L’EGO A L’IMAGE DE DIEU

L’EGO A L’IMAGE DE DIEU

C’est avec la présence en lui de l’idée de Dieu que l’ego cogitans découvre la seule figure de l’altérité que croise le parcours des Méditations. Car, étrangement, l’altérité n’emprunte jamais, ou presque829, le visage d’autrui dans la philosophie première de Descartes. Il n’y a d’autre, pour l’ego cartésien, que Dieu. Sur quoi repose métaphysique cartésienne : « Et enfin j’y apporte toutes les raisons desquelles on peut conclure l’existence des choses matérielles : non que je les juge fort utiles pour prouver ce qu’elles prouvent, à savoir, qu’il y a un monde, que les hommes ont des corps, et autres choses semblables, qui n’ont jamais été mises en doute par aucun homme de bon sens ; mais parce qu’en les considérant de près, l’on vient à connaître qu’elles ne sont pas si fermes ni si évidentes, que celles qui nous conduisent à la connaissance de Dieu et de notre âme ; en sorte que celles-ci sont les plus certaines et les plus évidentes qui puissent tomber en la connaissance de l’esprit humain. », Abrégé des six Méditations, AT, IX, 1, p. 12 ; puis vient l’évocation éphémère de silhouettes qui passent de manière un peu fantomatique : « si par hasard je ne regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? Mais je juge que ce sont de vrais hommes et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. », Méditation seconde, AT, IX, 1, p. 25 ; enfin, on lira : « Or entre ces idées, outre celle qui me représente à moi-même, de laquelle il ne peut y avoir ici aucune difficulté Il y en a une autre qui me représente un Dieu, d’autres des choses corporelles et inanimées, d’autres des anges, d’autres des animaux, et d’autres enfin qui me représentent des hommes semblables à moi. Mais pour ce qui regarde les idées qui me représentent d’autres hommes, ou des animaux, ou des anges, je conçois facilement qu’elles peuvent être formées par le mélange et la composition des autres idées que j’ai des choses corporelles et de Dieu, encore que hors de moi il n’y eût point d’autres hommes dans le monde, ni aucuns animaux ni aucuns anges », Méditation troisième .

MORALE ET DOCTRINE DE LA CONNAISSANCE

Il n’y a que la volonté, en Dieu ou en moi, qui concoure à la vérité. En Dieu, parce qu’il la crée et qu’il établit librement ce qui est vrai. En moi, parce que j’y acquiesce, que j’y consens librement. Il est donc inexact de dire, comme on l’affirme souvent, que je reçois dans la nécessité ce que Dieu a établi en toute liberté. Cela n’est vrai que du point de vue de l’entendement, pas de celui de la volonté. La vérité n’est peut-être pas la même, absolument parlant, pour Dieu et pour nous du point de vue de l’entendement. Mais le rapport à la vérité conserve en Dieu et en nous, une dépendance à l’égard de la volonté. Lorsque nous considérons comme vrai ce que notre entendement conçoit avec clarté et distinction, nous voulons le concevoir comme Dieu veut que nous le concevions. La vérité n’est qu’affaire de liberté pour Dieu d’abord, pour nous ensuite. La liberté de l’homme est comme l’écho, la réplique et le mime lointain de celle de Dieu.

Si l’affranchissement du sujet cartésien et le mime de l’autarcie de Dieu apparaissent explicitement dans les textes de la morale de Descartes, ils ne font, selon nous, en réalité que prolonger, une situation analogue sur le plan épistémologique, telle qu’elle ressort de la théorie cartésienne de la connaissance exposée dans les textes de philosophie première. Nous suggérons, en particulier, que l’inspiration néo-stoïcienne de la morale cartésienne du Discours de la méthode et des correspondances avec Élisabeth et Christine n’est pas sans lien avec la théorie cartésienne de la connaissance. Cette inspiration néo-stoïcienne se caractérise, en particulier, par la valeur accordée à la constance et à la rectitude de la volonté (seconde maxime de la troisième partie du Discours), la recherche d’un pouvoir sur nos pensées (troisième maxime de la troisième certain pouvoir sur nous. Selon cette thèse, que développe notamment Épictète842, la valeur qui revient aux choses ne leur est pas attachée. Elle ne dépend que de nous seuls qui les considérons. Aussi, nous sommes les uniques artisans et responsables de notre bonheur ou de notre malheur. Loin de conduire à l’affaissement de toute morale possible, ce subjectivisme forme, bien au contraire, un principe fondamental de la morale stoïcienne. Or, ce mouvement de repli en nous de l’origine de la valeur que instruit845. La morale cartésienne se présente, pour l’essentiel, comme autonome à l’égard du christianisme, dans un siècle pourtant très chrétien. En effet, l’on ne trouve que rarement trace dans la morale de Descartes de commandements bibliques, ou plus spécifiquement évangéliques. Elle est d’abord centrée sur soi, sur les exigences d’un travail sur soi-même ; elle n’est pas exclusivement, ni principalement tournée vers l’obéissance et l’amour de Dieu, ni vers la charité et l’amour du prochain. La figure d’autrui souffre d’une certaine absence dans la morale de Descartes qui ne va pas sans faire écho à l’absence d’autrui dans sa philosophie première. La morale cartésienne n’est soumise à aucune loi qui nous serait dictée par une puissance ou autorité extérieure. Elle n’a de modèle ni de source dans aucun commandement, ni dans aucune prescription étrangère à ce qu’exige de nous la rectitude de notre volonté et l’usage de notre raison. Elle n’a enfin de ressort ni dans la crainte, ni dans l’espoir que pourrait faire naître en nous notre assujettissement à Dieu.

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