L’émission X : un outil et une sonde pour l’interaction laser -agrégats

L’émission X : un outil et une sonde pour l’interaction laser -agrégats

L’interaction laser intense – agrégats de gaz rare 

Introduction : les expériences pionnières 

L’interaction d’un laser de puissance avec des agrégats constitue un sujet de recherche relativement récent. En effet, bien que les propriétés optiques des agrégats (notamment métalliques) aient été intensivement étudiées depuis l’avènement du laser [Heer, 1993], il aura fallu attendre le début des années 90 et la mise au point de la technique CPA (« Chirp Pulse Amplification ») pour que les physiciens s’intéressent à cet état de la matière sous champ laser intense1 (I ≥ 1015 W/cm2 ). Nous allons présenter, dans ce paragraphe, les principaux résultats issus de trois articles, tous publiés entre 1993 et 1994, qui marquent la genèse des études concernant l’interaction d’un laser de puissance avec des agrégats et qui démontrent leur caractère singulier : génération d’un intense rayonnement X jusqu’à quelques keV issu d’ions très multichargés présentant des lacunes en couche interne ; production d’ions fortement multichargés et ayant une énergie cinétique de l’ordre de plusieurs centaines d’eV ; présence d’effets collectifs sur les électrons lors de la dynamique d’évolution de l’agrégat pendant l’interaction (du type ionisation collisionnelle). Ces études pionnières illustrent bien la question à laquelle les physiciens n’ont, pour l’instant, apporté qu’une réponse partielle : quels sont les différents processus physiques, et leurs compétitions éventuelles, intervenant lorsqu’un agrégat est soumis à une excitation électronique intense via une impulsion laser femtoseconde.

Génération d’un rayonnement X intense 

Tout d’abord, l’équipe de C. Rhodes et collaborateurs de l’Université de Chicago [McPherson et al., 1993] [McPherson et al., 1994a] [McPherson et al., 1994b] met en évidence la production d’un important rayonnement X (d’énergie pouvant aller jusqu’à quelques keV) lors de l’irradiation d’agrégats de gaz rare de krypton et de xénon de taille nanométrique. Faute de pouvoir quantifier précisément ce rayonnement X, les auteurs le qualifient alors d’anormalement intense par rapport à ce qu’ils observent avec une cible gazeuse de forte densité atomique (~ 1018 atomes / cm 3 [McPherson et al., 1987]). Pour les agrégats de krypton, les raies X observées sont attribuées à la présence de Kr9+ et de Kr10+ (cf. Figure I-1) possédant des lacunes en couche M : il s’agit d’ XM identifiés 1 L’éclairement crête (ou intensité au pic) sera noté par la lettre I dans ce chapitre  principalement, par les auteurs, comme des transitions 4p → 3d. De plus, leurs spectres indiquent un accroissement du taux d’X ainsi qu’une augmentation de l’état de charge moyen lorsque la taille des agrégats augmente. La Figure I-1b, obtenue en refroidissant la buse de formation des agrégats, correspond en effet à l’irradiation d’agrégats ayant une taille plus grande que la Figure I-1a. Figure I-1 : Comparaison des spectres XM de Kr dans la région 72 – 112 Å issus de l’irradiation d’agrégats de krypton par une impulsion laser (λ = 248 nm ; τ = 300 fs) ayant une intensité crête de l’ordre de 1017 W/cm2 pour différentes conditions de formation des agrégats : a) T = 293 K et P ≅ 8 bars b) T = 238 K et P ≅ 9 bars [McPherson et al., 1994a]. Dans le cas des agrégats de xénon, ils établissent que le rayonnement X est issu d’ions fortement multichargés Xe >44+ possédant des lacunes en couches internes (en l’occurrence en couche L {cf. Figure I-2a}) mais ayant encore plusieurs électrons sur des orbitales de valence (n ≥ 3). Ce résultat est déduit de l’analogie entre les spectres obtenus par irradiation laser – agrégats et par irradiation d’ions lents multichargés (Xe44+ – 48+) sur une surface (Cu) [Clark, Schneider & McDonald, 1993] (cf. Figure I-2b). a) Relative Yield Energy (eV) Xe45+ Xe48+ b) Figure I-2 : a) Spectre d’XL dans la région 4 – 6 keV issu de l’irradiation d’agrégats de xénon (λ = 248 nm ; τ = 300 fs ; I ~ 8×1018 W/cm2 ) [McPherson et al., 1994b] b) Spectres X obtenus en envoyant des ions multichargés de Xe sur une surface de Cu . L’émission X est ainsi identifiée comme étant due à des transitions 3l → 2p (avec une ou plusieurs lacunes en couche 2p) issues d’atomes creux de Xeq+ avec une distribution d’états de charge comprise entre 44+ et 48+. L’origine de ce rayonnement X est attribuée, selon les auteurs, au mouvement collectif et cohérent des électrons (CEMM : « Coherent Electron Motion Model ») qui sera brièvement discuté dans le paragraphe D de ce chapitre. 

Production d’ions multichargés rapides

 Dans le même temps, le groupe de Castleman de l’Université de Pennsylvanie [Purnell et al., 1994] met en évidence, mais à partir cette fois – ci de petits agrégats mixtes de HI et de HIArm (avec m ≤ 10), la production d’ions fortement multichargés ayant une énergie cinétique de l’ordre de 700 eV pour l’I8+ et 550 eV pour l’Ar7+ (illustré Figure I-3). Cette énergie est largement supérieure à celle que l’on obtiendrait avec des molécules de HI soumises à un éclairement identique. L’hypothèse avancée par les auteurs repose sur l’explosion coulombienne des agrégats pour laquelle l’énergie cinétique des ions est proportionnelle au produit de la charge des ions. Figure I-3 : Spectre de masse à temps de vol d’ions multichargés Arq+ résultant de l’explosion d’agrégats de HIArm soumis à un éclairement de 1015 W/cm2 (λ = 624 nm et τ = 350 fs) [Purnell et al., 1994]. Outre leur énergie cinétique, la seule production d’ions d’état de charge élevée lors de ces expériences est assez inattendue. En effet, dans les mêmes conditions expérimentales (I ~ 1015 W/cm2 ), seuls des ions argon possédant une charge comprise entre +1 et +3 sont détectés lors de l’ionisation d’une cible atomique gazeuse par un champ laser intense [Monot, 1993]. Les auteurs apportent néanmoins une réponse à l’observation de ces ions Arq+ (avec 3 < q < 7) en évoquant une réaction de transfert de charge entre les ions iode, plus facilement ionisés par l’impulsion laser, et les atomes d’argon. Ces résultats sont attribués aux spécificités des agrégats mixtes de HIArm, mais, très rapidement, d’autres travaux expérimentaux à partir d’agrégats monoatomiques ont mis en évidence des effets similaires à ces éclairements. Les principaux développements expérimentaux et théoriques concernant la production ionique obtenus depuis cette expérience pionnière seront détaillés et analysés dans le paragraphe C de ce chapitre. 

Mise en évidence de la présence d’effets collectifs 

Enfin, dans la même année (1994), les travaux de C. Wülker et al. [Wülker et al., 1994] correspondent aux premières observations expérimentales concernant la formation d’un plasma « chaud » par un laser éxcimer (λ = 248 nm) sub – picoseconde (I ~ 6×1015 W/cm2 ) dans une vapeur de molécules de C60. Dans ces expériences, des taux d’ionisation bien plus élevés qu’avec une vapeur de carbone sont observés. Comme l’illustre la Figure I-4, la présence de C60 favorise l’émission de raies XUV correspondant à des ions hydrogénoïdes et héliumoïdes (les transitions 3p → 2s et 3d → 2p du C5+ situées vers 182 Å sont clairement identifiées [Kelly, 1982]) alors que l’irradiation de carbone atomique ne donne lieu, dans les mêmes conditions, qu’à des raies de type bérylliumoïde, voire lithiumoïde (situées entre 250 Å et 550 Å). a) b) Figure I-4 : Comparaison des spectres XUV obtenus dans a) une vapeur de C60 et b) une vapeur « ordinaire » de carbone. Deux impulsions ont été envoyées avec un délai de 2 µs sur les cibles de carbone : une impulsion longue (τ = 25 ns) d’éclairement maximum a) I ~ 4×107 W/cm2 et b) I ~ 4×108 W/cm2 , et une impulsion courte (τ = 0,7 ps) d’éclairement I ~ 6×1015 W/cm2 [Wülker et al., 1994]. Les auteurs soulignent qu’il est remarquable d’observer ces transitions hydrogénoïdes à cet éclairement laser alors qu’il est nécessaire d’avoir un éclairement de près de 1019 W/cm2 pour créer cette espèce dans le cas d’une cible atomique. Cet effet est attribué à une augmentation de l’ionisation collisionnelle par impact électronique sur des ions carbone au sein même de l’agrégat. Il est ainsi évoqué, pour la première fois, la formation de « plasma » au cœur des agrégats, et notamment la possibilité de chauffage des électrons par Bremsstrahlung Inverse (BI) comme dans le cas de l’interaction laser – solide. Cette idée sera ensuite reprise par   T. Ditmire dans le modèle « nanoplasma » comme nous l’expliciterons dans la suite de ce chapitre (cf. §I-C-1). Ces résultats traduisent, in fine, un renforcement du couplage entre le rayonnement laser incident et la matière en présence d’agrégats. Cette spécificité est due aux effets conjugués d’une densité atomique locale élevée à l’intérieur de l’agrégat (de l’ordre de celle du solide, at.loc. n ~ 1021 – 1022 at./cm3 ) et d’une densité atomique moyenne proche de celle d’un gaz ( at.moy. n ~ 1013 à 1017 at./cm3 ). Une grande densité atomique locale permet, en effet, d’envisager la présence d’effets collectifs tandis qu’une faible densité atomique moyenne évite, par exemple, des phénomènes d’écrantage de l’impulsion laser par la présence de plasma de surface comme dans le cas de l’interaction laser – solide. Ces premières observations expérimentales avec des agrégats ont fait apparaître toute une nouvelle physique où les différents modèles concernant les atomes isolés ou les molécules en champ laser intense deviennent insuffisants pour décrire complètement la dynamique de l’interaction. L’objectif des prochains paragraphes est de présenter une revue des résultats les plus significatifs concernant plus spécifiquement l’interaction d’agrégats de gaz rare (Ar, Kr, Xe) avec un laser de puissance, tant en ce qui concerne la production d’ions multichargés et d’électrons (paragraphe C) que la génération de rayonnement X dur (paragraphe D). Pour chacune de ces observables, nous présenterons les différentes approches de modélisation qui ont été développées.

Table des matières

INTRODUCTION.1
CHAPITRE I] L’INTERACTION LASER INTENSE  AGRÉGATS DE GAZ RARE :ÉTATS DES CONNAISSANCES
A] INTRODUCTION : LES EXPERIENCES PIONNIÈRES
B] MÉCANISMES FONDAMENTAUX
C] ÉTUDES DE LA PRODUCTION D’IONS ET D’ÉLECTRONS
D] ÉTUDES DE LA GÉNÉRATION DE RAYONS X DURS
CHAPITRE II] DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE : CONTROLE ET OPTIMISATION DES PARAMÈTRES SUR L’ÉMISSION X
A] INTRODUCTION
B] LA LASER
C] LE JET D’AGRÉGATS
D] LA DÉTECTION X
E] OPTIMISATION DU RECOUVREMENT SPATIAL DE L’IMPULSION
LASER ET DU JET D’AGRÉGATS
CHAPITRE III] MÉTHODE D’ANALYSE DES SPECTRES X
A] INTRODUCTION
B] DÉTECTEURS Si(Li)
C] SPECTROMÈTRE CRISTALLIN
D] TAUX ABSOLU DE PHOTONS X
CHAPITRE IV] PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
A] INTRODUCTION
B] MODÈLE DYNAMIQUE D’IONISATION EN COUCHE INTERNE
C] EFFET DE LA POLARISATION
D] EFFET DE L’ÉCLAIREMENT LASER VIA L’ÉNERGIE PAR IMPULSION
E] EFFET DE LA TAILLE DES AGRÉGATS VIA LA PRESSION
F] EFFET DE LA DURÉE D’IMPULSIO
G] EFFET DE LA LONGUEUR D’OND
CONCLUSION & PERSPÉCTIVE
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES & DES TABLEAUX

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