans un territoire cutané dorsal, sternal ou thoracique gauche avec douleur associée de la face interne du bras gauche, ce qui peut faire penser de manière erronée à une atteinte cardiaque. Les composantes cognitive et émotionnelle sont essentielles. Selon les théories de l’évaluation développées en psychologie cognitive humaine, l’émotion ressentie par un individu est déterminée par la manière dont il évalue la situation. Cette évaluation est basée sur un nombre limité de caractéristiques destinées à apprécier à la fois les caractéristiques de la situation au regard du bien-être de l’individu, et les moyens dont ce dernier dispose pour contrôler la situation (Scherer, 1999). Certains des processus mentaux induits par la douleur sont décrits en termes d’émotions qui entrent dans le champ des processus d’évaluation et d’attribution d’une signification. C’est en fonction de la signification attribuée à la sensation douloureuse que se construit la caractéristique de l’émotion associée. Cette signification dépend donc de facteurs socio-culturels et de l’histoire personnelle du patient. La signification d’une douleur est différente selon qu’il s’agit d’une affection curable ou non, d’une affection aiguë ou chronique, qu’il est possible de s’y soustraire ou non. Les circonstances de survenue sont également importantes à considérer : d’éventuels bénéfices secondaires (compensation financière, reclassement professionnel ou autre….) ou primaires (exemption de taches pénibles, changement de poste, attention plus marquée…) peuvent également marquer de façon particulière la survenue d’une douleur. Ces composantes concernent des processus mentaux impliqués dans le traitement des multiples informations participant à l’expérience algique : • l’attention ou la distraction vis-à-vis des phénomènes sensoriels : selon que le sujet est centré sur son corps ou occupé à une activité externe, sa perception des phénomènes sensoriels sera plus ou moins grande ; • la signification de la douleur perçue : l’attribution de la douleur à une cause grave ou bénigne influence l’état émotionnel, notamment l’état d’anxiété, et facilite ou non une amplification des phénomènes sensoriels ; • le contexte situationnel : selon les circonstances de la vie du sujet, les conséquences peuvent être jugées favorables ou défavorables et influencer la manière dont le sujet va vivre sa douleur ; • les références aux expériences passées : si le sujet a déjà vécu ou observé chez des proches des expériences douloureuses traumatiques sur le plan psychologique, il pourra anticiper de telles conséquences vis-à-vis de son état pathologique et, par le biais de troubles émotionnels, faciliter la survenue ou amplifier l’intensité de ses douleurs ; • et enfin, l’attitude de l’environnement : le patient analyse l’attitude du milieu soignant ou de son entourage familial. Cette attitude compréhensive et rassurante ou au contraire distante, inquiétante voire agressive, influence positivement ou négativement l’état émotionnel du patient et par là même la tonalité de l’intégration des phénomènes sensoriels.

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