L’appartenance ethnique des marins arrêtés par la police fluviale

L’appartenance ethnique des marins arrêtés par la police fluviale

Rappelons qu’à la différence de la police municipale, les forces constabulaires fluviales ciblent spécifiquement les marins. Les informations rapportées par cette police sont aussi différentes26, en particulier la nationalité des marins appréhendés27. Cela nous donne une clé de lecture supplémentaire pour comprendre l’origine des marins arrêtés dans la ville de Québec. Par contre, il s’agit spécifiquement des marins arrêtés par la police fluviale, donc majoritairement pour des délits relatifs à la discipline maritime. Parmi les marins anglophones provenant des îles britanniques, nous sommes en mesure de distinguer les Anglais, les Irlandais et les Écossais28. De 1869 à 1875, les Irlandais représentent 41% des marins britanniques arrêtés et les Écossais comptent pour 23 %. Selon nous, ce portrait plus diversifié donne un aperçu de ce qui aurait pu être observé chez les marins anglophones arrêtés par la police municipale. Les marins arrêtés par la police fluviale se distinguent sur un point important : près de 20 % d’entre eux proviennent d’Europe continentale, de Scandinavie, d’Asie ou d’autres pays29. Ces groupes représentent à peine 6 % des arrestations de marins faites par la police municipale. Par conséquent, comme l’illustre bien la figure 15, le profil des marins arrêtés par une police consacrée aux activités portuaires semble beaucoup plus « cosmopolite ».En comparant les deux profils, nous arrivons à quelques conclusions. Jusqu’en 1875, près des trois quarts des marins arrêtés proviennent des îles britanniques, qu’ils soient appréhendés par l’une ou l’autre police. À cet égard, la proportion d’Irlandais et d’Écossais parmi ces marins arrêtés pour désordre public est probablement sous-estimée, considérant que ceux-ci représentent la majorité des marins des îles britanniques arrêtés par la police fluviale. En outre, la vaste majorité des marins arrêtés par les deux types de police sont vraisemblablement des étrangers. On l’observe de manière tangible chez les marins arrêtés par la police fluviale : plus de 90 % d’entre eux sont d’origine outre-Atlantique.

Les causes d’arrestation des marins

En janvier 1847, des résidents du quartier Champlain à Québec exhortent les autorités à intervenir par rapport à ce qu’ils nomment « the scenes of lawless violence, drunkenness and depravity » auxquelles ils ont assisté l’été précédent33. Depuis les premières décennies du XIXe siècle, les déboires saisonniers des marins sont ainsi rapportés par différents journaux de la ville. Ces articles mettent l’accent sur l’ampleur et parfois la violence des débordements des marins auxquels assistent les citoyens34. Pourtant, les marins ne constituent qu’une minorité des arrestations pour désordre à Québec, soit environ 20 %. Cette proportion est représentative de leur présence dans la ville pendant la saison de navigation. En d’autres termes, ils ne sont pas plus susceptibles d’être arrêtés que les autres hommes35. On peut donc se demander pourquoi les marins ont été aussi fortement associés au désordre dans la ville de Québec dans la seconde moitié du XIXe siècle?Entre 1845 et 1855, les marins comptent pour le tiers de l’ensemble des causes amenées devant les cours locales de justice36. Une grande partie de ces arrestations sont reliées non pas au désordre public, mais plutôt à la discipline maritime. Dans la prochaine partie, nous distinguerons ces deux catégories d’arrestation de marins. Comme nous le verrons, les marins arrêtés pour désordre se sont illustrés dans certains types de délits en dehors du loose, idle and disorderly commun à la majorité des individus. De plus, nous exposerons les cas d’arrestations spécifiquement liés à la discipline maritime comme le manque au devoir ou la désertion. Dans le contexte portuaire, ce dernier type d’arrestation occupe la majeure partie des efforts policiers.

Les marins et le désordre public

Comme nous l’avons constaté dans le chapitre 2, l’ivresse est la caractéristique d’arrestation la plus récurrente pour tous les individus appréhendés par la police municipale de Québec et jugés par le Recorder en 1860, 1866 et 1870. Or, chez les marins, il est jusqu’à 20 % supérieur à ce qu’on retrouve chez les autres hommes37. La plus grande propension à l’ivresse chez les marins est d’autant plus exceptionnelle lorsqu’on considère que les profils d’arrestation des anglophones et des francophones sont remarquablement similaires. La consommation d’alcool fait partie de la vie pour une grande partie de la population occidentale au XIXe siècle. Certains établissements, comme la taverne, sont considérés comme des lieux d’expression de la culture ouvrière masculine38. Le problème est que le comportement dissolu des ivrognes se répercute souvent à l’extérieur des tavernes, c’est-àdire dans les rues et les autres lieux publics de la ville. Selon Fingard, la condamnation morale est d’autant plus sévère quand il s’agit de marins : « The host society was most critical of sailors who had gone thought hell at sea only to dissipate themselves with alcohol ashore39 ». L’état d’ébriété en soit peut justifier l’arrestation d’un individu. Mais encore, ce sont les débordements comportementaux causés par l’ivresse qui entrainent le plus souvent l’arrestation. Le fait de tituber, de s’allonger sur la voie publique ou d’incommoder les passants sont autant d’indicateurs qui incitent les policiers à intervenir. Le dérangement sonore, comme le fait de crier ou de chanter dans les rues, est une caractéristique plus souvent associée aux arrestations de marins. Comme le montre la figure 16, elle se manifeste dans près du tiers des arrestations de marins, comparativement à environ 15 % chez les autres hommes. Certains comportements issus de la culture maritime, comme la pratique des chants marins à bord des navires, pourraient donner une explication quant à la manifestation plus « sonore » de leurs débordements. Mais encore, l’ivresse étant un facteur d’arrestation plus prononcé chez les marins, il peut avoir influencé l’expression des autres types de délits.

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