la site-specificity ou comment s’affranchir du white cube

la site-specificity ou comment s’affranchir du white cube

Les deux œuvres étudiées dans la première partie de ce chapitre ont permis de mettre à jour l’idée d’exploration documentaire. Par là, on a cherché à pointer la façon dont les artistes contemporains peuvent être amenés à fabriquer, par le fi lm, des docu- ments. De manière très diverse, Matthew Buckingham et Mike Kelley produisent des œuvres qui s’off rent comme de véritables espaces de commentaire et de liberté formelle. Ces explorations documentaires nous auront donc permis de poser une caractéristique double : celle d’une rigueur historique, théorique et plastique asso- ciée à une expérimentation, permise par l’installation fi lmique qui réunit son, image et mise en espace. Il est cependant une donnée que ces deux études d’œuvres auront également mis au jour : le fait que Profondeurs Vertes comme Everything has a name s’attachent à de véritables « sites », matériel pour l’une (une partie de la collection de tableaux du musée de Detroit) et géographique pour l’autre (les rives de l’Hudson). Il ne peut nous échapper que cette saisie documentaire qui nous a d’abord intéressés, relève non seulement de l’exploration critique – ce que la première partie de ce cha- pitre aura tenté de montrer – mais aussi de l’exploration d’un espace choisi par l’ar- tiste, existant ou imaginaire, dont il aura délimité les frontières. Cette idée de « site » guidera les analyses de la seconde partie de ce chapitre. Pourquoi l’» élaboré par les artistes préalable- ment à l’œuvre ? Comment s’eff ectue ce choix et quelle histoire proposer pour un geste qui irrigue aujourd’hui si généralement les œuvres contemporaines  ? Entre cadrage, décadrage et recadrage, la notion de site est peut-être la véritable constante pour des œuvres, certes diff érentes, mais qui s’attachent toutes à cette idée que ce qu’il s’agit de documenter, en dernière instance, vise un territoire, mental, imagi- naire ou géographique.

Martha Rosler, The Bowery, 1975 : inadéquation entre le site et sa saisie photographique, « assombrissement 

La question du lieu de l’art, de son exposition et de sa production a connu une city qui émergent dans la foulée des années 1970 permettent le déplacement, l’élancement de l’art hors de la galerie et du white cube. Exposé mais aussi produit ailleurs, l’art fait ainsi l’expérience d’une émancipation pourtant « réglée » ou mise à disposition d’un autre facteur : la prise en compte d’un réel. Par le biais du « site » c’est aussi la réalité d’un lieu, ses spécifi cités, sa géographie, son histoire, ses habitants qui font eff rac- tion dans la production artistique. Une matérialité qui intéresse bien évidemment les artistes et que nous tenterons d’engager à travers le prisme du document. Les œuvres sur lesquelles nous nous arrêterons produisent, par le déplacement qu’elles initient, une lecture singulière des lieux qu’elles investissent. Lecture informée, informante, produisant du savoir sur ces espaces. La prise en compte du réel qui nous retiendra selon diff» cet espace qu’il s’agit aussi de documenter. Off rant aux artistes le jeu entre cadrage, décadrage, et recadrage – que nous enten- drons ici autant comme geste pratique (mouvements de caméra) que métaphoriques (se saisir, se dessaisir ou se ressaisir visuellement d’un objet donné) –, les puissances des médiums fi lmiques et photographiques trouveront ici de véritables espaces d’ap- plication. Ils serviront de fi ls conducteurs à l’équation que nous tenterons de poser entre les termes de site et de document.Partant d’un premier exemple des années 1970 – l’expérience menée par Martha Rosler dans le quartier du Bowery à New York et qui pose en son centre l’inadé- quation (du texte et de l’image, mais aussi du geste de la documentation avec le lieu « culté au cœur de la question du document : elle permet de compliquer le rapport au réel que celui-ci engage. Les œuvres ne seront pas envisagées comme des miroirs tendus à la matérialité des lieux rencontrés. Au contraire, il s’agira à chaque fois de comprendre les fi lms comme des tentatives de médiation pour rendre ce réel aussi problématique que possible. La fabrication de documents apparaîtra ainsi comme l’outil d’une com- préhension du monde que la production artistique ne peut ni englober ni expliquer intégralement. C’est pourquoi l’idée de fi lm comme mesure du réel nous servira ici de fi l. Mesurer permet de prendre connaissance d’un objet par la voie arithmétique, mathématique. Mais cette précision ne prend sens que si elle off re aussi la possibilité de mesurer une distance, l’espace qui fi le entre les objets choisis. Si la mesure peut être évaluée le plus scientifi quement possible, nous la comprendrons cependant comme le moyen de déterminer l’écart, la diff érents niveaux cette instance de l’écart qui off re au geste documentaire la possibilité de contourner l’objet de sa recherche tout autant que de le pénétrer avec acuité. Le fi lm comme mesure permet ainsi d’installer un système de marquage du réel tout en se donnant les moyens de l’éloignement, de la distance – nécessaires à l’instauration d’un regard.

 

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