La pratique du jeu de rôle

Ce que jouer veut dire

La pratique du jeu de rôle est caractérisée par l’imbrication étroite de différents éléments sociaux, fictionnels et ludiques. Au confluent de ces éléments, le récit fictif créé en jeu apparaît comme un média et une fin en soi. Un média des relations sociales qui se tissent en et grâce à lui et une fin en termes littéraire et fictif, où la création d’un « beau » récit, d’une aventure épique ou faisant naître des émotions fortes – comme n’importe quelle œuvre artistique – est appréciée et valorisée. Aussi, dans ce chapitre, je me demanderai comment sont mis en lien la création du récit fictif, le jeu et ses structures et les manières de faire groupe.

Pour répondre à cette problématique, j’approcherai d’abord les façons dont les rôlistes s’inscrivent dans la fiction, grâce notamment aux importants travaux réalisés par les chercheurs en littérature qui se placent dans un paradigme narrativiste. J’analyserai ensuite les différents rapports au personnage du jeu de rôle en me basant sur les approches et analyses de chercheurs en littérature [Mackay, 2001 ; Cover, 2010 ; Cristofari, 2010 ; David, 2016], en sociologie [Fine, 1983 ; Caïra, 2007] ou is- sus de la psychologie [Nephew, 2006 ; Bowman, 2010 ; Lankoski et Järvelä, 2012 ; Blackstock, 2016 ; Lieberoth et Trier-Knudsen, 2016] et en les comparant. Enfin, particulièrement grâce à l’aide de Gary Alan Fine, je montrerai de quelles manières se constituent les groupes de jeux de rôle, et ce que ces manières de faire groupe impliquent dans les façons de jouer et de créer un récit.

S’inscrire dans une fiction

Les jeux de rôles transportent l’imagination des joueurs dans des univers fictifs invisibles, qu’ils doivent tout de même apprendre à connaître et à apprécier pour pouvoir s’y orienter et être capable, en leur sein, de créer collectivement un récit. Les rôlistes s’inscrivent dans ces fictions grâce à des codes, appelés ici scripts fictionnels. Chaque fiction créée apparaît alors comme un mélange entre une œuvre diégétique et originale, car unique et relative à un groupe de joueurs mais s’inscrivant dans des mondes et étant parsemée de références connues. Chaque joueur et chaque groupe ayant une appréhension différente du jeu, de la fiction et des codes qui la soutiennent, la création de récit en jeu apparaît alors comme une pratique non seulement ludique et sociale, mais aussi littéraire et artistique [Mackay, 2001 ; Caïra, 2007 ; Cover, 2010].

Investir un univers fictionnel

Depuis le début de ce mémoire, j’évoque le fait que les participants d’un jeu de rôle inves- tissent des univers fictionnels afin d’y vivre des aventures par le biais de personnages. Ces univers sont composés autant de diégèses que de mondes originaux. Les rôlistes s’y inscrivent soit par l’ap- profondissement de leurs connaissances du-dit univers soit grâce à l’intertextualité c’est-à-dire en invoquant d’autres références connues qui permettent de créer une représentation de l’environne- ment, des personnages etc.Il existe de fait un conflit sémantique entre les chercheurs s’inscrivant dans une théorie de la fiction [Punday, 2005 ; Ryan, 2007 ; Cristofari, 2010 ; Balzer, 2011]. Pour certains, chaque univers fictif investi est un monde en soi, qui se différencie de tous les autres en cela qu’il est personnel et relatif à l’imagination d’un individu. Pour d’autres, l’utilisation du terme de monde est un abus, chaque univers fictif n’étant ni créé ex nihilo ni investit seul – notamment dans le cadre des jeux de rôle [Caïra, 2016]. Sans placer la création diégétique en deçà d’une création pure existant en et pour elle-même, Olivier Caïra note trois points présents dans les structures des jeux de rôle qui per- mettent de nuancer l’utilisation excessive du terme de monde.

Pour lui, il existe en effet plusieurs niveaux de création diégétique : un premier fourni par le jeu et contenant diverses informations telles que les règles et de nombreuses descriptions physiques, poli- tiques, mythiques ou religieuses. Ensuite vient l’apport du scénariste qui peut être le maître de jeu (MJ) qui dessine des plans, crée des personnages et des événements. Un troisième niveau, qu’il ap- pelle « diégèse de l’action » est constitué des improvisations du MJ lorsque les joueurs s’écartent du chemin qu’il a tracé. Il s’agit alors de respecter les repères fournis par l’œuvre d’origine et il n’est pas rare qu’ils soient directement cités dans la partie [Caïra, 2016]. Lors d’une partie de Star Wars (1988) ou du Jeu de Rôle du Seigneur des Anneaux (2002), les PJ peuvent visiter des planètes ou des pays décris dans l’œuvre fondatrice, ils peuvent rencontrer Gandalf ou Obi-Wan et partir en mission avec Aragorn dans les Terres Sauvages où ils pourront croiser les Trolls changés en pierre que Bilbo affronte au début de son aventure dans Le Hobbit (1937).

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