La précarité et ses discrètes manifestations

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Une première séance d’affectation : le luxe du choix

Au mois d’aout de l’année scolaire 2016-2017, étant inscrite sur la liste de priorité, la participante est convoquée à la séance d’affectation. L’enseignante explique en détail comment elle a choisi son contrat lors de cette séance : un contrat de septembre à février à 93 % de tâche dans son ancienne école de stage IV réparti dans quatre classes de quatrième année et une classe de cinquième.
Moi je pensais qu’il y aurait par exemple beaucoup plus de contrats qui finiraient en novembre  décembre. Il en restait un ou deux à moi. Mais là, c’était en novembre, une 3 et 4. Donc là j’ai comme « chocké » à la dernière minute et j’ai comme fait « Ouin je le prendrai pas » parce que c’est une 3 et 4, je me dis déjà ça va être vraiment beaucoup de travail, moi je vais m’en aller quand ça va commencer à être le fun. (….) Et c’est surtout que c’était un double niveau, si ç’avait été juste une quatre, ben je l’aurais peut-être pris quand même. Mais là c’était un double niveau, troisième année, ils ne sont pas super autonomes, ce n’est pas comme une 5-6 où tu peux fonctionner beaucoup par plan de travail. 3-4 je me disais : « Ouin en septembre par plan de travail, peut-être pas. » Tu ne les connais pas, je veux dire, je ne connaissais pas l’école beaucoup.
Tout ça se joue en cinq minutes donc là dans ma tête ça a pris 30 secondes. J’aurais pu prendre un 80… j’aurais pu retourner à l’école où j’étais l’année passée à 80 %, mais c’était avec juste 30 % de jours cycles, en sixième, et du MACC. (….) C’est pour ça que je cherchais vraiment un 100 % jusqu’en octobre-novembre. (….) Donc là, j’hésitais beaucoup, mais ça c’était un 80 % pour l’année, ça, ça veut dire aucune chance d’avoir une classe. (….) Après ça, il s’est mis à avoir [des contrats] jusqu’en mars. Il y avait des jours cycles [à l’école] que je connaissais qui se sont libérés. Pas longtemps avant moi, il y a quelqu’un (…) qui a pris ça, où j’ai fait mon stage IV, mais qui a dit : « Moi, je reviens en février parce que je suis en maternité. » C’est une école où je sais que je vais avoir du plaisir jusqu’en février, je connais le directeur, je sais que ça va bien se passer, je connais les profs, les six que j’ai c’est mes anciens élèves de stage. Donc là j’étais comme : « Ouin, est-ce que je me laisse tenter à être confortable dans mes affaires comme pas de problème!? » Et je me suis dit (….) que je vais espérer avoir une classe pour finir mon année. Donc c’est pour ça que j’ai choisi ça plutôt que de retourner à mon autre école et avoir un 80 % pour l’année.
Nous constatons que beaucoup de facteurs sont entrés en jeu lorsque l’enseignante a eu à choisir un contrat à la séance d’affectation, et ce, en si peu de temps, la participante précisant elle-même que tout se joue en cinq minutes. Ainsi, la participante a tenu compte de la connaissance de l’école (élèves, enseignants, direction), du niveau scolaire, de la charge de travail, de la proportion du contrat à jours cycles versus en MACC, des futures opportunités d’emploi. Le salaire a également un effet certain sur la décision. Comme la participante demeure chez ses parents, elle explique qu’elle pouvait se permettre de choisir un contrat jusqu’en février, le stress financier étant moins important dans sa situation actuelle. Par contre, « là c’est sûr qu’en appartement l’année prochaine, je vais peut-être plus regarder quelque chose de sûr pour l’année », mentionne-t-elle. L’emplacement géographique des écoles a aussi été pris en compte : « dans le coin de [lieu géographique] c’est peut-être pour ça dans le fond que je l’ai barré, peut-être que je me suis dit, peu importe ce qui arrive dans le fond, je ne vais pas là. »
La participante s’est d’ailleurs surprise d’être si sélective en comparant sa façon de voir les choses en étant sur la liste d’attente versus en étant sur la liste de priorité. Lorsqu’elle était sur la liste d’attente, elle souhaitait tellement se qualifier pour la liste de priorité qu’elle « aurait été prête à prendre n’importe quoi » : « Tu te “garroches” sur ce qui passe et tu te 95 dis : “Écoute je finirai en juin comme tout le monde et je verrai comment ça va”. » En portant un regard réflexif sur les évènements, elle se rend compte que lorsqu’elle a le choix, elle se tourne vers des tâches sécurisantes.
Mais quand tu as le choix au bassin, moi je me suis vraiment surprise à dire : « Ha non, pas cette école-là » ou « Ha non, pas ce niveau-là », « Ha non, la 3 et 4 jusqu’en novembre… » Mais si Madame X [la responsable de l’attribution des tâches] m’avait appelée pour la 3 et 4 jusqu’en novembre, j’aurais été vraiment contente. Mais là, quand tu as le choix de tout… (….) Tu es difficile je trouve, j’étais comme : « Ben voyons, tu es ben poche. » Là, je suis super contente de ce que j’ai pris, mais je suis comme retournée dans mes pantoufles parce que je savais que j’allais dans un milieu dans lequel j’allais avoir du plaisir. (….) C’est ça, je trouve qu’on est très sélectif quand on a le choix.
Par contre, quand elle n’aura plus cette opportunité de choisir une tâche, la participante se dit prête à accepter une offre, et ce, peu importe laquelle.
Si en février ou en mars, si elle me rappelle [la responsable de l’attribution des tâches] et qu’elle m’offre juste un choix, bien ça va être ça!! Et ça se peut que ce soit une sixième intensive et je vais dire oui.
Précisons que, de façon générale, les enseignants inscrits sur la liste de priorité ont le droit de refuser une offre d’emploi par année scolaire24. Sur la liste d’attente, les enseignantes ont un nombre illimité de refus possibles, mais la commission scolaire n’a aucune obligation de leur offrir des tâches.
Finalement, après l’affectation du mois d’aout, la participante débute son nouveau travail.
En octobre, au moment où nous l’interviewons, la règle qui inquiète l’enseignante est celle liée au nombre maximal de photocopies auxquelles elle a droit. Bien qu’elle le considère comme son « plus gros problème », mais précise que « ce n’est pas un gros problème », ce quota semble un sujet inévitable qui l’inquiète.
24À moins de circonstances particulières acceptées par la commission, le deuxième refus, au cours d’une même année scolaire par une personne d’accepter un contrat à temps partiel ou une suppléance prédéterminée de vingt (20) jours ouvrables et plus, entraine pour elle une perte de priorité pour l’année en cours.(CS, 1999 et suivantes, 5-1.14.06 P)
Ça faut j’en parle, c’est une autre affaire, j’ai peur de manquer de photocopies. C’est difficile, c’est la première fois que ça m’arrive d’avoir une limite de photocopies et ça me le rappelle sur la photocopieuse!! (….) Ça me met de la pression.
La participante explique qu’elle doit rencontrer la direction à ce propos afin notamment de connaitre le nombre de photocopies effectuées par l’enseignant qui avait le même contrat l’an dernier. En attendant, elle est contrainte d’utiliser des moyens alternatifs qu’elle juge moins optimaux : « J’essaie de ne pas trop en faire [des photocopies]. C’est plate pour mes six, c’est souvent eux qui écopent. (….) C’est 10 minutes qu’on prend à recopier, moi c’est 10 minutes que je n’ai pas [pour enseigner]. »
À postériori, sans remettre en question la décision qu’elle a prise à l’affectation, la participante est déçue, rendue au mois d’octobre, de devoir quitter son milieu de travail en février.
Au début, j’étais comme : « Ha!! Je suis vraiment contente de mon choix!! », mais là je trouve ça poche de partir en février. (….) Oui et autant que je me dis :
« Ha!! Les profs et les élèves, je ne veux pas les laisser. »

La précarité et ses discrètes manifestations

Nous avons demandé à la participante, ce qui, selon elle, a favorisé son insertion professionnelle.
Je pense que c’est un bon moment parce que j’ai quand même été engagée en mars, j’ai fait de la suppléance jusqu’en juin, l’année d’après j’ai un contrat à la leçon et j’ai fait du temps complet en suppléance, puis dès la première fois où j’ai pu avoir un contrat sur la liste de priorité, ils m’ont appelée le lendemain. Donc je ne peux pas demander beaucoup plus que ça. Ça s’est vraiment bien passé et dès mon premier contrat la directrice, elle nous a « pairé ».
Ainsi, la participante considère avoir vécu une expérience d’insertion professionnelle facilitante. Elle précise même qu’elle n’aurait pu demander mieux. Selon elle, sa facilité d’intégrer le marché du travail s’explique par la conjoncture qui se veut favorable à l’emploi. Nous en concluons que l’enseignante associe davantage l’insertion professionnelle à la division du travail, et plus précisément, à l’accès à l’emploi, à savoir, la première des cinq dimensions du modèle d’insertion professionnelle de Mukamurera (1998). Elle l’associe davantage et non pas exclusivement puisqu’elle ajoute avoir apprécié bénéficier du programme de mentorat dès son premier contrat : le mentorat étant un outil d’insertion professionnelle. L’enseignante a apprécié cette initiative puisque la mentore était dans son école et qu’elle avait plusieurs années d’expérience pertinentes.
Elle [la mentore] avait fait ça les jours cycles, les années avant, plusieurs fois. C’était parfait. Je pouvais aller la voir, tout le temps, elle était toujours disponible. Des fois, je voulais juste faire valider une petite affaire. (….) J’ai trouvé que de la part de la directrice d’avoir pris l’initiative de nous pairer avec quelqu’un, c’est moins stressant. Parce que des fois tu es gênée d’aller demander. (….) Déjà c’est rassurant, surtout pour un premier contrat.
Tout au cours de l’entrevue, la participante fait néanmoins ressortir des éléments contraignants, caractéristiques de son statut d’enseignant précaire et en insertion professionnelle. Nous pouvons associer ces éléments aux deuxième et troisième dimensions de l’insertion professionnelle de Mukamurera (1998), soit, aux conditions de travail liées à la tâche et à la socialisation organisationnelle.
– Les changements fréquents de milieux et de niveaux scolaires
C’est sûr que j’y ai pensé en faisant mon choix au bassin. Je me suis dit :
« C’est sûr que si je rentre dans une classe au mois de mars, ça se peut que ce ne soit pas facile, au même titre que celle qui va rentrer en février, elle ne trouvera peut-être pas ça facile. » (…) L’année passée, j’ai tout monté mon matériel, donc je ne veux pas l’avoir monté juste pour une année non plus.
– La lourdeur de la tâche
C’est parce qu’il y avait beaucoup de sixièmes intensives [lors de la séance d’affectation]. Elle m’a dit : « Je ne peux pas penser prendre une sixième intensive. » (…) L’hiver, elle dit : « C’est trop là, avec toute la correction que je vais avoir à faire, je n’y arriverai pas. »
– Le statut d’emploi qui influence la relation avec les élèves
Pour eux [les élèves], je suis l’enseignante qui vient une fois par semaine. (….)
J’ai un nom qui est sur leur pupitre, mon nom est sur leur liste d’élève, mon nom est sur leur calendrier (….) Donc, c’est vraiment vu comme s’il y a une des deux enseignantes qui est moi. J’en ai un [élève] qui a dit à l’autre prof : « De toute façon, ce n’est pas une vraie prof qui est là, c’est une remplaçante ». (….)
Je suis allée le voir et il a dit : « Ha non ce n’est pas ça que je voulais dire. »
Mais j’ai dit : « Non, parce qu’une remplaçante elle ne reviendrait pas nécessairement dans la classe, mais moi tu vas me revoir la semaine prochaine puis la semaine d’après, la semaine d’après. » Je veux dire, je ne suis pas une suppléante, je suis la deuxième enseignante.
Je l’ai vécu en jours cycles l’année d’avant et avoir une classe c’est tes affaires vraiment. Là, même si tu es en jours cycles, c’est bien beau de dire aux élèves « Moi, c’est madame Telle, c’est madame Telle », à un moment donné, ils s’essaient toujours un petit peu.
– Les contrats à jours cycles
Tu essaies de moins t’absenter. Les élèves aussi ils s’en rendent compte que c’est difficile à rattraper. Il y a une petite fille en quatrième année qui me l’a dit : « C’est beaucoup de travail quand on manque une journée, je vais essayer de ne pas être malade trop souvent!! » (….) Je trouve que ce n’est pas tes choses.
Tu ne peux pas faire de projet vraiment long parce que tu ne les vois qu’une fois par semaine. Juste les projets d’arts (…) quand je le commence, je le fini dans la même après-midi. Donc, c’est des projets juste de deux heures parce que sinon… (….) C’est beaucoup trop long. Tandis que quand c’est ta classe,
c’est facile de mettre à terminer : « Oui, je peux finir le projet d’art. »
Je trouve que tu peux faire plus de choses. Aussi, admettons que tu fais une session d’écriture, après tu peux faire autre chose, jumeler avec l’univers social que tu vas faire, avec tes arts. Moi je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas faire une session d’écriture alors que je ne l’évalue pas, parce que déjà qu’on manque de temps. Donc, c’est vraiment pour ça que je veux ma classe.
Relativement aux contrats à jours cycles d’ailleurs, dans le cadre du programme d’insertion professionnelle de sa commission scolaire, l’enseignante a participé à une formation portant sur l’enseignement de l’univers social à jours cycles. Elle a toutefois décidé de ne pas participer aux autres formations disponibles pour les enseignants à jours cycles, car bien qu’à première vue accessible, cet outil d’insertion professionnelle la place en conflit. D’un côté, les formations pourraient lui offrir des outils favorisant l’enseignement des domaines d’apprentissage dont elle a la responsabilité, de l’autre, sa présence en classe lors des premières journées d’école apparait nécessaire pour rencontrer ses nouveaux élèves et pour établir une bonne relation avec ceux-ci dès le début de l’année scolaire.
Oui, je l’avais pris en univers social, mais c’est parce que ce qui adonnait comme mal c’est qu’ils font ça les jours 1 (…) et c’est toujours en début d’année en plus. Est-ce que je vais laisser ma classe la première fois que je les vois pour assister à une formation!? Je trouve que c’est plus profitable pour moi de rencontrer les élèves les premières journées. (….) Surtout que moi, les jours c’était mes sixièmes années que je vois. Déjà que je vois mes sixièmes années aux deux semaines, là je ne laisserai pas quelqu’un d’autre enseigner quelque chose parce que moi j’évalue tout ce qu’ils font presque, vu que je ne les vois pas beaucoup.
À ces éléments propres aux nouveaux enseignants, s’ajoutent les particularités liées à la précarité en ce qui a trait l’assurance-emploi, aux assurances et aux impôts. Pour une personne comme notre participante, pour qui les règles doivent être méticuleusement respectées, cela peut être difficile à gérer.
– L’assurance-emploi : les déclarations
– Je l’ai fait là-bas, donc ça quand même bien été [l’ouverture de dossier d’assurance-emploi au bureau de Service Canada]. Là c’est sûr que moi ce que je ne savais pas c’est qu’ils payent [la commission scolaire] tes vacances, tes journées de maladies et de vacances que tu n’as pas pris, ils te les paient la paie d’après. Donc, j’ai été vraiment retardée dans mon chômage. (….)
– C’est pour ça que c’est mieux de prendre ses journées de congé.
– Mais en même temps c’est des maladies. (…) C’est une journée de maladie, je ne la prendrai pas, c’est ça qui est écrit!! Je suis vraiment « by the book ». Ça m’a retardée et je ne comprenais pas, je me suis sentie mal parce que moi je ne l’ai pas déclaré (….) Ça y est, ils vont me couper mon chômage pour le restant de mes jours, je n’aurai plus jamais le droit à mon chômage.
C’était stressant et j’étais en voyage. Je le savais que je perdais ma semaine [de prestations d’assurance-emploi]. Mais là, je me disais, j’espère que ne je reviendrai pas trop tard de voyage. (….) Si je la fais trop tard [ma déclaration], est-ce qu’ils vont me l’avoir payé et là, faut que je rembourse et ils vont penser que j’ai voulu les arnaquer. (….) « OK, c’est vraiment stressant. » Ça, je n’aime pas ça, c’est le bout que… c’est bien le fun être en congé d’été, mais ce bout -là il est moins le fun, le stress de l’assurance-emploi. (….) J’ai trouvé ça dur le chômage cette année.
– L’assurance-emploi : les recherches d’emploi
Je prenais des notes, donc là, admettons je ressortais tous les emplois sur Emploi-Québec. Je les ai tous ressortis quasiment là les garderies. (….) Après
ça, j’ai sorti tous les secrétaires. J’ai le droit aux secrétaires, je suis bonne en français, service à la clientèle. Je les ai sortis, mais à un moment donné, toujours des espèces d’études compliquées, attestation de je sais pas trop quoi, mais là, tel cours, je n’ai pas ça… Donc, j’écrivais à côté : « Demande tel diplôme, trois à cinq ans d’expérience. » Ça ne marche pas.
Mais je n’ai appliqué nulle part, parce que ça n’a pas de bon sens. Ils vont se dire : « Coudonc, elle, elle rit de nous autres!? Elle envoie son C.V. » J’avais peur de ça aussi, j’avais peur qu’ils appellent au bureau de chômage : « Elle, elle nous envoie des C.V., mais elle n’a vraiment pas les compétences. »
– Les assurances
J’ai appelé chez SSQ parce que l’été es-tu assurée ou pas!? Mais tu es assurée 120 jours après la fin de ton contrat, donc tu es assurée l’été dans le fond. (….)
Ça a été compliqué, c’est vrai. Parce qu’ils t’envoient [la compagnie SSQ], admettons ton contrat, il est en date du 25 aout, mais là ils t’envoient tes papiers, admettons le 15 septembre, sauf qu’il est actif à partir du 25 aout, mais c’est parce que là, je n’ai rien signé. (….) Ça ne marchait plus là, ça ne marchait plus avec la RAMQ [Régime de l’assurance-maladie du Québec]. Il faut les appeler. Je me suis dit : « Ça y est, je vais avoir une amende!! » (…) Il y a eu un deux semaines, je trouve que c’est mal fait (…) un deux semaines que tu n’es pas assurée.

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