La politique environnementale dans une fédération centralisée

La politique environnementale dans une fédération centralisée

  La structure politique

La structure politique qui caractérise une fédération peut expliquer pourquoi certains choix sont faits. Au Canada, plusieurs pouvoirs, notamment les pouvoirs résiduaires, sont réservés au gouvernement fédéral. Lorsqu’une politique nationale est annoncée, des négociations avec les différents gouvernements régionaux sont susceptibles de survenir. Comme le suggère Kelemen (2000), les représentants du gouvernement fédéral cherchent à assurer leur réélection. La poursuite de cet objectif passe à la fois par l’amélioration du bien-être national et un meilleur contrôle politique, lequel repose en partie sur le support des gouvernements régionaux. C’est par un jeu d’agence commune que je tente d’expliquer le résultat du processus politique. J’explore ici le mécanisme par lequel une politique est choisie lorsque le gouvernement fédéral détient la compétence pour règlementer un polluant, mais que les gouvernements locaux disposent d’outils pour influencer la politique nationale.

Les acteurs politiques

Soit une fédération composée de 𝑛 juridictions et notée ℱ, où ℱ = {1,2, … , 𝑛}. Je suppose que c’est le gouvernement fédéral qui est responsable de limiter la pollution. À cette fin, ce dernier utilise une combinaison de taxes sur les émissions. Je suppose que ces taxes peuvent varier d’une juridiction à l’autre18. Soit 𝝉 = (𝜏1, 𝜏2, … , 𝜏𝑛 ) le vecteur des taxes environnementales imposées aux juridictions, où 𝜏𝑗 est la taxe sur les émissions produites sur le territoire de la juridiction 𝑗. Le gouvernement dispose également du pouvoir de redistribuer le revenu des juridictions. Une caractéristique fondamentale de la majorité des fédérations (à l’exception notable des États-Unis) est justement l’existence d’une forme de péréquation servant, notamment, à réduire les disparités de richesse (Hueglin, 2015). Soit 𝑻 = (𝑇1, 𝑇2, … , 𝑇𝑛 ) le vecteur des transferts choisis par le gouvernement fédéral entre ses juridictions. Un transfert 𝑇𝑗 positif signifie que la juridiction 𝑗 reçoit une partie du revenu généré chez ses voisines. Au contraire, un transfert négatif signifie que la juridiction en question perd une partie de ses revenus. Enfin, soit 𝑊(𝝉, 𝑻) le bien-être agrégé des résidents de la fédération. 𝑊(𝝉, 𝑻) = ∑𝑤𝑗 (𝝉,𝑻) 𝑛 𝑗=1 , (2.1) où 𝑤𝑗 (𝝉,𝑻) est le bien-être des résidents de la juridiction 𝑗. Pour l’instant, supposons que ce bienêtre local peut être influencé par chaque taxe et chaque transfert. Le bien-être des résidents de la juridiction 𝑗 peut dépendre de tous les taux de taxation du pays car ces derniers influencent directement les émissions polluantes des juridictions, et on suppose que ces dernières traversent les frontières. Tous les éléments du vecteur 𝑻 pourraient également influencer le niveau des émissions. S’il existe des externalités de consommation par exemple, un transfert 𝑇𝑗 non nul se répercutera sur le revenu des citoyens de la juridiction 𝑗, influençant in fine leur demande pour des biens polluants. Deux effets pourraient survenir. Tout d’abord, on imagine qu’un effet de revenu pousse les citoyens à accroitre (diminuer) leur consommation lorsque leur revenu augmente (diminue). Un effet de substitution pourrait également être envisagé. On peut penser que la variation de revenu induite par un transfert se répercute sur la demande des résidents pour la qualité environnementale, et donc sur le taux de taxation désiré localement. Enfin, les transferts et les taxes affectent directement le revenu des résidents. On s’attend à ce qu’une taxe réduise leur revenu et qu’un transfert positif l’augmente. L’utilité du gouvernement fédéral dépend positivement du bien-être agrégé de ses citoyens et des contributions qui lui sont faites par les gouvernements infranationaux. On peut imaginer que le bienêtre des citoyens se traduit par plus de votes aux élections. Quant aux contributions, elles servent traditionnellement à faciliter les campagnes politiques, notamment en finançant les dépenses qui y sont associées. Ces contributions n’ont toutefois pas à être monétaires. Pour Fredriksson (2000), dans le cadre de négociations intergouvernementales ces contributions prennent la forme de 12 dissémination d’information, de protestation politique et de recherche d’influence. À l’instar de ce dernier, mais aussi de Grossman et Helpman (1994), les objectifs des acteurs sont quasi-linéaires dans les contributions. Celui du gouvernement fédéral s’écrit comme suit : 𝛺(𝝉, 𝑻) = 𝑊(𝝉, 𝑻) + 𝜃𝐹 ∑𝑐𝑗 (𝝉, 𝑻) 𝑛 𝑗=1 , (2.2) où 𝑐𝑗 (𝝉,𝑻) est la contribution offerte par la juridiction 𝑗 au gouvernement fédéral et 𝜃𝐹 ≥ 0 est un paramètre représentant l’importance accordée aux contributions des juridictions par rapport au bienêtre agrégé des résidents. Dans chaque juridiction, un gouvernement régional est en place. Ce gouvernement est responsable des politiques qui relèvent de sa compétence, mais ne choisit pas directement les politiques de compétence fédérale. Il a toutefois la possibilité d’allouer des ressources afin d’influencer ces dernières. L’objectif à maximiser des gouvernements régionaux dépend positivement du bien-être de leurs propres citoyens (et conséquemment du niveau des taxes et des transferts) et négativement de la contribution qu’ils versent au gouvernement central afin d’obtenir une politique qui les avantage. Le gouvernement local choisit la contribution 𝑐𝑗 de façon à maximiser son objectif. Soit 𝜔𝑗 l’objectif de ce gouvernement : 𝜔𝑗(𝝉, 𝑻, 𝑐𝑗) = 𝑤𝑗 (𝝉, 𝑻) − 𝜃𝑗𝑐𝑗 , (2.3) où 𝜃𝑗 > 0 est un paramètre connu de toutes les parties indiquant le cout pour la juridiction 𝑗 de faire valoir ses intérêts auprès du gouvernement fédéral. Une valeur 𝜃𝑗 différente pour chaque juridiction peut se justifier facilement. Un gouvernement inexpérimenté ou un gouvernement éloigné idéologiquement du parti fédéral au pouvoir peut avoir plus de difficulté à faire pression pour obtenir des faveurs du gouvernement fédéral. Inversement, un gouvernement provincial influent, bien organisé ou en affinité avec le gouvernement fédéral obtiendra aisément le soutien de ce dernier. De même, le découpage électoral peut favoriser certaines juridictions. La forme du modèle implique que les politiciens représentent une portion marginale de la population, car leur fonction d’utilité particulière n’est pas intégrée à la fonction de bien-être agrégé 𝑊(𝝉,𝑻). Cette simplification ne semble pas irréaliste dans la mesure où la fédération compte un nombre relativement grand d’habitants

Le jeu d’agence

Comme le fait Fredriksson (2000), je modélise les négociations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements du palier inférieur dans l’élaboration d’une politique nationale grâce à un jeu d’agence commune. Le gouvernement fédéral y est l’agent commun alors que les gouvernements des juridictions font office de principaux. Ce modèle s’inspire donc des observations en sciences politiques voulant que les relations verticales dans une fédération soient souvent apparentées à des négociations directes. Hueglin (2015) observe qu’aux États-Unis, notamment, les États n’ont pas accès à la table de négociation des politiques fédérales et doivent faire valoir leurs intérêts d’une façon similaire aux groupes d’intérêt privés. Il n’apparait donc pas contre-intuitif de modéliser le comportement d’un gouvernement régional comme tel. Par simplicité, la possibilité d’une forme de coopération interprovinciale est exclue19. Les juridictions constituant la fédération se comportent donc de façon totalement non coopérative. Dans ce jeu, les joueurs sont les gouvernements des juridictions et le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral choisit un vecteur de taxes 𝝉 et un vecteur de transferts 𝑻 de façon à maximiser son gain 𝛺(𝝉,𝑻): 𝝉 × 𝑻 → ℝ alors que l’espace stratégique de chaque juridiction 𝑗 consiste en un menu de contributions 𝑐𝑗 (𝝉, 𝑻): 𝝉 × 𝑻 → ℝ+. La restriction du domaine de 𝑐𝑗 aux valeurs non négatives signifie qu’aucune juridiction ne peut exiger au gouvernement fédéral d’être payée pour une politique qui lui est défavorable. La forme extensive du jeu comporte deux étapes. Tout d’abord, chaque juridiction choisit simultanément un menu de contributions non négatives tel qu’une contribution soit associée à chaque couple (𝝉, 𝑻) résultant de la politique fédérale. Ce menu est communiqué au gouvernement fédéral. Cette contribution tient compte des stratégies des autres juridictions et de celle du fédéral. Enfin, le gouvernement central choisit un vecteur de taxes et un vecteur de transferts de façon à maximiser son objectif tout en respectant les possibles contraintes de faisabilité et d’équilibre budgétaire.

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