Les marques de la subordination dans les propositions en français

Les marques de la subordination dans les propositions en français

Les marques 

La conjonction que En Ancien Français, la conséquence pouvait être exprimée par que uniquement sans corrélatif dans la principale. Cet emploi relève de la forme la plus simple. Cette construction était abondamment employée dans l’ancienne langue. Met a sa buche une clere busine Sune la cler que li paien l’oïrent (Cité par Yves LEFEVRE, Manuel d’Ancien Français, p 91) (Il porte en sa bouche une trompette :il la fait retentir si bien que les païens l’entendent) Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 81 Sor une piere fiert sa face Que ses vis trestos en torbla. (BI, 178, cité par Geneviève Joly dans Précis d’Ancien français Morphologie et Syntaxe p 383) (Son visage heurta une pierre de sorte qu’il blêmit) En français classique, cet emploi de que sans élément corrélatif est toujours d’usage. Robert L. WAGNER et J.PINCHON dans Grammaire du français classique et moderne le confirment en ces termes : la conjonction Que s’employait dans la langue classique pour marquer la conséquence sans être précédée de tel, tellement. 59 Cette façon d’introduire la conséquence permettait de marquer l’intensité ou le degré. C’est cela uniquement qui peut justifier à l’époque classique l’emploi isolé de que. Dans un seul cas, la proposition consécutive est introduite par que tout seul, à savoir, quand elle marque le degré. 60note SANDFELD. Je suis dans une colère que je ne me sens pas. (Molière cité par R L WAGNER ET PINCHON : Grammaire du français classique p 585) Comme il voit que dans leurs tanières Les souris étaient prisonnières Qu’elles n’osaient sortir, qu’il avait beaucoup cherché, Le Galant fait le mort, et du haut d’un plancher Se pend la tête en bas. La bête scélérate A de certains cordons se tenait par la patte. (La Fontaine, Fables pp 129-130, Livre III,V 12-17) L’emploi isolé de que n’a pas survécu en français moderne notamment dans la langue soutenue. Les emplois que l’on rencontre à ce niveau relèvent de la langue populaire 59 WAGNER R.L et PINCHON J,op cit P.582 60 SANDFELD KR,op cit P.414 Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 82 Tout cela grouillait, parlait s’abordait, que c’était une agitation incompréhensible. (Aragon cité par R L Wagner et J.Pinchon : 1965, p 585)

La locution conjonctive si ……..que

Elle est composée de l’adverbe d’intensité si et de la conjonction que. Le premier élément de ce système corrélatif fait partie des nombreux adverbes qui accompagnent que pour marquer la conséquence. Avec Georges le BIDOIS et Robert le BIDOIS, nous pouvons affirmer que parmi les adverbes d’intensité qui peuvent s’unir à que pour introduire la subordonnée de conséquence, le plus ancien et en même temps le plus employé est l’adverbe si. 61 Son origine remonte au latin sic. Il peut avoir le sens de tellement. Dans son emploi, l’adverbe si peut modifier un adjectif qualificatif en fonction d’attribut du sujet ou du COD Nous sommes si aveugles que nous ne savons quand nous devons nous affliger ou nous réjouir : nous n’avons presque jamais que de fausses tristesses ou de fausses joies. (Montesquieu, Lettres persanes p79, Lettre 40) Elle remit néanmoins leur mariage après un voyage qu’il allait faire et qui devait être assez long ; mais elle se conduisit si bien que jusqu’à son départ et en parut si affligée que je crus, aussi bien que lui, qu’elle l’aimait véritablement. (Madame de La Fayette, La princesse de Clèves pp 52-53) La structure syntaxique dans ces différents exemples se présente toujours de la façon suivante : Verbe d’état + Si + Adjectif. Cela veut dire que si se place toujours devant l’adjectif qu’il modifie. Toutefois, si l’adjectif est en fonction d’attribut du COD, ce schéma peut être bouleversé. 61 LE BIDOIS G et LE BIDOIS R, Syntaxe du français moderne, Tome II, Paris, Auguste Picard, 1938,P 485 Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 83 Mme la Dauphine quitta Mme de Clèves après ces paroles et la laissa si étonnée et dans un si grand saisissement qu’elle fut quelque temps sans pouvoir sortir de sa place. (Madame de La Fayette, La princesse de Clèves p 75) L’adverbe si peut également être épithète. Une Montagne en mal d’enfant Jetait une clameur si haute, Que chacun au bruit accourant Crut qu’elle accoucherait, sans faute. (La Fontaine, Fables p 170, Livre V, V 1-4) C’était un bonheur inespéré Et si certain Qu’ils ne craignaient point de le perdre (G Apollinaire, Alcools p 94, V 203-205) Dans ces exemples, la consécutive amenée par si…..que est positive. Elle présente la conséquence comme le résultat logique du fait exprimé dans la proposition principale. Par ailleurs, il convient de noter que quand si dans le système corrélatif si…..que modifie un adjectif épithète, celui-ci est toujours suivi d’une virgule qui permet de marquer une courte pause. L’absence de virgule dans l’exemple tiré de Alcools est lié à des effets stylistiques propres à Apollinaire qui n’a employé la virgule en aucun moment dans toute l’œuvre. Cela se justifie par son appartenance surréaliste. Lorsque si modifie un adjectif épithète, il peut être repris. Enfin, l’un des deux vaisseaux lâcha à l’autre une bordée si bas et si juste qu’il le coula à fond. (Voltaire, Candide p 114) Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 84 IL lui faisait voir combien il prenait d’intérêt à son affliction et il lui en parlait avec un air si doux et si soumis qu’il persuadait aisément que ce n’était pas de Mme la Dauphine dont il était amoureux. (Madame de La Fayette, La princesse de Clèves p 44) L’adverbe si peut également modifier un adverbe comme le montrent les exemples suivants : Candide, dans le fond de son cœur, n’avait aucune envie d’épouser Cunégonde ; mais l’impertinence extrême du baron le déterminait à conclure le mariage, Cunégonde le pressait vivement qu’il ne pouvait s’en dédire. (Voltaire, Candide p 173) J’avais tort de me laisser aller à ces suppositions parce que, l’instant d’après, j’avais si affreusement froid que je me recroquevillais sous ma couverture. (A Camus, L’Étranger, p 111) Ils vivaient si noblement Que ceux qui la veillent encore Les regardaient comme leurs égaux (G Apollinaire, Alcools p 95, V 206-208) La structure syntaxique si + adverbe + que présente à bien des égards des subtilités. En effet si l’on considère l’ensemble, on constate du coup que c’est le verbe qui se trouve être modifié. Ces structures si vivement que, si affreusement que et si noblement que insistent sur la manière dont le procès se déroule et cela aboutit sans équivoque à une conséquence, celle-là même exprimée dans la subordonnée consécutive. Mais d’un autre côté, si pris isolément modifie le sens des adverbes vivement, affreusement et noblement. Le fonctionnement syntaxique et sémantique de la structure si + adverbe + que dans les exemples cités précédemment diffère de la structure voisine si + adverbe (bien) + que. Même si la composition du syntagme est la même de part et d’autre, l’adverbe bien dans la seconde structure a connu une évolution particulière. L’expression si + bien+que remonte au 16e siècle. Dans cet Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 85 ensemble, bien avait une valeur originelle d’adverbe. Au cours de l’histoire, il perd ce sens et s’intègre dans la locution si + bien + que qui devient un ensemble uni et soudé analysable en un tout où les éléments sont indissociables. Elle s’éloigne alors de l’intensité qui était marquée par si … que pour exprimer la manière à l’image des locutions de manière que, de façon que. Cette analogie nous est révélée par Georges LE BIDOIS et Robert LE BIDOIS en ces termes : il ne manque pas de ces cas ou bien perd son sens originel pour former une locution ayant absolument le même sens que de sorte que, tellement que. 62 D’ailleurs, c’est cette ressemblance qui pousse Maurice Grevisse à créer parallèlement à la proposition de conséquence une proposition de manière qui selon lui sera introduite par de manière que, de façon que, de sorte que .Dans notre corpus, nous avons constaté que le syntagme si bien que était fréquemment employé au XVIIème siècle. La Fontaine a beaucoup utilisé cette locution. Elle empêtra si bien les serres du corbeau Que le pauvre animal ne put faire retraite. (La Fontaine, Fables p 104, Livre II, V 19-20) Une lice étant sur son terme Et ne sachant ou mettre un fardeau si pressant Fait si bien qu’à la fin sa campagne consent De lui prêter sa hutte, ou la lice s’enferme (La Fontaine, Fables, p 93,Livre 2 , V 1-4) Le comportement syntaxique de si bien que diffère d’un auteur à un autre. Pour mettre le focus sur le COD, LA FONTAINE a tendance à séparer si bien de que. D’un autre côté, s’il veut insister sur le procès il regroupe l’expression en un tout uni ; ainsi la manière dont se déroule l’action apparait clairement au point de mener vers une conséquence.

La locution conjonctive tellement …..que 

LE BIDOIS G et LE BIDOIS R,op cit,P 485 Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 86 Formée de l’adverbe tellement et de la conjonction que, cette locution, si l’on se fonde sur les remarques de Georges et Robert Le BIDOIS énonce avec beaucoup de franchise un haut degré qui entraîne une certaine conséquence.  A l’image de si étudié précédemment, l’adverbe tellement peut être corrélé à que Dans sa construction, tellement ….que peut modifier un verbe. …il se donne tellement aux autres qu’il ne lui reste plus rien pour les autres. (A Gide, Les faux monnayeurs p 234) Ces barbares ont tellement abandonné les arts, qu’ils ont négligé jusques à l’art militaire. (Montesquieu, Lettres persanes p 42, Lettre 19) Un loup donc étant de frairie Se pressa, dit-on, tellement Qu’il en pensa perdre la vie (La Fontaine, Fables p 122, Livre III, V 2-4) Dans ces exemples, nous avons une proposition principale qui sert de support à la construction de la consécutive. Cette dernière est positive dans les deux dernières phrases car la conséquence est perçue comme un fait qui se réalise ou peut se réaliser suite au fait évoqué dans la proposition support. Dans la première phrase la consécutive est négative parce que le fait y est empêché par le haut degré atteint par le fait évoqué dans la proposition principale qui se trouve être le support. La marque particulière est la présence de la négation ne, placée entre le sujet et le verbe de la consécutive. Dans tous les cas l’élément tellement du syntagme tellement ….que modifie à chaque fois un verbe. Lorsque ce verbe est à un temps simple comme dans le premier et troisième exemple, l’adverbe se place après ce verbe. Par contre si le verbe est à un temps composé comme l’indique le deuxième exemple, tellement se place entre l’auxiliaire et le participe passé de ce verbe.  Dans l’exemple tiré des Fables, LA FONTAINE continue d’employer tellement que collé sans un mot entre les deux éléments. Pourtant Maurice GREVISSE considère tellement que comme familier dans cet emploi. Cela remonte en 1878. Même si l’expression a été supprimée en 1935, on la rencontre dans la langue littéraire du XXème siècle. L’animal en fureur(…) donne de la tête, des membres, des mâchoires (…..) tellement que tout son corps est comme le projectile, la massue, la pince, le bélier et les trompettes d’une excitation (Valery, Mélange, PI p 402, cité par Grevisse p 1561) L’adverbe tellement peut également modifier un adjectif. Il y ait des questions si extravagantes Et des réponses tellement pleines d’à propos Que c’était à mourir de rire (G Apollinaire, Alcools p 93, V 155-157) Le vidame, qui le voit de plus près que personne a dit à Mme de Martigues que ce prince est tellement changé qu’il ne le reconnait plus. (Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, p 59) 

La locution conjonctive tel…. que

Tel, adjectif indéfini est le seul de cette catégorie grammaticale à accompagner la conjonction que pour amener une conséquence. Dans la construction du syntagme tel…que, l’élément tel accompagne un nom. Les orgues entamèrent la marche triomphale, dans un tel éclat de foudre, que le vieil édifice en tremblait. (Zola, Le Rêve p 252) Thèse de doctorat unique : Les marques de la subordination dans les propositions en français : Étude syntaxique et stylistique , 88 Il se battait, dit- il les flancs avec ses bras, Faisant tel bruit et tel fracas, Que moi, qui grâce aux Dieux, de courage me pique, En ai pris la fuite de peur Le maudissant de très bon cœur (La Fontaine, Fables, p 185-186, Livre VI,V 18-22) A la lecture de ces exemples, il se dégage un constat : le système corrélatif tel…que suppose une implication mutuelle ; les deux énoncés qui contiennent séparément tel et que ne peuvent fonctionner d’une manière indépendante. L’un appelle toujours l’autre. Il se dégage dès lors une réciprocité. Ainsi serait- il incorrect de dire : *les orgues entamèrent la marche triomphale dans un tel éclat de foudre. Cet énoncé est incomplet aussi bien de par son sens que de par sa construction syntaxique. Il en est de même de son répondant qui ne peut jamais aller seul : *que le vieil édifice en tremblait. Donc l’un appelle nécessairement l’autre. L’adjectif indéfini tel dans ces différents exemples se trouve toujours à côté du nom. Ce rapprochement pousse SANDFELD à employer, dans le rapport entre ces deux catégories la notion d’adjoint. Ce qui lui permet d’affirmer ceci : …il est l’adjoint d’un substantif. Dans ce cas, il se place régulièrement derrière celui-ci.64 Au-delà de cette fonction d’accompagnateur d’un nom, tel peut être attribut du sujet. Elles tombèrent dans le discrédit, et leur avilissement fut tel, que leur trente Licteurs assemblés faisaient ce que les comices par Curies auraient dû faire. (Rousseau, Le Contrat Social , p 158) .

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : ETUDE SYNTAXIQUE
CHAPITRE I : LES SUBORDONNEES COMPLETIVE ET RELATIVE
CHAPITRE II : LES SUBORDONNEES CIRCONSTANCIELLES
DEUXIEME PARTIE : ETUDE STYLISTIQUE
CHAPITRE I : VALEURS ET SENS DES MARQUES ET DES SUBORDONNEES
CHAPITRE II : LA SUBORDINATION DANS QUELQUES THEMES
CONCLUSION GENERALE

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