Les défenses naturelles primaires de l’œuf

Les défenses naturelles primaires de l’œuf

L’œuf constitue un modèle autosuffisant qui doit couvrir l’ensemble des besoins de l’embryon, de la ponte à l’éclosion. L’une de ses fonctions essentielles est d’assurer la protection de l’embryon tout au long de son développement tout en faisant face aux diverses pressions microbiennes de l’environnement. L’œuf de poule constitue donc une enceinte close qui doit être exempte de tout microorganisme. Cependant, il existe sur la coquille une flore de surface, où cohabitent des bactéries telles qu’Escherichia coli, Enterobacter cloacae, Escherichia fergusonii, Kluyvera spp., Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Escherichia hermannii et Salmonella Typhimurium (Musgrove, 2011), qui reflète l’environnement d’élevage des poules pondeuses. Ces bactéries peuvent infecter l’œuf selon deux voies : par transmission verticale, directement de la poule à l’œuf lors de sa formation, ou horizontale, par contact avec l’environnement une fois l’œuf pondu, à travers une coquille défectueuse (Gantois et al., 2009) (Figure 12). Seule Salmonella enterica Enteritidis, une bactérie gram négative responsable de toxiinfections alimentaires, est capable de se développer dans le blanc d’œuf, car elle réussit à s’adapter et à survivre à la plupart des mécanismes antibactériens de l’œuf (De Reu et al., 2006; Gantois et al., 2009; Howard et al., 2012). Cependant, la plupart du temps, ces mécanismes empêchent la majorité des bactéries de pénétrer et de proliférer dans l’œuf, ce qui souligne l’efficacité de ces systèmes.Ces systèmes de protection reposent sur des défenses à la fois physiques (la coquille, la membrane vitelline et les propriétés mécaniques des fluides vont freiner, voire inhiber la migration des pathogènes), moléculaires (protéines et peptides antibactériens de l’œuf, comme TF ou LYZ) (Réhault-Godbert et al., 2011), et enfin chimiques (pH du blanc) (Howard et al., 2012) (Figure 13).

La coquille, la première barrière contre les pressions de l’environnement 

Une structure cristalline sophistiquée 

La coquille protège le contenu de l’œuf et l’embryon des pressions de l’environnement. Sa solidité est liée non seulement à son épaisseur (300 µm), mais également à son ultrastructure (Nys et Guyot, 2011). En effet, la morphologie, la taille, le nombre et l’orientation des cristaux de calcite procurent à la coquille des propriétés mécaniques remarquables et uniques dans le monde animal (Figure 14) (Nys et al., 2004). Ainsi, chez la poule, les cristaux de calcite répartis en cônes juxtaposés de 200-300 µm de long sur 10 à 30 µm d’épaisseur, sont évasés vers l’extérieur, ce qui assure une meilleure résistance contre les chocs mécaniques (Panheleux et al., 1999) (Figure 14 A). Chez la pintade, la réorientation des cônes de calcite dans la moitié supérieure confère à la coquille des propriétés de résistance plus élevées (Figure 14 B).La couche finale de cristaux verticaux, perpendiculaires à la coquille, ainsi que la cuticule qui recouvre l’ensemble de la coquille, empêchent non seulement les pertes en eau, mais aussi la pénétration bactérienne (Nys et al., 2010). Si la cuticule est retirée le risque de pénétration microbienne augmente alors de 20 à 60% (De Reu et al., 2006). 

Les propriétés de la matrice organique

 Les interactions entre le minéral inorganique et les protéines de la matrice organique établissent l’architecture unique de la coquille qui empêche la plupart des pathogènes d’accéder aux autres structures de l’œuf. Cette matrice organique contient un certain nombre de protéines antibactériennes telles que LYZ, TF, OCX36, OC-17, ou CST3 (Mann et al., 2006; Wellman-Labadie et al., 2008; Jonchère et al., 2010; Rose-Martel et al., 2012; Marie et al., 2015). Le mécanisme d’action de ces molécules au sein de la coquille reste peu connu, mais il est possible qu’elles soient solubilisées au cours du développement pour assurer une protection locale à l’interface entre la coquille et les structures extra-embryonnaires. Malgré cette première barrière, certains pathogènes parviennent néanmoins à accéder aux structures internes de l’œuf, et ce, du fait de l’irrégularité de la coquille (cuticule non homogène, couche mamillaire anormale, microfissures liées à des chocs, etc.) (Nascimento et Solomon, 1991). 1.3 – Solubilisation au cours du développement A partir de la seconde moitié de l’incubation (ED10-11) et jusqu’à l’éclosion (ED21), la coquille est progressivement dégradée et utilisée comme source de calcium par l’embryon (Moran, 2007).Alors que la majeure partie du calcium est transportée vers l’embryon grâce à la membrane chorioallantoïque (voir section A2.3) pour minéraliser son squelette, une autre partie est redirigée vers le jaune d’œuf et stockée pour subvenir aux besoins nutritionnels et énergétiques du poussin après éclosion. Lors du processus de dégradation, les noyaux Figure 15 : Dégradation progressive de la coquille au cours du développement embryonnaire. Observation par microscopies optique (gauche) et électronique à balayage (droite) de coquilles d’œufs de poule non-fertilisés (a-b) et fertilisés (c-f). Les flèches indiquent les noyaux mamillaires, alors que les crochets illustrent le détachement des membranes coquillières (Chien et al., 2009). 47 mamillaires sont progressivement solubilisés, entrainant un détachement des membranes coquillières de la partie minéralisée (Figure 15, c-f) (Chien et al., 2009). La solubilisation et le transport du calcium met en jeu un certain nombre de mécanismes impliquant des protéines de la membrane chorioallantoïque qui lient le calcium, des calcium ATPases et des anhydrases carboniques (Tuan et al., 1986; Gabrielli et Accili, 2010). Ce processus entraine de plus un relargage de protéines de la matrice organique, telles que des protéines antimicrobiennes qui peuvent ainsi être activées et agir localement. In fine, l’amincissement de la coquille facilite la sortie de l’œuf pour le poussin (Chien et al., 2009). Cependant, cela peut également entrainer des problèmes de contamination de l’œuf et de l’embryon dans les derniers stades du développement, puis du poussin au moment de l’éclosion, lors de l’ingestion de la coquille et donc de la flore de surface. 

Le blanc d’œuf, une barrière moléculaire et physicochimique contre les pathogènes 

L’essentiel des protéines et peptides antibactériens de l’œuf sont concentrés dans le blanc d’œuf. Sa place stratégique autour de l’embryon et du jaune, ainsi que ses propriétés physicochimiques uniques (pH et viscosité) en font une barrière efficace contre les pathogènes. 

Les protéines et peptides antibactériens 

– Des effecteurs efficaces de l’immunité innée de l’œuf – Le caractère antibactérien du blanc d’œuf non fertilisé ou de ses protéines a déjà été exploré dans de nombreuses études menées contre Listeria monocytogenes, Escherichia coli, Salmonella enterica Enteritidis, Salmonella typhimurium, Staphylococcus aureus, Streptococcus uberis, Bacillus thuringiensis, etc. (Réhault et al., 2007; Baron et al., 2016; Guyot et al., 2017). Ces protéines agissent selon quatre mécanismes d’action bien distincts : 1) en chélatant des composés essentiels à la survie et la croissance bactérienne, 2) en dégradant directement les parois bactériennes, 3) en inhibant l’action de leurs protéases invasives, ou 4) en limitant leur adhésion à l’hôte (Tableau 1) Parmi ces protéines, on dénombre quelques IgA et M dans le blanc d’œuf (Mann, 2007; Mann et Mann, 2011). Ces Igs sont initialement présentes dans l’oviducte, surtout au niveau du magnum, qu’elles protègent des infections bactériennes (Zheng et al., 1997). Leur présence dans le blanc pourrait être le résultat d’un mécanisme de transfert non-spécifique, entrainant l’inclusion d’IgA et M du magnum dans les sécrétions de protéine du blanc. – Assimilation par l’embryon au cours de l’incubation – A ED10, 76% de l’eau contenue dans le blanc ont été transférés dans le jaune d’œuf (Baggott et al., 2002). De plus, le développement progressif des structures extraembryonnaires a repoussé les composés du blanc vers le pôle végétal de l’œuf, laissant l’embryon sans défense apparente (Figure 6). Toutefois, à ED12, le blanc d’œuf est transféré dans le sac amniotique, ce qui pourrait rétablir la protection autour de l’embryon (Figure 16). Le mélange de l’AmF et du blanc d’œuf est ensuite absorbé oralement par l’embryon à partir d’ED13, pour accompagner la phase intensive de croissance du corps et des organes lors de la deuxième moitié de l’incubation (Romanoff, 1960; Geelhoed et Conklin, 1966; Carinci et Manzoli-Guidotti, 1968; Freeman et Vince, 1974). Une partie des protéines est absorbée par la membrane de l’intestin et redirigée vers les organes de l’embryon (Speier et al., 2012; Miska et al., 2014) (Figure 16), en atteste la présence d’OVAL dans le cerveau, la moelle épinière, les muscles, etc. (Sugimoto et al., 1999; Shinohara et al., 2005). Les autres protéines sont transportées dans le sac vitellin (Carinci et Manzoli-Guidotti, 1968; Baintner et Fehér, 1974; Sugimoto et al., 1989; Yoshizaki et al., 2002) pour y être digérées avec les autres composés du jaune et ensuite transférées vers l’embryon (voir section A2.1). Les acides aminés, peptides, ou protéines résultants du métabolisme embryonnaire sont sécrétés dans le sac allantoïque (Bolin et Burggren, 2013; Bolin et al., 2017), dans lequel ils pourraient être à nouveau réabsorbés, cette fois-ci par la membrane chorioallantoïque (Yoshizaki et al., 2002; Moran, 2007) (Figure 16). Un transfert direct des protéines de l’intestin vers le sac allantoïque est aussi probable (Romanoff, 1960), tout comme le transfert vers le jaune via la membrane vitelline résiduelle (Kaspers et al., 1996).

Les paramètres physicochimiques 

– Le pH – Dans un œuf fraichement pondu, fertilisé ou non, le pH du blanc augmente rapidement de 7,6 à 9,0 (Figure 17 A), sous l’effet de la diffusion du CO2 à travers la coquille (Guyot et al., 2016b). Ce phénomène affecte non seulement la survie et la croissance des bactéries, mais aussi la mobilité flagellaire et le stress oxydatif des bactéries (Réhault et al., 2007; Guyot et al., 2017). Il module également l’activité de certaines protéines antibactériennes, comme TF qui chélate mieux le fer, un élément essentiel à certaines bactéries comme Salmonella enterica Enteritidis (Tranter et Board, 1984), ou LYZ qui perd son activité muramidase (Banerjee et al., 2011) à pH alcalin. Cependant, prises dans leur globalité, les activités bactéricides et bactériostatiques du blanc d’œuf sont renforcées pour des valeurs de pH élevées (Alabdeh et al., 2011).Lors de l’incubation, le pH du blanc d’œuf fertilisé va progressivement diminuer pour atteindre 7,5 à ED12 (Figure 17 A). A l’inverse, le pH du blanc d’œuf non fertilisé et incubé continue à augmenter pour atteindre une valeur de 9,7 au 12ème jour (Guyot et al., 2016b). Cette différence s’explique par le métabolisme respiratoire de l’embryon (diffusion de CO2 dans l’œuf) qui entraine une diminution du pH du blanc, et modifie les propriétés antibactériennes du blanc (augmentation de l’activité muramidase de LYZ, et diminution de l’activité chélatrice de TF). Figure 17 : Evolution du pH (A) et de la viscosité (B) du blanc d’œuf de poule fertilisé ou non au cours de l’incubation et du stockage respectivement (Silversides et Scott, 2001 (B); Guyot et al., 2016 (A)). Fertilisés Non fertilisés 0 4 8 12 Jours d’incubation 10, 0 9,5 9,0 8,5 8,0 7,5 7,0 pH 0 2 4 6 8 10 0 1 3 5 10 Hauteur du blanc (mm) Jours de stockage Isa Brown – Non fertilisés Isa White – Non fertilisés A B 51 – La viscosité – On distingue quatre couches dans le blanc : le blanc épais situé entre deux couches de blanc liquide, et les chalazes issues de la rotation lente de l’œuf dans l’utérus (Nys et Guyot, 2011). Ces dernières permettent le maintien du jaune d’œuf en position centrale, loin de toutes contaminations microbiennes qui pourraient subvenir via la coquille, dans l’œuf non fertilisé. La structure gélifiée du blanc d’œuf est directement liée à la présence d’ovomucine, une protéine hautement glycosylée et composée de deux sous-unités : la sous unité alpha (MUC5B) pauvre en glucides et une sous-unité bêta plus riche en glucides (MUC6) (Li-Chan et Kim, 2008). La formation de complexes avec LYZ renforce cette structure. La viscosité d’un fluide est connue pour réduire la mobilité des pathogènes (Schneider et Doetsch, 1974). La viscosité du blanc d’œuf va donc freiner les pathogènes et réduire leur accès aux nutriments du jaune. Cependant, elle est affectée par de nombreux paramètres, tels que les conditions et le temps de stockage (Silversides et Scott, 2001). En effet, l’augmentation du pH du blanc au cours du stockage (Figure 17 A) entraine une dissociation du complexe formé entre l’ovomucine et LYZ, ce qui liquéfie le blanc (Figure 17 B) et favorise la mobilité et le pouvoir invasif des bactéries.

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