Le témoignage sur scène

Le témoignage sur scène

Sur un espace contesté, limité et fragmenté, la création palestinienne est pratiquée dans des conditions particulières qui ont été abordées dans le chapitre précédent. Parcourir cet espace représente une expérience marquante, vécue collectivement et quotidiennement par les Palestiniens. Le récit de cette expérience occupe les productions théâtrales. Le témoignage occupe la scène. La relation ambigüe entretenue entre le témoignage et le réel donne forme, au théâtre, à une mise en scène du réel et du vécu. Face au public, elle s’inscrit dans sa reconnaissance comme élément fondamental du processus de création. La pratique théâtrale, pratique de texte et de représentation, se construit sur deux espaces : celui de la scène et celui de la salle 321 . Sur la scène palestinienne, le témoignage, puisqu’il suscite la mémoire personnelle des spectateurs, permet d’assurer un lien avec le public.

De l’expérience vécue à la scène 

Les productions du Théâtre Ashtar, évoqué dans le chapitre précédent, se nourrissent des expériences personnelles vécues pour créer un matériau destiné à la scène. Le témoignage est placé au cœur du processus d’écriture et de représentation dans Les monologues de Gaza322 qui constituent un exemple éclairant de mise en scène de l’expérience vécue. Afin de ne pas restreindre la création à une dimension personnelle et locale et pour dépasser les frontières, cette création puise dans les pratiques internationales. La réappropriation de formes étrangères sur la scène palestinienne donne au témoignage une valeur universelle tout en élargissant le champ de la réception. Ce procédé est récurrent dans la production palestinienne contemporaine. Présenté sur la scène, le témoignage suscite la mémoire personnelle du public. Il permet de construire, collectivement, une mémoire palestinienne menacée par l’oubli. 

Les monologues de Gaza et le Théâtre de l’Opprimé 

Dès la création du théâtre, les productions d’Ashtar s’inscrivent dans les questionnements du théâtre mondial ainsi que ses objectifs d’information et de prise de conscience des populations 323 . Les monologues de Gaza 324 (« زة ّغ مونولوجات , »2010 325 ) s’inspirent de l’utilisation du théâtre dans le combat pour le féminisme à l’instar des Monologues du vagin (The Vagina Monologues326). Le théâtre est employé comme un outil original et différent pour contester l’occupation. Ces expériences participent à l’affirmation d’un théâtre palestinien en proie aux diverses problématiques locales telles que des problématiques sociales, culturelles ou encore artistiques, tout en s’appuyant notamment sur la réappropriation de formes et pratiques théâtrales internationales pour les adapter à l’héritage palestinien et arabe. 

Des sources d’inspiration multiples 

Le Théâtre Forum Les créations du Théâtre Ashtar puisent leur inspiration dans des expériences diverses et variées de la scène théâtrale internationale et notamment l’utilisation des pratiques du Théâtre Forum conçues par Augusto Boal (1931-2009) 328 sur le terrain palestinien. Le Théâtre Forum est une technique mise au point dans les années 1960 dans les favelas de Sao Paolo. Cette technique est une forme de Théâtre de l’Opprimé. Participative, elle vise à la prise de conscience et à l’information des populations opprimées. Le Théâtre Forum est largement utilisé dans le monde, particulièrement au sein des communautés défavorisées, mais aussi dans les pays développés où de nouvelles formes d’oppression émergent. La création d’un Festival du Théâtre de l’Opprimé (المضطهدينَمسرحَمهرجان (en 2007 a nourri les productions d’Ashtar. Puis la venue de la compagnie Théâtre de l’Opprimé-Augusto Boal pour la première fois en Palestine en 2013, à l’occasion du quatrième festival de Théâtre de l’Opprimé organisé par Ashtar, a permis de mettre en pratique les techniques et méthodes du Théâtre Forum. De la même manière, l’utilisation du théâtre comme outil dans la lutte pour le féminisme des Monologues du Vagin et contre les violences faites aux femmes a inspiré le travail mené avec les jeunes de l’école Ashtar de Gaza pour la création des Monologues de Gaza en 2010

Les Monologues du vagin

 Les Monologues du vagin329 d’Eve Ensler reçoivent un grand succès dès leur création au HERE Arts Center, à Broadway en 1996. Rapidement, la pièce se joue à l’étranger où elle connaît la même réception. Elle est considérée comme une pièce majeure dans le combat pour le féminisme et la lutte contre les violences faites aux femmes. La pièce est traduite en quarante-six langues, et interprétée dans plus de centre-trente pays, dont la France où elle est publiée en 1999 et jouée pour la première fois en 2000, dans une mise en scène de Tilly Cottençon au Théâtre Fontaine. Dans le prolongement du combat et forte du succès de la pièce, Eve Ensler crée l’association V-Day en 1998. V-Day est un mouvement mondial visant à mettre fin aux violences contre les femmes et les jeunes filles et à sensibiliser l’opinion publique à ces problèmes. Le succès de la pièce touche également le monde arabe. Le 12 avril 2006, Lina Khoury présente pour la première fois une version libanaise de la pièce, en arabe, Paroles de femmes (مسرحَبيروت) Beyrouth de Théâtre au »), حكيَنسوان ») 330. Au Maroc, une adaptation de la pièce par Saha Sano, intitulée À moi (« ديالي (« est présentée en 2013. Le combat porté par la pièce et le mode d’expression des revendications trouvent un écho fécond dans le terrain palestinien. La pièce n’a pas été présentée sur la scène palestinienne. Mais elle est connue, depuis sa création et son succès immédiat, par les gens de théâtre comme du public, particulièrement en raison de la dimension internationale qu’elle acquiert rapidement. Cette dimension s’explique notamment par la capacité qu’offre la forme du témoignage à être adaptée, déclinée, retravaillée, et traduite. C’est le cas sur le terrain palestinien où Ashtar, déclinant à sa manière les Monologues du vagin, produit Les monologues de Gaza. 

La réappropriation des formes sur la scène palestinienne

 À l’instar de l’utilisation du théâtre dans la lutte pour le féminisme et contre les violences faites aux femmes, Ashtar choisit d’utiliser le genre comme outil pour dénoncer l’occupation particulièrement après l’opération israélienne « Plomb durci » en décembre-janvier 2008- 2009 contre Gaza. Les trente-trois monologues qui constituent Les monologues de Gaza sont le résultat d’un travail mené avec les élèves de l’école de Ashtar présente à Gaza depuis l’année 1994. Ils n’ont jamais été présentés intégralement. Chaque version des Monologues est une sélection, et donc différente des autres, du point de vue de la mise en scène naturellement, mais également du point de vue du texte. Comme pour les Monologues du vagin, un travail de collecte de témoignages a été réalisé. La construction de l’œuvre s’est déroulée sur plusieurs étapes à partir du mois de janvier 2010 et a été présentée pour la première fois le 17 octobre 2010 à Gaza333. La première des Monologues s’inscrit dans cette volonté d’intégrer le travail palestinien à la création mondiale : après un lancement à Gaza dans la matinée du 17 octobre 2010, la pièce a été jouée simultanément dans cinquante-six théâtres de trente-six pays différents, réunissant sur ces multiples scènes plus de mille-cinqcents jeunes comédiens pour jouer les Monologues dans dix-huit langues différentes. Lors de cet événement-création, vingt-deux monologues ont été joués. Jusqu’à présent, aucune production n’en a présenté plus. L’objectif de cet événement à dimension internationale : porter la voix des enfants de Gaza sur la scène mondiale. 

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