LA REPRESENTATION DE LA SOCIETE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

LA REPRESENTATION DE LA SOCIETE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

La société africaine. L’Afrique présente une société plurielle, mystérieuse et organisée. 

 La diversité culturelle 

La diversité culturelle dans cette partie de l’Afrique occidentale française est une réalité à tous points de vue. Beaucoup d’anthropologues et d’ethnologues cherchaient à comprendre la civilisation des populations colonisées. On pensa que les cultures étaient identiques et incomparables et leur différence fondamentale. C’est pourquoi Jacques Chevrier  affirme que : « Les spécialistes des questions africaines, ethnologues et anthropologues ont beau jeu d’opposer la diversité de civilisations du continent africain où se côtoient, sans se mêler, des systèmes de valeurs, des modes de vie et des idéologies radicalement hétérogènes». Le chercheur-anthropologue Maurice Delafosse dans son ouvrage Haut- Sénégal Niger14 a largement diagnostiqué cette diversité culturelle. La colonie du Haut-Sénégal Niger, appelé le Soudan français, présente des peuples qui appartiennent à deux races (race blanche et race noire) et se répartissent en sept familles, dont deux de race blanche plus ou moins mélangé (la famille sémitique et la famille hamitique) et cinq de race noire (les familles tekrourienne ou Toucouleurs, Songay, Mande, Senoufo, Voltaïque).Quatre peuples seulement, sur les quarante précités, sont à ranger dans les deux familles de race blanche. Ces peuples sont les Maures comprenant les tribus Berabich, Kounta, arabe, berbère ; les Touaregs, les Foulbe ou Peuls (mélange de berbère et noir) comprenant les Peuls du Sahel, les Peuls du Macina, les Peuls du Gourma et les Peul de la Volta. Les familles de race noire sont la famille tekrourienne (un seul peuple, celui des toucouleurs ou foutanké), la famille Songai (les Songay du nord-ouest et les Songay du Sud-Est ou Djerma) ; la famille Mande regroupant les Bambara, les Bozo, les Soninké, les Diallonké, les Khansonké etc ; la famille Senoufo (un seul peuple) ; la famille voltaïque (les Dogon et les Deforo). Ce tableau dresse dans son ensemble les populations dominantes dans chaque endroit. Néanmoins, dans chaque région, des minorités importantes sont notées d’où le mélange des cultures malgré leurs spécificités. Si la nomenclature et la classification des groupements actuels présentent de nombreuses difficultés, il est encore loin pour nous de fixer leurs origines et d’expliquer leur formation. C’est juste un prétexte pour montrer comment la diversité culturelle était une réalité dans cette partie de l’Afrique occidentale française. Cette tâche est laissée volontiers aux historiens et ethnologues. Dans cette partie de l’Afrique, le colonisateur a fait un recensement de la composition de la population dans chacune des circonscriptions administratives pour déterminer la population la plus dominante en vue de mieux appréhender les réalités du milieu. Voici le tableau que nous avons synthétisé et tiré de l’œuvre de Maurice Delafosse : A partir des données ci-dessus synthétisés, on constate évidemment que ces peuples, chacun en ce qui le concerne, présentent dans cette partie de l’Afrique occidentale française une diversité linguistique qui véhicule toute une identité. Entre autres, nous avons l’arabe, le Zenega (maures), le Peul, le Songai, le bozo, le Soninké, le Kagoro, le Sousso, le Senoufo, le Tombo, le Dogon, le Bobo, le Haoussa. Joseph ki-zerbo en étudiant les pays de la HauteVolta nous le présente en quatre grands groupes : « Les « autochtones » (Gourounsi, Sénoufo, Dogon, Bwa, Kouroumba, etc.), les « Mandé » (Bisa, Samo, Bobo-fing, Yarsé, etc.), les Peul, les Mossi. Tous ces groupes se sont mêlés depuis des siècles, créant même des ethnies mixtes16 ». C’est pourquoi cette société demeure très complexe. 

Une société mystérieuse

Le voyageur qui visite l’Afrique noire et y séjourne un certain temps, ne manquera pas, s’il est observateur, de remarquer toutes sortes d’objets et de pratiques curieuses qui éveilleront son attention. Cela le plonge peu à peu dans une vie secrète et mystérieuse qui le fascine. Pour arriver à la pénétrer, il faut apprendre à lire le seul livre ouvert devant soi, celui de la vie quotidienne : regarder et écouter dans les cours et dans les cases pour connaitre des choses. Ainsi le mysticisme est une doctrine fondée sur une union de l’homme et de la divinité, union rendue possible par la contemplation. Plus loin, Lamine Ndiaye dira que : « le mysticisme, qu’il soit de l’ordre de la gnostique ou de l’agnostique a trait au mystérieux et désigne des croyances et des pratiques sociales par le truchement desquelles les êtres humains, de cultures diversifiées et d’obédiences différentes, passent pour être « en contact » avec l’invisible ; autrement dit avec l’altérité17 ». Cette pratique mystique, ésotérique ou exotérique, passe par l’éducation, la formation et la religion ; les trois piliers fondamentaux d’une assise sociale. C’est pourquoi chaque phase nécessite forcément une initiation, même si l’éducation islamique et plus tard occidentale gagne les mœurs. C’est la principale pratique à laquelle recourt l’Africain pour saisir et pénétrer les secrets de la vie et de la nature. Le recours aux forces occultes explique et fait comprendre certains phénomènes naturels que l’Européen appréhende grâce à la science, à la technique. Par exemple les phénomènes tels que la mort, la foudre et les maladies ne peuvent trouver d’explication que dans la pensée mystique. D’ailleurs le thème de l’initiation est dominant dans l’œuvre d’Amadou Hampaté Ba. C’est l’apprentissage du savoir occulte qui est un moyen permettant de révéler la réalité profonde de l’univers. Par conséquent, l’individu, dès sa naissance, est soumis à plusieurs types d’initiation et sa vie éducative se compose de plusieurs phases. Il est le lieu de rencontre des forces contradictoires en perpétuel mouvement et il doit se mettre à l’école des sages. Cette initiation à la vie vise à donner à la personne psychique une puissance morale et mentale. La société se préoccupe de la personne humaine en tant que telle. Le savoir africain que conserve la parole régit tous les aspects de la vie alors que la connaissance se transmet de génération en génération par les plus âgés qui en sont les dépositaires. C’est pourquoi, dans la tradition peule « l’initiation introduit le postulant dans la vie pastorale pour l’amener, progressivement au titre de « Saltigui » (celui qui a la connaissance initiatique des choses pastorales et des mystères de la brousse) et en faire un maître ».Cette initiation repose sur une éducation stricte. Ainsi, « L’éducation trouve son couronnement à travers l’initiation dans les périodes de circoncision, d’excision, de réclusion religieuse, lieu de chants, de danse et de décodage des symboles19 ». Elle apparait donc comme un moyen pour une société de se perpétuer à travers ses idéaux, par la transmission de ses valeurs culturelles et philosophiques. De ce fait, « l’éducation a pour but de transmettre d’une génération à la suivante la sagesse et les connaissances que la société a accumulées et de protéger les jeunes à être, plus tard, membres de cette société20 ». C’est dans cette optique qu’un certain nombre de valeurs sont enseignées et intégrées dans le vécu quotidien. Par valeur, nous entendons tout fait social ou de culture qui est conforme à la raison, à la nature de l’homme et qui répond positivement aux besoins fondamentaux de la majorité des membres d’une communauté humaine. De ce point de vue, les valeurs revêtent un caractère dynamique et permettent ainsi de vivre en équilibre harmonieux aussi bien avec soi-même qu’avec les autres. Ce sont des valeurs qui ont été triées, sélectionnées par une sorte de tribunal de l’histoire et se sont maintenues dans le va et vient historique, constructeur des valeurs (caractère universel) ou celles reposant sur des situations conjoncturelles consacrées par l’expérience historique (leur portée ne dépasse pas leur cadre contextuel c’est-à-dire qu’il suffit qu’on change le contexte social, temporel, ou culturel pour voir ces valeurs perdre toute leur validité, toute leur signification). A Charge maintenant aux griots et aux personnes âgées de dynamiser ces valeurs à travers les mythes, les légendes, les épopées, les contes, les proverbes, les devinettes, les rites d’initiation, la peur etc. Justement, les griots (conseillers des rois et des chefs) participent à tous les événements de la vie. Amadou Hampate Ba parlant du rôle du griot nous explique dans Vie et enseignement de Tierno bocar : Les griots constituent une caste particulière, composée de troubadours, de poètes et de musiciens, mais aussi de généalogistes qui savent chanter les hauts faits des ancêtres d’une famille. Ils vivent des dons que les nobles sont traditionnellement tenus de leur faire et souvent attachés à une famille »21 Ces valeurs ci-dessus présentent des caractéristiques où l’éducation est essentiellement « collective, fonctionnelle, orale, continue, mystique, homogène et intégrationniste22 ». L’éducation revêt un caractère collectif et social qui fait qu’elle relevait non seulement de la responsabilité de la famille, mais aussi de celle du clan, du village, de l’ethnie. L’individu se définit en fonction de la collectivité et c’est dans le groupe social que l’enfant fait son apprentissage. Ainsi on donne à l’enfant un ensemble de connaissances utilitaires qui lui permettent d’affronter les difficultés de la vie. Cela se vérifie d’ailleurs dans ce passage où le narrateur édifie le lecteur sur l’éducation du jeune Bambara à travers le protégé de Gongoloma Soké « Wangrin fut élevé comme un fils de Bambara. Il se promenait nu. (…) Il apprit à monter à cheval, à chasser à l’arc, à piéger les oiseaux et autres petites bêtes ». Elle ne pouvait être qu’orale du fait que l’écriture est absolument ou relativement absente. Justement cette éducation, axée sur l’écriture, est faite lorsque Wangrin fut réquisitionné pour être envoyé à l’établissement dit « Ecole des otages24 ».L’obtention de son diplôme crédibilise son parcours « Il termina ses études dans les meilleurs délais et obtint son certificat d’études primaires indigène ». La bi-formation reçue fait de Wangrin un être diffèrent des autres comme le prédisait le dieu Komo « Son fils se singulariserait et brillerait dans la vie 26 » .Il y a une hiérarchisation des âges où l’ainé est censé connaitre plus que le puîné. L’éducation est basée aussi sur la conception animiste et les croyances religieuses. Elle est encadrée d’interdits et marque de manière profonde les relations que l’homme établit avec la nature, avec la communauté humaine et avec le monde des invisibles. Le but principal est d’insérer, d’intégrer l’individu dans sa société où il peut échanger entre les vivants et les morts. L’éducation cherche à faire également de l’individu un membre intégré et accepté par le groupe. En participant activement aux activités et à la vie du groupe, l’individu s’y intègre socialement et culturellement. L’éducation traditionnelle africaine, d’une manière générale, forme l’homme et la femme aux plans physique et moral, intellectuel et esthétique. Elle est totale, car elle est à la fois éducation et instruction. Pour compléter l’instruction, la théorie passe par la pratique. Paul Erny, dans son étude sur l’Afrique noire, analyse le processus de socialisation de l’enfant africain en le diagnostiquant ainsi : «L’enfant noir(…), dès l’âge de deux à trois ans est amené(…) à procéder à son apprentissage de la vie d’un groupe étendu, dans un climat où l’appartenance à une collectivité familiale, prise comme un tout, l’emporte sur les autres formes d’attachement » Cheikh Anta Diop, plus imprégné, le résume bien en ces termes : L’enfant était marqué par la période qu’il passait avec les autres éléments de sa génération à l’occasion de la circoncision (…). Tous les groupes de circoncis forment des classes d’âges qui sont initiés aux secrets de l’univers, le même jour. Un lieu de solidarité s’établit, qui dura toute la vie.28 De cette citation, on en déduit que l’individu dans la société gravit tous les échelons avant d’être accepté par le milieu. Madior Diouf, dans un article consacré à la culture sérère nous le schématise autrement à travers ces propos : « L’éducation du jeune sérère s’opère au niveau de cinq cadres que sont : la case- la cour- l’arbre à palabres ou place publiquel’enclos d’initiation et l’association du village(…). En effet, ceux ne sont pas seulement les parents qui ont le rôle d’éducateurs mais au-delà du cercle familial, tout participe à l’inculcation à l’enfant de certaines valeurs29 ». On constate le même schéma à tous les âges pour socialiser davantage l’enfant. Toutefois, quelle que soit sa sagesse il doit toujours respecter les personnes âgées de sa génération pour acquérir une très bonne formation. Cela chasse toute idée de prétention qui peut freiner la progression de la sagesse. C’est à partir de ce moment que la religion intègre son subconscient, un autre élément de la société mystique. Elle peut être définie comme « l’ensemble des croyances, des obligations et des pratiques par les quelles l’homme reconnaît le monde surnaturel, s’acquitte envers lui de ses devoirs et lui demande son assistance ». La vie des Africains a toujours été imprégnée de l’expression religieuse. C’est sans doute ce qui explique que, chez les peuples de l’Afrique, particulièrement, ceux de l’Afrique occidentale française, la religion rythme la vie des personnages. Ils sont tous de tradition animiste à leur état primitif, même si les religions révélées (islam et christianisme) gagnent de plus en plus les mœurs africaines. Donc « Toutes les religions africaines qui ne sont ni le christianisme, ni l’islamisme sont rangées dans le fétichisme et le paganisme. Ainsi malgré les pénétrations arabe et européenne, la religion a su résister et montrer les différentes pratiques qui s’y faisaient31 ». L’auteur, à partir de l’idée ci-dessus, explique comment la religion s’exprimait dans la société à travers le fétichisme, le totémisme, le théisme, l’animisme. Le fétichisme, pour lui, est du domaine de l’universelle superstition et de la crédulité humaine. En réalité, les Noirs ont une religion véritable, se présentant sous des aspects très différents les uns aux autres, malgré un fonds commun et dans laquelle la confiance accordée aux amulettes est capitale. Le totémisme est un système religieux, une sorte de système d’associations manifestes par des rites d’ordre magicoreligieux. C’est ainsi que des animaux sacrés avaient été déclarés tabous par l’ancêtre du clan. Cependant on immolait certains animaux pour des sacrifices. Par exemple chez les Mossi, rien n’est compris, ni accompli sans l’aide, le secours, l’assurance du sacrifice préalable d’une poule, d’une chèvre, d’un mouton, parfois même d’un cheval. « Ces immolations sont également perpétrés à tous moments et en tous lieux, dès que le besoin se fait sentir ». Elles peuvent servir pour écarter la maladie ou acquérir une richesse, etc. Ces croyances et ces rites, que l’on retrouve à tous les âges et dans toutes les sociétés humaines, ont le besoin pour l’homme de se défendre contre les forces qu’il ne connaît pas ou qu’il connaît mal. La magie est au Soudan entre les mains des gens, hommes ou femmes, magiciens, sorciers, ou féticheurs. L’affaire de la jeune Pouguibila violée par Doumama montre à quel point la croyance aux fétiches est importante « les parents de Pouguibila, (…) pour en avoir le cœur net, ils allèrent consulter Billa Kuttu, un grand magicien. Billa savait interroger l’invisible et faire parler les diables, les esprits et les génies ». Le théisme, contrairement à l’imaginaire populaire universelle d’une Afrique noire qui croit en plusieurs divinités, porte en faux cette affirmation en soutenant l’existence d’un Dieu unique, Dieu créateur. Par exemple chez les Sérères (ethnie du Sénégal), cet unique Dieu est appelé « rook seen ». Les peuples indigènes.

Table des matières

INTRODUCTION
Première partie: présentation des sociétés
Chapitre I : la société africaine
Chapitre II : les sociétés coloniales : arabe et européenne
Chapitre III : les traits d’une triple culture dans L’Etrange destin de Wangrin.
Deuxième Partie: la peinture de la société dans L’Etrange destin Wangrin
Chapitre 1 : Une société africaine organisée et fortement traditionnelle
Chapitre II : Une société africaine relativement islamisée
Chapitre III : Une présence européenne hégémonique
Troisième partie : L’analyse stylistique de la société dans L’Etrange destin de wangrin.
Chapitre I : L’étude littéraire de la société dans l’Etrange destin de Wangrin
Chapitre II: Les langues vivantes ou les dynamiques linguistiques dans L’Etrange destin de Wangrin
Chapitre III : L’esthétique de la parole dans L’Etrange destin de Wangrin
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE

 

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