LES RECITS DE VIE

LES RECITS DE VIE

« Concernant le récit de vie, il n’y a pas de consigne précise. Le début peut avoir lieu en n’importe quel point de la temporalité, de même que le premier regard peut se porter en n’importe quel point d’un tableau ; l’important est que, peu à peu, l’ensemble ressurgisse » Houellebecq M., 2005 : 27-28. L’analyse présentée dans ce mémoire se basant essentiellement sur les récits de vie des personnes rencontrées, il nous a semblé important de présenter ces différents parcours. Nous les avons alors reconstitué de manière chronologique afin de vous donnez une approche plus fluide et lisible des entretiens recueillis. Cette relecture s’est voulue fidèle aux dires des personnes mais il est évident que ce premier travail est emprunt des pistes de réflexion chères à l’auteure. En effet, le résumé est déjà une étape d’interprétation plus ou moins inconsciente de ce que cherche l’anthropologue. Nous vous donnerons ainsi, dans un premier temps, les différentes reconstitutions des parcours de vie puis, dans un second temps, nous dégagerons les thèmes récurrents afin d’esquisser l’approche comparative qui nous permettra ensuite de produire une analyse réaliste d’un forme de parenté peu connue ou plutôt méconnue.

LA RECONSTITUTION DES PARCOURS DE VIE

Afin de faciliter la lecture des récits, nous avons esquissé les schémas de parenté de chaque personne. Nous retraçons simplement l’unité familiale à travers la conjugalité et la parentalité pour rendre compte des différences de parcours. Les personnes transsexuelles sont représentées en fonction de leur sexe désiré. 1. Maryse (42 ans) Maryse Annabelle Albert Ode § Le coming out « dans un milieu réduit » et les conséquences sur la vie de famille Maryse annonce à sa concubine son intention de devenir une femme. La réaction de cette dernière est de lui dire qu’elle n’est pas une lesbienne. Elles se séparent et Maryse débute sa transition seule dans une maison de campagne. En ce qui concerne leur fille, Ode, Annabelle et Maryse passent un « contrat verbal » qui permet alors à Maryse de voir sa fille uniquement si elle est habillée de manière « unisexe ». Ce contrat est rompu par Maryse lorsque sa fille se rend compte des changements corporels de son père ainsi que ceux des réactions des personnes rencontrées au quotidien (« Bonjour Madame »). Ode découvre également les vêtements de son père et lui demande de s’habiller en fille. Maryse décide alors de tout lui expliquer quant à sa réassignation sexuelle. Suite à cet évènement, Annabelle refuse que sa fille aille voir son père et lance une procédure devant la justice afin d’avoir la garde de Ode. Pendant plusieurs mois, Maryse est donc privée de sa fille. Annabelle décide aussi que sa fille consulte un pédopsychiatre dans un Centre Médico-Psycho-Pédagogique Universitaire [CMPPU] car cette dernière a peur de perdre son sexe. Il s’ensuit, d’après Maryse, un hyper protectionnisme d’Annabelle vis-à-vis de Ode. Le spécialiste considère alors le père comme une « personne dangereuse ». Maryse décide d’écrire une lettre au pédopsychiatre pour se défendre quant à sa dangerosité à l’égard de l’équilibre mental de sa fille.

La perte du rôle de père

un plaidoyer à l’encontre d’Annabelle Maryse me propose de lire cette lettre car elle la considère comme une étape importante du recouvrement de son rôle de parent. Ce plaidoyer a effectivement « arrangé » la situation entre les parents et leur fille. La lettre débute sur la demande conjointe des parents afin que Ode consulte un psychiatre. Maryse ne pense pas être que sa transformation soit l’unique raison de l’angoisse de sa fille qui est de perdre son sexe de petite fille et objecte la surprotection de son exconjointe. Maryse a toujours pris le parti de dire la vérité à sa fille et l’interdiction de la voir aggrave sûrement les idées que peut se faire Ode sur son père. La situation de non-dit provoquée par Annabelle engendre chez Ode le regret que son père devienne une femme. Afin de prouver ses dires, Maryse évoque l’époque où elle avait encore le droit de voir sa fille. Elle parle ainsi d’une période idyllique où elle pouvait dévoiler « sa vraie nature » à son enfant qui découvrait alors la personne qui « se cachait » sous l’image de son père. Elle se réfère à des situations vécues avec sa fille auprès d’amis qui constataient alors la joie de l’enfant à être avec son père malgré son changement physique. Cette relation heureuse prend fin lorsque Annabelle décide de faire intervenir la justice et Maryse ne voit plus sa fille pendant huit mois. Annabelle et Maryse deviennent ainsi des ennemies. Ode ne veut plus parler à son père. Maryse avance également le fait que sa fille a la faculté de tromper les adultes et de faire comme si elle n’avait rien compris à sa situation familiale alors que lors de l’une des rares entrevues avec son père, elle a clairement dit à sa mère : « Pourquoi tu ne veux pas que papa devienne une fille ? ». Elle prouve par là qu’elle comprend la situation et que c’est la faute de sa mère si elle ne peut se rendre compte de la réalité du changement son père. Ode reste dans une position de l’ordre établi puisque un père trans n’est pas « normal ». La situation change soudainement, Ode désire voir son père, lui parler, signe qu’elle n’est pas si bien seule avec sa mère. Afin que leur fille se sente mieux, Maryse prône un rééquilibrage de l’autorité parentale mais pour cela, il faudrait que l’entourage de sa fille la reconnaisse alors que Annabelle lui avait demandé de s’éloigner, de disparaître. Maryse s’adresse alors directement au pédopsychiatre afin de changer cette déconsidération qui ne peut être que néfaste pour le développement de Ode. Elle lui demande d’expliquer à sa fille, avec un vocabulaire non discriminant, ce qu’est la transsexualité et d’en faire autant auprès d’Annabelle. Ode peut très bien comprendre que son père, étant petit, se considérait comme une fille mais pour être aimé de tous et faire plaisir à sa famille, elle s’est comportée comme un homme. Avec le temps, cela devenait trop difficile à vivre donc elle est allée voir un docteur pour changer son « corps de monsieur en corps de dame ». De plus, l’angoisse de Ode de perdre son sexe ne peut être qu’une passade puisqu’elle ne s’est jamais sentie garçon. Il suffit donc de lui expliquer en ces termes le changement de son père sans pour autant parler de choix ou de décision puisque Maryse n’a ni décidé, ni choisi de se sentir fille. Maryse est impuissante pour expliquer simplement la situation à son enfant et la mettre en garde vis-à-vis des adultes qui veulent les séparer. Lorsqu’elle a essayé de le faire par téléphone, Maryse s’est vue interrompre par Annabelle laissant alors sa fille dans le flou. La parole du père est donc censurée par celle de la mère. Elle éloigne ainsi sa fille de la réalité des évènements. Elle voit son père comme « une personne fausse » et pense que c’est un jeu lorsque celui-ci s’habille en fille. En effet, le contrat vestimentaire passé entre Annabelle et Maryse afin que celle-ci puisse voir sa fille n’a pu être tenu au regard des « Bonjour Madame » lancés par les personnes rencontrées au quotidien. Cela n’a pas dérangé Ode mais ce fut une transgression pour Annabelle qui prit alors la décision d’avoir un recours auprès de la justice et de séparer sa fille de son père. Maryse explique alors son incompréhension face à cette attitude et argumente son plaidoyer en ayant recours aux travaux d’un psychologue, Serge Tisseron qui s’intéresse aux secrets de famille. Ce dernier recommande en effet de tout dire aux enfants afin d’éviter les perturbations futures. De même, Maryse met en avant les fluctuations des normes qui on toujours permis de faire évoluer chaque société et prend pour exemple la situation homoparentale. Maryse s’insurge alors et se défend des préjugés à l’encontre des personnes transsexuelles et des différences en général. En attendant que sa fille comprenne cela un jour, elle doit savoir que son père est là, bien vivant, présent et réel. § Le recouvrement de la parenté et relations actuelles entre les parents et leur fille C’est à la suite du recours juridique d’Annabelle que Maryse avait écrit cette lettre auprès du pédopsychiatre de sa fille. Dans le même temps, elle avait pris un avocat et voulait que justice soit rendue en concluant une garde alternée mais la décision de justice a stipulé un simple droit de visite. Pour en venir à ce résultat, la justice avait demandé une expertise 45 psychiatrique qui en a déduit que Maryse était une personne immature. Cette décision est toujours valable actuellement mais la situation entre les deux parents a évolué positivement. En effet, plusieurs évènements ont permis à Annabelle de reconsidérer Maryse : Ode suit un enseignement à distance, ce qui implique du temps à consacrer pour ses devoirs, elle a rencontré Albert (son actuel compagnon), elle a vu différents spécialistes pour résoudre les difficultés de sa fille. Au départ, les problèmes de Ode étaient, selon Annabelle, liés directement à la transition de son père or, après avoir consulté un neurologue, elle s’est rendue compte que les problèmes étaient des conséquences de la maladie infantile de Ode. Annabelle a alors rétablit Maryse de sa fonction de père puisque ce n’était plus de sa faute. Maryse est donc devenue très vite indispensable pour l’éducation de leur fille notamment en ce qui concernait sa scolarité. Annabelle pouvait alors laissé sa fille d’autant plus que cela lui permettait de profiter de sa nouvelle vie de couple avec Albert. Annabelle et Maryse se sont donc arrangées à l’amiable pour la garde de leur fille. Même si ce n’est pas officiel, Ode est désormais dans une situation de garde alternée. Alors qu’Annabelle a retrouvé en Maryse une certaine confiance et reconnaissance, la difficulté vient désormais de son ami, Albert. Ce dernier ne comprend pas la situation et cela se traduit majoritairement par l’appellation de Maryse au masculin. C’est Ode qui prend alors la défense de son père et qui explique à Albert qu’il faut en parler au féminin. Elle-même ne l’appelle plus « papa » mais par son prénom, Maryse. La situation entre Albert et Maryse est quelque peu paradoxale car, d’une certaine manière, c’est grâce à lui qu’Annabelle a reconnu le père de son enfant. En effet, c’est par le biais d’un ami d’Albert qu’elle s’est rendue compte que les raisons fondamentales aux difficultés de Ode étaient neurologiques. Ode se retrouve ainsi non plus tiraillée entre sa mère et son père, mais entre son père et l’ami de sa mère, elle se met ainsi dans une position défensive en faveur de l’identité de son père. 

Relations familiales

Maryse est née dans une famille laïque mais très emprunte des valeurs judéochrétiennes. Ses parents étaient instituteurs. Son père lui a donné une éducation « militaire ». Sa mère était une femme soumise. Elle tenait le rôle du fils parfait. Arrivée au lycée, elle ne fait que sa seconde au milieu de ses camardes. La première et terminale se font ensuite par un enseignement à distance, c’était en quelque sorte un isolement car elle était mal dans sa peau. Elle ne trouvait pas sa place auprès des personnes de son âge. Elle est donc partie de chez ses parents après avoir obtenu son baccalauréat littéraire. Elle ne supportait plus l’ambiance rigide 46 qui y régnait. Maryse s’est retrouvée dans la capitale et a poursuivi une vie de bohème avec des artistes. Elle apparaissait alors comme quelqu’un d’androgyne mais ne trouvait pas vraiment sa place. Suite à des difficultés financières, elle demande de l’aide auprès de son grand-père paternel. Ce sera le point de départ de la rupture avec ses parents : son père lui avait demandé le remboursement de la somme alors que le grand-père venait de mourir. Maryse, offensée, ne donnera alors des nouvelles que par courrier. Par ce moyen, elle leur annonce la rencontre avec Annabelle et sa transition. Elle ne les revoit qu’à la naissance de Ode où l’accueil ne sera pas chaleureux. L’histoire du remboursement resurgit lorsque Annabelle et Ode vont voir les parents de Maryse alors qu’elles ne sont plus ensemble. Annabelle, croyant bien faire, demande à ses beaux-parents s’ils pourraient venir en aide à Maryse pour l’achat de son appartement actuel, ce fut le rejet total de la part du père alors que ce dernier n’en avait plus fait allusion et avait même encouragé son fils à poursuivre sa transition. Suite à cet évènement, Maryse reçoit un appel téléphonique de sa sœur qui lui annonce que leur mère est prête à lui prêter de l’argent mais qu’elle ne veut en aucun cas la revoir. Maryse, furieuse de cette attitude maternelle, refuse catégoriquement et se dispute avec sa sœur. A partir de là, Maryse se fait passer pour morte auprès de son père, sa mère et sa sœur. Actuellement, Maryse a seulement des relations avec la famille de sa tante paternelle. Maryse passera d’ailleurs Noël chez elle pour la première fois avec sa fille. Son oncle et sa tante remplacent un peu les grands-parents paternels que Ode ne voit pas. 

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