Les critères d’arrêt de la prise en charge des troubles de la lecture dans les pays francophones

Orthophoniste, logopède, logopédiste

L’appellation « orthophonie » est spécifique à la France, au Luxembourg et au Canada. Elle tire son origine du grec ancien, orthos, « droit, correct » et phônê, « son de la voix ». Dans d’autres pays francophones, cette discipline prend le terme de « logopédie » : du grec ancien logos soit «parole» et pédie, « éducation » (Kremer & Lederlé, 2020a). Les professionnels sont donc orthophonistes (en France, au Canada, au Luxembourg), logopèdes (en Belgique) ou logopédistes (en Suisse). Pour rappel, nous avons choisi de nous limiter aux pays francophones susmentionnés et nous utiliserons les termes «orthophonie/orthophoniste» par défaut tout au long de ce travail, sauf lorsque la distinction explicite sera précisée.
Le terme «orthophonie» est né en 1829 lorsque l’institut pour traiter « le bégaiement et les vices de la parole » est créé par le docteur Colombat à Paris. Il se démocratise au début du XXème siècle lorsque Suzanne Borel-Maisonny, grammairienne, s’intéresse au développement de la parole et du langage. Elle fut la pionnière de cette profession et son travail influe encore la pratique orthophonique aujourd’hui. En France, en Suisse, au Canada et en Belgique, les premiers enseignements menant à un diplôme sont instaurés entre 1951 et 1967. Ils durent entre 3 et 5 ans d’études universitaires. Au Luxembourg, il n’y a pas de centre de formation, ainsi tous les orthophonistes y exerçant ont obtenu un diplôme étranger (provenant d’Allemagne, de France, ou de Belgique) qui a été validé par un examen spécifique.
La loi du Code de la santé publique définissant la profession a été votée le 10 juillet 1964 en France, et la définit comme « toute personne qui, non-médecin exécute habituellement des actes de rééducation constituant un traitement des anomalies de nature pathologique, de la voix, de la parole et du langage oral ou écrit, […] Les orthophonistes ne peuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale », selon l’article L.4341. Cette loi donne un statut légal à la profession, et permet la création du premier diplôme national : le Certificat de Capacité d’Orthophoniste (CCO). En France comme en Belgique, les professionnels du langage travaillent sur prescription médicale : les patients sont le plus souvent adressés par un médecin généraliste ou un pédiatre (SPF Santé publique, 2019). Au Luxembourg, les orthophonistes travaillent sur prescription médicale sauf pour certaines prises en charge comme celle du langage écrit, car cette dernière dépend du Ministère de l’Education et non du Ministère de la Santé (Règlement grand-ducal réglementant l’exercice et les attributions de la profession d’orthophoniste, 2018). Les orthophonistes exerçant au Canada, eux, ne sont pas soumis à la prescription médicale. Toutefois, dans tous les pays francophones cités, l’orthophoniste est considéré comme un auxiliaire médical.

Champs d’action

Les orthophonistes français peuvent exercer en cabinet libéral, en salariat public (hôpital, filière médico-sociale) ou en secteur privé. Les logopèdes belges et les orthophonistes canadiens, eux, peuvent également exercer dans les écoles maternelles et primaires, dans l’enseignement spécialisé, ainsi que dans l’enseignement secondaire. Au Luxembourg, les orthophonistes ont la possibilité de travailler au Centre de logopédie de Luxembourg-ville, au centre d’audiophonologie, à l’hôpital, dans des centres de rééducation fonctionnelle, ou dans le secteur privé. En Suisse, les logopédistes exercent dans les secteurs privé et publics (centres et cabinets, milieu scolaire) . Les champs d’action de l’orthophoniste sont très variés. Ils prennent en charge le langage oral, l’articulation, le langage écrit, la communication, la voix, la fluence, les fonctions oro-myo-faciales, l’oralité, la déglutition, les fonctions vélo-tubo-tympaniques, ou encore la cognition mathématique (Fédération nationale des orthophonistes, 2019). En Belgique, les professionnels prennent en charge les troubles attentionnels en plus des domaines précédemment décrits. Ces prises en charge concernent les enfants comme les adultes, que les troubles soient développementaux ou acquis.
L’action de l’orthophoniste peut être préventive, éducative, rééducative, palliative. La prévention constitue l’une des missions importantes de notre exercice (Décret n° 2002-721 du 2 mai 2002 relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’orthophoniste, 2002). Elle concerne l’information donnée aux différents acteurs tels que la famille, les professionnels de la petite enfance, les médecins, les enseignants (Kremer & Denni-Krichel, 2010) ; la formation de professionnels de santé et de l’éducation, ou encore des dépistages (cf. « Un bébé, un livre » de l’European Speech and Language Therapy (ELSA)). La rééducation est l’un des moyens les plus fréquemment employés pour aider les patients. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) définit la rééducation comme « l’action de rétablir l’usage normal d’une fonction, d’un membre ou d’un organe après une blessure ou une affection, ou chez un sujet qui souffre d’une déficience ou d’une infirmité ». Son action aura pour ambition de rétablir le mieux possible une fonction, sans forcément rétablir un usage antérieur. Parfois, la rééducation nécessite de passer par l’éducation : l’apprentissage de la lecture labiale chez une patient sourd par exemple, permet de contourner les difficultés de communications dues à la déficience auditive sans rétablir pour autant la fonction altérée.
La compensation est définie par le fait de « faire équilibre à un fait ou un effet, généralement négatif ou défavorable, par un effet opposé », d’après le CNRTL. Il arrive en effet qu’il soit impossible de remédier aux difficultés des patients, pour diverses raisons. Alors, le rôle de la rééducation orthophonique sera palliatif, à savoir d’atténuer ou de contourner les symptômes d’une maladie sans la guérir, toujours selon le CNRTL. Les orthophonistes seront à même de prodiguer des astuces, des techniques permettant au patient de contourner ses difficultés dans un objectif de fonctionnalité au quotidien.

Acte d’évaluation et diagnostic

Le début de la prise en charge implique notamment d’avoir identifié le trouble grâce à un recueil d’informations et des épreuves de bilan. Cette notion de diagnostic est étroitement liée à la notion de début de prise en charge, que nous développons par la suite.
L’acte d’évaluation commence par une anamnèse. L’anamnèse est le récit que le patient et/ou son entourage fait de son trouble, un récit qui lui appartient et qu’il narre selon son histoire propre. Tout anamnèse est une co-construction entre le patient et le clinicien .
L’étape suivante est le bilan, qui peut comprendre la passation d’épreuves. Au vu des données appuyant le lien entre le langage oral et le langage écrit , il est indispensable de prodiguer un bilan du langage oral avant d’investiguer le langage écrit. Cet acte nous permet d’établir un profil linguistique puis un profil de langage écrit.
En France, les orthophonistes sont libres du choix des tests à utiliser lors du bilan. Par exemple, parmi les outils récents évaluant le langage écrit, il existe Exalang 5-8, 8-11 et 11-15, la batterie Cléa (Pasquet, 2015), ou encore EVALEO 6-15. En Belgique, il existe des listes homologuées et limitatives de tests, à utiliser selon la plainte du patient (Logopédie – Liste limitative des tests de logopédie – INAMI, 2021). Ces listes sont renouvelées et mises à jour régulièrement. Pour la dyslexie, nous en comptons 15 dont les tests cités ci-dessus en France. La plus ancienne est le Bilan de Lecture Informatisé (BLI) qui date de 2002. Il existe 10 tests dans la liste dédiée à la dysorthographie, comme « Orthographe au collège » (Thibault, 2008). Dans ces listes, la distinction entre dyslexie et dysorthographie est faite bien que les cas de dysorthographie isolée soient rares, puisqu’elle est une conséquence, un symptôme de la dyslexie .

L’apprentissage formel de la lecture dans les pays francophones

L’apprentissage formel de la lecture en France s’opère lors de la première année de primaire en France comme en Suisse (Bulletin officiel spécial n°11, Education Nationale, 2015), en Belgique (Fédération Wallonie-Bruxelles, 2020), au Luxembourg et au Canada (Daviault, 2011). Il a lieu aux 6 ans de l’enfant et constitue un enjeu majeur de la scolarité des élèves. Lors de cette première année d’apprentissage formel, les élèves prennent le statut d’apprenti lecteur. Puis ils évoluent vers le titre de lecteur débutant, qui serait effectif dès la fin de la première année d’apprentissage formel et s’étendrait jusqu’à la fin de la deuxième année, soit au CE1 (aux 7 ans de l’enfant), sans différence entre les pays étudiés. La libération du coût cognitif alloué au décodage, c’est-à-dire au mécanisme d’identification des mots écrits, lors de l’automatisation de la reconnaissance des mots écrits permet aux enfants d’accéder à des processus de traitement de plus haut niveau sous-tendant la compréhension. Comprendre ce qui est lu constitue le but ultime de la lecture, en effet, elle devient rapidement un support incontournable de l’acquisition de connaissances .
A l’échelle internationale, nous pouvons citer l’enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) menée par l’OCDE. C’est une enquête qui a lieu tous les 3 ans et qui intègre 79 pays. Elle permet d’obtenir des données concernant les performances des élèves de 15 ans dans 3 domaines : la lecture, les mathématiques et les sciences. Certains facteurs sociaux et économiques sont intégrés à l’étude, comme l’équité garçon-fille et le cas particulier des élèves immigrés (Enquête PISA, Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, 2020). Nous nous intéressons ici aux données relevées à propos de la lecture pour les pays francophones suivants : la France, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, et le Canada. La lecture est évaluée à travers une épreuve de compréhension écrite. 3 aspects ont été pris en compte dans son élaboration : « localiser et extraire », « intégrer et interpréter » et « réfléchir et évaluer » .

Du début à la fin de la prise en charge orthophonique des troubles de la lecture

Critères de début de prise en charge: A ce jour, il n’existe pas de critères de début de prise en charge des troubles de la lecture issus de recommandations officielles. Nous allons essayer d’élaborer des pistes de réponses selon quelques données de la littérature.
En premier lieu, nous pouvons mentionner la plainte du patient et/ou de son entourage. Elle constitue l’expression d’une difficulté. La plainte peut être spécifique à un ou des domaines du langage écrit, ou porter sur le langage oral en premier lieu. Son recueillement lors de l’anamnèse permet au clinicien d’amorcer sa réflexion mais aussi de juger de l’importance de la gêne. Par exemple, les patients à haut potentiel intellectuel peuvent ressentir une gêne qui ne sera pas objectivée au bilan, car leur particularité leur permet de maintenir un fonctionnement linguistique efficient grâce à des stratégies compensatoires. La gêne ressentie peut alors constituer un premier critère de prise en charge, parfois indépendant des résultats du bilan.
Selon la figure de Casalis et al. (2013) qui reprend le modèle de Gough et Tunmer (1986), il existe quatre profils de lecteurs. Les bons lecteurs, les hyperlexiques, les lecteurs en difficulté ainsi que les dyslexiques. Les hyperlexiques sont des lecteurs performants en identification de mots mais peu performants en compréhension, et leur plainte porterait plutôt sur ce domaine. Les lecteurs en difficulté sont plus délicats à distinguer du groupe des dyslexiques, car tous deux peuvent présenter un déficit d’identification du mot écrit.
Cependant, la présence de difficultés de compréhensions orale et écrite permet de les départager car ce déficit renvoie plus globalement à une altération de l’efficience intellectuelle, ce qui est un critère d’exclusion selon le DSM V .
Le bilan permet alors de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse diagnostique préformulée lors de l’anamnèse. Un écart à la norme de -1,5 écart-type par rapport à une classe d’âge ou de niveau scolaire, signe la pathologie et justifie en lui-même une prise en charge.
Le profil linguistique typique à l’écrit comme à l’oral est homogène entre les différentes composantes (lexique, morphosyntaxe, phonologie, orthographe lexicale, compréhension écrite, vitesse et précision de lecture, etc.) . La dissociation intra-individuelle dans les performances est le signe d’un dysfonctionnement, même au sein de scores corrects.
Un profil homogène bas est évocateur d’une altération du fonctionnement cognitif global. De ce fait, seuls les scores obtenus au bilan ne représentent pas un critère suffisant pour prendre un enfant en charge en orthophonie.

Table des matières

1 Introduction 
2 La profession d’orthophoniste
2.1 Historique et définitions : orthophoniste, logopède, logopédiste
2.2 Champs d’action
2.3 Acte d’évaluation et diagnostic
2.4 Annonce diagnostique et alliance thérapeutique
3 Difficultés/trouble de la lecture : quels enjeux ?
3.1 L’apprentissage formel de la lecture dans les pays francophones
3.2 Qu’est-ce que lire ?
3.3 Les compétences socles à l’acquisition de la lecture
3.4 Difficultés/troubles de la lecture
3.5 Comorbidités et facteurs de risque
4 Du début à la fin de la prise en charge orthophonique des troubles de la lecture 
4.1 Critères de début de prise en charge
4.2 Axes de travail
4.3 Efficacité et résultats – Evidence Based Practice
4.4 Critères d’arrêt de prise en charge
Problématique et hypothèses
5 Méthodologie et résultats
5.1 Participants
5.2 Matériel
5.3 Protocole
5.4 Analyse statistique
5.4.1 Les critères d’arrêt de la prise en charge des troubles de la lecture dans différents pays francophones
5.4.2 Autres critères d’arrêt de la prise en charge des troubles de la lecture les plus fréquemment obtenus (H5)
5.4.3 Facteurs influençant la durée de la prise en charge des troubles de la lecture
5.4.4 Données complémentaires
6 Discussion
6.1 Les critères d’arrêt de la prise en charge des troubles de la lecture selon le pays d’exercice
6.2 Les critères d’arrêt de prise en charge des troubles de la lecture les plus fréquemment obtenus
6.3 Les facteurs influençant la durée de prise en charge des troubles de la lecture
6.4 Données complémentaires
6.5 Limites de l’étude
6.6 Perspectives
Conclusion
Bibliographie 
Annexes

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