La variabilité climatique rapide dans l’Atlantique Nord depuis 128 000 ans

La variabilité climatique rapide dans l’Atlantique Nord depuis 128 000 ans

Acquisition des données de réflectance et calibration 

Acquisition Les analyses de la réflectance du sédiment sont effectuées sur un banc de mesure construit au laboratoire (figure 1-2). Les images vidéo des carottes sont digitalisées par une caméra tri-CCD (acronyme de Charged Coupled Device) qui permet d’enregistrer indépendamment les trois bandes spectrales associées aux couleurs, rouge, verte et bleue. Le problème majeur posé par les sédiments marins pour obtenir des reconstitutions paléoclimatiques précises est dû à la bioturbation. En effet, le fond des océans est occupé par des organismes vivant sur et dans le sédiment (organismes benthiques). Ces organismes perturbent le sédiment de deux façons (figure 1-3). Ils se manifestent d’une part par un « labourage » constant, sur quelques centimètres de profondeur, qui a pour effet de lisser les signaux paléoclimatiques. L’intensité de ce processus dépend de la quantité d’éléments nutritifs parvenant au fond depuis la surface (Guinasso et Schink, 1975; Legeleux, 1994). Ils agissent aussi en déplaçant du sédiment jusqu’à 10 cm de profondeur ou plus, par exemple par le biais de terriers. Chapitre 1 Chapitre 1 un tronçon de carotte 150 cm Zone de l’image captée par la caméra 75 cm Numérisation de l’image par la carte ColorSnap 32+ MacIntosh Centris -> traitement de l’information Moniteur couleur permettant la visualisation Figure 1-2: Banc d’acquisition des images de carottes Caméra couleur tri-CCD Filtre polarisant (anti-reflet) Chapitre 1 Sédiment « idéal » non affecté par la bioturbation Sédiment bioturbé bioturbation diffuse bioturbation par terrier Figure 1-3: Schématisation de la bioturbation. – à gauche: carotte « idéale » de sédiment marin. L’information climatique n’est affectée par aucun processus de bioturbation. – à droite: carotte de sédiment marin après bioturbation. L’information climatique est lissée par la bioturbation diffuse qui est difficile à supprimer. Le message climatique ne disparaît cependant pas complètement. La bioturbation due aux terriers en revanche est facile à identifier et à exclure.   Figure 1-4: A- image initiale d’une carotte type; B- variations de la réflectance le long du trait noir; C- image obtenue après le traitement par la tranformée de Wigner-Ville, les zones noires représentent tous les pixels qui ont été exclus; D- profil obtenu après traitement par la transformée de Wigner-Ville.   Dans le premier cas, la bioturbation est diffuse et ne peut pas être facilement éliminée alors que dans le second, il suffit d’étudier le sédiment en dehors des zones affectées par des terriers pour obtenir le meilleur signal possible (figure 1-3, Trauth, 1995). Un traitement mathématique a donc été mis au point pour supprimer automatiquement sur les images numérisées les perturbations provoquées par les terriers (Le Coat et Le Grand des Cloizeaux, 1993). Ce filtre appliqué aux images numérisées repose sur la transformée de Wigner-Ville qui est une méthode d’analyse des composantes fréquentielles dérivée de l’analyse vocale. Les perturbations dans les carottes sont généralement localisées et ne sont pas parallèles à la stratification. Le principe de cette méthode est de réaliser une analyse spectrale continue dans le sens longitudinal de la carotte et de comparer dans le sens transversal chacun des spectres ainsi obtenus. On obtient ainsi une image du contenu fréquentiel du signal. Une perturbation engendre des pics fréquentiels importants et localisés, elle peut être alors facilement détectée et exclue. En utilisant la totalité de la largeur de la carotte, ce filtre enlève la plupart des perturbations locales telles que les terriers qui ne sont pas conformes à la sédimentation et permet d’obtenir un profil en fonction de la profondeur (une dimension) à partir d’une image en deux dimensions. La figure 1-4 illustre le traitement appliqué à une carotte modèle, construite avec une succession de bandes sombres et claires et perturbée par des taches représentant les terriers. Le traitement permet d’obtenir un profil de variations des teintes de gris non perturbé par les terriers et nettoyé de certains parasites optiques qui peuvent être créés à la prise de vue (reflets,…). Après ce traitement, nous obtenons une information sur les variations de réflectance du sédiment dont la résolution est liée à la taille de l’élément de discrétisation de l’image, le pixel. Dans les conditions expérimentales qui ont été choisies pour étudier les carottes de sédiment de l’Atlantique Nord, un pixel correspond a environ 1.3 mm de sédiment. La résolution temporelle correspondante est d’environ 10 à 50 ans (pour des Chapitre 1 sédiments dont le taux de sédimentation varie entre 3 et 15 cm par 1000 ans environ). Une fois les terriers éliminés par le traitement de l’image, il subsiste cependant la biotubation « diffuse » qui diminue cette résolution théorique.

Calibration

Les variations de réflectance ont été comparées à celles du contenu en carbonate du sédiment de quatre carottes de l’Atlantique Nord (tableau 1-1 et figure 1-5). Ces carottes sont constituées d’une alternance de boue ou de vase carbonatée (à foraminifères et à coccolithes) et de vases silteuses. Elles sont situées hors des zones de sédimentation du matériel d’origine volcanique qui pourrait perturber l’interprétation des enregistrements de réflectance. Carotte Latitude Longitude Profondeur (m) SU90-08 43°31’N 30°24’W 3080 SU90-11 44°43’N 40°15’W 3645 SU90-33 60°34’N 22°05’W 2400 SU90-39 52°34’N 21°56’W 3955 Tableau 1-1: Localisation des carottes utilisées pour la corrélation entre les enregistrements de réflectance et les teneurs en carbonate Les coefficients de corrélation calculés entre le pourcentage en carbonate et chacun des canaux de couleur sont voisins, avec des valeurs de 0.86±0.01 pour les trois canaux (figure 1-6). Ceux-ci sont améliorés si on ne prend pas en compte les quelques premiers décimètres de sédiment et prennent alors des valeurs de 0.88±0.01. En effet, les sédiments de surface sont colorés en sombre par des oxydes de fer et de manganèse, ce qui tend à perturber l’information obtenue dans les trois canaux de couleur. Chapitre 1 60 80 100 120 140 160 180 100 0 20 40 60 80 0 200 400 600 800 1000 1200 40 60 80 100 120 140 0 20 40 60 80 100 0 100 200 300 400 500 600 700 20 40 60 80 100 120 0 20 40 60 80 100 0 200 400 600 800 1000 1200 1400 40 60 80 100 120 140 160 0 20 40 60 80 100 0 200 400 600 800 1000 1200 SU90-08 43°N, 30°W SU 90-11 44°N, 40°W SU 90-33 60°N, 22°W SU 90-39 52°N, 21°W % CaCO3 Niveaux de gris % CaCO3 % CaCO3 % CaCO3 Profondeur (cm) Profondeur (cm) Profondeur (cm) Profondeur (cm) Niveaux de gris Niveaux de gris Niveaux de gris Figure 1-5: Enregistrements des variations de réflectance des sédiments et du pourcentage de carbonate dans les quatre carottes qui ont servi à la corrélation (SU90-08; SU90-11; SU90-33; SU90-39). Chapitre 1 Figure 1-6: Variations de la réflectance des sédiments dans les quatre carottes SU90-08, SU90-11, SU90-33, SU90-39, dans les trois canaux de couleur en fonction de la quantité de carbonate. 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Canal rouge y = 1.26*x + 37.33 r2 = 0.86 Canal vert y = 1.31*x + 25.02 r2 = 0.87 Canal bleu % carbonate y = 1.27*x + 48.06 r2 = 0.85 Chapitre 1 Dans la suite de ce travail, ce sont les variations de réflectance dans le canal vert qui ont été utilisées et seront désignées par le terme de « niveaux de gris ». La corrélation entre la réflectance et le pourcentage de carbonate permet d’étalonner l’échelle de niveaux de gris. Une valeur de 60 unités de niveaux de gris correspond donc à une teneur en carbonate de 25% ± 10 % et 150 unités de niveaux de gris correspond à environ 90% ± 5 % de carbonate. 

Comparaison entre les enregistrements glaciaires et marins

Les enregistrements de réflectance obtenus dans les sédiments marins de l’Atlantique Nord ont été comparés aux enregistrements des variations de la composition isotopique en oxygène de la glace au Groenland (site GRIP). Au Groenland, les variations de la composition isotopique en oxygène dépendent essentiellement de la température de condensation des précipitations. Les variations du rapport 1 8O/1 6O de la glace des forages GRIP et GISP2 ont confirmé l’existence au cours de la dernière période glaciaire, de changements climatiques abrupts déjà mis en évidence dans d’autres carottes groenlandaises (Camp Century et Dye 3, (Dansgaard et al., 1982)). Ces variations, appelées événements de Dansgaard/Oeschger par Broecker et Denton (1989), se manifestent en quelques centaines d’années par des réchauffements rapides suivis de refroidissements lents (figure 1-7). Ces cycles, au nombre de 20 environ au cours de la dernière période glaciaire, ont une durée variant de 500 à 2000 ans (Dansgaard et al., 1993). Les enregistrements de réflectance des sédiments marins de la carotte SU90-39 (tableau 1-1) ont été utilisés pour étudier le message sédimentaire associé aux changements climatiques rapides observés au Groenland. Cette carotte est située à la limite nord de la zone de fluctuations du front polaire Chapitre 1 (Cortijo et al., 1995a). La majorité des événements de Dansgaard-Oeschger de la glace sont clairement identifiés par une succession d’oscillations dans la réflectance des sédiments marins (figure 1-8). Bond et al. (1993) ont également montré que l’allure de ces oscillations groenlandaises est semblable à celle des variations observées dans les enregistrements du pourcentage de N. pachyderma s. dans les carottes nord-atlantiques ODP609 (50°N, 24°W, 3900 m) et V23-81 (54°N, 16°W, 2393 m). Cependant, les deux enregistrements ne peuvent être présentés sur la même échelle de temps. En effet, l’établissement d’une échelle d’âge commune aux enregistrements marins et glaciaires n’est pour l’instant pas possible faute d’éléments de comparaison absolus entre les deux. L’échelle d’âge d’une carotte de glace est établie d’une part en comptant les lamines de glace tant qu’elles sont bien identifiables puis, en utilisant un modèle d’âge qui fait intervenir l’écoulement de la glace et le taux d’accumulation de la neige. L’échelle d’âge des enregistrements de réflectance dans les carottes de sédiment marin en revanche, est construite à partir de la chronologie de référence SPECMAP (Imbrie et al., 1984; Pisias et al., 1984). Celle-ci est établie en calant les variations isotopiques de l’oxygène des foraminifères planctoniques par rapport au forçage astronomique (périodes liées respectivement à la précession des équinoxes (19 et 23 ka) et à l’obliquité de l’ellipse terrestre (41 ka)). Bien que cette échelle soit maintenant bien définie pour les enregistrements isotopiques du Pleistocène, la précision sur les âges obtenus ne dépasse pas 3 à 5 ka. Il existe donc de nombreuses incertitudes sur le calage temporel entre ces deux types de séries. Les variations rapides enregistrées dans les carottes de glace du Groenland sont, dans leur grande majorité, identifiables dans le nord de l’Atlantique entre 50°N et 60°N, mais l’amplitude et la pente des changements apparaissent plus faibles. Si on admet que la finesse des variations climatiques enregistrées dans les sédiments marins en l’absence de bioturbation devrait être équivalente à celle des variations climatiques .

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1
I. MISE EN EVIDENCE DES CHANGEMENTS
CLIMATIQUES RAPIDES DANS LES SEDIMENTS DE L’OCEAN ATLANTIQUE NORD
I. 1. INTRODUCTION
I. 2. ACQUISITION DES DONNEES DE REFLECTANCE ET CALIBRATION
I. 2.1. Acquisition
I. 2.2. Calibration
I. 3. COMPARAISON ENTRE LES ENREGISTREMENTS GLACIAIRES ET MARINS
I. 4. ENREGISTREMENT CLIMATIQUE HAUTE FREQUENCE DANS DES SEDIMENTS MARINS
I. 5. CONCLUSION
I. 6. ARTICLES
I. 6.1. Cortijo et al, 1995 a
I. 6.2. Cortijo et al, 1995 b
CHAPITRE 2
II. LES NIVEAUX DE HEINRICH: ETUDE SPATIOTEMPORELLE
II. 1. INTRODUCTION
II. 2. CAROTTES ETUDIEES
II. 3. L’ENREGISTREMENT DES NIVEAUX DE HEINRICH DANS LES SEDIMENTS DE
L’ATLANTIQUE NORD
II. 3.1. Etendue et dynamique des calottes de glace
II. 3.2. Caractérisation sédimentaire des niveaux de Heinrich.
II. 4. CHRONOSTRATIGRAPHIE
II. 4.1. Méthodes de datation
II. 4.1.1. Les datations par le carbone 14
II. 4.1.2. La stratigraphie isotopique
II. 4.1.3. Les niveaux de cendres 1 et 2
II. 4.2. Détermination de l’âge moyen d’un des niveaux de Heinrich
II. 4.3. Chronostratigraphie de référence
II. 4.4. Etablissement de l’échelle d’âge pour d’autres carottes
II. 5. CONCLUSION
CHAPITRE 3
III. CARTOGRAPHIE DES ANOMALIES DE TEMPERATURE
ET DE SALINITE ASSOCIEES A UN EPISODE DE DEBACLE
D’ICEBERGS
III. 1. INTRODUCTION
III. 2. LES DONNEES DISPONIBLES POUR L’ETUDE DU NIVEAU DE HEINRICH 4
III. 3. EVOLUTION DES MASSES D’EAU POLAIRE ENTRE 30 ET 40 KA
III. 4. EVOLUTION DE L’HYDROLOGIE DE SURFACE
III. 4.1. Paramètres utilisés
III. 4.2. Discussion
III. 5. EVOLUTION HYDROLOGIQUE A L’ECHELLE DE L’ATLANTIQUE NORD PENDANT LE NIVEAU DE HEINRICH 4
III. 5.1. Anomalies isotopiques
III. 5.2. Températures d’août
III. 6. CONCLUSION
CHAPITRE 4
IV. VARIABILITE DE L’HYDROLOGIE DU BASSIN NORD ATLANTIQUE ENTRE 60 ET 10 KA ET RELATION AVEC LES EVENEMENTS DE HEINRICH
IV. 1. INTRODUCTION
IV. 2. IMPACT DES DECHARGES D’ICEBERGS SUR LES EAUX DE SURFACE DEPUIS 60 KA.
IV. 2.1. Les enregistrements isotopiques depuis 60 ka
IV. 2.2. Paléotempératures et paléosalinités
IV. 3. RELATIONS GLACE-OCEAN DANS L’HEMISPHERE NORD
IV. 4. MECANISMES DE MISE EN PLACE DES NIVEAUX DE HEINRICH ET DE DANSGAARDOESCHGER.
CHAPITRE 5
V. LE CLIMAT PENDANT LA DERNIERE PERIODE
INTERGLACIAIRE ETAIT-IL STABLE OU INSTABLE?
V. 1. INTRODUCTION
V. 2. L’EEMIEN EN ATLANTIQUE NORD ET EN MER DE NORVEGE
V. 2.1. Echelles d’âge
V. 2.2. Résultats
V. 3. DISCUSSION ET CONCLUSION
V. 4. ARTICLE CORTIJO ET AL., 1994
CONCLUSIONS GENERALES 1
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
– Annexe 1: calcul de la teneur en eau
– Annexe 2: compléments sur les méthodes de datation
– Annexe 3: tableaux de données de datations 1 4C
– Annexe 4: reconstitutions de paléotempératures
– Annexe 5: calculs des paléosalinités
– Annexe 6: articles Grousset et al., 1993 et Labeyrie et al

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