Les diverses obligations de l’organisateur de croisière

La naissance de l’obligation de sécurité du transporteur maritime de passagers

L’obligation de sécurité est née à l’occasion d’un contrat de passage entre Tunis et Bône, l’arrêt du 21 novembre 1911 marquant véritablement la naissance de la responsabilité contractuelle. A l’époque, il s’agissait d’une véritable obligation de sécurité de résultat, intégrant au fil du temps la notion de faute sous la pression des transporteurs maritimes.14 En 1804, le transport de voyageurs, essentiellement terrestre et fluvial, était réservé à quelques catégories d’individus. Puis, le transport de voyageurs s’est développé par mer, puis par fer, et est devenu une véritable industrie. Le principe de responsabilité du transporteur a été calqué sur celui de l’article 1784 du Code civil disposant en effet que « les voituriers par terre et par eau sont responsables de la perte et des avaries des choses qui leur sont confiées, à moins qu’ils ne prouvent qu’elles on été perdues et avariées par cas fortuit ou force majeure ».
Refusant d’assimiler le transport des voyageurs au transport de choses, parce que le transporteur ne peut pas surveiller les voyageurs, libres de leurs mouvements, la jurisprudence a décidé que le transporteur contracte simplement l’obligation de transporter le voyageurs mais non de le protéger contre tout accident. En conséquence, il appartenait au voyageur de faire la preuve que l’accident avait été causé par la faute du transporteur. Les défenseurs de la théorie du risque, ont développé l’idée selon laquelle toute activité fait naître un risque pour autrui rendant son auteur responsable du préjudice qu’elle peut causer, sans qu’il y ait à prouver une faute. La Cour de cassation, par un arrêt du 21 novembre 1911 finit par admettre cette théorie en marquant la naissance de l’obligation contractuelle de sécurité. Ainsi, l’exécution du contrat de transport comporte pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination.
En 1911, cette obligation de sécurité a été donc conçue comme une obligation de résultat consistant à conduire le voyageur sain et sauf à destination. Depuis la loi du 18 juin 1966, dont les solutions ont été reprises par le Code des transports, l’obligation de sécurité d’origine jurisprudentielle a été convertie en une obligation légale.
L’information des consommateurs sur les diverses risques qui peuvent se produire, combinée avec le progrès de la technologie a augmenté les attentes des consommateurs concernant la protection contre les atteintes à leur intégrité physique. Cette évolution a conduit à une omniprésence de l’impératif de sécurité des consommateurs15. Le transport maritime de passagers a suivi cette évolution.
Assurer la sécurité du passager c’est obliger le transporteur à prendre les mesures concrètes permettant d’assurer cette sécurité.

L’incidence de la création du contrat de passage sur l’obligation de sécurité du transporteur

Le moment de la formation du contrat de passage a une incidence sur l’obligation de sécurité du transporteur. En effet, déterminer le moment de la formation du contrat, c’est chercher à savoir si la responsabilité contractuelle du transporteur peut être engagée pour violation de l’obligation de sécurité. Dans les contrats de transport non subordonnés à l’acquisition préalable d’un billet, la jurisprudence décide que le contrat de transport se forme au moment où le voyageur accède au véhicule. Il y a donc coïncidence entre la montée à bord du navire marquant la conclusion du contrat de passage et l’obligation de sécurité due au passager par le transporteur. Ainsi, la Cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 17 décembre 1985, a jugé qu’ « en présence d’un accident survenu au moment de l’embarquement de la victime sur un navire de promenade, il convient de noter que le navire était destiné au transport payant des passagers, que le fait que le navire se trouve à quai pour accueillir des passagers en vue d’une promenade constituait l’offre qui lui était faite ; ainsi le contrat de transport maritime se trouvait conclu et les rapports des parties régis par la loi du 18 juin 1966 ». Cependant, dans la plupart des cas, le passager monte à bord du navire après avoir préalablement acheté son billet de transport.
Dans les modes de transport pour lesquels le voyageur est tenu de posséder un billet avant d’accéder au moyen de transport, la jurisprudence est constante depuis l’arrêt «Valverde». La Cour de cassation16 a jugé que l’ « obligation de sécurité consistant à conduire le voyageur sain et sauf à destination (…) n’existe à la charge du transporteur que pendant l’exécution du contrat de transport, c’est-à-dire à partir du moment où le voyageur commence à monter dans le véhicule et jusqu’au moment où il achève d’en descendre ». Les accidents lors de l’embarquement et du débarquement relèvent de la responsabilité du transporteur qui manque à son obligation de sécurité. S’agissant d’un accident survenu à un passager qui a quitté volontairement le navire en plongeant pour rejoindre une pirogue, la Cour de cassation a décidé que l’accident corporel n’étant pas survenu pendant une opération de débarquement, les dispositions de la loi de 1966 ne s’appliquaient pas.

Sécuriser le déplacement : une obligation accessoire à l’obligation fondamentale du transporteur d’assurer le déplacement

L’obligation fondamentale du transport maritime des marchandises et des personnes, consiste à assurer un déplacement d’un lieu à un autre. La jurisprudence a défini le transport comme « le déplacement d’une personne d’un point à un autre, quel que soit le procédé, sans que le contrôle et la conduite du moyen de locomotion soient totalement abandonnés à la personne qui parcourt l’itinéraire ». 18 L’article L.542-1 du Code des transports énonce que « par le contrat de passage, l’armateur s’oblige à transporter par mer (…) un voyageur ». Il s’agit de distinguer le principal de l’accessoire. Ainsi, «le contrat de croisière reste un contrat de transport même si les passagers n’ont embarqué qu’en raison des concerts ou des joies gastronomiques promises par l’organisateur».
L’obligation de sécuriser le déplacement vient donc après l’obligation principale d’assurer le déplacement. Aux termes de l’article L.542-2 du code des transports, « le transporteur est tenu de mettre et conserver le navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage considéré et de faire toute diligence pour assurer la sécurité des passagers ». En effet, la prestation essentielle imposée par le contrat de transport réside dans le déplacement ponctuel des marchandises et des personnes d’un lieu à un autre, en s’assurant de leur intégrité20. En raison du risque d’accident lié à l’exécution du transport, par le contrat de passage, le transporteur de personnes s’engage donc non seulement à transporter les voyageurs, mais encore à les conduire sains et saufs à destination.
L’obligation du transporteur d’assurer la navigabilité du navire répond tout d’abord à la nécessité de procurer aux passagers un engin de transport apte à assurer leur sécurité. Dès l’instant où le passager emprunte la passerelle d’embarquement et jusqu’au moment où il achève de débarquer du navire, sa sécurité se trouve liée à l’aptitude du navire et de l’équipage à protéger le passager contre l’atteinte qui pourrait se porter à sa santé et à son intégrité corporelle à bord du navire.

La liberté du mouvement du passager : fondement de la distinction entre l’accident collectif et l’accident individuel

Le régime de responsabilité du transporteur maritime de passagers est déterminé en fonction du caractère individuel ou collectif de l’accident qui a causé le dommage au demandeur, tel qu’il sera étudié plus loin. Cette distinction entre accident individuel d’une part, et accident collectif, sinistre majeur d’autre part, trouve son origine dans la notion de rôle actif du passager, de son liberté de mouvement à bord du navire. Lorsque le passager ne dispose pas d’une liberté d’action, de mouvement et se confie totalement au transporteur maritime, le transporteur doit assurer envers lui une obligation de sécurité de résultat ce qui alourdit le régime de sa responsabilité, et ne pourra donc se libérer de sa responsabilité qu’en prouvant la faute de la victime ou un cas de force majeure.
Cependant, le transporteur ne peut s’exonérer partiellement de sa responsabilité. Dans un arrêt du 16 avril 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé que «le transporteur tenu d’une obligation de résultat envers un voyageur, ne peut s’en exonérer partiellement et la faute de la victime ne peut emporter son exonération totale qu’à la condition de présenter les caractères de la force majeure». Elle a écarté la décision de la Cour d’appel en ce qu’elle a jugé que la victime du dommage avait commis une faute ayant participé à 50% à la réalisation de son dommage et qu’en conséquence le transporteur ne devait réparer les conséquences dommageables subies par la victime qu’à hauteur de 50%, alors qu’il était tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers le passager.22 Cette décision reflète ainsi la sévérité des juges lorsque c’est une obligation de sécurité de résultat qui est assurée par le transporteur à l’égard de la victime d’un dommage, qui est tenu de réparer entièrement le dommage à moins de prouver que la faute de la victime présentait les caractères de la force majeure.

Un mécanisme d’assurance obligatoire pour une meilleure protection de la victime

L’origine de l’assurance maritime remonte au XIVe siècle avec la plus ancienne police d’assurance maritime qui date de 1329. Quant aux premiers textes législatifs, ce sont les ordonnances des magistrats de Barcelone du 21 novembre 1435 et du 3 juin 1484 qui ont traité de l’assurance maritime. L’assurance sur un navire est composée de deux contrats : un contrat relatif à l’assurance dommage qui concerne le navire en tant que tel, et un autre contrat relatif à la responsabilité et qui concerne la responsabilité civile de l’armateur.
La réforme du droit de la responsabilité du transporteur maritime de passagers par la mise en place d’une assurance obligatoire régie par le Protocole de 2002 suite aux travaux de l’Organisation Maritime internationale, a été la conséquence des catastrophes maritimes qui se sont suivies dans l’histoire du transport maritime de passagers. Ces accidents maritimes ont ainsi conduit les législateurs à assurer une meilleure protection des passagers, tel qu’il a été le cas avec l’adoption du Protocole de 2002 qui a introduit une assurance obligatoire du transporteur qui couvre la responsabilité légale du transporteur et permet aux passagers d’obtenir une indemnisation de leurs dommages.
Dans le cadre d’une meilleure protection des passagers du transport maritime, le règlement (CE) n°392/2009 a mis en place une obligation du transporteur de verser une avance au passager, en cas de lésions corporelles, et à ses ayants droits, en cas de décès. L’article 6 de ce règlement dispose que «Lorsque le décès ou les lésions corporelles d’un passager sont causés par un évènement maritime, le transporteur ayant assuré effectivement tout ou partie du transport au cours duquel l’évènement s’est produit, verse une avance d’un montant suffisant pour couvrir les besoins économiques immédiats, sur une base proportionnelle aux dommages subis, dans un délai de quinze jours à compter de l’identification de la personne ayant droit à l’indemnisation. En cas de décès, cette avance ne peut être inférieure à 21 000 Euros.»
Cet article rajoute que le versement de cette avance n’est pas une reconnaissance de responsabilité par le transporteur.

Table des matières

PARTIE I – LES DIVERSES OBLIGATIONS DE L’ORGANISATEUR DE CROISIERE
CHAPITRE I – L’influence du régime de responsabilité du transporteur maritime de passagers sur la responsabilité de l’organisateur de croisière
§1 – L‘obligation de sécurité de l’organisateur de croisière
A/ L’omniprésence du besoin de sécurité dans le transport maritime de passagers
1/ La naissance de l’obligation de sécurité du transporteur maritime de passagers
2/ L’incidence de la création du contrat de passage sur l’obligation de sécurité du transporteur
3/ Une obligation de sécurité renforcée face aux fautes humaines
4/ Sécuriser le déplacement : une obligation accessoire à l’obligation fondamentale du transporteur d’assurer le déplacement
B/Une obligation de sécurité marquée par une obligation de moyens stricte et une obligation de résultat atténuée
1/ L’obligation de sécurité définie en fonction de la liberté de mouvement du passager maritime
2/ La liberté du mouvement du passager : fondement de la distinction entre l’accident collectif et l’accident individuel
3/ L’obligation du passager de se soumettre à la discipline du bord
§2 – La mise en place d’une assurance obligatoire du transporteur par la Convention d’Athènes de 2002
A/ Un mécanisme d’assurance obligatoire pour une meilleure protection de la victime
B/ La preuve de la souscription d’une assurance
C/ La mise en place d’une action directe du passager contre l’assureur du transporteur
D/ Le naufrage du navire Costa Concordia : exemple d’un évènement couvert par les polices d’assurances dommages
CHAPITRE II – L’influence du droit de la consommation sur la croisière maritime et les nouvelles obligations de l’organisateur de croisière
§1 – Loi du 18 juin 1966 et loi du 13 juillet 1992 : difficulté d’application de deux lois impératives organisant des régimes de responsabilité différents
A / Le contrat de croisière maritime : contrat de voyage à forfait soumis aux règles protectrices du consommateur
1/ Nécessité de conciliation du droit maritime et du droit de la consommation
2/ L’incidence de la qualification du contrat de voyage en un forfait touristique sur la norme applicable
B/ L’organisateur de croisière et l’agence de voyages : les professionnels du contrat de croisière
1/ L’agence de voyages et l’organisateur de croisières solidairement responsables de l’inexécution du contrat
2/ La responsabilité de l’agence de voyages
3/ L’organisateur armateur de croisière
§2 – Une protection renforcée du passager de croisière maritime
B/ Le droit à l’information du croisiériste
1/ Mise en place d’un niveau élevé de protection des passagers par le règlement européen n°1177/2010
2/ Mise en place d’une protection particulière des passagers handicapés et des passagers à mobilité réduite (PHMR)
PARTIE II – UNE NECESSITE D’HARMONISATION DES REGLES APPLICABLES A LA
RESPONSABILITE DE L’ORGANISATEUR DE CROISIERE
CHAPITRE I – Un régime de responsabilité différant selon le caractère interne ou international de la norme applicable 
§1 – Multiplicité de normes applicables à la responsabilité de l’organisateur de croisière
A/ Droit interne : loi du 18 juin 1966 et loi du 13 juillet 1992
1/ La question de l’abrogation des dispositions de la loi du 18 juin 1966
2/ L’application concurrente des dispositions de la loi du 18 juin 1966 et de celles de la loi du 13 juillet 1992
B/ Droit international : Convention d’Athènes de 1974
C/ Les règlements communautaires et l’amélioration de l’indemnisation des passagers victimes d’accidents maritimes
D/ L’articulation des dispositions internationales et du Code des transports
§2 – Un régime de responsabilité dualiste déterminé en fonction de l’évènement générateur du préjudice en cas de dommages corporels ou de mort
A/ Un régime de responsabilité applicable à tout accident survenu pendant le transport maritime en droit international
B/ Une responsabilité pour faute présumée en cas d’accident collectif
1/ La notion d’accident collectif en droit international
2/ La notion d’accident collectif en droit interne
a/ Conception élargie de la notion d’accident collectif
b/ Effets du régime de responsabilité pour faute présumée du transporteur
3/ Cas de force majeure et diligence du transporteur comme preuve exonératoire de responsabilité
C/ Une responsabilité pour faute prouvée en cas d’accident individuel
1/ La notion d’accident individuel en droit international
2/ La notion d’accident individuel en droit interne
§3 – Dommages résultant de l’exécution du contrat de transport maritime : facteur déterminant du régime de responsabilité de l’organisateur de croisière en droit interne
A/ Responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisière en cas d’accident
survenu en dehors du transport maritime
B/ Responsabilité pour faute de l’organisateur de croisière en cas d’accident
survenu pendant l’exécution des prestations de transport maritime
§4 – Régime juridique de responsabilité de l’organisateur de croisière applicable en matière de perte ou dommages aux bagages du passager 
A/ La responsabilité de l’organisateur de croisière concernant les bagages, les bagages de cabine et les véhicules
1/ Le contrat de croisière soumis au droit international
2/ Le contrat de croisière soumis au droit interne
B/ La responsabilité de l’organisateur de croisière concernant les biens de valeur
1/ Le contrat de croisière soumis au droit international
2/ Le contrat de croisière soumis au droit interne
CHAPITRE II – Le cadre juridique de l’action en responsabilité contre l’organisateur de croisière et les professionnels de tourisme
§1 : L’identification des règles de conflit de lois pour la mise en place d’une action
en responsabilité contre l’organisateur de croisière
A/ La recherche de la loi applicable au contrat de transport de passagers par le juge saisi
1/ L’identification de la loi applicable au contrat de croisière par rapport à la Convention de Rome du 19 juin 1980
2/ Le règlement Rome I et l’introduction d’une règle de conflit de lois spécifique aux contrats de transports de passagers
B/ La compétence juridictionnelle
1/ En droit interne
2/ En droit international
C/ L’action en responsabilité contre l’organisateur de croisière
1/ Les actions en responsabilité régies par le droit international
2/ L’action en responsabilité des victimes par ricochet
3/ Les actions en responsabilité régies par le droit interne
§2 – La limitation de responsabilité de l’organisateur de croisière et des professionnels du tourisme
A/ Une responsabilité limitée en droit international en cas de décès ou de lésions corporelles de passagers
1/ le droit à la limitation de responsabilité de l’organisateur de croisière
2/ Le droit à la limitation de responsabilité de l’agence de voyages
3/ Déchéance du droit à la limitation de responsabilité
B/ Une responsabilité illimitée en droit interne en cas de décès ou de lésions corporelles

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